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Actes des Apôtres 6 / 1-7
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texte : Actes des Apôtres 6 / 1-7 (trad. perso. d’après L. Segond)
premières lectures : Lévitique 19 / 1-2. 11-18 ; Évangile selon Luc 10 / 25-37
chants : 36-10 et 44-08
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Ah ! Qu’est-ce qu’on est bien, quand on n’est pas nombreux, quand on est seulement entre soi, entre proches, entre gens qui partageons les mêmes valeurs, la même langue, la même manière de croire et de vivre… C’est vrai ! Vous me direz, là, notre paroisse est en-dessous du seuil minimum… Nous en avons tiré les conséquences institutionnelles, mais quant au résultat, c’est toujours pareil : les Senonais et les Déodatiens ne se mélangent guère ! Vous me direz – vous m’avez dit – que c’était bien pire il y a quelques années, il n’y a pas si longtemps que ça. Est-ce une raison ? Je dois le dire aussi à Saint-Dié ! Mais le texte de ce matin montre que ce n’est pas d’hier. C’est dans la nature humaine, simplement…
Les chrétiens de Jérusalem devenaient donc nombreux, le livre que nous appelons « les Actes des Apôtres » l’a déjà signalé plusieurs fois avant cet extrait-ci. Cette secte juive gagnait du terrain au sein du judaïsme, au point que, justement, elle commençait à ne plus ressembler à une secte, elle commençait à voir en son propre sein une diversité qui, bien évidemment, posait des problèmes. Il n’y a pas de diversité sans problèmes. Mais il n’y a pas de vraie communion sans diversité ! Donc pas de vraie communion sans problèmes ! Voulons-nous être une secte de gens tous pareils, ou bien une communion ? Il y avait donc parmi eux des Juifs de langue et de culture grecque, et des Juifs de langue sans doute araméenne et sans doute de culture plus traditionnelle, sans qu’il soit besoin que les premiers viennent d’un autre endroit. Imaginez ce que deviendra le problème quand il y aura aussi des gens qui ne sont pas Juifs qui deviendront chrétiens ! Mais ça, ce sont les chapitres suivants du livre…
Il y a donc des Hellénistes et des Hébreux dans la communauté, et celle-ci cesse d’être une petite communauté chaleureuse où tout le monde se connaît et parle la même langue… Elle cesse d’être une secte, elle devient un ensemble à problèmes ! En fait, on ne sait pas bien quel était le problème. Il est question des « veuves » des Hellénistes, c’est-à-dire des femmes seules et âgées qui avaient besoin d’être soutenues, portées, par la communauté. Mais quel est donc « le service quotidien » dans lequel elles sont négligées ? Les apôtres parlent ensuite de « servir aux tables ». S’agit-il de repas communautaires, ou bien d’entraide au sens plus large, avec des connotations plus pécuniaires ? Ou bien s’agit-il de la sainte cène ? D’ailleurs, les deux groupes se retrouvaient-ils souvent ? Pour manger ? Pour prendre la cène ? Au sein des synagogues ? Dans les maisons (mais là il ne pouvait pas y tenir beaucoup de monde…).
