Évangile selon Jean 2 / 1-11 (2)

 

texte :  Évangile selon Jean, 2 / 1-11   (Trad. officielle de la liturgie catholique)

premières lectures :  Ésaïe, 62 / 1-5 ; première épître aux Corinthiens, 12 / 4-11

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Chers amis, chers frères et sœurs, où sommes-nous dans ce récit des « noces de Cana » ? Car nous y sommes, et tous ensemble, qui plus est. Car il n’y a pas d’un côté les catholiques romains, d’un autre les protestants réformés, d’un autre les… etc. Non, tous chrétiens, tous ensemble. Oui, mais où ? Où donc le monde nous attend-il ? Où donc le Seigneur nous veut-il ? Nous ne sommes pas dispensés de répondre à ces deux questions fondamentales. Et si nous ne sommes pas obligés d’être là où le monde nous attend, nous sommes en tout cas invités à nous tenir là où le Seigneur nous le demande – sinon le mot-même de « seigneur » est vidé de son sens ! Or nous n’allons pas trouver les réponses dans l’air du temps, qui est toujours si mauvais conseiller et si peu évangélique. Nous n’allons pas non plus trouver les réponses dans nos bons sentiments, ni dans notre envie de changer, ni dans notre envie de ne rien changer ! Or, à aucun moment dans le Nouveau Testament, la place des chrétiens ne se trouve dans leurs bâtiments, leurs assemblées, leurs rassemblements ou leurs divisions, toutes choses dont certaines sont pourtant légitimes. C’est bien dans la Bible qu’il nous faut chercher les réponses, et le texte d’aujourd’hui nous en offre une jolie occasion.

 

C’est un texte de changements. Bon, l’eau en vin, d’accord… Mais beaucoup d’autres choses changent, beaucoup de rôles, beaucoup de places. Difficile de savoir qui est où, qui est qui, qu’est-ce qui sert à quoi… On sait en tout cas où on est : à Cana de Galilée, ville de roseaux d’après son nom, pays de ce Nathanaël (Jean 21 / 12) qui verra avec quelques autres Jésus ressuscité au bord du lac à la fin du livre. Mais là, nous sommes au tout début. Le premier personnage qui change, qui ne tient pas sa place, c’est « la mère de Jésus ». La réponse que Jésus lui fait indique bien ce changement : elle parle désormais d’un lieu surprenant. Elle indique à Jésus sa mission, et elle indique aux serviteurs la leur. Elle indique à Jésus qu’il est Seigneur. Elle indique aux serviteurs qu’ils ont à obéir à Jésus, que c’est lui qui est désormais leur seigneur, leur maître. Elle qui est le passé, en tant que mère, que génitrice, elle est ici celle qui montre l’avenir, et qui n’apparaîtra plus non seulement pendant ce petit récit, mais pas de manière significative dans le livre avant seulement sa présence au pied de la croix (Jean 19 / 25-27). Oui, elle montre la croix, elle montre « l’heure » de Jésus, c’est-à-dire l’heure de sa mort par laquelle il va « sauver le monde » (Jean 3 / 17), comme il le dira à Nicodème à la page suivante. Elle indique donc le sens de notre récit.

 

Mais, à son tour, Jésus va changer, comme elle l’a indiqué au lecteur. Il va agir comme maître, en donnant des ordres aux serviteurs, et comme révélateur de son propre rôle, de sa propre identité – ce que l’évangéliste appelle « sa gloire ». Il va nous faire comprendre qui il est. Or, nous nous serions attendus à ce qu’il soit « le maître du repas » : ce n’est pas le cas ! Jésus n’est pas payé – ni par naissance ni par salaire – pour organiser nos petites affaires, ni nos grandes. Souvent nos prières oublient ceci, et nous nous adressons volontiers à lui pour lui demander de tenir ce rôle, de s’occuper pour nous de ci et de ça, de répondre à nos envies et à ce que nous croyons être nos besoins. Mais peut-être, puisque ce n’est pas son rôle dans cette histoire, peut-être est-ce le nôtre ? Peut-être est-ce à nous de nous occuper de ce pour quoi Dieu nous a donné intelligence, culture et capacité de parler, donc de dialoguer ? Peut-être avons-nous en tant qu’humains ce qui convient pour régler les affaires humaines ? Peut-être pouvons-nous d’ailleurs y être étonnés de ce que le Seigneur fait par ailleurs, comme dans notre récit… ? Occupons-nous donc de nos affaires, réglons-les au mieux, selon les responsabilités qui nous sont confiées ou bien qu’il nous est donné d’endosser. Sinon, ne nous étonnons pas que d’autres les règlent pour nous à notre place, que ce soit par le pouvoir, les gesticulations ou l’inertie…

