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Évangile selon Jean 1 / 1-5. 9-14
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texte : Évangile selon Jean, 1 / 1-5. 9-14 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Ésaïe, 52 / 7-10 ; Évangile selon Matthieu, 1 / 18-25
chants : 358 et 374 (Arc-en-ciel)
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Trois textes, trois dimensions différentes du temps. Le prophète Ésaïe a le temps de l’Histoire avec un grand H et la dimension du peuple d’Israël : il sait d’où il vient et où il va, et il interpelle le présent en fonction de ce temps long et communautaire. L’évangéliste Matthieu nous narre l’événement dans le cadre familial, l’instant T qui donne sens, dans sa particularité, sa singularité, bien qu’au cœur d’une histoire qui le dépasse. Le prologue du Quatrième Évangile nous place d’emblée « au commencement », avant que le monde fût, ce commencement qui est principiel, qui donne sens à l’univers entier et qui prend corps en un moment unique : la vie d’un homme qui est la parole-même de Dieu, mais qui n’est pas même nommé, car ce qu’il est dépasse infiniment son individualité humaine.
C’est avec ce dernier texte, magnifique, que nous resterons un peu ce matin. Et c’est bien. Pourquoi ? Parce que, tous, nous sommes pris dans l’événementiel. Nous courons sans cesse. Il faut faire ci, et puis ça, et encore ça. Il faut faire face à telle nécessité, ainsi qu’à telle autre, et parfois les deux se contredisent. Nous sommes pris dans un tissu de contradictions où notre identité et notre bonheur se perdent, ou à tout le moins n’arrivent pas à émerger. Il en fut de même pour Jésus de Nazareth en pays juif il y a 2.000 ans : il en mourut fort jeune. Pourquoi alors fêtons-nous sa naissance ? Nous fêtons plus que sa naissance ! Nous fêtons l’incarnation de l’éternité dans la contingence, la venue en une existence humaine de celui qui donne sens à la vie et au monde depuis toujours et pour toujours.
Car « au commencement était la Parole ». Au-delà de ma petite existence et de toutes les vôtres, au-delà de nos familles et de nos histoires, au-delà de celles de l’Église et du peuple d’Israël, au-delà de l’histoire du monde et de l’humanité, Dieu déjà parlait, Dieu déjà était dialogue, Dieu déjà créait l’altérité dans laquelle l’humanité prit naissance et sens. Dieu déjà parlait de moi, Dieu déjà « me » parlait, et j’advins par cette parole et je fus nommé par elle. « Avant que je ne te forme dans le ventre de ta mère, je te connaissais » (Jér. 1 / 5), dit Dieu à Jérémie, à moi, à vous. Mais Jérémie résistera à sa vocation, comme moi, comme vous. Depuis toujours nous sommes tirés vers le bas, notre inertie est considérable face à la parole qui veut nous mouvoir et nous appeler en-haut. Jésus n’a pas résisté, il fut, il est, il sera, l’incarnation de cette parole, énoncée et reçue dans le même mouvement, dans le dialogue intime du Père et du Fils dans l’Esprit.
De cette parole la lumière nous atteint, elle atteint nos ténèbres, tout comme elle atteignit ce petit couple juif de Bethléem ou de Nazareth – les avis divergent là-dessus. Mais ce qui est sûr, c’est la difficulté de vivre là-bas à cette époque ; les petites gens n’y arrivaient pas, les escrocs s’en sortaient un peu mieux. Et aujourd’hui beaucoup s’en sortent mieux, mais beaucoup aussi ne s’en sortent pas. L’existence humaine est difficile, prise entre la domination et l’esclavage – l’homme est libre, il est au sommet de la chaîne alimentaire, personne ne le chasse… sauf d’autres hommes, pour sa force de travail, pour ce qu’il rapporte, pour ce qu’on peut lui faire faire tant qu’il ne proteste pas, pour l’utiliser et se servir de lui. Et lorsqu’il proteste, c’est pour prendre la place : la dialectique du maître et de l’esclave…
Mais point n’est besoin de faire de la philosophie, chacun sait très bien que sa vie ne le satisfait pas. Ce n’est pas la preuve de l’absence de lumière, c’est seulement la preuve de nos obscurités, tout comme les nuages ne prouvent pas l’absence du soleil ! L’Évangile nous annonce la survenue de la lumière au cœur de ces obscurités. Il n’y a pas de lutte frontale entre lumière et ténèbres, comme entre deux principes ; non, mais une venue, la venue d’une parole qui vient se nicher au cœur des ténèbres pour les faire céder. Ainsi en est-il de la venue du Fils de Dieu, de sa naissance à sa mort et à sa résurrection : sa personne-même est dénonciation des ténèbres, énonciation d’une autre réalité plus puissante, vivifiante et non plus mortifère. Il n’y a pas d’autre lumière pour ce monde et pour moi. D’aucuns pensent que si, il y en a d’autres, et certains les pensent meilleures que Jésus-Christ. Les pensées sont libres… mais nous savons, nous constatons, combien ces pensées ont obscurci et endeuillé l’humanité. Tout le Nouveau Testament nous dit : Jésus, sinon rien…
Il n’y a pas là d’obligation. C’est un cadeau. Le cadeau de la lumière, de la vie, de l’éternité. On a le droit de refuser un cadeau. On a même le droit et les moyens, aujourd’hui, de le revendre ! « Les hommes ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » (Jean 3 / 19) Cette constatation que fera Jésus est universelle, hélas. Nos œuvres sont mauvaises non pas parce qu’elles seraient toujours méchantes, mais parce qu’elles sont sans Dieu, et c’est bien ce que nous préférons. Nous préférons nos lumières à sa lumière, sans voir combien nos lumières sont sombres et poussives. D’ailleurs nos lumières à nous ne parlent pas, elles font. Elles ne font pas exister l’autre, elles ne font que nous justifier nous-mêmes. Elles sont le contraire de la parole créatrice de Dieu, elles sont le contraire de Jésus-Christ. Dans l’ancienne religion, Dieu avait ordonné un jour par semaine sans rien faire et sans rien faire faire : « le septième jour, shabbat pour l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui réside chez toi. » (Ex. 20 / 10) Faire relâche de ses propres œuvres pour recevoir, profiter, car tel est le but de la parole créatrice de Dieu : nous faire profiter de la vie créée pour nous, alors que nous dépérissons de ce que nous créons ou croyons créer, nous.
