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Évangile selon Luc 19 / 1-10
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texte : Évangile selon Luc 19 / 1-10
premières lectures : Genèse 28 / 10-22 ; épître aux Romains 8 / 14-17
chants : 22-07 et 43-14
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« Si j’ai fait tort de quelque chose à quelqu’un… », disait Zachée ! C’était un « chef des péagers », comme le dit ma traduction, ou « des collecteurs d’impôts » ou « des publicains », selon d’autres traductions. Je vous rappelle ce que ça signifie : les Romains affermaient la perception des taxes à des gens – collaborateurs donc de l’occupant – avec mission de faire rentrer au minimum les impôts requis, sans se préoccuper si le péager en question ne demandait pas 4 ou 10 fois plus pour se servir lui-même. Les gouverneurs romains, après tout, faisaient la même chose, non seulement dans Astérix, mais aussi dans la réalité ! La phrase qu’il prononce à la fin du récit est donc à comprendre pleinement : oui, il a fait tort à tout le monde ! La suite de la phrase, son engagement pour l’avenir, n’en a que plus de poids.
Mais comment cet engagement fonctionne-t-il ? Est-ce la même chose que celui de Jacob à Béthel, comme le suggère le rapprochement des deux histoires dans la liste proposée ? Jacob n’avait pas compris la grâce que lui annonçait Dieu, il pensait que c’était conditionnel, sans doute… Aussi s’était-il engagé à rendre à Dieu, en paiement, les 10 % de ce qu’il recevrait de lui, ce que Dieu ne lui demandait certes pas. Il faudra donc que Jacob « paie » autrement sa fausse religion, à son retour, au gué du Yabboq (Gen. 32 / 25-30). Zachée, lui, ne se trompera pas, on le verra dans quelques instants. Mais en attendant, Zachée est pris dans de multiples contradictions, tout comme d’ailleurs les autres personnes, comme sans doute vous et moi… Ces contradictions, ces oppositions, sont entremêlées dans le récit, mais je vais vous les rappeler une par une…
Il y a d’abord l’opposition entre petit et grand, c’est ce qui saute aux yeux quand on expose cette histoire aux enfants d’école biblique, car c’est aussi ce avec quoi ils peuvent s’identifier. Zachée est donc petit, ridiculement petit, au point que la foule rassemblée en bord de route l’empêche de voir passer Jésus… ou qui que ce soit d’autre. Il doit monter sur un arbre pour devenir grand, comme d’autres montent sur un rond-point ou se montrent dans un jeu télévisé. Est-ce une image de ce qu’il fait dans la vie sociale ? « Chef des péagers » : est-ce le sycomore par lequel il se venge de sa petitesse, par lequel il fait croire à tout le monde et à lui-même qu’il est grand ? Ne se moque-t-on pas des hommes politiques, voire des présidents, qui sont petits, en estimant qu’ils en veulent d’autant plus ?! Ce n’est certes pas gentil, mais pas forcément faux. Le texte suggère en tout cas qu’il en est ainsi pour Zachée.
Il s’est donc grandi, artificiellement grandi, pour voir Jésus. Or peut-on voir sans être vu ? Les voyeurs pensent que oui ; leurs victimes savent que non et peuvent ainsi porter plainte ! Comme elles, la Bible pense que non. Voir et être vu y vont de pair, et cela se vérifie encore dans notre récit. Zachée va donc être vu par Jésus, ce qu’il n’avait peut-être pas prévu. Mais Jésus va casser cette logique de petit ou grand : « hâte-toi de descendre ! » Jésus ne considère pas Zachée pour sa « grandeur », mais pour ce qu’il est. C’est aussi le sens de lui parler de sa « maison » : y a-t-il lieu où l’on soit le plus soi-même ?! En tout cas, Jésus et Zachée avec les pieds sur le même chemin, le même sol, au même endroit : en quelque sorte, à la même taille ! C’est déjà une belle première leçon pour Zachée et pour les spectateurs de cette rencontre, dans l’histoire comme nous autres. Pour voir Jésus et être vu par lui, et pour que la rencontre puisse aller au-delà du premier regard, il n’y a pas besoin de vouloir paraître autre que ce qu’on est : plus grand, plus beau, plus pieux, plus sage… Dans l’armée française, l’aumônier a toujours le même grade que le militaire auquel il s’adresse, trouffion ou général. Eh bien Jésus a toujours la même taille que chacun de ceux à qui il s’adresse, que nous soyons nains ou montés dans un arbre illusoire !
