Évangile selon Jean 20 / 9-18

 

texte :  Évangile selon Jean 20 / 9-18

premières lectures :  Ésaïe 25 / 6-9 ; première épître aux Corinthiens 15 / 1-12

chants :  34-04 et 41-07

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Que c’est difficile ! Que c’est difficile pour notre petite intelligence, de croire que la résurrection des morts, c’est possible ! Que c’est difficile de croire Pâques ! Mais est-ce bien une question d’intelligence ? En effet, nous n’avons aucun scrupule à fêter Pâques autour des lapins, des œufs, des poules, du chocolat, etc. Et pourquoi pas, après tout… ? Mais, plus sérieusement, nous n’avons aucune peine à croire au destin ou au hasard (la « Française des Jeux » en profite lourdement), à croire à la rétribution de nos erreurs dans cette existence-ci, à croire que nous, ou certains autres, sont possédés. Nous n’avons aucune peine à croire qu’il y a une vie après la mort, que l’âme est éternelle – et même qu’elle peut se réincarner –, que nous pouvons communiquer avec les morts, voire qu’ils exercent une influence sur l’existence des vivants. Bref, nous avons, nous et notre monde soi-disant sécularisé, beaucoup de croyances d’ordre religieux. Mais la résurrection ?

 

La première phrase de l’extrait du Quatrième évangile que je vous ai lu est euphémistique : « Les disciples n’avaient pas encore compris l’Écriture, selon laquelle Jésus devait ressusciter d’entre les morts. » Ce n’est pas qu’une question de lecture de l’Ancien testament, et les premiers disciples de Jésus n’étaient pas les seuls à ne pas avoir fait cette lecture, puisqu’il en était de même de tous leurs coreligionnaires juifs. C’est qu’il s’agit déjà, là, de faire confiance. Le judaïsme va ensuite développer une lecture très intellectuelle de ses Écritures, très philosophique aussi, jusque dans la mystique et la kabbale. Tandis que pour lire dans cette Écriture l’annonce de la résurrection de Jésus, il faudra lire autrement, il faudra faire confiance. Bon, je sens la résistance très protestante à ce que je vous dis : « Comment ? Mettre notre intelligence en berne, se confier dans un magistère ? Quelle horreur ! » Non pas, certes… Mais ne pas se fier non plus au soupçon rationaliste qui imbibe notre conception de la connaissance. Car ici il n’est pas question de science, de preuve scientifique, mais de confiance, de rencontre personnelle.

 

C’est déjà ce que Paul écrivait aux Corinthiens : il leur parlait non pas de physiologie mais d’apparitions, c’est-à-dire de rencontres entre Jésus et des gens bien précis, auprès desquels on pouvait aller se renseigner. Ce qui suppose qu’on fasse confiance à de tels témoignages. Et c’est aussi ce que raconte l’évangile de ce matin : une rencontre. Une rencontre qui se passe dans un contexte où rien ne porte à croire que Jésus puisse être ressuscité des morts. D’abord, tout le monde est bien sûr que Jésus est mort et enterré : notre credo y insiste lourdement, mais le texte biblique aussi. Marie était d’ailleurs au pied de la croix avec la mère de Jésus et les autres femmes qui avaient suivi Jésus (Jean 19 / 25), elle l’a vu mourir. Le texte biblique ne laisse aucune place aux spéculations docètes selon lesquelles il n’était pas vraiment mort. Et puis, comme je vous l’ai dit, les disciples, hommes et fem­mes, ne s’attendent aucunement à revoir Jésus vivant : le tombeau vide lui-même n’a pas produit une telle croyance, et vous l’avez encore entendu tout à l’heure dans l’échange entre Marie et celui qu’elle prend pour le gardien du cimetière. Si le tombeau est vide, c’est évidemment que quelqu’un a enlevé le corps ! C’est ce que croit Marie, c’est aussi ce que diront les gardes selon un autre évangéliste (Matth. 27 / 64 ; 28 / 13).

