Épître aux Galates 5 / 25 – 6 / 3. 7-10

 

texte :  Épître aux Galates, 5 / 25 – 6 / 3.  7-10   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Évangile selon Matthieu, 6 / 25-34 ; première épître de Pierre, 5 / 5b-11

chants :  607 et 530  (Arc-en-ciel)

téléchargez le fichier PDF ici

 

« Ne vous inquiétez pas ! » Si vous ne deviez retenir qu’une chose, gardez celle-ci précieusement et réalisez-la tous les jours de votre vie. Car l’Évangile consiste en cette exhortation, et vous entendez assez qu’il s’agit bien d’une bonne nouvelle, et non d’une doctrine ou d’une religion. Mais pour que ce soit vraiment une bonne nouvelle, il y a quelques conditions… Car tous, nous sommes très doués pour transformer de bonnes nouvelles en mauvaises nouvelles, des encouragements en condamnations, des outils en instruments de torture ou en déchets, etc. La première des conditions – au vrai, peut-être la seule, en fait – c’est l’humilité, comme l’écrivait l’apôtre Pierre.

 

Car comment transformons-nous ce « ne vous inquiétez pas » en mauvaise nouvelle, en rêverie idéaliste et néfaste concourant au maximum d’inquiétude ? Comme toujours en nous mettant nous-mêmes au centre. « Ne vous inquiétez pas car tout dépend de vous ! » C’est le diable qui nous souffle cette ineptie. Pourtant nous y croyons facilement, pour peu que nous ayons quelque force à y investir. En effet, nous dit-il, lorsque tu dépends des autres, tu peux t’inquiéter vraiment, parce que les autres ne sont pas fiables. D’ailleurs tu le sais bien : Untel te dit oui et ne fait pas, Unetelle te casse du sucre sur le dos, Untel autre va tout faire pour te couler par jalousie, et Unetelle encore s’engage à trop de choses et ne fait rien, etc. Autant ne compter que sur toi-même, n’est-ce pas ? Au moins on connaît ses propres forces, ses propres faiblesses, et puis, on n’est jamais si bien servi que par soi-même… Le diable est le champion des lieux communs et du bon sens populaire qui font le malheur des gens depuis toujours !

 

Parce que, non, on ne connaît pas assez ni ses propres forces ni surtout ses propres faiblesses. Les adolescents idéalisent sans doute leurs forces, leurs capacités à agir selon leur propre volonté – mais c’est parce que souvent ils ne peuvent pas l’expérimenter ! Quant aux plus vieux, et aussi parfois les mêmes ados, ils ont un tel sentiment de leurs faiblesses qu’ils pensent ne pas ou ne plus jamais pouvoir y arriver. Ainsi les uns vont se casser la figure pour avoir trop cru pouvoir marcher tout seuls, et les autres vont se lamenter de faire du sur-place, voire de reculer. Le suicide des jeunes dans le premier cas, le désir de soi-disant « mourir dans la dignité » dans le second, sont les tristes conséquences de ces erreurs tragiques. Les uns et les autres ont transformé le « ne vous inquiétez pas » en mauvaise nouvelle, en projet mortifère…

 

Celui qui ne compte que sur lui-même, par égocentrisme ou par misanthropie, ne peut que constater, un jour ou l’autre, plus ou moins tôt, que tout est éphémère, que rien ne vaut la peine, et que, quoi qu’on fasse ou qu’on pense, rien ne change jamais. Relisez l’Ecclésiaste… La leçon qu’en tirait Salomon dans ce livre rejoint la nôtre : ne compte pas sur toi, compte sur Dieu ! Mais ceci va à contre-courant de la culture actuelle, et à vrai dire cela va à contre-courant de la nature humaine, tout simplement. Aujourd’hui, dans le meilleur des cas, on a : « laisse-toi aider, mais ne fais pas confiance, fais attention… » En d’au­tres mots : « inquiète-toi ! » Prise de conscience de ce que, tout seul, on ne peut rien, mais que les autres ne sont pas mieux intentionnés que soi ? Sans doute. Et c’est donc sans doute un bon principe politique. Mais est-ce un bon principe de vie, d’humanité ?

