Ésaïe 51 / 4-6

 

ttexte :  Ésaïe 51 / 4-6   (trad. personnelle)

premières lectures :  Ecclésiaste, 3 / 1-15 ; épître aux Romains, 8 / 31b-39 ; Évangile selon Luc, 2 / 21-40

chants :  178 et 255  (Arc-en-ciel)

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Il y a un temps pour tout. Il y a un temps pour voter et un temps pour manifester… Il y a un temps pour peiner au travail et un temps pour faire la fête… Il y a un temps pour gagner de l’argent et un temps pour dépenser de l’argent… Disant tout ceci, point de critique dans ma bouche, mais une simple extension des paroles du Qohélèth, encore que tous ces temps doivent être relativisés, comme il le fait dans la suite de son texte ! Mais il y a aussi différents temps de l’action de Dieu, au point qu’on peut se demander si toute la liste ne concernait pas d’abord ce regard-ci : les différents temps dans la relation entre Dieu et les humains, entre Dieu et son peuple. Il faut alors bien considérer que nous sommes entrés dans le temps de l’amour de Dieu, de son parti-pris pour ses enfants face à tout ce qui leur fait du mal, y compris sa propre Loi… Différents temps enfin dans la vie du croyant, à commencer par la circoncision le 8e jour, premier acte d’une existence sous la Loi. Il en a été de même pour Jésus, nous l’avons entendu. D’autres temps encore sont accomplis, celui de Siméon le juste, et celui d’Anne la prophétesse…

 

En quel temps sommes-nous ? La fin de l’année, oui, et dans 37 heures le début d’une autre, Dieu voulant. Mais ces années ne sont que marques sur un calendrier, écritures humaines, calendrier de chrétiens incapables de calculer le bon point 0 du départ de ce calendrier. D’autres suivent d’autres computs, avec d’autres points 0 : juifs, musulmans, bouddhistes, hindous, etc… Même les paléontologues ou archéologues ont le leur, où le point 0 du « présent » est l’année 1950 de l’ère chrétienne ! Autant dire que, sauf pour des fêtes ou des retrouvailles, ce calendrier ne compte pas, sinon les jours qui passent. En quel vrai temps sommes-nous alors ? Une seule réponse possible pour nous : le temps de Dieu ! Oui, mais je viens de dire que pour Dieu aussi il semble y avoir plusieurs temps… Y a-t-il un temps de l’Ancien Testament et un temps du Nouveau ? Sans doute, car qui dit « ancien » dit que le nouveau s’appuie dessus, mais aussi que l’ancien est passé, dépassé… Dieu est-il dépassé ? La révélation de Dieu à Israël à travers sa Loi et ses prophètes est-elle dépassée ?

 

Faisons donc comme si le Nouveau se trouvait déjà dans l’Ancien, et écoutons Ésaïe, où justement notre Dieu nous demande, à nous son peuple, de prêter l’oreille ! Écoutons la bonne nouvelle dans cette parole qui est adressée à notre présent, à nous en particulier ce matin. Écoutons Dieu nous appeler « mon peuple », « ma nation ». C’est à son Église qu’il parle ainsi, pas à tel ou tel État d’autrefois ou d’aujourd’hui. N’y cherchez pas l’État d’Israël, n’y cherchez pas la République française, ni qui que ce soit d’autre. C’est de vous qu’il parle, c’est à vous qu’il parle ! Ce n’est pas comme dans le prophète Osée, lorsque Dieu disait : « Donne-lui le nom de “Pas-Mon-Peuple” ; car vous n’êtes pas mon peuple, et moi je ne suis rien pour vous. » (Os. 1 / 9) Mais déjà dans ce prophète, il s’était repris et avait dit plus tard : « Je dirai à “Pas-Mon-Peuple” : mon peuple, tu l’es ; et lui dira “mon Dieu !” » (Os. 2 / 25) Qu’ainsi cèdent toutes nos résistances, nos dénégations, nos fausses pudeurs. Que la confession de notre péché ouvre le temps de la reconnaissance, dans les deux sens du terme : reconnaissons qui nous sommes aux yeux de Dieu, et soyons-lui-en reconnaissants !

