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Jérémie 29 / 1-14
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texte : Jérémie, 29 / 1-14 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Évangile selon Matthieu, 5 / 38-48 ; épître aux Éphésiens, 6 / 10-17
chants : 37-01 et 36-29 (Alléluia)
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Nous sommes sous le règne de Sédécias, le roi censément plein de la justice de l’Éternel – c’est son nom – installé par le vainqueur, Neboucadnetsar, après la prise de Jérusalem. Le roi légitime, Yekonia, et tous les dirigeants du pays, ont été emmenés en exil, installés dans un ghetto « auprès des fleuves de Babylone », comme le chantait le psaume 137… Mais nous sommes avant le « retournement de veste » de ce demi-roi, qui est l’oncle du vrai, et la destruction consécutive de Jérusalem et de son Temple. Il reste donc des Judéens avec Jérémie à Jérusalem, tandis que d’autres sont déjà à Babylone, qui deviendra la plus grande ville juive du monde, bien avant Vienne et Washington ! Et elle le deviendra parce que les Judéens exilés auront écouté les conseils de Jérémie ! Mais n’oublions quand même pas leur situation à ce moment-là de l’Histoire : ils ont tout perdu, ces exilés, et la chute du Temple dans quelques années, quelques mois, le leur signifiera clairement, et c’est ce que chantait ce psaume que je viens de vous citer : « Comment chanterions-nous le cantique de l’Éternel sur un sol étranger ? Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie ! Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens de toi, si je ne mets Jérusalem au-dessus de toute autre joie ! » (Ps. 137 / 4-6) Et le psaume se termine ainsi : « Fille de Babylone, qui vas être dévastée, heureux qui te rend la pareille, le mal que tu nous as fait ! Heureux qui saisit tes enfants et les écrase sur le roc ! » (vv. 8-9)
Vous entendez bien, n’est-ce pas, que nos textes de ce matin disent autre chose. Ils ne disent pas la souffrance – car c’est elle qu’exprimait le psaume 137. Nos textes disent la patience et l’espérance, ils disent un projet qui certes nous semble inhumain, irrationnel, un projet fou, qui est celui de Jésus : « je vous dis de ne pas résister au méchant », « soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » Après tout, Jérémie dit plus ou moins la même chose aux exilés, et comme de bien entendu on lui reprochera d’être de mèche avec les méchants, c’est-à-dire les Babyloniens. « Priez pour ceux qui vous persécutent » n’est pas un slogan très porteur, n’est-ce pas ? Surtout quand on est soi-même à l’abri ! Mais Jérémie ne le sera pas longtemps, et Jésus lui non plus : il a pratiqué ce qu’il enseignait bien avant que nous ne nous laissions convaincre… Il faut bien entendre – et faire entendre – cela : ceux qui nous invitent à cet étrange comportement l’ont eu eux-mêmes, et, certes, cela ne leur a pas porté chance.
Enfin… tout dépend de ce qu’on cherche ! Si vous cherchez la tranquillité, surtout ne faites pas ça, ne faites pas ce que Jésus et Jérémie recommandent, oubliez le combat spirituel dont parle Paul. Contentez-vous de surfer sur la morale ambiante – qui devient très inquiétante, mais c’est une autre question… Encore que, non : la morale ambiante, les idées qui se développent rapidement à partir des échecs de notre société et de la peur que ces échecs et les agressions aussi bien intérieures qu’extérieures suscitent, ces idées vont clairement dans le sens de la fermeture à l’autre, à tous les autres. Elles vont à contre-sens de la générosité, à plus forte raison vont-elles à contre-sens d’un Évangile qui ne se contente pas de la générosité ! La générosité suppose qu’on soit à l’aise dans ce qu’on vit – même si ce qu’on vit n’est pas le must… C’est un mouvement du haut, même si ce haut est relatif, vers le bas. L’Évangile, c’est le contraire, c’est un mouvement du bas vers le haut. Pour le dire autrement, il s’agit d’être généreux avec ceux qui n’en ont pas besoin parce qu’ils vous ont tout pris !