Autre opposition, à laquelle j’ai déjà fait allusion, celle entre dehors et dedans. Ça recoupe bien sûr un peu la première. En fait, dans notre histoire, le « dehors » radical n’y est pas – je veux dire : le désert. Mais on est le long de la rue Thiers, si vous voulez, ou de la rue d’Alsace, et on regarde passer le grand homme, certes. On est dehors, en ville mais dehors, en un lieu que Jésus ne peut que traverser. La seule ville où il restera, c’est celle de sa mort, Jérusalem. À Jéricho il ne restera pas. Et pourtant, il dit à Zachée : « aujourd’hui il faut que je reste dans ta maison ». L’opposition devient alors celle entre la ville à traverser et la maison où rester ; le dehors où je ne suis pas chez moi, le lieu où se joue la représentation sociale, et le dedans où je suis moi, chez moi. Maintenant, avec les pieds sur le même sol comme on l’a vu, Jésus invite les deux hommes : lui et Zachée, à aller demeurer chez Zachée. Ce n’est pas seulement que Jésus s’invite chez Zachée, mais il y invite aussi Zachée. Il veut le vrai Zachée dans le lieu où il est vrai, pas dans la rue des faux-semblants.
Ce que les gens n’ont pas compris… Ils sont dans la rue, dans la ville, c’est normal ! Ils jugent sur la richesse, ils se jugent sur la richesse, la leur ou celle qu’ils n’ont pas, celle que Zachée a. C’est d’ailleurs la manière dont le texte l’a présenté au début, après son nom et son métier. Comme quoi ce n’est pas d’aujourd’hui. Et les différences de richesse n’étaient pas moindres à l’époque, au contraire. La société des humains est le plus souvent très inégalitaire, et cette inégalité est fondée sur la richesse, bien acquise aux yeux des riches, mal acquise aux yeux des pauvres – je ne parle pas des mafieux et autres trafiquants. Ici, Jésus ne dit rien sur le sujet. C’est Zachée qui s’avance là-dessus, faisant cette promesse inouïe de « donner la moitié de [ses] biens aux pauvres » et de rendre 4 fois ce qu’il aura prélevé injustement. Même les hypermarchés ne le font pas, même « si vous trouvez moins cher ailleurs » ! On peut toujours critiquer Zachée, ou au contraire considérer que ce n’est que justice, mais, bon, comme qui dirait : « toi, t’es pas cap’… » Moi non plus. Peut-être que nous sommes encore dans la rue, pas à la maison.
Car là dehors, les gens connotent ce Zachée comme « un homme pécheur ». Dans les évangiles, son métier en est presque synonyme d’ailleurs, il est presque toujours associé soit à « pécheurs » soit à « prostituées » (Matth. 9 / 10 ; 21 / 32…). Après petit ou grand, dehors ou dedans, riche ou pauvre, c’est une quatrième opposition : pécheur ou… Le contraire de « pécheur » dans la langue biblique est « juste ». Le mot n’est pas utilisé ici. « Car aucun vivant n’est juste devant [Dieu]. » (Ps. 143 / 2) L’histoire de la femme adultère (Jean 8 / 1-11) le dit bien… Jésus utilise l’opposition perdu ou sauvé, qui est plus dynamique, qui ne considère pas que les gens sont enfermés dans un état. Il a d’ailleurs suffisamment fait bouger Zachée, de son arbre à par terre, de la ville à la maison, de la richesse à une vraisemblable pauvreté consécutive à sa promesse. Mais ces mouvements n’ont été que les moyens, le décor du salut de Zachée.
