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Évangile selon Luc 1 / 26-38 (2)
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texte : Évangile selon Luc, 1 / 26-38 (trad. : Bible à la colombe)
autres lectures : Ésaïe, 62 / 1-5 ; Évangile selon Luc, 1 / 39-56
chants : 31-01 et 32-08 (Alléluia)
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Un messager, une jeune fille, un prince… On se croirait dans un conte de fées, n’est-ce pas ? Le prince est un descendant de David, lointain héritier d’une maison qui ne règne plus à Jérusalem depuis presque 600 ans, et dont on n’a plus entendu parler depuis 500. Jérusalem la « délaissée », comme disait Ésaïe… La jeune fille, à peine nubile, mariée d’une union pas encore consommée, héritière quant à elle sans que personne le sache d’une prophétie du même Ésaïe dans un autre chapitre : « Voici que la jeune fille est enceinte, elle enfantera un fils et lui donnera le nom d’Emmanuel. » (És. 7 / 14) On ne sait même pas de quelle tribu elle est : Judéenne, comme son mari ? Lévite, comme « [sa] parente Élisabeth » ? autre encore ? Quant au messager : en grec, on dit : « ange », mais il a apparence humaine, ne l’imaginez pas avec des ailes, comme un séraphin, ni avec un corps de sphinx, comme un chérubin… Dans la Bible, on ne l’a vu qu’une fois, dans deux chapitres du livre de Daniel, où il vient expliquer des choses à Daniel, lui expliquer la vision qu’il vient d’avoir (Dan. 8 / 15-16 ; 9/ 21). C’est lui « l’ange au vol rapide » de nos vieux cantiques ! Il dit alors : « je suis venu maintenant pour te permettre de comprendre. » (Dan. 9 / 22)
Le rôle de Gabriel n’a pas changé. Avec Zacharie, ça ne marchera pas… (Luc 1 / 19-20) Mais le dialogue avec Marie va bien manifester ce rôle. Gabriel est messager, puis il explique le message. Le message ne vient pas de lui, bien sûr : ce n’est pas le facteur qui écrit le courrier qu’il vous apporte ! Et quand le message est délivré et l’explication donnée, le messager s’en va. En quelque sorte, il fait partie du décor. Le personnage important, c’est le destinataire du message, à savoir Marie. Et le prince, Joseph ? Le message ne l’évoque pas. Il est seulement (mais ce n’est pas rien) le lien qui unit l’enfant à naître à la maison de David. En fait, bien sûr, c’est le message qui est important, et celui dont parle ce message. Mais gardons dans un coin de nos pensées les autres personnages. Gardons que si Dieu envoie un message, il envoie avec des explications. L’ange sera alors, selon les circonstances, le texte biblique lui-même, les introductions et notes de l’éditeur et autres commentaires, le pasteur, le frère ou la sœur, l’Église, etc., parfois même un païen ou un athée, mais qui aura mieux compris que nous ce dont il est question, tels les Mages du récit matthéen…
Dans le message lui-même, nous rencontrons cinq personnages. Marie toujours. Dieu – l’expéditeur du message – appelé aussi « le Seigneur », « le Très-Haut », « le Saint-Esprit » qui est sa « puissance ». Le fils à naître, appelé Jésus et « Fils de Dieu ». « La maison de Jacob », c’est-à-dire le peuple d’Israël. Et enfin Élisabeth, donnée comme un signe de la vérité de l’annonce que porte ce message, signe qui se vérifiera dès les versets suivants, dans une rencontre édifiante. Car il ne faut pas l’oublier : l’annonce faite à Marie est d’abord également une rencontre. Rien ici ne se fait par la connaissance : « je ne connais pas d’homme », confesse Marie, et cela va bien au-delà de l’affirmation de sa virginité. Aucune connaissance humaine ne peut lui être d’un quelconque secours ici, quand bien même elle connaîtrait la Bible par cœur. Dieu n’et pas un dieu de papier, il n’est pas un dieu pour les savants. Comme Jésus en remerciera le Père en disant : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées aux enfants. » (Matth. 11 / 25 ; Luc 10 / 20) L’Évangile ne se reçoit que dans une rencontre, un événement, quelque chose qui engage la totalité de l’être, corps et âme.
