Première épître aux Corinthiens 7 / 29-32a

 

texte :  Première épître aux Corinthiens, 7 / 29-32a   (trad. : Bible à la colombe)

première lecture :  Évangile selon Marc, 10 / 1-31

chants :  425 et 426  (Arc-en-ciel, le second sur la mélodie du 307 dans Sur les ailes de la foi)

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« Que vous a commandé Moïse ? » Cette question de Jésus, renvoyée dans les dents de ses accusateurs pharisiens à propos d’une question piège sur le divorce, cette question résonne jusqu’à nos propres questionnements, jusqu’à notre propre éthique, jusqu’à nos propres comportements. Certes nous ne disons pas « Moïse », mais c’est bien de la même chose qu’il s’agit : que nous commande la Bible ? Si vous ne vous êtes pas arrêté à la question du divorce, qui n’est ici qu’un prétexte, vous aurez remarqué cette chose étonnante : Jésus qui prétendait en rester au texte biblique réfute la réponse pourtant biblique des Pharisiens, jouant d’un texte biblique contre l’autre – en l’occurrence la Genèse (2 / 24) contre le Deutéronome (24 / 1-2). C’est qu’en matière d’éthique rien n’est simple, et pour au moins deux raisons. La première, c’est qu’il est question de vraies gens, et non de théorie pure, et qu’on ne peut pas alléguer un texte pour ou contre une existence concrète. La seconde… eh bien c’est ce que nous explique le petit passage de la lettre aux Corinthiens, en parfaite cohérence avec tout son chapitre 7, d’ailleurs.

 

Que nous dit donc Paul pour résumer sa pensée sur le début du chapitre, qui lui aussi parlait mariage : « le temps est court », ou plutôt « l’instant s’est raccourci, resserré… » Non pas donc le temps en général, la durée, les siècles, mais ce qui se vit moment après moment, les événements de notre existence. Pas pour dire que nous n’avons pas la vie devant nous, nous ne sommes pas éternels – l’échec social ou familial, le chômage, la maladie, la mort, viennent bien souvent nous le rappeler. Mais plus encore, c’est comme pour dire que chaque chose que nous vivons est porteuse de sens, et que ce sens, nous n’avons pas le temps ni d’ailleurs le moyen de l’expliquer : il faut donc vivre conformément à ce qui fait sens pour nous, pour notre vie, et ce dans chaque chose que nous vivons, chaque moment, chaque événement, chaque relation. Or ce qui fait sens pour nous chrétiens, c’est qu’à la différence du « jeune homme riche », nous suivons Jésus – en tout cas nous le prétendons !

 

Lui, il était comme les Pharisiens, il suivait une loi morale. Beaucoup de gens aujourd’hui font de même, que ce soit la Loi biblique ou que ce soit l’une des morales du monde, et même ceux qui prétendent ne pas suivre une telle loi ont néanmoins la leur et la suivent aveuglement, au point d’en condamner tous ceux qui ne suivent pas la même. Du fondamentalisme littéraliste protestant jusqu’aux antispécistes qui agressent les boucheries et les abattoirs, en passant par les musulmans salafistes, avec des « commandements » bien différents pourtant, et des pratiques qui ne sont pas forcément toutes agressives, il y a là une attitude qui consiste à vouloir « hériter la vie éternelle » par sa propre obéissance, ses propres œuvres. Le « jeune homme riche » aurait vendu tous ses biens en croyant mériter mieux ce faisant, il n’y aurait rien gagné. La question est de savoir en qui, en quoi je me confie : en moi et dans le monde et sa morale, ou bien en Jésus, ce Jésus que je dois suivre sans avoir aucune garantie d’aucune sorte ?