 

Comment alors quitter enfin cette inquiétude lancinante qui pousse certains au désespoir et la plupart à ne rien faire, à rester chacun chez soi ou à n’être ensemble que pour du loisir ? La vie chrétienne est-elle donc du loisir, un « plus » ? Aucun intérêt. Hier j’ai fait le tour du forum des associations, au Palais Omnisports. Pratiquement que des stands d’associations sportives. C’est bien aussi ! Mais les autres associations étaient bien peu nombreuses : Secours populaire, Secours catholique, Scouts et Guides, Aumônerie catholique, et deux ou trois associations musicales… Évidemment nous n’y étions pas, mais beaucoup d’autres non plus. Mais là-bas, il y en avait, des jeunes et des enfants ! Loin de moi de dévaloriser tout ce qui se fait et qui était représenté à cette fête. Mais je constate juste que nous nous mettons volontiers ensemble pour ce qui nous satisfait d’abord nous-mêmes, et que nous acceptons de vivre avec d’autres à condition qu’ils ne nous soient pas trop dissemblables. Faisons-nous d’ailleurs autrement pour nos repas de paroisses, bien plus fréquentés que nos cultes ? Nous y amenons nos amis : mais pourquoi pas au culte ou à l’étude biblique ?!

 

Je vous propose un loisir différent : le loisir essentiel ! il s’appelle l’amour fraternel, et c’est la conséquence directe de l’humilité qui nous permet de ne pas nous inquiéter. Car si je compte sur Dieu et non pas sur moi-même, alors je puis ne plus m’inquiéter de rien : ni travail, ni santé, pas même de ma mort… La confiance est absolue ou bien elle n’est pas. Je ne fais pas « confiance si… » Je fais confiance, point. Vous me direz qu’il y a des choses qui méritent qu’on s’inquiète. Non. Il y a des choses qui méritent qu’on s’y intéresse, qu’on y agisse, qu’on y proteste, qu’on y promeuve pour soi ou pour d’autres des réorientations, des « conversions » au sens propre. Mais pas qu’on s’en inquiète. L’inquiétude ne produit rien, ou pire : elle produit la mort et le malheur. L’humilité est donc bien le contraire de l’inquiétude : elle produit la quiétude par la confiance en Dieu. Car bien sûr il faut avoir quelqu’un à qui faire confiance, et nous avons, nous, un Dieu vivant en qui nous pouvons avoir pleine confiance : il a donné sa vie pour nous !

 

Alors, comme écrivait l’apôtre Paul, « si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi par l’Esprit. » Vivons donc de cette confiance dans la quiétude de la foi. Réalisons dans nos actes, nos vies, ce que cette confiance nous indique et nous permet, et toujours en comptant sur Dieu et non pas sur nous autres. Cela est vrai bien sûr aussi pour notre Église, ses cultes, ses finances, ses activités. Car si nous ne sommes pas inquiets, qu’est-ce qui nous empêchera de pratiquer ensemble notre foi en communion fraternelle ; qu’est-ce qui nous empêchera de donner à l’Église les moyens financiers dont elle a besoin, même s’ils sont exorbitants au vu de notre petit nombre ; qu’est-ce qui nous empêchera d’annoncer joyeusement à d’autres – et même à nos proches alors-même que c’est plus difficile – cet Évangile qui nous fait vivre dans la tranquillité, dans la certitude de notre salut ?

 

« Portez les fardeaux les uns des autres », c’est ce que permet cette tranquillité, c’est ce que l’Esprit saint qui nous inspire, nous protège et nous défend, réalise aussi dans et par nos existences concrètes. Ailleurs, la même idée est exprimée ainsi : « supportez-vous les uns les autres » (Éph. 4 / 2). Pas seulement « faites avec », mais c’est positivement « portez ensemble ». Car si je compte sur Dieu notre Père, alors je puis aussi compter sur ses enfants, sinon c’est de la théorie. Et ses enfants, ceux que je connais comme tels, ce sont mes frères et sœurs dans la foi. Compter sur Dieu, c’est donc pouvoir compter sur les autres chrétiens. Et donc – ce « donc » est inévitable ! – eux aussi doivent pouvoir compter sur moi. La fraternité est évidemment réciproque : si je suis leur frère pour compter sur eux, ils sont les miens et peuvent compter sur moi. Vous comprenez bien alors que cette exhortation de Saint Paul est une conséquence directe de l’appel de jésus à la quiétude et de l’appel de Saint Pierre à l’humilité. « Si quelqu’un pense être quelque chose, alors qu’il n’est rien, il s’illusionne lui-même », écrivait Paul.