Comment ce salut s’est-il opéré ? Parce que Jésus a changé de lieu. Il « est entré » dans Jéricho au début, il « est entré chez un homme pécheur » selon les dires des gens, à la fin. Il « est venu à cet endroit » devant le sycomore, et à la fin il dit lui-même que « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui est perdu ». Et avec Jésus dans ce mouvement, « aujourd’hui le salut est advenu pour cette maison ». Le salut est donc lié au mouvement de Jésus ; le salut advient là où Jésus vient, pour la maison où il demeure. Entendez bien, pour ne pas refaire l’erreur de Jacob à Béthel : le salut ne consiste pas en un échange entre un don de Dieu et un contre-don du croyant en paiement, mais il consiste en Jésus, en Jésus seul. Sur la quatrième opposition, vue du côté de Zachée, perdu ou sauvé, il y en a une autre plus fondamentale, vue du côté de Jésus : absent ou présent. Le salut consiste en la présence de Jésus qui n’était pas dans ma vie, et qui maintenant est venu y demeurer, de sa propre initiative, en chamboulant tout au passage. La promesse de Zachée n’est que la conséquence de ce salut, le joyeux engagement de celui qui est libéré des fausses grandeurs, des fausses identités sociales, des fausses richesses, du vrai péché.
Car le péché est séparation d’avec Dieu, et les péchés en sont les manifestations diverses, criminelles ou anodines à nos yeux – souvent considérées comme criminelles chez les autres et anodines chez moi… Sorti de son péché par la présence de Jésus, Zachée peut donc se débarrasser de ce qu’étaient dans sa vie et ses relations les conséquences de ce péché désormais détruit. Je ne sais pas si Zachée a mis sa promesse à exécution le jour-même totalement. Je sais que moi, j’ai encore du travail. Mais le principal est fait, et non pas par moi. Le principal est la venue de Jésus dans ma maison une fois pour toutes, quand bien même je ne suis pas à la hauteur… mais lui est venu à la mienne. Tout comme il vient au fond de la détresse du croyant quand celui-ci s’y trouve, comme le chantent tant de psaumes. Tout comme il vient conseiller les puissants qui se confient lui. L’histoire de Zachée, c’est que Jésus « ne fait pas de considération de personne », comme le lui disent un jour ses adversaires pour le flatter (Luc 20 / 21), et comme Moïse le déclarait déjà : « l’Éternel, votre Dieu, est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, fort et redoutable, qui ne fait pas de considération de personnes et qui ne reçoit pas de présent, qui fait droit à l’orphelin et à la veuve, qui aime l’immigrant et lui donne nourriture et vêtement. » (Deut. 10 / 17-18)
Voilà sans doute pourquoi Zachée a pu se défaire de sa fortune : il a compris aussi que Dieu donnait à ses enfants ce dont ils ont besoin, et qu’avec Jésus il n’aura besoin de rien d’autre. Mais pour le savoir, il ne suffit pas de lire les Écritures, encore faut-il suivre celui qui s’y montre et que Zachée appelle « Seigneur » en « se tenant » devant lui. Si le salut consiste en la venue de Jésus, du point de vue du croyant ce salut consiste à se tenir devant lui en le reconnaissant comme Seigneur. Le reste en découle, la réalisation de ce salut dans ma vie, dans ma volonté, dans mes œuvres diverses et variées, oui, tout le reste en découle, malgré ou à travers mes résistances. C’est bel et bien une nouvelle naissance, après laquelle il ne reste qu’à grandir, même s’il est plus facile de marcher à quatre pattes que debout quand on est petit enfant… mais le sommes-nous encore ? Nous pouvons bien essayer de marcher debout (cf. Rom. 14 / 4). Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 13 septembre 2020