 

Sommes-nous alors dans le temps de la reconnaissance ? Oui, sûrement. C’est le temps que Dieu veut pour nous. Mais nous, y sommes-nous vraiment, nous y tenons-nous, ou bien regardons-nous passer son train sans y monter ? Pourtant Dieu nous appelle et nous enseigne. Tel est le sens, très riche, de ce que nous traduisons « Loi », comme l’avaient fait les Juifs de langue grecque – mais c’est beaucoup plus, et beaucoup mieux ! La « Loi [qui] sort de [Dieu] », c’est sa parole, c’est Jésus-Christ, parole et sagesse de Dieu, présence de Dieu dans le monde qu’il a créé, incarnation du Dieu tout autre. Comme Siméon l’a dit, mettant un terme à son époque, celle de l’attente : « Mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple, Israël. » L’enseignement, la Torah, de Dieu pour nous son peuple, c’est Jésus-Christ, lumière et jugement pour les gens et les nations. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3 / 16-18) Ces paroles de l’évangéliste Jean disent quel est le temps de Jésus : c’est maintenant, et c’est le temps du salut reçu gratuitement dans la foi. Seulement dans la foi, mais pleinement en elle.

 

Temps de la reconnaissance, disais-je. Temps de la reconnaissance de la Parole de Dieu. Dieu me parle, Dieu nous parle, il nous enseigne, il nous éduque, il nous dit sa volonté pour nous, il nous dit ce qui est bon pour nous, tant nous sommes incapables de le discerner par nous-mêmes. La sagesse des humains en effet, c’est de se piétiner les uns les autres, de se dévorer les uns les autres, de se construire chacun sa bulle, là où nous sommes protégés des autres, propriété privée des autres. Et pour ce faire et pour nous faire croire à nous-mêmes que nous sommes bons, ou pire : que certains sont meilleurs que d’autres, nous avons créé nos propres cieux, idéologies, religions, systèmes de pensée ou de renoncements à penser… Mais ces cieux-là se sont dispersés, ils ont été dispersés par la parole de Dieu, par la venue de Jésus-Christ que nous venons de célébrer. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles : les valeurs du monde ne sont que cacophonie et mensonges, cris et chuchotements, bêlements et aboiements intempestifs… Seule une vraie parole peut chasser et les nuages et les faux cieux : cette vraie parole, c’est Jésus-Christ. « Mon salut est sorti », dit Dieu dans le livre prophétique. « Mes yeux ont vu ton salut », répond Siméon. « La Parole a été faite chair », écrit l’évangéliste (Jean 1 / 14).

 

Certains d’entre vous ont peut-être été arrêtés, voire choqués, par la presque fin de l’extrait que je vous ai lu : « La terre comme un vêtement tombe en lambeaux, et ses habitants comme des mouches meurent. » Où est la bonne nouvelle là-dedans ? Peut-être attendiez-vous, espériez-vous, que des œuvres faites sans Dieu pourraient être pérennes ? La réponse est non, bien sûr. Ce qui s’est fait sous les anciens cieux passera aussi sûrement que ceux-ci ont été dissipés ! Il y a un temps pour tout : le temps de notre vie sans Dieu est passé, il est mort, et morts aussi et voués à la mort ceux qui continuent d’habiter un tel temps, une telle terre. Le jugement est venu, parce que la lumière est venue, et qu’elle a révélé les lieux d’ombre, d’obscurité profonde. Elle a constaté l’obscurité lorsque celle-ci s’est refusée à elle. Et qui éclairera l’obscurité, si celle-ci refuse la lumière ? Si la Torah qui est Jésus-Christ éclaire ceux qui se confient en elle, elle déclare obscurs et morts ceux qui la refusent. « Le ciel et la terre passeront », déclarait Jésus, « mais mes paroles ne passeront pas. » (Luc 21 / 33)

 

