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Évangile selon Jean 5 / 39-47 (2)
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texte : Évangile selon Jean 5 / 39-47
premières lectures : Jérémie 23 / 16-29 ; Évangile selon Luc 16 / 19-31
chants : 45-15 et 61-81
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Il y a des prophètes qui disent n’importe quoi ! Oh, pas ceux qui sont dans la Bible, évidemment… Mais il y en avait beaucoup d’autres, prophètes de cour appointés par l’État, ou bien anarchistes itinérants prompts à condamner tout ce dont ils n’avaient pas eu révélation eux-mêmes. Et la prophétie n’était pas limitée à l’ancien Israël, c’était une pratique courante dans tout le Proche-Orient. On en voit bien quelques-uns d’une sorte ou d’une autre, tels Nathan prophète attitré de David, lui disant ce qu’il voulait entendre, mais renvoyé par Dieu vers son roi pour parfois lui dire le contraire de la veille ; ou Amos allant prophétiser en Israël alors qu’il était judéen, et se faisant logiquement reconduire à la frontière ; ou bien Balaam, prophète en Moab envoyé maudire les Hébreux mais empêché par Dieu de le faire. Ce phénomène ne s’est pas non plus limité à l’Ancien Testament : on voit bien dans les Actes des Apôtres Agabus (Act. 21 / 10), ou dans l’Apocalypse Jézabel (Apoc. 2 / 20). Etc. Les prophètes, hommes ou femmes, sont de tous temps, et Dieu s’en sert, ou pas…
Chers amis, cela vient jusqu’à nous. Nous aussi, nous pensons être prophètes. Bon, le pasteur, bien sûr… mais quelle prétention ! Non : je veux surtout parler de chacun de nous. Nous avons nos propres interprétations et lectures non seulement de l’Écriture, mais aussi de qui est Dieu, de qui nous sommes et de ce en quoi consiste notre foi, notre liberté, notre identité, notre religion, etc. Nous qui sommes protestants, nous comparons parfois tout ce que nous avons compris tout seuls avec ce qu’en dit la Bible, et nous la tirons jusqu’à nous, lui faisant parfois dire ce qui n’est pas écrit, voire le contraire de ce qui est écrit. D’autant que nous n’avons pas de clef de lecture de ce que nous y lisons, ce qui fait que certains d’entre nous sont particulièrement littéralistes, d’autres follement libéraux, d’autres encore plutôt symbolistes, etc. Mais comme nous avons aussi appris – non pas de la Réforme, mais des Lumières – que la raison doit éclairer nos convictions et nos actes, et que la relation avec Dieu est chose personnelle voire privée, nous pouvons nous tenir ensemble, ou plutôt côte à côte, dans une même Église dont la parole est alors confuse et brouillée pour ceux de dehors…
Dans l’évangile de Luc, Jésus raconte une histoire avec un riche qui non seulement est anonyme, mais aussi qui a de la peine à comprendre ce qu’on lui dit, et l’enjeu du récit est bien qu’il a sa propre conception du bien et du mal, du paradis et de l’enfer, de l’obéissance aux commandements, etc. Et ses frères sont comme lui, riches d’une Loi de Dieu, d’une Torah, qu’ils exhibent sans recevoir ce qui y est écrit, demandé, promis, etc. Le pauvre que « Dieu aide » – Lazare, c’est son nom – ne prétend à rien : lui n’est pas prophète, mais pourtant « dans le sein d’Abraham ». Comme quoi on peut aussi être aimé de Dieu sans Bible, et à côté de la plaque avec la Bible en main ! C’est bien la même question, et elle est reprise dans le texte de Jean, comme un reproche majeur et cinglant dans la parole de Jésus à l’encontre des Juifs qui contestent son identité divine (Jean 5 / 18). Il leur reproche de se servir de la Bible au lieu de la lire pour mettre en pratique ce qu’elle dit. Ce reproche, je vous le disais, nous atteint nous-mêmes de plein fouet.