 

Car voilà le nœud du problème : je veux – et humainement j’ai besoin – de garanties. Et Jésus se contente de répondre : « fais-moi confiance, suis-moi » ! C’est comme de dire en se mariant que c’est bien de savoir comment se passe un divorce, et d’entendre le pasteur dire : « non, fais-lui confiance, épouse-le ou épouse-la pour la vie… » Ce n’est pas pour rien que « le jeune homme riche » vient après la dispute sur le divorce et le mariage, et que Paul nous écrit ce matin dans le cadre d’un chapitre où il parle très concrètement des situations conjugales. Mais le sujet, n’est-ce pas, ce n’est pas le mariage, c’est de suivre Jésus. Or, contre l’avis manifeste d’un certain nombre de ses lecteurs, Paul ne dit pas : « ne te marie pas, ne pleure pas, ne rit pas, n’achète pas, fuis le monde… » Certains chrétiens l’ont cru, et pas seulement à Corinthe au premier siècle… C’est illusoire ; c’est se construire à nouveau des sécurités humaines, même si ce ne sont pas celles de tout le monde ; c’est s’enfermer dans un comportement que l’on croit plus propice au salut, alors qu’il est seulement plus sectaire. Jésus priera le Père en disant à propos de ses disciples – de nous ! – : « eux sont dans le monde […] et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin. » (Jean 17 / 11. 14-15)

 

Nous voici donc confirmés dans le fait que nous sommes au cœur du monde, quand bien même ce monde ne connaît ni Jésus ni le Père – alors que jusqu’à il y a peu, nous pensions que, si, il les connaissait ; mais aujourd’hui la vérité nous apparaît telle qu’elle est, et le présent et l’avenir nous font peur dès que nous les considérons un peu sérieusement. L’école, la famille, la nation, sont détruites ou en passe de l’être ; la vie humaine change de définition ; les avancées scientifiques se retournent contre les gens et les chosifient ; la nature et le climat ont eux-mêmes un avenir incertain ou malheureusement trop certain ; quant à la pauvreté, l’injustice, le crime, ils sont toujours là… Et nous aussi, en bon état ou en mauvais état, mais au cœur de ce monde-ci. Le suivrons-nous dans ses grandeurs et sa décadence, ou bien suivrons-nous Jésus, non pas une loi, mais sa personne, à travers sa mort et sa résurrection, vers notre mort et notre résurrection, à nous qui sommes à lui ? Car sa Loi, en fait, c’est de le suivre jusqu’à la croix, et par elle jusqu’à la victoire !

 

Alors, nous dit Paul, vivez ce que vous avez à vivre dans ce monde, mais sachez et manifestez que le sens de votre vie n’est pas là-dedans. Soyez libres de ce que vous vivez soit par choix soit par nécessité. Ne vous y attachez pas, ne vous y laissez pas enfermer, ne pensez pas ni ne donnez à penser que vous « gagnez votre paradis » en ayant nombreuse famille, vie bien remplie, affaires florissantes. Ceux qui, dans l’Ancien Testament, l’ont cru, se sont retrouvés bien déçus par la vie en qui ils avaient mis leur confiance, et en butte à la critique des Prophètes, des Sages et des Psaumes. Paul nous dit simplement de ne pas mettre notre confiance dans « la vie », c’est-à-dire dans les valeurs et les fonctionnements de ce monde où nous sommes pourtant placés. Il nous souhaite de mettre assez de distance pour que nous y vivions heureux tout en sachant que le vrai bonheur n’est pas là.

 

Évidemment c’est difficile. Comme de dire à des amoureux ou à des nouveaux mariés : « tu l’aimes, c’est bien, mais sache que Jésus t’aime encore plus que tu n’aimes ton conjoint, et qu’il t’appelle à l’aimer, lui, plus que toute chose ou que tout être au monde. » Pourtant c’est ce que nous prêchons lors des bénédictions nuptiales, mais nous savons bien que les gens n’entendent pas forcément ça. En fait, les gens – vous et moi compris – n’entendent que ce qu’ils savent déjà, ou que ce qu’ils veulent bien entendre… On comprend alors pourquoi Paul – tout comme Jésus – a besoin de formules choc, choquantes, pour nous forcer à écouter. Car « le temps est court », nous n’avons pas le temps de comprendre plus tard ! Chaque moment passé loin de Jésus est un moment perdu, perdu pour l’éternité, un moment privé de vie éternelle… Or nous ne sommes pas invités à perdre ces temps, mais à les sanctifier, à les vivre avec Jésus et non pas sans lui.

