- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Épître aux Romains 11 / 25-32
Épître aux Romains 11 / 25-32
Partage
texte : Épître aux Romains 11 / 25-32
premières lectures : Exode 19 / 1-6 ; Évangile selon Marc 12 / 28-34
chants : 31-01 et 47-18
téléchargez le fichier PDF ici
Il y a une sagesse, une compréhension coutumière, de la foi. C’est que si nous sommes chrétiens, c’est soit parce que nous sommes nés dans un foyer chrétien et qu’il n’y avait pas de raison de changer, soit parce que nous étions en recherche spirituelle et que nous avons trouvé ce qui nous convenait en venant ici, soit parce qu’il s’est passé un jour quelque chose qui nous a convaincus – d’aucuns diraient un miracle – et c’est pour ça que, depuis, nous sommes là. Sagesses différentes, certes, et dans lesquelles d’autres que nous sont intervenus : parents, amis, rencontres, internet, etc. Mais un même fond : il y a une raison principale qui tient à nous, c’est que, familialement ou individuellement, nous avons choisi ! Bref, si nous sommes chrétiens, finalement c’est grâce à nous ! Or dans le texte de ce matin, l’apôtre Paul ne veut pas que nous nous tenions un tel discours, il ne nous veut pas « sages » dans ce sens-là.
Quelle est donc la raison pour laquelle nous sommes là, pour laquelle nous sommes chrétiens ? Paul nous dit : c’est à cause d’Israël ! Évidemment il ne parlait pas de l’État d’Israël qui existe aujourd’hui, quoi qu’en pensent parfois nos frères et sœurs évangéliques… Il ne parlait pas non plus de celui de son temps, qui était la province romaine de Judée et Samarie, ni même de l’éphémère petit royaume que les Romains y ont réinstallé au milieu du Ier siècle. L’Israël politique d’alors a définitivement disparu après la deuxième « guerre juive » en 135 de notre ère. Quant à l’Israël politique d’aujourd’hui, laissons à Cheikh Khalifa ben Zayed et à ses alliés américains de croire qu’il tiendra ses promesses de paix… Il n’est en tout cas fondé en rien dans la religion biblique, quoi qu’en disent ses partis « religieux », mais dans le sionisme laïque du XIXe siècle et le nationalisme du XXe.
Alors, quel Israël ? Il s’agit, bien sûr, du peuple partenaire de Dieu tout au long de l’Ancien Testament. Un partenaire récalcitrant, incohérent, idolâtre… bref : normal ! Pourquoi Dieu s’est-il alors choisi un tel peuple ? Relisez donc la Genèse et l’Exode, le Deutéronome et Ésaïe, etc. Relisez aussi le début de cette épître de Paul aux Romains. Il ne fait que résumer dans les quelques versets de ce matin sa longue argumentation du début de l’épître. Mais surtout, il donne une raison majeure dans sa citation du prophète (És. 59 / 20-21) : « le Libérateur viendra de Sion » ! Bien sûr, Paul a arrangé le texte biblique. Mais pour lui comme pour tout le Nouveau Testament, la libération, le salut, la rédemption, ne peut venir que d’Israël. C’est Jésus lui-même disant à la Samaritaine que « le salut vient des Juifs » (Jean 4 / 22). Jésus est fils d’Israël et à aucun moment il ne le renie. D’ailleurs on ne peut pas comprendre qui il est sans les Écritures d’Israël ! Car le but de l’élection d’Israël, c’était lui.
Ah, mais alors c’est fini ! Plus de raison de s’attarder sur cette élection, ce choix de Dieu désormais sans objet, puisque « tout est accompli », comme Jésus lui-même, encore, le dira sur la croix (Jean 19 / 30). Je ne parle pas ici de la Loi de Moïse, les avis divergent même au sein de la théologie protestante ! Mais bien d’Israël : pour les chrétiens, ce peuple a-t-il encore une particularité, ou bien, dans son refus du Christ, est-il désormais comme n’importe quelle nation au monde ? Vous savez qu’à l’époque, la question s’est posée avec acuité, jusqu’au milieu du IIe siècle, puisque certains ont alors voulu rejeter les Écritures d’Israël et même son Dieu, prétendument autre que celui de Jésus-Christ. Ils ont été condamnés par la « grande Église », celle dont nous sommes les héritiers, et c’est pour ça qu’il y a un Ancien Testament dont le Nouveau est la suite et l’accomplissement, truffé de citations de l’Ancien.