Protestants, nous ne pouvons y échapper. Il est des dénominations chrétiennes où les fidèles se rangent à l’autorité d’interprétation de leurs prophètes, que ceux-ci soient des pasteurs ou bien l’institution ecclésiale, voire la communauté elle-même. Mais nous, adeptes de la tradition luthéro-réformée, nous avons toujours considéré qu’il était conforme à la Bible elle-même que chacun en fasse son propre profit, en communion avec son Église certes, pourvu par le Saint-Esprit de lumières suffisantes pour ce faire. Pour reprendre ce que je disais à propos du texte de Jérémie, c’est comme si nous étions tous prophètes. « Tout protestant fut pape, une bible à la main », caricaturait Boileau (Nicolas Boileau-Despréaux, Satires). De l’individualisme appliqué à la religion chrétienne… Boileau avait tort, naturellement, car on n’est chrétien, même protestant, qu’avec des frères et sœurs et en communion avec eux en Église : la foi chrétienne ne supporte pas l’individualisme, tout comme elle craint le communautarisme ; elle aime les autres, et c’est ça l’Église !
Mais la réalité résiste toujours à la théorie, c’est bien ce que Jésus critiquait. À ceux qui, par tradition communautaire ou par piété individuelle, lisaient la Bible, il reprochait – il reproche – de ne pas la lire comme il faut. Il reproche de « diviniser le papier bible », pour le dire de manière caricaturale, et de se servir de la Bible – de la Loi de Dieu – comme d’un chemin d’accès vers lui : je m’approcherai de Dieu en faisant ce qui est écrit. Le « jeune homme riche », lui, avait compris que ça ne marchait pas, même s’il n’a pas pu ni voulu « suivre » Jésus (Luc 18 / 18-27). La Bible n’est pas un livre de secrets, qui nécessiteraient que des prophètes éclairés les déchiffrent et les expliquent ou pas à d’autres : l’existence-même de la Bible rend superflue l’existence de prophètes comme autrefois, les Pharisiens l’avaient bien compris dès avant l’époque de Jésus… Mais la Bible n’est pas non plus un livre de recettes à appliquer soit bêtement soit intelligemment, que ce soit au niveau personnel, familial, social, économique, ni même ecclésial. Ni secrets ni recettes. Pourtant nous y lisons, selon les pages, et des secrets et des recettes, et cela déroute beaucoup de gens.
Il faut donc reprendre ce que nous dit Jésus dans le texte de ce matin : la Bible « rend témoignage de [lui] ». Ah oui ! C’est parce que ce sont des témoins qui l’ont écrite ! C’est vrai, mais ce n’est pas ce dont parle Jésus. Ce qu’il dit, c’est que cette parole vient de Dieu pour nous permettre de comprendre qui il est, lui, parce que c’est en lui seul qu’on a la vie éternelle, et non pas par ce que nous faisons, nous. La parole biblique fait Loi dans le sens où elle nous renvoie au Créateur et Législateur, qui est le Dieu de Jésus-Christ, qui nous montre à la fois sa volonté bonne et notre incapacité à la mettre en œuvre. (Tout le début de l’épître aux Romains nous l’expose clairement.) Cette parole biblique, alors, devant cette constatation, nous renvoie à celui seul qui peut nous sortir de là (Rom. 7 / 24-25a), nous sortir de nos échecs et de notre misère comme de nos rêves de puissance ou de bonheur. Elle nous renvoie à la seule grâce de Dieu (Éph. 2 / 8-10), à l’amour fou qu’il nous a manifesté en Jésus-Christ. Celui qui cherche dans la Bible à savoir ce qu’il doit faire ne peut y lire que sa propre condamnation. Mais celui qui cherche dans la Bible à savoir ce que Dieu a fait pour lui y découvre Jésus-Christ, et trouve par lui la vie éternelle.