Nous en sommes réduits non pas à deviner – ça ne servirait à rien – mais à nous concentrer sur le principal, qui n’est pas là, puisque le texte ne précise rien là-dessus. Le principal n’est pas non plus de l’ordre de la morale et du bon sens, comme quoi il faudrait être gentil avec les autres : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ! » Mais précisément la parabole du « Bon Samaritain » montre qu’un tel commandement n’est pas aussi simple qu’il y paraît… Quel est donc le principal dans notre texte de ce jour ? C’est le service. Le mot y revient trois fois, ce que vous ne trouverez pas forcément dans vos traductions habituelles : « le service quotidien », « servir aux tables », et « le service de la parole ». Les Douze semblent opposer « les tables » et « la parole », comme si les premières étaient moins dignes d’eux et devaient les éloigner de « la parole ». S’il s’agit de la cène, ils étaient déjà de bons protestants réformés ! Gageons donc qu’il s’agit d’autre chose, sans plus savoir quoi…
Et restons-en au « service », qui se disait en grec « diaconie ». Mais le mot n’avait pas son sens actuel, trop restreint, sinon comment aurait-on pu parler de « diaconie de la parole » à propos de la prédication apostolique ? L’utilisation du même mot met bien les deux « activités » sur le même plan : elles sont toutes deux des « services ». Même le refus des apôtres de s’en charger souligne le parallélisme entre les deux ! Et c’est bien pour maintenir ce parallélisme que l’histoire se poursuit, et que les Douze ont proposé ce qu’ils ont proposé : tout comme ils exercent l’un des services, d’autres gens doivent être choisis pour exercer l’autre. Et le texte nous suggère que cette proposition est bien de l’ordre de la prédication, de la parole dont sont chargés les apôtres. Ce n’est pas une règle sans importance, juste pour satisfaire les grognons de l’autre groupe ! « “Nous continuerons à nous appliquer à la prière et au service de la parole.” Cette parole plut à toute la multitude… » Parole / parole.
Vous savez combien, en dehors de notre vocabulaire à nous, protestants, le mot « parole » est aujourd’hui dévalué dans le monde. De la culture romaine de l’écrit qui baigne encore notre mentalité et notre droit, jusqu’à la chanson de Dalida ou aux beaux discours de la classe politique, vous savez bien que « les paroles s’envolent, les écrits restent ». Toutes les cultures n’avaient pourtant pas cette idée, ni la nôtre avant qu’elle ne devienne romane – mais il en est resté des traces dans les traditions populaires, et ce qu’on appelait « la coutume » – ni la culture biblique, malgré l’écrit biblique lui-même qu’il ne faut jamais confondre avec la Parole de Dieu dont il n’est qu’un porte-voix. Dans ces cultures de l’oral, on pouvait prendre quelqu’un au mot, tenir pour acquis un engagement oral. On savait bien que l’écrit peut se falsifier bien facilement, même sans ordinateur… Alors c’est bien la parole, dans notre texte, qui va fonder l’organisation de la communauté, la parole des apôtres qui est le moyen par lequel Dieu dirige son Église.
Pour « servir aux tables » – quel que soit le sens de l’expression – on aurait imaginé trouver quelqu’un qui sache faire ça, quelqu’un de « serviable » au sens courant du terme, quelqu’un de gentil, bienveillant, dévoué, généreux, désintéressé, ou à défaut quelqu’un qui ait le temps… N’est-ce pas ainsi que les associations recherchent des bénévoles ? Mais les « perles rares » sont… eh bien… rares ! Aussi se rabat-on souvent sur les gens qui sont là, et dont les motivations et le service ne sont pas toujours ce qu’on en aurait attendu. Mais « on fait avec ce qu’on a… » Raisonnements déplorables, certes, et qui mènent souvent à des catastrophes. « Il n’en est pas de même parmi vous », disait Jésus (Marc 10 / 43). Et c’est ce qu’énonce la parole des apôtres, et sa mise en œuvre le confirme. Il s’agira donc de « choisir des hommes de qui l’on rende un bon témoignage, sept, pleins d’Esprit Saint et de sagesse », ce qui est ensuite souligné pour Étienne dont on va parler quelques versets plus loin : un « homme plein de foi et d’Esprit Saint ».
On pourrait croire qu’on choisit des pasteurs, des conseillers presbytéraux, des prédicateurs… Non, ici, il est question seulement des « tables » … Mais, comme le disent les Douze, il s’agit d’un « besoin », pas d’une simple activité ! Donc pas « seulement » des « tables ». Il s’agit de veiller sur des gens qui sont délaissés indûment. « Veiller sur », c’est le verbe pour « évêque » ! Le « service quotidien », le soin des gens, est un ministère épiscopal, tout comme celui des apôtres qui prêchent. C’est bien pourquoi il y faut le Saint-Esprit ! C’est bien pourquoi il y faut des gens qui y soient envoyés, par Dieu et par l’Église. C’est bien aussi pour ça que le Conseil presbytéral doit être « installé », son ministère « reconnu » par un représentant de toute l’Église – comme ce sera le cas dans 3 semaines avec notre inspecteur ecclésiastique. Ainsi les Sept, dans notre texte, ont-ils été au bénéfice de la prière des apôtres et ont-ils reçu l’imposition de leurs mains.