Paul, l’apôtre des païens, de ceux qui, grâce à lui, ont rencontré le Christ sans devenir Juifs, sans passer par Israël, Paul va devoir mettre les points sur les i. Ce faisant, il nous livre deux excellentes nouvelles. La première, reprenant sa mise en garde du début contre ceux qui se croiraient chrétiens, sauvés, par leurs propres œuvres, seraient-elles de foi, c’est que « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, pour faire miséricorde à tous. » « Il n’y a pas de différence, en effet, entre le Juif et le Grec : ils ont tous le même Seigneur, qui est riche pour tous ceux qui l’invoquent. Car quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » – comme Paul l’écrivait au chapitre précédent (Rom. 10 / 12-13), dans un texte qui justifie et commande la mission chrétienne. Le Juif Paul y a trouvé sa vocation et sa raison d’être. Alors, pas de différence, vraiment ? Si, dit Paul, non pas dans l’amour de Dieu, mais dans l’ancrage historique du projet divin pour l’humanité. Il fallait bien que la plupart des Juifs refusassent l’Évangile pour que celui-ci fût annoncé à d’autres : si tout Israël avait reconnu son Messie, l’Évangile n’aurait pas pu sortir de ses frontières…
Mais Dieu n’a pas oublié son peuple, celui avec qui il a marché et bataillé pendant des siècles. Si Jésus est « le Sauveur du monde », comme l’ont confessé les Samaritains (Jean 4 / 42), il l’est donc aussi et le sera d’Israël. Lui dont la mort a obtenu pour nous autres la miséricorde de Dieu, celle-ci vaut aussi pour Israël qui la rencontrera lorsque « la totalité des païens [sera] entrée. Et ainsi tout Israël sera sauvé. » Je vous parlais d’une excellente nouvelle, c’est bien celle-ci, et c’est tout l’Évangile : la mort de Jésus est le moyen de la miséricorde de Dieu à l’égard de tous, qui ne la méritaient pas. Nous en sommes les fruits, nous, et un jour tout Israël et le monde entier. Si Israël a accompli – malgré lui – sa vocation, il n’a pas encore accompli son histoire. Ainsi les fantasmes antisémites sur le rejet par Dieu du soi-disant « peuple déicide » n’ont-ils pas de fondement biblique. Vous me direz que c’était au Moyen Âge ? On l’entend encore aujourd’hui ! Quand on ne sait plus qui accuser de la pandémie de CoVid-19, quand les accusations complotistes à l’égard de la Chine ou des États-Unis perdent leur charme, alors, bien sûr, ce sont les Juifs qu’on accuse à nouveau. Même en 2020…
Mais non. Les Juifs « sont aimés à cause de leurs pères. » Ce qui m’amène à ma seconde excellente nouvelle, qui cette fois est pour nous-mêmes, qui que nous soyons. C’est que « les dons gratuits et l’appel de Dieu sont irrévocables. » Bien sûr, c’est par rapport à Israël que Paul écrit ceci. Mais c’est donc vrai de toute façon. Et précisément parce qu’il nous a fait miséricorde sans considération de nos éventuels mérites, sans considération de nos désobéissances – sinon que, si nous n’avions pas désobéi, il n’en aurait pas eu besoin… Il y a là une grande différence d’avec la théologie qu’exprime le texte de l’Exode que je vous ai lu en premier tout à l’heure. je vous le cite à nouveau : « Maintenant, si vous écoutez ma voix et si vous gardez mon alliance, vous m’appartiendrez… » Ce texte ne dit pas la miséricorde, mais le rejet d’Israël par Dieu. C’est en tout cas ainsi que les auteurs avaient compris leur histoire : le fait d’avoir été livrés à leurs ennemis et d’avoir été exilés loin de la terre qui avait été promise a été la sanction de leur désobéissance !