C’est donc bien un combat spirituel, et « le Malin », dont il s’agit d’ « éteindre tous les traits enflammés », pour le dire comme Paul, n’est pas d’abord celui qui pousse nos adversaires contre nous, mais c’est celui qui nous souffle de nous défendre avec les mêmes armes qu’eux utilisent contre nous – c’est d’ailleurs pour ça qu’il se sert d’eux contre nous… Les prophètes en leur temps l’avaient lourdement souligné : les Babyloniens ont été le bras armé non pas du Malin, mais de l’Éternel lui-même pour secouer son peuple qui lui tournait le dos… La question n’est donc pas, comme on le croit systématiquement, de ceux qui nous attaquent, mais de notre manière de nous défendre. L’Évangile est très clair là-dessus : si nous voulons accomplir la volonté de notre Dieu, il faut chercher le bonheur de nos adversaires, et cela rejaillira sur nous… Il n’est pas dit que cela les désarmera, mais que, pourtant, à terme, c’est ça qui fera notre bonheur à nous aussi. À terme. Pas forcément demain. « Dès que 70 ans seront écoulés », dit Dieu par l’intermédiaire de Jérémie… Il faut que nous, les enfants de ce Dieu-là, nous nous rappelions que « mille ans sont, à [ses] yeux, comme le jour d’hier quand il passe… » (Ps. 90 / 4) Et un peu plus loin le même psaume 90 qui nous dit cela conclut en demandant à Dieu : « Enseigne-nous ainsi à compter nos jours, afin que nous conduisions notre cœur avec sagesse. » (v. 12)
C’est cette sagesse qui est requise de nous ce matin pour chaque jour de notre existence dans ce monde, qui n’est pas un monde aimable, mais qui pourtant est un monde aimé de Dieu, aimé non pas dans sa folie suicidaire qui est méprisable, mais dans chacune de ses personnes, elles qui, aux yeux de Dieu, valent la peine qu’on donne sa vie pour elles, valent la peine que son Fils ait donné sa vie pour elles. C’est encore un psaume qui dit : « Demandez la paix de Jérusalem ! Qu’ils vivent tranquilles, ceux qui t’aiment ! Que la paix soit dans tes remparts, et la tranquillité dans tes donjons ! » (Ps. 122 / 6-7) Mais Jérémie nous dit : « Recherchez la paix de la ville où je vous ai déportés et intercédez auprès de l’Éternel en sa faveur ! » Alors, avec David, nous prierons pour la paix et l’unité de l’Église, qui est la Jérusalem dont nous sommes les citoyens. Mais nous prierons aussi pour la paix et la justice dans le monde, qui est la Babylone où Dieu nous a envoyés. Et plus que de prier, nous agirons envers elle comme si elle était notre cité, nous agirons pour son bonheur et son honneur, nous la ferons grandir et fructifier comme nous-mêmes en son sein grandirons et porterons fruit.
Quel rapport avec nos adversaires ? Ils sont, eux, de ce monde-ci, de cette cité-ci, alors que nous n’y sommes que comme exilés. Ils fonctionnent selon les critères du monde, cherchent à soumettre, à assujettir les autres à leurs propres projets. Nous nous assujettirons donc à eux, sans pour autant faire de leurs projets nos projets. Pour quelqu’un de ce monde, son projet, c’est lui-même. Pour un chrétien, son projet, c’est l’autre. Pas le projet de l’autre, mais la personne de l’autre, cette personne aimée par Dieu quoi qu’elle fasse, tout comme moi-même je suis aimé quoi que je fasse et quoi que j’aie fait. Se battre pour le droit et la justice, c’est se battre pour l’autre. Et se battre pour l’autre, serait-il mon ennemi, c’est se battre pour le droit et la justice même s’il ne les connaît pas. Et là où c’est le plus visible, le plus clair, le plus choquant selon la logique du monde, c’est justement lorsque l’autre, c’est mon ennemi.
