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Jérémie 9 / 22-23
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texte : Jérémie, 9 / 22-23 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Évangile selon Marc, 8 / 31-38 ; première épître aux Corinthiens, 9 / 19-23
chants : 36-02 et 36-04 (Alléluia)
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« Que donnerais[-je] en échange de ma vie ? » Faut-il donc que, pour sauver ma vie, je sois parmi les plus sages, les plus forts, les plus riches ? Pour que les autres puissent sauver leur vie, faut-il donc que, moi qui suis sage, fort et riche, je leur donne de ma sagesse, de ma force, de ma richesse ? Faut-il que je partage pour les sauver eux et moi ? Voici donc la bonne morale d’un Occident qui fut chrétien – en tout cas l’a-t-il cru… et au nom de laquelle nous avons encore souvent un regard tout à fait paternaliste à l’égard d’autres gens – dont certains pourtant vivent ou viennent de pays où l’Évangile est largement plus pratiqué, vécu, diffusé, que chez nous… En quoi consiste donc ma sagesse, ma force, ma richesse, que je me dise que je doive les partager sans pour autant rien en perdre ? Et quand je dis « je », je pourrais dire « nous », que ce collectif soit ecclésial, national ou culturel.
Bien sûr, vous entendez bien – j’espère – que toutes ces questions sont mal posées. Ces « pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Suis-je sage, ma sagesse n’est pas forcément celle de mon voisin ! Les débats qui ont eu lieu au Conseil presbytéral hier matin en sont une preuve de plus, s’il en fallait une : nous ne sommes pas d’accord déjà entre nous sur un certain nombre de grands sujets d’actualité, alors lequel d’entre nous se prendrait pour plus sage que les autres, trouverait sa propre idéologie meilleure, au point de considérer les autres comme des insensés ? Car c’est bien toujours ainsi que ça se passe : mon idée est meilleure, mon choix, ma pratique, et donc cela signifie que les autres sont moins sages, plus insensés que moi, c’est qu’ils se laissent fourvoyer par des porteurs d’idées fausses, des idéologues de mensonge, etc. C’est ma propre sagesse – et la haute idée que j’en ai – qui me font regarder les autres comme plus fous que moi ! Et si je suis un brin humaniste, alors je vais devoir porter ma vérité et mes valeurs, dont je crois qu’elles sont la vérité, les valeurs universelles, vers ceux qui ne les ont pas. En ont-ils d’autres, que je gagnerais peut-être à connaître ? Je n’en ai cure…
Oui, ainsi en est-il de la nature humaine, où chacun se croit toujours meilleur que les autres, en tout cas plus sage. Comme vous et moi, l’apôtre Paul n’y a pas échappé. Encore cela ne l’a-t-il pas empêché d’agir sans en tenir compte, « [se faisant] tout à tous afin d’en sauver de toute manière quelques-uns », écrivait-il. Car il existe une vérité, une valeur, un impératif, supérieurs à toutes les sagesses, tous les pouvoirs, toutes les morales, toutes les richesses de quelque ordre qu’elles soient : l’Évangile de Jésus-Christ. Et c’est de lui seul que dépend le salut, des autres et de moi-même. Les textes bibliques montrent à l’envi que celui qui est sage, s’il n’a pas l’Évangile, n’est rien ; que celui qui est fort, si c’est de sa propre force et non de celle de Dieu, n’est que poussière et vanité ; que celui qui est riche de lui-même ou de ses œuvres ne possède plus alors que ce qu’il va perdre, irrémédiablement perdre. Sagesse, force et richesse se retrouvent toujours dans le néant du tombeau, relisez l’Ecclésiaste…
Mais alors, si je ne partage pas ce dont je viens dire que c’était des vanités, « qui peut être sauvé ? » (Marc 10 / 26) La réponse à cette question des disciples après le départ du « jeune homme riche », vous la connaissez : « Cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu. » (v. 27) Ce qui rejoint totalement nos textes de ce matin. Ma sagesse, ma force, ma richesse, et celles de la société ou de l’Église qui sont miennes, cela n’est rien, si ça prend la place de Dieu ; cela n’est rien, si ça prétend sauver le monde ; cela n’a pas de valeur pour aider et sauver qui que ce soit. Voilà qui est dur à entendre et qui va à rebours de nos sentiments humanistes et de la propagande culpabilisante des media. On nous a appris que, lorsque quelqu’un a faim, il ne s’agit pas de lui donner du poisson, mais qu’il faut lui apprendre à pêcher. Certes. Mais ce n’est que remplacer la richesse par la sagesse, en gardant le pouvoir. Ce que je sais pour moi-même et que je vous partage maintenant, c’est que, si j’ai faim, ce n’est ni de poisson ni de l’art de pêcher que j’ai besoin, mais de Jésus-Christ. Et c’est seulement si l’on me donne Jésus-Christ que je profiterai aussi du poisson et du filet de pêche !