 

Si le texte biblique, et votre serviteur à sa suite, insistent autant, c’est que pour nous aussi, la croyance en une possible résurrection ne fait pas partie de notre contexte, ni social, ni culturel, ni scientifique. En dehors d’éventuelles spéculations sur la fin des temps, nous ne croyons pas en la résurrection, tout comme les Sadducéens, les Corinthiens et beaucoup d’autres. Il n’est que de lire les articles qui ressortent régulièrement sur les différentes tombes possibles pour Jésus, cimetières familiaux ou tombes isolées, à Jérusalem ou à l’un quelconque des différents endroits les plus improbables du monde, à base de l’éternel argument selon lequel « le Vatican nous cache la vérité » … C’est du grand n’importe quoi ! Mais même sans cette littérature de salle d’attente ou de hall de gare, la résurrection des morts ne fait pas partie de notre univers – ou alors sous la forme de la réanimation de cadavre, que ce soit les films de zombies et autres vampires, ou que ce soit les expériences dites de « mort imminente ». Nous sommes comme Marie au tombeau. Alors oui, soyons comme Marie au tombeau !

 

Regardons comme elle à l’intérieur du tombeau. Mais, me direz-vous, nous ne sommes pas à Jérusalem, où personne ne sait d’ailleurs quel était vraiment ce tombeau puisque la tradition ne s’en est pas établie avant plusieurs siècles. Regardons à l’intérieur du tombeau là où nous sommes, là où nous pleurons. Nous comprendrons alors qu’il s’agit du tombeau de nos vies à nous, car c’est sur elles que nous pleurons, c’est à cause d’elles que nous sommes malades et touchés déjà par la mort, celle des nôtres, celle à venir de nos corps, celle de nos espérances. Lorsque la Bible dit que « le salaire du péché, c’est la mort » (Rom. 6 / 23), elle ne parle pas tant de la mort à venir que de la mort déjà présente et agissante en nous aujourd’hui. Et vous savez bien, tout comme moi, ce qui dans chacune de nos existences est déjà atteint par la mort et le néant… C’est sur nous que nous pleurons. Comme Marie, il convient que nous nous penchions là-dessus. Ce n’est pas pour sombrer plus vite encore dans le chagrin, la culpabilisation ou la dépression. C’est pour entendre les anges nous demander « pourquoi pleures-tu ? » …

 

Et ils nous le demanderont jusqu’à tant que nous apportions la bonne réponse. Tant que nous apporterons de fausses réponses, celles que nous nous donnons à nous-mêmes pour pouvoir continuer à vivoter, la suite de l’histoire ne sera pas possible, ils répéterons la question. Tant que nous accuserons, rien ne sera possible, tant que nous nous accuserons nous-mêmes, ou les autres, ou la maladie, ou la société, ou le hasard, ou le destin, ou Dieu lui-même tant qu’on y est… Qui sait ce qui a pu passer par la tête de Marie ? Mais nous savons ce qui passe par la nôtre, nous savons nos échecs, nos fuites, nos malheurs, nos fausses explications. Il arrive que les psys puissent nous aider à y voir plus clair, parfois… Mais l’écoute de l’Évangile n’est pas une analyse, même si les anges de notre texte font un peu le boulot d’un psy ! Marie répond la réponse ultime : « on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. » Je suis orphelin, non pas de père humain, mais de celui seul qui peut donner sens à mon existence, qui peut donner vie à mon existence. Tous les faux dieux de mon existence se sont effacés : santé, travail, réussite, affection, famille, religion même ; car un seul est le vrai Dieu. Sans lui, je suis mort. Et voici : je suis sans lui, et incapable de le retrouver.

 

D’aucuns auraient répondu : « mais si, tu peux… » Tous les efforts des humains ne tendent-ils pas à ça, après tout ? Chercher et trouver ce qui peut me faire vivre. Mais c’est alors que nous retombons sur les mêmes mensonges, les mêmes vanités – deux noms que la Bible donne aux faux dieux ! L’être humain n’est capable que de tourner autour de lui-même, que de centrer sa vie sur lui-même – c’est ce que la théologie appelle le péché originel. Le christianisme n’est pas une morale : on ne trouve pas Dieu en étant gentil ! Ce n’est pas non plus une gnose : on ne trouve pas Dieu par l’intelligence, la mystique ou la méditation. Marie a bien compris, et c’est pour ça qu’elle pleure : elle sait qu’elle est incapable de trouver le vrai Dieu. Il faut que ce soit lui qui s’approche, et qui fasse retentir à nouveaux frais la question adressée à Marie : « Pourquoi pleures-tu ? » La réponse ne pourra plus jamais être la même, sauf qu’il y faut du temps, il faut « se retourner », dit le texte. Marie devra même s’y prendre à deux fois, comme si, la première fois qu’elle s’était retournée, elle était tout de suite revenue à son ancienne position : d’ailleurs à ce moment-là elle est toujours dans ses pleurs, dans son manque, dans la mort.