Aussi devons-nous, pouvons-nous nous attacher à la bonne nouvelle : ce qui est obscur en nous est voué à la mort, mais nous, en tant que nous recevons notre identité de la parole du Christ, avec elle nous ne passerons pas ! Voilà pourquoi Ésaïe peut faire entendre cette parole de Dieu : « mes bras jugent les peuples ; les îles espèrent en moi, elles se confient en mon bras. » Et le Nouveau Testament a pu le constater : « les peuples », « les îles », c’est-à-dire les païens – de l’eunuque éthiopien aux Grecs de partout – les païens ont reçu la lumière qui faisait ou aurait dû faire « la gloire d’Israël ». Si la terre ancienne se dissout, si ma vie ancienne se dissout par l’action de la parole divine, « je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre », dit Dieu (És. 65 / 17). C’est pour moi promesse et réalité de vie nouvelle et éternelle ! Tous les peuples qui ont pu entendre l’Évangile ont pu aussi voir cet Évangile porter fruit, c’est-à-dire toucher des vies, des personnes qui en ont été transformées. Des peuples eux-mêmes en ont été transformés, à commencer par le nôtre, même si aujourd’hui il rejette et ce passé et cet héritage.

 

Quand Dieu parle, quand Jésus-Christ est présent, alors ceux à qui Dieu parle, ceux à qui Jésus se rend présent, vivent sous de nouveaux cieux, sur une nouvelle terre. Ils vivent un nouveau temps, le temps de la justice et de la paix, le temps éternel dans lequel on ne meurt plus, parce que la mort n’y a pas sa place. Ceci est le cadeau, la grâce que Dieu nous a faite en Jésus-Christ. Et dans le temps éternel de Dieu, nous pouvons aussi le dire au présent : c’est le cadeau, la grâce, que Dieu nous fait aujourd’hui. C’est la main, le bras qu’il nous tend afin que nous le saisissions et que nous nous laissions tirer, entraîner par lui. C’est le temps de choisir la vie : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs », disent d’une même voix le psalmiste et l’apôtre (Ps. 95 / 7-8 ; Hébr. 3 / 7-8). Ésaïe écrit ailleurs : « J’enverrai de leurs rescapés vers les nations, […], aux îles lointaines qui jamais n’ont entendu parler de moi et qui n’ont pas vu ma gloire ; et ils annonceront ma gloire parmi les nations. » (És. 66 / 19) Notre vie chrétienne est bien là, doublement là. Avec « les îles » nous espérons en l’Éternel, nous aspirons à sa Loi, nous aspirons à Jésus-Christ vivant. Et parce que notre salut s’est joué en lui une fois pour toutes, alors maintenant, nous les « rescapés » des anciens cieux et de l’ancienne terre, Dieu nous envoie à notre tour là où des lambeaux de la vieille terre sont encore présents, là où des gens souffrent ou font souffrir, là où des gens oppriment ou sont opprimés, là où des gens suffoquent ou jouissent sous d’anciens cieux fallacieux dont ils ne se sont pas aperçu de la disparition…

 

Le chrétien est à la fois disciple et apôtre, ou, pour le dire autrement, croyant et témoin. Ce ne sont pas deux mouvements différents, deux commandements différents. C’est un seul mouvement, celui de l’Esprit saint, celui de la parole de Dieu lorsqu’elle touche ma vie et que disparaissent pour moi aussi le ciel et la terre de mon péché et de mon errance. Alors oui, rempli de paix et de joie, je ne puis que le laisser voir à ceux que j’aime et même aux autres… Je ne puis que laisser la parole ricocher sur moi après avoir fait ce pour quoi elle était venue. Avec Ésaïe toujours, je conclurai avec seulement ces paroles qui parlent de vous et de moi : « Comme la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé, fécondé la terre et fait germer, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui mange, ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne retourne pas à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli avec succès ce pour quoi je l’ai envoyée. Oui, vous sortirez dans la joie et vous serez conduits dans la paix ; les montagnes et les collines éclateront en acclamations devant vous, et tous les arbres de la campagne battront des mains. » (És. 55 / 10-12) Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  30 décembre 2018

 

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