Bonne nouvelle : par miracle, la lumière venant dans le monde a été reçue par des gens, qui étaient pourtant comme les autres, mais qui ont pris le cadeau, qui ont fait shabbat de leurs obscurités et qui ont ainsi pu goûter la lumière véritable : ils ont reconnu Jésus ! Nous avons reconnu Jésus, et nous fêtons aujourd’hui l’anniversaire de sa venue en humanité, l’anniversaire de sa naissance comme d’un soleil que rien ne pourrait vaincre, comme d’une lumière qui a traversé les nuages et qui a fait reculer les ténèbres pour toujours. Mais fêtant cet anniversaire, comme il est normal c’est la personne elle-même que nous fêtons et non pas ce jour particulier – que d’ailleurs, dans son cas, nous ne connaissons absolument pas… Et, fêtant Jésus, nous fêtons ce qu’il a changé de notre vie : il a fait de nous des enfants de son Père, notre attachement à lui nous a fait adopter par Dieu comme ses fils et ses filles.
« C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, nous avons été créés en Jésus-Christ pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous y marchions. » (Éph. 2 / 8-10) En fait, chers amis, à Noël nous fêtons notre propre naissance, notre naissance à la foi, c’est-à-dire à l’ouverture à la parole créatrice de Dieu, à sa lumière. Nous fêtons notre naissance à Jésus-Christ, notre adoption par Dieu son Père et notre Père. Nous fêtons notre création par sa parole. Nous fêtons en même temps Jésus et nous-mêmes, mais nous en tant que nous sommes illuminés par lui ! Le sommes-nous ? Fêtons-nous Noël comme des païens ? Oui, aussi, moi comme vous… Cela ne compte pas, ne nous donne rien de plus, ne nous enlève rien. Fêtons-le donc aussi comme des chrétiens que nous sommes, non seulement en venant au culte – ce qui n’est pas le cas du plus grand nombre – mais aussi en vivant cette fête pour ce qu’elle est, la fête de notre nouvelle naissance.
C’est dire aussi qu’un tel Noël se fête tous les jours de l’année et tous les ans, quel que soit notre état. Personne n’est trop jeune, personne n’est trop vieux, personne n’est trop occupé, personne n’est trop abîmé. Hier soir, je crois, il y a eu une crèche vivante pendant la veillée à la cathédrale. Si c’est pour jouer, pour du théâtre fût-il sacré, ça n’a pas d’intérêt. Mais si c’est pour dire que nous sommes les personnages du récit biblique, touchés par la lumière de « l’Étoile brillante du matin » (Apoc. 22 / 16), alors oui. Le « livre [est] écrit pour moi » (Ps. 40 / 8), il raconte ma naissance à la vie du Christ. Et même si j’ai de la peine à devenir adulte, je n’en suis pas moins né à cette vie nouvelle ! « La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire. » Je le crois, je le sais, alors-même que mes yeux restent infirmes à cette contemplation, et que sans doute les vôtres ne le voient pas non plus en me regardant… Il en est ainsi pour chacun de nous à des degrés divers.
Mais que cela ne vous attriste pas. Au contraire, que ce vous soit une motivation pour persévérer, pour grandir dans la confiance que cette lumière vous pénètre au plus profond de vos ténèbres quand même vous ne le sentez ni ne le voyez. La Parole éternelle de Dieu, qui est Jésus-Christ, a dressé sa tente dans votre vie et dans ce monde. Cette tente a-t-elle eu la forme d’une étable, comme les crèches traditionnelles la représentent, ou celle d’une grotte, comme d’anciens textes le racontaient ? Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui elle vous ressemble, elle me ressemble. Ce qui, en nous, n’est pas plus que du foin pour les ânes, voilà où se repose le Fils unique. Pas dans notre or, tel un dragon imaginaire. Pas dans nos têtes, car nous n’y comprenons rien. Mais dans le foin de nos pauvretés et de nos servitudes, dans nos obscurités connues ou cachées. Christ est là au fond de moi, celui-là-même que Job souffrant et hurlant s’attendait à y rencontrer enfin : « je sais que celui qui me rachète est vivant, et qu’il se lèvera le dernier sur la terre, après que ma peau aura été détruite ; moi-même en personne, je contemplerai Dieu. » (Job 19 / 25-56).
Noël, c’est ce paradoxe : le Créateur de l’univers vient dans le monde, et dans le monde il vient chez moi, en moi, dans ma pauvre existence. « Il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante », chantait Marie (Luc 1 / 48). Puisse cette parole du Magnificat rencontrer le Prologue johannique pour vous faire réaliser que Noël, c’est votre fête à vous, à cause de Jésus-Christ. Noël, ce sont les anges du ciel qui fêtent votre naissance en tant qu’enfants de Dieu illuminés par Jésus-Christ. Alors, joyeux Noël, en lui ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 25 décembre 2018