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Apocalypse de Jean 1 / 4-8
Partage
texte : Apocalypse de Jean, 1 / 4-8 (trad. d’après la Bible à la colombe)
premières lectures : Premier livre des Rois, 8 / 22-28 ; Actes des Apôtres, 1 / 3-11
chants : 14-11 et 36-24
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« Mais quoi ! Dieu habiterait-il véritablement sur la terre ? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent te contenir : combien moins cette maison que je t’ai bâtie ! » Amen ! Rien ni personne, pas même l’Église, ne peut contenir le vrai Dieu, si radicalement différent de tout ce que nous pouvons imaginer ou connaître. Et tout ce que nous en faisons, tout ce que nous faisons pour lui, ne peut ressortir que d’une seule catégorie : celle de l’idole ! À n’en pas douter Salomon était un bon protestant réformé – en tout cas dans le passage du livre des Rois que nous avons entendu… Pour le reste, il s’est effectivement complu dans l’idolâtrie et ne s’est confié qu’en ses propres armes, ses propres œuvres… Les Réformés courent-ils eux aussi ce risque ? Je n’en dirai rien ce matin…
Jean, le Voyant de Patmos, nous laisse entendre autre chose. Car depuis Salomon, eh bien le Dieu que rien ni personne ne peut enclore s’est tout entier livré aux humains dans la personne de Jésus-Christ. Et si vous vous rappelez les récits évangéliques du baptême de Jésus au Jourdain, vous savez qu’en lui et pour lui, le ciel s’est ouvert, le firmament s’est déchiré, et qu’avec Jésus c’est bien le ciel qui est maintenant sur terre, seulement en Jésus, mais pleinement en lui. Le livre de l’Apocalypse montre-t-il le ciel vu de la terre ? Ne montre-t-il pas plutôt « la terre vue du ciel », bien avant Yann Arthus-Bertrand et bien autrement que lui ? Oui, il nous montre ce que Dieu fait parmi nous, il le dit, le chante, le proclame, comme nous-mêmes l’avons fait tout à l’heure. Et si « les sept esprits sont devant le trône » divin, qui sont les esprits des sept Églises, c’est donc qu’en Jésus Dieu règne sur la terre, là où sont dressées les Églises – et pas seulement dans l’ancienne province d’Asie ! Si aujourd’hui vous entendez la Parole du Seigneur Dieu Tout-puissant, alors c’est qu’aujourd’hui ici-même vous êtes Église, et que donc vous êtes « devant le trône » de Dieu. En avez-vous conscience ? Vous le savez pourtant que « là où deux ou trois sont réunis en mon Nom, [Jésus est] au milieu d’eux ». (Matth. 18 / 20) Et là où est Jésus, là est le trône de Dieu, le lieu de sa Présence, là-même où se tenait Salomon.
Comment est-il possible, me direz-vous, que dans la misère ou la vanité de nos existences, nous soyons en présence du Tout-puissant ? Qui est ce Jésus qui nous rend présent le Père (Jean 14 / 9) ? Avec le Credo, vous pouvez bien sûr décliner les différentes étapes de sa venue parmi nous, à la manière de Saint Luc. Mais si vous vous en contentez, n’importe qui pourra vous demander, comme Luther le faisait aux enfants dans son Petit catéchisme : « et alors, ça vous fait quoi… ? » D’ailleurs, c’est bien notre actualité, l’actualité de notre témoignage, la grande question que nous ne pouvons plus éviter : « croire en Jésus, ça vous fait quoi ? – B’en… rien… juste nous attendons la mort… » Comment voudrions-nous qu’une telle religion intéresse et motive d’autres gens ? Le message d’ouverture de Saint Jean dans son livre nous fait entendre et confesser autre chose, ou plutôt : autrement. Jésus est celui « qui nous aime et qui nous a délivrés de nos péchés par son sang » ! Voilà le produit du ciel sur la terre : un amour divin qui m’a atteint non pas en théorie ni en mythologie mais en réalité ; qui m’a atteint corps et âme dans le concret de mon existence. Sinon, ce n’est pas de l’amour ! Et ce que cet amour a opéré, c’est ma délivrance…
Fallait-il donc que je sois délivré ? Oui, délivré de moi, délivré de tous les sujets de mes verbes qui ne sont pas Dieu. Chaque fois que je dis « je », « il », « eux », etc., comme sujets de ma vie, alors c’est de l’idolâtrie, c’est de la possession, c’est de l’enfermement. Parfois j’en ai bien conscience, voire cruellement conscience. Mais souvent je ne m’en rends même pas compte. Et ce n’est que lorsque la porte est enfin ouverte que je réalise qu’une porte était là, qu’elle était fermée, et que je tournais en rond à cause de cela. Après tout, quant à moi, mes prisons sont assez confortables, même si je sais bien que ce n’est pas le cas de tout le monde. Et parfois la liberté me serait bien plus difficile… C’est bien pourquoi Jésus ne m’a pas laissé le choix, il s’est révélé à moi comme celui qui « ouvre, et personne ne fermera » (Apoc. 3 / 7). Alors mon péché m’est apparu pour ce qu’il était, au moment-même où j’en ai été délivré. Oh, le cadavre est toujours là dans un coin, il me faudrait encore nettoyer la pièce, ou plutôt en sortir ! Parfois même j’ai l’impression qu’il est vivant, mais c’est une illusion, c’est l’Accusateur qui s’amuse à mes dépens, mais il est menteur par profession. Je ne l’écouterai plus !