 

Je ne pense pas être quelque chose ni Quelqu’un – avec une majuscule ! Je ne suis pas si grand que je n’aie pas besoin qu’on me serve et qu’on m’aide. Et je ne suis pas si grand qu’il me serait indigne de servir à mon tour. Je suis juste au même niveau que mes frères et sœurs, et eux au même niveau que moi : l’amour fraternel n’est possible que là, au niveau où ils sont et où je suis. Jésus s’est mis lui-même au même niveau que ses disciples, et les a donc servis tout comme ils l’ont servi. Sinon il serait resté dans une logique « maître – serviteurs », appelant ses disciples à être eux-mêmes des maîtres d’autres serviteurs – c’est le contraire de ce qu’il leur a enseigné, et à nous à travers eux. Mais c’est pourtant ce que nous sommes toujours tentés de faire, et que l’Église a fait bien souvent, quelle que soit sa dénomination. Alors que Paul parlait d’un « esprit de douceur », et qu’on voit bien ce que cela veut dire, ce que ça implique comme type de relation. On n’est pas très loin du Sermon sur la montagne, et du « si on te frappe sur la joue droite, tends aussi l’autre » (Matth. 5 / 39). Douceur, pas masochisme…

 

Des gens très bien peuvent accomplir des choses merveilleuses par eux-mêmes. Peut-être certains d’entre nous le pensent-ils pour eux-mêmes, au présent, au passé ou au futur ! Mais « celui qui sème pour sa chair, moissonnera de la chair la corruption », écrivait Paul. Nos meilleures œuvres ne durent pas plus que nous-mêmes, et ne tiennent que tant que nous sommes capables de les faire tenir. Combien ont pensé sauver les autres en leur apprenant des techniques ou en leur offrant de bons outils, techniques inadaptées ou oubliées, outils abîmés par le temps ou mal utilisés ! Et je ne parle pas que d’économie : il peut en être de même au niveau spirituel ! Je ne puis témoigner que de ce que je suis, et je ne voudrais témoigner que de ce que le Seigneur fait de moi et pour moi, afin que d’autres en soient édifiés non pas pour moi, mais pour eux… Je dois prendre garde à ne pas me mettre en travers, serait-ce par ma bonne volonté ou mes compétences – lorsqu’elles existent. Le but n’est pas qu’on dise de moi : « quel chrétien ! », mais qu’on se tourne vers Dieu en lui disant : « Père ! »

 

Cela, seul l’amour fraternel le permet, pas la bonne volonté, pas les compétences, même si ce sont elles que l’amour mettra en œuvre. Cet amour fraternel, pourquoi pas avec tous ? Si cette question est un prétexte pour ne faire avec personne, c’est qu’elle vient du diable. Et celui qui aime ses frères et sœurs chrétiens ne se pose pas la question du « jusqu’où ? », pas plus que le Samaritain ne se la posait à propos du blessé du bord de la route ! Dans ma tranquillité de chrétien, dans ma certitude d’être aimé, sauvé, guidé par Dieu, dans ma conscience que si je ne l’avais pas, lui, alors je serais mort dès maintenant et à jamais, oui, dans cette humilité active, je puis aimer ceux qui me sont donnés comme famille, et chanter avec eux les louanges non pas de mes propres œuvres ou de celles d’Untel ou Unetelle, mais les louanges du seul Dieu éternellement vivant et qui fait vivre. Et même certains frères, certaines sœurs, que je connais par réputation ou par fréquentation, peuvent m’y être de bons témoins, de bons exemples : ils ne seront jamais que des doigts pointés vers le soleil qui les a illuminés comme il m’illumine moi aussi et vous aussi, dès lors que nous ne nous cachons pas au fin fond des bois ou au fin fond de nos maisons. Alors, comme disait Paul, « Ne nous lassons pas de faire le bien. » Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  9 septembre 2018

 

Contact