Comme Paul l’écrivait quelque part : « Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. » (Phil. 1 / 21) Oserais-je donc dire qu’il vaut mieux mourir chrétien que vivre sans Christ ? Cela dût-il heurter vos oreilles et plus que ça, je le confirmerais néanmoins, pour moi bien sûr : quel droit aurais-je de le dire pour quelqu’un d’autre ? Pour moi donc, certes ma sagesse, ma petite force et ma richesse toute relative me manqueraient si je ne les avais pas, mais rien en elles ne concerne mon identité, et je serais le même si je ne les avais pas, ou bien quand, sous l’âge et la maladie, je ne les aurai plus. Je serai le même, fils de Dieu par la foi de Jésus-Christ, même débile, pauvre et malade ! En fait, même dans la mort, je serai encore le même, vivant de la vie du Christ et non de celle de mes cellules. Confesser la résurrection, c’est croire cela, et c’est en vivre effectivement, aujourd’hui. Comment témoigner de l’Évangile si pour moi Christ n’est pas premier ? Comment aimer mon prochain si je n’aime pas Dieu par-dessus tout, par-dessus tout ce à quoi je puis être par ailleurs attaché ? C’est à cause de Dieu, seulement à cause de lui, que je puis supporter les autres, remettre à qui me doit, demander pardon à qui j’ai fait tort, me débarrasser de ce dont un autre a besoin, etc. Je ne puis être frère que si Dieu est mon Père. Les autres raisons alléguées ne pèsent rien.
Dans la prophétie de Jérémie que je vous propose depuis tout à l’heure, et que vous avez sous les yeux, le parallèle qui y est établi est intéressant : si les attributs humains qui sont dénoncés comme ne pesant rien – sagesse, force, richesse – sont au début, les attributs divins arrivent à la fin comme pour les remplacer – « la bienveillance, le droit et la justice sur la terre. » Je dis bien : les attributs divins, et non pas humains. Le texte du prophète ne nous dit pas ici : exercez ces valeurs-ci à la place des vôtres. Il nous dit que c’est Dieu « qui [les] exerce ». Parce que « cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu. » Il ne s’agit donc pas pour nous de devenir meilleurs, mais de laisser Dieu agir.
J’en entends quelques-uns qui se disent : « donc croisons les bras, ne faisons plus rien, laissons mourir les gens, quel drôle d’Évangile ». Évidemment, ce n’est pas ça. Le même texte dit que Dieu « prend plaisir » à « [l’exercice] de la bienveillance, du droit et de la justice sur la terre. » Il ne s’agit pas de se croiser les bras en profitant de ce qu’on a – encore qu’il serait bien de penser à en rendre grâces à Dieu ! Mais ayant ou n’ayant pas la sagesse, la force et la richesse, il s’agit pour qui reçoit cette prophétie, cette parole de Dieu, de laisser en lui la première place à l’action de Dieu. Dieu agit, et ce qu’il nous demande ici, c’est de le laisser agir en nous et à travers nous – nous comme personnes chrétiennes et nous comme Église chrétienne. Dieu veut prendre la direction de nos existences et de nos communautés, afin que par nous il puisse exercer ces valeurs qui sont contraires au fonctionnement du monde : « bienveillance, droit et justice sur la terre. » Ainsi c’est lui qui partagera la richesse, en nous dépouillant si besoin, en nous enrichissant si besoin – mais pas forcément des richesses que nous aimerions acquérir. C’est lui qui, nous poussant et nous malmenant, nous convainquant ou nous obligeant, c’est lui qui fera de nous autres, les uns avec les autres, ici et là-bas, des frères et sœurs unis en Christ et vivant les uns et les autres de ce qu’il a donné à chacun pour « l’utilité commune » (1 Cor. 12 / 7).