Car c’est bien de « mes péchés » que Jésus m’a délivré, c’est-à-dire de tout ce qui en moi s’oppose à Dieu et à son amour. Et Jésus n’a pas agité une baguette magique ni fait un truc quelconque dans un quelconque temple, non : il a donné sa vie, il a donné sa vie pour moi ! Ce n’est pas pour rien que Jean ouvre ce livre ainsi, en nommant ainsi celui qui est Seigneur et Sauveur non pas en théorie et en doctrine, mais en réalité et en relation. Sa seigneurie va sans doute bien au-delà de cela, mais nous n’en avons conscience que par ce biais : pour nous, Jésus est Seigneur parce qu’il est Sauveur, parce qu’ « il nous a délivrés ». En fait, nous ne connaissons Dieu que dans ses délivrances, et toute la Bible ne fait que les rappeler, jusqu’à leur sommet, leur sceau, qui est la mort victorieuse de Jésus. De l’alpha à l’oméga de la Bible, de la première à la dernière ligne, il n’est pas question de théologie, mais de salut, de notre salut à vous et moi et à tant d’autres.
Or la phrase de l’auteur du livre ne s’arrête pas en plein milieu ! Délivrés par sa mort, Jésus « a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour son Dieu et Père. » C’est-à-dire que non seulement nous avons été délivrés, mais aussi nous avons été changés, nous avons reçu vocation, une nouvelle fonction aussi dans le monde, dans ce monde nouveau où ciel et terre se sont rencontrés. Nous avons été faits rois et prêtres, tels que Dieu nous voulait depuis toujours, mais nous étions empêchés d’assumer ce rôle par notre propre péché, par notre hubris, parce que nous avons voulu arracher pour nous-mêmes ce qui nous était offert pour Dieu et pour les autres. Alors nous étions devenus esclaves, notre monde était devenu Égypte. Soumis ou rebelles, nous étions esclaves de la politique et de la religion, de la société et de notre psychologie, de nos peurs et de nos fanfaronnades. Mais désormais, quand bien même nous ne le voyons pas, nous régnons, et ce règne s’exerce, comme il se doit, au bénéfice des autres : le roi est serviteur, Jésus roi nous l’a montré, et nous n’avons qu’à le suivre sur ce chemin !
Ainsi, comme sa mort nous a délivrés, notre vie peut et doit servir à la délivrance du monde, afin que « le trône de Dieu et de l’Agneau » (Apoc. 22 / 3) se voie ici-bas. Notre vie, notre liberté, notre règne, sont le témoignage que nous rendons à la victoire du Christ. Nous pouvons donc aimer sans slogans, servir sans y être pris en photo, délivrer sans juger. En fait, quant à nous, nous n’avons besoin de rien d’autre que ce que Jésus a fait pour nous, nous sommes donc libres de tout. Comme l’apôtre Paul l’écrivait aux Romains : « ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres. » (Rom. 13 / 8) C’est bien en ceci que consiste notre sacerdoce, et il nous concerne tous. Nos théologiens appellent ceci le « sacerdoce universel des croyants ». Ce n’est pas un principe de fonctionnement de l’Église, mais une définition de ce que nous sommes tous, les uns pour les autres, et pour tous les autres. Chacun d’entre nous, comme nous tous ensemble d’ailleurs, nous sommes à même de louer Dieu au nom de tous, et de le prier pour tous, de les porter tous devant lui et de les aimer tous en son nom.
Comme le diraient les catholiques – mais ils y mettent un autre contenu – nous sommes « prêtres pour le monde ». Nous, pas seulement les pasteurs, ou les conseillers, ou les diacres, ou je ne sais pas qui… Chaque baptisé pour qui Christ est mort est un prêtre du Christ, un prêtre de Dieu au cœur du monde, exactement là où Dieu l’a placé ou envoyé. Par image et anticipation, notre sacerdoce transforme ce monde en un temple où Dieu est reconnu, servi et honoré. Et je le redis, mais vous le savez bien, le mode ordinaire et extraordinaire de ce sacerdoce, c’est l’amour mutuel, c’est le service des petits. Nous, nous n’y gagnons rien ; nous n’y perdons rien non plus, puisqu’en Christ nous avons tout ! Nous n’y gagnons rien, mais nous faisons ce que nous avons à faire. Et peut-être d’autres y gagnent-ils un peu… Puissent-ils alors y voir la main de Dieu et non la nôtre !
Nous avons commencé notre culte tout à l’heure par un grand moment de louange, comme pour nous associer à la liturgie céleste et au chant des anciens et des martyrs que l’Apocalypse nous laisse entrevoir. Mais cette liturgie céleste se vit sur la terre, dans la foi au Fils unique de Dieu. Et si cela nous fait du bien de chanter, la réalité de notre culte n’est pas dans le chant ni dans la prédication, mais sa liturgie se déroule lorsque notre vie libérée devient elle-même chant de louange, et lorsque la prédication de l’Évangile prend corps dans nos relations humaines. C’est alors que nous sommes prêtres, et c’est alors que nous régnons. Cela ne saurait tarder d’ailleurs : « Voici qu’il vient avec les nuées. Tout œil le verra… » Chers frères et sœurs, le chef de l’Église vous appelle au témoignage par l’amour, un amour qui ne se tait pas, une parole qui agit concrètement. Il a donné sa vie pour vous, il a donné sa vie pour ça, il vous a donné sa vie pour que vous la viviez ensemble et pour les autres, afin que le monde croie, afin que le monde commence à voir. Ne négligez pas ce travail, c’est le seul qui compte. C’est ainsi que vous rendez gloire à Dieu. Amen.
La Bresse, Vieille ferme du Brabant – David Mitrani – 10 mai 2018