 

Oui, déjà ce texte nous chahute ! Mais peut-être, si nous ne sommes pas l’organisateur du repas des noces, peut-être sommes-nous les serviteurs ? L’inconvénient, c’est qu’il faut servir ! L’avantage, c’est qu’il suffit d’obéir. Encore que verser 600 litres d’eau dans des jarres de pierre ne soit pas très folichon… Et puis, si c’est bizarre dans un repas de noces, ce n’est pas étrange dans une maison juive : c’est l’eau pour se purifier après avoir dit et fait des choses un peu limite pendant la fête… Religion rituelle où on peut bien pécher puisqu’ensuite il y a tout près, tout prêt, le moyen de se rattraper. Ah, mais elles étaient vides, les jarres… Le « maître du repas » n’y avait plus pensé. Ou bien il ne le pouvait pas, il n’avait pas les moyens de pourvoir à la purification des convives, il ne pouvait pas pourvoir à leur salut. Oui, si nous sommes cet organisateur, nous ne pouvons ni ne savons remplir les jarres afin que leur contenu purifie les gens – nous ou les autres. Nous sommes en quelque sorte incapables de sauver qui que ce soit. Organiser, oui. Sauver, non.

 

Nouveau changement : les jarres. Elles auraient dû contenir de l’eau. Elles étaient vides. Elles contiennent maintenant du vin, toujours 600 litres ! En tout cas, ce que les serviteurs en ont retiré, c’est du vin. Pour aller vite, on pourrait dire que la purification, désormais, n’est plus un rite mais une fête. Ce n’est pas seulement un changement de regard, mais bien d’activité ! Non plus se laver, mais boire. Non plus l’eau que nous avons préparée, mais le vin que nous recevons. C’est donc aussi, dans ce changement d’activité, un changement d’acteur : non plus nous-mêmes, mais Jésus, puisque c’est lui qui a fourni le vin, et d’une manière dont aucun d’entre nous, ni même nous tous ensemble, n’aurions été capables. Et si jamais c’est à nous d’être les serviteurs, alors oui, c’est vrai, nous, nous savons d’où vient le vin, comme le souligne bien l’évangéliste. Nous, nous sommes témoins de ce que Jésus a fait ; nous, les chrétiens. Peut-être notre rôle n’est-il après tout que d’obéir à Jésus, et d’être témoins de ce qu’il a fait. Rôle passif ? Non pas. Mais rôle secondaire, « serviteurs inutiles [qui] avons fait ce que nous devions faire. » (Luc 17 / 10)

 

Au fait, il s’agit de noces, il y a donc un marié ! D’où vient-il donc ? Si vous lisez ce récit comme une simple histoire de noces villageoises, vous direz que c’est un arrière-cousin de Jésus, pour que lui, sa mère et ses amis soient invités… C’est peut-être vrai. Ça n’a aucun intérêt, sinon l’évangéliste l’aurait dit… C’est « le maître du repas » qui va nous dire qui est ce marié ; il lui dit : « tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant ! » Ce n’est pas une méprise de quelqu’un qui n’aurait rien compris. C’est une confession de foi. Le marié est donc celui qui a fourni le vin : c’est Jésus. Je vous avais prévenu : plein de changements dans ce récit. Le Jésus simple invité, peut-être seulement comme fils de sa mère, est devenu le personnage principal non seulement du récit, mais de la noce. Il est celui dont nous célébrons les noces.