Oh ! Ça ne commence pas loin. Déjà entre nous, dans nos foyers, notre paroisse. Et puis entre nos paroisses de Saint-Dié et de Raon ! Mais de ceci on reparlera aux prochaines assemblées générales… On parlera cet après-midi entre ici et Haïti. On a évoqué hier au Conseil : entre nous installés ici et les migrants qui arrivent. Toutes questions difficiles : ne disons pas que c’est simple ! Mais n’arguons pas de nos sagesses, laissons Dieu nous éclairer pour ça, comme pour le reste. Tâchons d’abord de connaître et reconnaître le Dieu de Jésus-Christ qui revendique nos vies et notre Église comme siennes : abandonnons-nous à lui afin de pouvoir être avec chacun des autres comme eux. Je ne sais pas si vous le savez, mais à l’armée, un aumônier militaire – qui est donc militaire – a un grade et un rang. Son grade est fonction de son salaire. Mais son rang est toujours celui du militaire avec qui il parle : un aumônier militaire est comme un 2e classe avec un 2e classe et comme un général avec un général. Et l’apôtre Paul nous dit que, apôtre, missionnaire, il en est de même pour lui : il prend toujours le rang, le niveau, et même la sagesse, la force et la richesse, des gens au milieu de qui l’Esprit le mène – ce qui peut vouloir dire prendre leur folie, leur faiblesse, leur pauvreté…
La seule chose qu’un aumônier militaire apporte aux militaires, la seule chose qu’un missionnaire apporte aux peuples qu’il visite, c’est Jésus-Christ. C’est de laisser Jésus-Christ rencontrer les gens concernés. Et si c’est un moyen pour ce faire d’apporter nourriture, argent ou techniques, celles de chez nous, faisons-le. Et si ça n’aide pas pour la mission, ne le faisons pas. En ceci comme en tout, il n’est pas d’autre règle que le témoignage de Jésus-Christ. Or l’exercice concret de la fraternité rend témoignage à Jésus-Christ. La fraternité n’est pas la supériorité, mais de se reconnaître mutuellement comme enfants du même Père et de partager ses dons. C’est de manifester dans nos gestes, nos paroles, nos existences, en profondeur et non seulement en surface, que c’est lui qui agit, que c’est lui « qui exerce la bienveillance, le droit et la justice sur la terre. » Et il le fait ! À travers nous ou bien sans nous – et si c’est sans nous, alors tant pis pour nous, nous n’en profitons pas, nous n’y avons pas part. L’Évangile court parce que c’est l’Esprit saint qui le porte, et « il donne du pain à celui qui a faim et couvre d’un vêtement celui qui est nu. » (Éz. 18 / 16)
Une seule question demeure, sans aucun rapport avec sagesse ou morale, force ou richesse, âge ou disponibilité : sera-ce par moi, ou bien sans moi ? Serai-je de ceux par qui l’Évangile est annoncé comme une bonne nouvelle qui porte fruit ici et maintenant ? Ai-je assez conscience que Dieu est mon Père et leur Père, et qu’ainsi nous sommes frères et sœurs non pas de nature – qui s’en soucie ?! – mais à cause de Jésus ? À la différence de Caïn, Dieu a fait de nous les « gardiens de [nos] frères » (Gen. 4 / 9), nous et eux, eux et nous, au point que la différence entre eux et nous n’a pas de pertinence, pas de sens. Vivrons-nous ensemble cet Évangile ? Amen !
Saint-Dié (Missions) – David Mitrani – 11 février 2018