N’ai-je pas dit pourtant que l’ange n’était qu’un messager ? Oui : la véritable rencontre qui a lieu lorsque le message est transmis, expliqué et reçu, c’est la rencontre entre Marie et le Saint-Esprit. Elle a lieu précisément à ce moment-là, puisque, comme vous le savez, la Parole de Dieu accomplit ce qu’elle énonce au moment-même où elle est dite. Or elle est dite par le moyen du messager dans ces quelques versets. La foi naît de la rencontre avec le Saint-Esprit, tout comme Jésus va prendre chair de la rencontre de Marie avec le Saint-Esprit. La dernière phrase du dialogue, voilà le moment où cette rencontre a vraiment lieu, rencontre qui a été préparée par tout le dialogue avec l’ange. C’est lorsque Marie dit : « Qu’il me soit fait selon ta parole. »
Certains diront peut-être : la connaissance aussi naît de la rencontre. Non. Les gnostiques ont affirmé ceci aux IIe et IIIe siècles, et ils ont bien des héritiers encore aujourd’hui ! Mais ce que la Bible nous montre, ici comme dans toutes ses pages, c’est bien que c’est la foi qui naît ainsi, tout comme l’amour. L’amour est-il confiance ou connaissance ? La connaissance n’implique guère qu’amertume sinon désespoir, et est cause de bien des divisions et des incompréhensions, contrairement à ce qu’on pourrait penser. L’amour est basé sur la confiance. « L’amour est patient, l’amour est serviable, il n’est pas envieux ; l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne médite pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’amour ne succombe jamais. » (1 Cor. 13 / 4-8a) Oh ! ce ne sont pas nos amours humaines que Paul décrivait ainsi, mais bien l’amour que Dieu nous porte. Lorsqu’il vient à notre rencontre, c’est ça qui se passe, et de manière durable…
Vu de son côté, cette rencontre engendre l’amour. Vu de notre côté, cette rencontre engendre la foi. Ce que le texte de ce matin nous montre, c’est que l’amour et la foi sont conjoints en Jésus, l’Homme-Dieu, qui est lui-même l’amour du Père et la réponse de Marie. Dans la rencontre entre Dieu et l’être humain, c’est Jésus qui est rendu présent, non pas en image, en pensée, en symbole, mais en chair et en os, en réalité vraie. Jésus est véritablement présent lorsque l’amour et la foi se rencontrent, et c’est alors « dans son nom », « en lui », que nous nous tenons. Jésus vivant, ressuscité, est bien le même que le petit enfant né de Marie, fils de David par son père Joseph, Fils de Dieu éternellement engendré du Père céleste. Éternellement… Ainsi la grâce est première, l’action de Dieu qui se livre en Jésus-Christ. De même, c’est la première chose que l’ange annonce à Marie, « toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi. » De même aussi pour nous, tout comme pour Marie, et tout comme dès avant le commencement du monde, « une grâce a été faite : le Seigneur est avec [nous] », « Emmanuel – Dieu avec nous » !