Ce texte de la Torah nous dit la Loi, à nous aussi ; il dit la condamnation que nous méritons. Et il faut bien que nous ayons entendu cette Loi. Car sans savoir ce que nous méritons, comment accueillir pour ce qu’elle est la parole de la grâce ?! Mais maintenant, à nous qui savons notre péché, notre infidélité, notre désobéissance, c’est bien la parole de la grâce qui est dite, et qui est première, car ce que Dieu donne, il le donne gratuitement, et l’appel d’Abraham, le choix d’Israël, sont venus avant la Loi de Moïse ! Or ce n’est pas seulement Abraham que Dieu a appelé, ce n’est pas seulement Israël qu’il a choisi, c’est moi, c’est vous. Et nous n’avions pour cela aucun mérite, rappelez-vous ce que je vous disais tout à l’heure… Notre généalogie, notre culture, notre histoire, les interventions de Dieu devant nous ou en nous, nos choix eux-mêmes, sont des cadeaux supplémentaires, pas des mérites ! Notre salut, notre communion avec Dieu, sont des « dons gratuits », offerts à cause de Jésus-Christ et reçus en lui par la foi. Or ces dons ne nous seront pas ôtés, quand bien même nous les oublierions, nous les laisserions de côté, nous ne nous en servirions pas, bêtement…
Ainsi ce qui est écrit par Paul à propos d’Israël nous concerne-t-il nous aussi, et, en fait, nous tout court, car le mystère du salut d’Israël n’est pas entre nos mains, tandis que « les dons gratuits et l’appel de Dieu », oui. Or souvent, les uns ou les autres, nous pensons avoir démérité, avoir désobéi, que ce soit aux commandements ou à l’appel lui-même. Il suffit de réentendre le double commandement d’amour, avec lequel Jésus se moque du scribe, pour avoir bien conscience de nos manquements. Il suffit de regarder notre propre vie, il suffit de regarder l’état de notre Église… C’est alors que nous pouvons nous rappeler cette phrase de Paul. Car aujourd’hui encore, dans l’aujourd’hui de nos existences, elle reste vraie. C’est parce que nous sommes, parfois ou souvent, voire définitivement, pécheurs, infidèles, désobéissants, qu’il y a eu besoin d’écrire pour nous cette phrase, cette excellente nouvelle : Dieu ne reprend pas ce qu’il a donné, il ne révoque pas son appel, par lequel nous sommes devenus chrétiens.
Car cet appel, c’est en Jésus-Christ que nous l’avons entendu, c’est en celui qui est mort pour que nous vivions. Peut-on révoquer la croix du Christ, faire comme si elle n’avait pas eu lieu, comme si elle ne nous avait pas rachetés du péché et de la mort ? Oui, nous, nous pouvons faire comme si. Mais pas Dieu, et c’est ça qui compte. À ses yeux, nous sommes toujours ceux à qui il a fait cadeau du salut, ceux qu’il a appelés, non seulement à la foi, mais chacun à une vocation particulière – comme je vous le disais dimanche dernier, pour ceux qui étaient à Saint-Dié. Rappelez-vous la parabole du « fils prodigue » (Luc 15 / 11-32), et ne regrettez pas de ne pas être le fils aîné, toujours présent, toujours fidèle, « bon élève » et craignant Dieu… sans réaliser que Dieu est son père et que sa maison est la sienne pour qu’il en jouisse ! Si vous pensez être, parfois ou souvent, dans la situation du fils gaspilleur des dons et oublieux de l’appel, alors sachez que vous êtes aimés quand même et que, même malgré vous et malgré le déroulement du temps, « les dons gratuits et l’appel de Dieu sont irrévocables. » Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 16 août 2020