 

Mais avec qui donc ? Le texte ne parle pas de la mariée ! Texte machiste qui ne s’intéresse qu’aux mâles ? Non, bien sûr. Les gens qui ont élaboré des listes de lectures pour les dimanches l’avaient bien compris, puisque c’est le premier texte qu’ils ont choisi, le prophète Ésaïe, qui nous livre la clef : « Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu. » Le mari, c’est Dieu, la « jeune mariée », c’est Jérusalem, c’est l’Église. D’autres textes bibliques le diront tout aussi clairement. Saint Paul, par exemple, écrira aux Éphésiens : « Maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier après l’avoir purifiée » (Éph. 5 / 25). Pourquoi alors l’évangéliste ne nous parle-t-il pas de la mariée ? La réponse est simple : c’est elle qui entend cette histoire ! L’Église est auditrice de la Parole de Dieu, c’est même sa définition. Vous êtes l’Église si vous écoutez et recevez ce que Dieu vous dit à travers le texte biblique – c’est en tout cas la conviction de tout le protestantisme.

 

Saurons-nous enfin où nous sommes : tenant le livre ? Ce serait facile… Je vous ai parlé pourtant de réponses au pluriel, car il y en a plusieurs, et elles ne s’excluent pas les unes les autres. Ainsi, en tant qu’êtres humains, nous avons à organiser notre vie et notre cité – et donc l’Évangile ne nous dit pas comment, puisque c’est à nous de faire, et les réponses peuvent varier selon les lieux et les temps, et même les individus – de plus, il n’y a pas besoin d’être chrétiens pour ce faire ! Tout au plus nous est-il donné à nous d’entendre les Dix commandements qui peuvent nous y aider, même s’ils vont surtout nous montrer ce que nous ne faisons pas… Par contre, en tant que jarres servant à purifier les gens, nous sommes vides : là, c’est l’impasse ! Ce n’est pas notre rôle. Nous pouvons nourrir, guérir, accompagner, éduquer, aimer, aimer, aimer, mais pas sauver. Si nous voulons remplir ce rôle-ci, remplir ces jarres, nous ne le pourrons pas : des jarres peuvent-elles se remplir seules ?!

 

Par contre, serviteurs, oui, ça c’est possible, ça c’est faisable. Témoigner par notre humble service de celui qui a vécu le plus humble des services, en mourant pour ses frères et sœurs – ce que le vin partagé du repas eucharistique nous rappelle et nous redonne chaque dimanche. « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur enseignant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Matth. 28 / 19-20) Ces deux derniers versets de l’évangile de Matthieu nous disent à leur manière comment obéir à Jésus, car ce n’est pas d’une loi qu’il s’agit, mais d’une mission. C’était les jarres qui servaient à obéir à la Loi. Elles sont vides. L’obéissance désormais ne consiste plus à se purifier, mais à témoigner que c’est fait, à témoigner de Jésus, et du sang de sa croix. À témoigner que celui que nous servons dans ce témoignage, c’est le marié d’une drôle de noce, et que nous sommes la mariée, nous ensemble, nous les croyants de cette religion qui ne nous sert pas, mais qui nous fait serviteurs du Grand Roi.

 

Organisateurs de nos existences humaines ; témoins d’une autre existence offerte ; participants de cette autre vie tout en haut de la table, à la place de la mariée. Trois rôles possibles, trois places désignées pour nous par ce récit qui est tout sauf anodin. Trois rôles à tenir dans le monde, au milieu d’autres gens qui n’y croient pas, qui ne savent pas, qui n’ont pas compris ou bien à qui on n’a pas raconté. Leur témoigner qu’ils sont des adultes libres et responsables. Leur témoigner qu’ils sont servis, par Jésus qui a donné sa vie pour eux, et par nous qui leur annonçons ce qui est à nos yeux et à nos cœurs une très bonne nouvelle. Leur témoigner enfin qu’ils sont aimés, et que Dieu les attend à sa table de fête, avec nous autres. Quand nous aurons épuisé ces trois missions, nous pourrons nous reposer. Il n’y a pas de conditions d’âge ni de sexe ni de culture ni de niveau social. « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni mâle ni femelle », écrivait l’apôtre Paul (Gal. 3 / 28). Moïse disait ne pas savoir parler, et Jérémie qu’il était trop jeune… Dieu ne les a pas écoutés, il les a envoyés. Aujourd’hui, c’est à vous ! Amen.

 

Saint-Dié (Saint-Martin et cathédrale)  –  David Mitrani  –  20 janvier 2019

 

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