Nous n’en avons guère conscience, la plupart du temps, et même quand le pasteur le répète à l’envi : c’est que, quotidiennement, nous n’en avons pas l’impression… Une grâce m’aurait été faite, Dieu serait vraiment avec moi, ça se saurait… je le saurais ! Je décline alors la longue litanie de mes malheurs, de mes échecs, de mes solitudes, et face à tout ça, le silence de Dieu, le silence assourdissant… Quelques versets avant notre texte, Zacharie, le prêtre, le mari d’Élisabeth, avait déjà réagi de cette manière bien normale, bien humaine, très autocentrée : Gabriel lui parlait du relèvement d’Israël, lui répondait en parlant de son âge à lui… (Luc 1 / 16-18) Alors, chers amis, lorsque Dieu nous parle du salut du monde, de l’humanité souffrante avec laquelle il s’est fiancé, prenons garde de nous prendre pour le centre du monde, mais sachons que nous en faisons partie : ce que Dieu fait, c’est bel et bien pour nous et pour quelques autres qu’il le fait. Mais il n’agit pas comme un magicien ou une idole. Il ne distribue pas de ces petites choses auxquelles nous tenons : santé, famille, travail, richesse, vie sociale… « Il sait que vous en avez besoin », dira Jésus (Matth. 6 / 32 ; Luc 12 / 30). Mais il est venu nous offrir autre chose…
Il est venu s’offrir lui-même, en Jésus-Christ. Il vient à notre rencontre, en Jésus-Christ. Pas seulement une rencontre avec l’humanité entière, mais plus particulièrement avec nous. Pas seulement une rencontre avec nous, mais avec chacun de nous : moi, mes amis, mes ennemis, les plus pauvres que moi, les plus riches que moi… Cette dimension de l’amour de Dieu, à la fois inclusif et exclusif, est bien clair dans le dialogue de Gabriel avec Marie, comme il l’était lorsqu’il avait parlé avec Zacharie. Dieu se donne à tous, mais aussi à chacun, donc à moi en particulier, donc aussi à celui ou celle pour qui je n’aurais pas cru cela possible… ni souhaitable ! Pour faire naître en moi le Christ – façon de parler, certes – « le Saint-Esprit viendra sur [moi] », comme annoncé à Marie pour elle-même. Ce qui fut pour elle enfantement charnel est pour nous seulement enfantement spirituel, seulement car ce le fut aussi pour Marie ! Mais spirituellement, c’est-à-dire véritablement aux yeux de Dieu, c’est bien à un tel enfantement que je suis invité : Dieu engendre en moi un « homme nouveau », comme l’écrira Saint Paul (Éph. 4 / 24) à l’image du Christ.
« Rien n’est impossible à Dieu » ne signifie donc pas que Dieu fera tout – sous-entendu tout ce dont je pense avoir besoin – mais qu’il fera ça ! Dieu a fait de Marie la mère du Christ, son Fils. Dieu veut faire de chacun de nous la mère – en quelque sorte, que nous soyons homme ou femme – la mère d’une image du Christ, et cette image sera son fils ou sa fille. Voulez-vous que votre vie, corps et âme, enfante cet être nouveau que Dieu veut engendrer en vous par son Esprit ? Voulez-vous que Dieu déploie en vous sa « puissance » pour faire naître et grandir son nouvel enfant ? Certes, cette parole, vous l’avez entendue et reçue il y a longtemps déjà ; mais notre « vieil homme « étant ce qu’il est, il faut sans cesse que le message nous soit apporté de nouveau afin que nous le redécouvrions et l’admettions. Car au « rien n’est impossible à Dieu » du messager répond l’acceptation de Marie : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole. » Ce que Jean, le Baptiste, dira autrement : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue. » (Jean 3 / 30)
L’acceptation d’enfanter un « homme nouveau » est l’acceptation de la mort du « vieil homme ». L’acceptation que vienne au monde, à mon monde, le Seigneur, c’est l’acceptation que je ne sois, moi, que serviteur, et jamais seigneur. C’est l’acceptation de ma place d’être humain devant Dieu, c’est la négation du péché originel. En Jésus-Christ, ce péché originel est défait, Jésus est bien celui « qui ôte le péché du monde » (Jean 1 / 29), comme nous le confessons à chaque culte. Qui l’ôte de moi, de ma vie, de mes relations. Certes cela n’a rien à voir avec ma santé, ma famille, mon travail, ma richesse, ma vie sociale… Encore que… ! Mais c’est beaucoup plus, beaucoup mieux. C’est le fondement d’une autre existence que la mort n’atteint pas. C’est le fondement d’une autre existence pour moi, et pour vous ! Mais la parole de Marie n’est pas facile à dire, elle est humilité, c’est-à-dire renoncement. Aujourd’hui, un ange ne passe pas, il s’arrête et il vous dit à vous aussi : « Je te salue, toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi. » Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 23 décembre 2018