 

C’est seulement à la deuxième fois qu’il y aura un vrai changement. Mais ce n’est ni la parole des anges, ni même celle de Jésus qui opère cette conversion. C’est dans la bouche de Jésus la prononciation de son nom à elle. C’est là que se situe la rencontre véritable, c’est là que cessent les pleurs parce qu’enfin le « rabbouni » est reconnu, le manquant se fait présent. Si la psychologie explique le changement chez Marie, elle n’explique en rien la présence de Jésus vivant, ce Jésus qui était mort, et que Marie n’attendait pas. Sa présence vivante ne répond pas à une attente chez Marie, c’est une vraie surprise, un véritable inattendu. Ce n’est le produit d’aucune spiritualité, d’aucune théologie, la récompense d’aucune piété, d’aucune morale. Il n’y a aucune explication qui tienne. Il est vivant parce qu’il est ressuscité, réveillé, relevé d’entre les morts – tous mots équivalents et qui ne rendent pas vraiment compte de la réalité. La réalité, c’est que, là, dans ses pleurs et sa vaine quête de sens, Marie a été rencontrée par cette personne vivante qu’elle a reconnue comme étant ce Jésus qui avait été mort.

 

Elle avait fait une croix sur lui, si vous m’excusez ce mauvais jeu de mots. Mais la mort et la vie de Jésus ne dépendaient pas de Marie ni de sa subjectivité. Il était vraiment mort. Et voici que maintenant, devant elle, il est vraiment vivant. Les anges seraient-ils les pasteurs vous renvoyant à l’Écriture ? Marie parlant à un Jésus qu’elle ne reconnaît pas serait-elle comme nous autres lorsque nous lisons la Bible ? Mais Jésus n’est pas la Bible. Il est celui qui en traverse les pages, celui qui fait exploser le papier bible comme il a explosé le tombeau. Il est le même que celui dont parlent les Écritures, toutes les Écritures, l’Ancien et désormais le Nouveau Testament. Mais il n’y est pas enclos. Il n’est pas le gardien du cimetière ! Jésus est celui qui vient, vivant, à ma portée, et qui m’appelle par mon nom. Et ça me retourne, ça change ma vie et ma mort. Et là, il ne me console pas, puisqu’il n’est plus mort, puisqu’il n’est plus absent, puisqu’il n’est plus une idée ou une doctrine. Il n’a pas besoin de me consoler : il est là, vivant.

 

Par contre, comme à Marie, il me donne mission. Il m’envoie témoigner de lui en tant qu’il est vivant et qu’il est venu à ma rencontre. C’est en ceci que consiste le christianisme. Ce n’est pas un savoir sur Jésus, ni une pratique conforme à ses enseignements. C’est une rencontre avec Jésus vivant. C’est cette rencontre qui me fait chrétien lorsqu’enfin je le reconnais pour ce qu’il est. Ce que je sais sur lui, ce que je sais sur Dieu, c’est seulement ce que cette rencontre m’en a appris. D’ailleurs, ce que je sais sur moi me vient aussi de cette rencontre, qui m’a appris ce que j’étais et ce que maintenant je suis tant qu’il est avec moi. C’est cette rencontre qui modifie mon identité, et, du coup, qui modifie aussi mon comportement, avec sans doute plus de lenteur et d’hésitation. C’est encore cette rencontre qui modifie ce que sont les autres pour moi. Mes amis et mes ennemis ne sont plus tels, mais les uns et les autres sont désormais les frères et sœurs de Jésus, et vers eux je suis envoyé. Ça, c’est encore plus difficile que de croire à la résurrection… tant que je n’ai pas rencontré Jésus ressuscité !

 

« J’entendis du trône une forte voix qui disait : “Voici la demeure de Dieu avec les hommes ! Il habitera avec eux, ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu.” Celui qui était assis sur le trône dit : “Voici, je fais toutes choses nouvelles.” Et il dit : “Ces paroles sont certaines et vraies.” Il me dit : “C’est fait ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. À celui qui a soif, je donnerai de la source de l’eau de la vie, gratuitement.” » (Apoc. 21 / 3-6) Amen.

 

Raon-l’Étape (Pâques)  –  David Mitrani  –  21 avril 2019

 

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