 

Une autre manière de dire que nous perdons ces temps-là, c’est de dire que nous sommes inquiets, ce qui est alors bien normal puisque, en-dehors de la communion avec le Christ, quel chrétien ne serait pas inquiet ?! « Or je voudrais que vous soyez sans inquiétude », dit Paul. Certains s’inquiètent de ce qu’ils font pour Jésus – mais c’est qu’encore une fois ils se mettent en premier : « ce que JE fais… » Mais ici il est question de ceux qui s’inquiètent de ce qu’ils ne font pas avec lui – c’est encore JE qui cette fois culpabilise… Ne vous inquiétez donc pas ! Ne soyez ni fiers de vous ni ne culpabilisez de ce qui ne vous rend pas fiers, mais attachez-vous à Jésus et non pas à vos propres œuvres… Vivez le mariage dans la reconnaissance à Dieu et non pas dans la jouissance de posséder l’autre ou d’être possédé par lui : c’est parce qu’en Jésus vous êtes libres l’un de l’autre que votre amour en est véritablement un – le Cantique des cantiques le laissait déjà entendre. De même vivez les peines et les joies en Jésus, en lui seulement, car il se tient là où vous êtes, il se tient au cœur de vos peines et au cœur de vos joies, si vous savez vous tourner vers lui et non pas jouir de ce qui vous fait du bien ou de ce qui vous fait du mal.

 

De même encore – mais ça, vous le savez bien – votre vie ne dépend pas de ce que vous avez, mais elle se plaît et s’exprime dans la liberté qui est la vôtre par rapport à ce que vous avez. Et cette liberté ne peut se fonder qu’en Jésus-Christ. En lui seulement, parce que vous êtes à lui, vous n’appartenez plus à vos biens, à la recherche d’en avoir encore plus, ou à la détresse de ne point avoir le nécessaire. Pauvres ou riches, appartenez-vous à vos biens ou à Dieu seul ? La question est la même pour tous les autres domaines de l’existence, pour tous ces « moments qui se sont rétrécis », dans lesquels la question est désormais incontournable. Est-ce que j’appartiens au monde, ou bien à Christ ? Aucune activité, aucun événement, aucun moment, n’échappe plus désormais à cette question.

 

Les Sadducéens pensaient que la question ne se posait que pour le culte sacrificiel et ce qui était expressément prescrit dans la Bible. Les Pharisiens pensaient que la question se réglait à coup d’observances multipliées. Avec le Nouveau Testament, nous savons que la question se pose existentiellement pour chacun à chaque instant, et non pas religieusement ou moralement. « Je vais au culte » ou « je m’abstiens du mal » ne sont pas des raisons – ce qui n’empêche pas que vous veniez au culte et que vous vous absteniez du mal, certes ! Mais dès lors que je sais que Jésus a donné sa vie pour moi, et qu’il m’attire à lui pour la vie éternelle, alors je puis bien me demander, en toute occasion, « qu’est-ce que ça rajoute ? » ou bien « qu’est-ce que ça enlève ? » à cette grâce et à cette vie éternelle. Il me faut juste être conscient que rien ne peut ajouter à ce que Jésus a fait pour moi, et que si quelque chose n’enlève rien, alors je suis libre de le faire ou pas, sans inquiétude. Ainsi se conçoit bien la « responsabilité individuelle » chère au protestantisme et à son éthique : debout devant Dieu, remis debout à cause de Jésus et me tenant là par la puissance du Saint-Esprit, je suis vraiment libre.

 

Dans la même épître, Paul écrit : « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit. » (6 / 12) « Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’édifie pas. » (10 / 23) Question de discernement donc : personne ne choisira pour moi, personne ne me dira : « ceci est permis », « ceci ne l’est pas ». Mais qu’est-ce qui est utile, qu’est-ce qui construit, et à l’inverse qu’est-ce qui risque de m’asservir ? Ce n’est pas la raison humaine qui peut m’éclairer, mais seulement de suivre Jésus, de regarder à lui, à son amour pour les plus petits dont je suis, à sa croix, à sa victoire. Alors tu peux bien te marier, pleurer et rire et faire des affaires, si rien de ceci ne t’asservit, si tu y es libre selon Dieu, comme son fils ou sa fille que tu es de par Christ. Amen.

 

 Saint-Dié  –  David Mitrani  –  14 octobre 2018

 

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