Parce que, si je ne fais pas ça, alors je prends mes rêves, mes fantasmes de vengeance, mes cauchemars, pour la réalité, et je suis alors prisonnier de moi-même – et c’est bien ce que recherchait mon ennemi ! « Œil pour œil, dent pour dent », c’était déjà le seul moyen pour limiter ce débordement, pour casser ce cercle vicieux. Mais il faut un tribunal suffisamment fort pour l’imposer. Aller au-delà, « tendre aussi l’autre » joue, est hors d’atteinte d’un tribunal. C’est la souveraine liberté que donne le Christ à ceux qui le suivent dans cet amour irrationnel. J’abandonne ma revanche, ma vengeance, mon envie d’écraser celui qui l’aurait pourtant mérité. Je me libère du poison qu’il a mis en moi. Je suis libre, et donc libre d’aimer, de pardonner, de donner ce qui était mien, de vivre de la seule grâce de Dieu dont je sais que lui ne m’abandonnera pas. « J’interviendrai pour vous, et j’accomplirai à votre égard ma bonne parole […] Je connais, moi, les desseins que je forme à votre sujet, desseins de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir fait d’espérance », nous promet-il. Si lui le fait, pourquoi m’en préoccuperais-je ?! Lui interviendra pour moi, afin qu’en attendant je puisse me préoccuper d’intervenir pour l’autre.
Cette promesse est accompagnée d’une promesse plus grande encore : « Vous me chercherez et vous me trouverez, car vous me chercherez de tout votre cœur. Je me laisserai trouver par vous. » Serait-ce donc dans l’amour du prochain, et plus particulièrement dans l’amour pour mon ennemi, que je trouverai le Seigneur ? Serait-ce dans le souci de cette cité-ci que je trouverai la cité céleste ? À condition, bien sûr, de ne pas les confondre. C’est ce que l’apôtre Paul nous disait dimanche dernier : « Que ceux qui usent du monde soient comme s’ils n’en usaient réellement pas, car la figure de ce monde passe. » (1 Cor. 7 / 31) Il poursuivait ainsi : « Je voudrais que vous soyez sans inquiétude. » (v. 32) Cela faisait écho au fameux passage évangélique : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus. […] Car cela, ce sont les païens qui le recherchent. Or votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus. » (Matth. 6 / 24-34)
Le Lévitique déjà exhortait : « Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas pas de rancune envers les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel. » (Lév. 19 / 18) L’Évangile augmente le champ d’application de cette liberté, et de la souveraineté de Dieu sur ma vie et sur le monde, il l’étend à ceux qui ne sont pas « les fils de [mon] peuple », mais ses adversaires, ou mes adversaires, ou ceux-là qui sont à l’aise dans ce monde et qui ne cherchent pas le Seigneur. Il n’y a plus de définition du « prochain », la volonté de Dieu pour moi est que j’étende son amour à tous ceux que je rencontre, quels qu’ils soient et quoi qu’ils fassent, sans me laisser piéger par eux. Car c’est Dieu que je suis appelé à servir, pas le monde – ce monde qui, lui, promeut vengeance et rancune, et ne connaît aucun amour, seulement l’intérêt… Dans ce monde, « bâtissez des maisons et habitez-les », dit Jérémie, et c’est ce que nous avons fait. Mais n’oubliez pas la promesse de Dieu : « je vous ferai revenir ».
Ainsi se termine aussi le livre des Lamentations : « Fais-nous revenir, Éternel, vers toi, et nous reviendrons ! Renouvelle nos jours… » (Lam. 5 / 21) Le but, ce n’est pas le monde, ce n’est pas nous, c’est le Seigneur, c’est vers lui que marche notre vie, parce que lui s’est approché de nous, parce qu’il vient nous chercher. Ce but ultime, voilà notre motivation à ne pas nous attacher à ce qui nous est dû, mais de laisser glisser sur nous les préoccupations du monde et même les besoins de notre corps et de notre vie sociale. Parce que « le Seigneur vient », comme l’annoncent les derniers versets de la Bible (Apoc. 22 / 7-21), alors, comme lui, nous pouvons vivre tout entiers avec et pour les autres, car nous ne risquons plus rien. Nous ne risquons plus rien. « Maranatha (Viens, Seigneur !) » (1 Cor. 16 / 22) Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 21 octobre 2018