Vous me direz que nous sommes chrétiens, portant donc le nom du Christ, et que c’est bien parce que nous, ou nos Pères, avons lu ainsi la Bible. Mais la foi chrétienne, la vie éternelle, ne sont pas affaire de théologie ou d’héritage culturel ou religieux. Je vous l’ai dit, celui qui cherche à découvrir des secrets ou à mettre en pratique des recettes fait fausse route. Les secrets n’existent pas, et les recettes sont bonnes, mais ne mènent à rien, seulement à la mort. Dieu ne nous veut pas éclairés ni moraux, mais disciples de son Fils, rachetés par lui de la mort pour vivre en communion avec lui et les uns avec les autres. Il ne nous veut pas disciples d’un homme autant perdu que nous, d’un parti, d’une époque, d’une civilisation, mais disciples de Jésus-Christ. Aujourd’hui – mais il semble bien que ce fût déjà le cas à l’époque de Jésus, puisqu’il en parle ainsi – aujourd’hui aussi donc, chacun prétend « gagner sa vie » dans tous les sens du terme, chacun prétend à l’autonomie sans voir que cela nous rend tous pareils, comme à Babel (Gen. 11 / 1-9). L’absence de transcendance mène ainsi au totalitarisme – je ne prétends pas que notre pays va y sombrer, mais je ne saurais l’exclure, hélas…
L’absence de transcendance, en tout cas, mène à l’autojustification tant que ça marche, et au défaitisme lorsque ça ne marche plus. « Vous recevez de la gloire les uns des autres », dénonce Jésus. Pour reprendre une autre image, à l’envers de la fable (de Jean-Pierre Claris de Florian) c’est l’aveugle qui guiderait le paralytique ! Que puis-je donc apporter à l’autre, moi qui ne suis rien, moi qui n’ai par moi-même d’autre richesse que ce que l’autre m’apporte ? Non, c’est de Dieu qu’il me faut tout attendre, et la Bible me l’enseigne, m’y éduque, me le promet. Elle témoigne que c’est bien là ce qu’il m’est donné de connaître de l’action de Dieu : ce que je peux recevoir de lui lorsque je m’attends à lui plutôt qu’aux illusions, aux fantasmes ou aux chimères de ma psychologie ou de ma culture fût-elle religieuse. Il me faut chercher Christ dans l’Écriture, et j’ai la promesse de l’y trouver par le Saint-Esprit, car alors il « se laisse trouver » (Jér. 29 / 14). Et le trouvant là, je puis alors le suivre non par intelligence ou morale, mais comme une personne qui en suit une autre : comme l’ami suit l’ami, comme le frère ou la sœur suit le frère aîné, comme l’enfant suit son père.
La question rebondit : aimons-nous assez Dieu pour le chercher, le faisons-nous passer avant toute autre réalité ? En fait, pour la plupart et la plupart du temps, Dieu est « un plus », et la foi une réalité – sans doute – mais une réalité qui n’irrigue pas le reste de notre existence. Nous vivons donc bien, la plupart du temps, le contraire du premier commandement, et donc de toute la Bible : nous « [n’]aimons [pas] Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre pensée et de toute notre force » (Deut. 6 / 5 ; Marc 12 / 30). Mais encore une fois, cessons nos efforts vains pour y parvenir, alors que tout en nous tire dans l’autre sens : c’est Dieu qu’il faut laisser agir en nous, c’est Dieu qu’il faut laisser nous tourner vers lui, c’est Dieu qui peut mettre en nous son Esprit afin que nous puissions suivre Jésus et vivre, vivre pleinement, à jamais. Tant que nous essayons, tant que nous suivons nos propres idées sur Dieu et sur nous, tant que nous lisons la Bible comme des secrets à sonder ou des recettes à pratiquer, alors réalisons-le : la Bible elle-même nous condamne, elle qui n’est là que pour nous montrer la croix du Christ qui est la grâce de Dieu pour nous.
Il nous faut donc lire la Bible et compter sur elle pour nous instruire, pour nous montrer cette grâce, cet amour paternel de Dieu tel qu’il se manifeste du premier au dernier verset de la Bible : « au commencement Dieu » (Gen. 1 / 1), « que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous ! » (Apoc. 22 / 21). Il faut « utiliser » la Bible pour ce pour quoi elle a été écrite : comme Jean l’a écrit dans son évangile, « ceci est écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » (Jean 20 / 31) Ne vous cherchez plus vous-mêmes, mais cherchez-le, lui, car c’est en lui, en lui seulement, que vous vous trouverez. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 23 juin 2019