Que s’est-il donc passé pendant notre texte ? Des gens qui n’étaient pas ou étaient mal pris en considération l’ont mieux été. Deux groupes menaçants ou menacés de refaire secte ont pu mieux vivre la communion de l’Église avec leurs particularités. Un besoin qui s’est exprimé a donné lieu à un service, un ministère, particulier mais tout aussi inspiré que le ministère apostolique. Cette diversité de ministères est issue de la Parole de Dieu et a été reconnue telle, sans remettre en cause la primauté du ministère de la parole. C’est le Saint-Esprit qui a été à l’œuvre, et qui va continuer à l’être ensuite, puisque dès le verset suivant, « Étienne, plein de grâce et de puissance, faisait des prodiges et de grands miracles parmi le peuple » (v. 8), et sera amené à témoigner publiquement de sa foi et à en mourir, premier martyr de l’Église de Jésus-Christ (Actes 6 / 9 – 7 / 60). Et enfin, cerise sur le gâteau, il se passe le contraire de ce qu’on avait entendu au début de la scène du « Bon Samaritain » : « une grande foule de sacrificateurs obéissaient à la foi » au lieu de passer outre le blessé du bord de la route, qui avait besoin de compassion active.
Finalement ce texte rejoint ce que je vous disais les précédents dimanches à propos du témoignage. Nous sommes tous appelés et envoyés, chacun à notre manière et selon les dons reçus, pour rendre témoignage à Jésus-Christ qui nous a sauvés du péché et de la mort. Le texte d’aujourd’hui nous dit qu’en fonction des besoins qui s’expriment, nous pouvons compter sur le Saint-Esprit pour nous aider à discerner lesquels d’entre nous sont le mieux à même d’exercer quelle tâche particulière répondant à ces besoins, quel ministère au bénéfice de la communion de toute l’Église, « pour l’utilité commune », comme écrivait Saint Paul (1 Cor. 12 / 7), et non pour des intérêts particuliers ou la satisfaction personnelle au détriment de cette communion. Il nous faut donc discerner ou entendre les besoins, et demander à Dieu les moyens d’y répondre. C’est le ministère particulier du Conseil presbytéral et des assemblées d’Église. Sans oublier que ministère veut dire « service », puisque c’est de là qu’avec les apôtres nous étions partis tout à l’heure.
Chacun peut aussi se poser la question de son propre service dans l’Église, et demander à Dieu de l’éclairer là-dessus. Non pas ce que j’aime faire, mais ce que Dieu veut que je fasse. Non pas pour moi, pour exercer ma générosité ou tout simplement mon devoir. Mais pour ceux qui ont besoin. Lorsque nous sommes insatisfaits de ce que nous faisons, c’est peut-être que nous n’avons pas suivi la bonne démarche ! Mais il n’est jamais trop tard pour changer. Et comme dans notre texte, les frères et sœurs peuvent aider à ce discernement. Quels sont les besoins de notre Église aujourd’hui, en son sein ou autour d’elle ? Ou bien qui a besoin de quoi ? Et à quoi suis-je appelé, ou mon frère, ou ma sœur ? L’Église, la communion de l’Église, a besoin de chacun de ses membres. Puisse le Saint-Esprit de Dieu nous éclairer afin qu’ensemble nous suivions mieux notre Seigneur Jésus-Christ au service les uns des autres et de ceux qui en ont besoin. Amen.
Senones – David Mitrani – 6 septembre 2020