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Apocalypse de Jean 1 / 9-18
Partage
texte : Apocalypse de Jean, 1 / 9-18
premières lectures : Évangile selon Matthieu, 17 / 1-9 ; deuxième épître aux Corinthiens, 4 / 6-10
chants : 34-12 et 31-09
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Ça brille comme le soleil ! Combien de gens aujourd’hui peuvent dire cela de Dieu, du Christ, de la foi, de l’Église ? Plus guère, me direz-vous, tant la sécularisation et la libre-pensée ont progressé dans notre pays, mais aussi ailleurs. C’est vrai, mais ça l’a sans doute aussi été à d’autres époques, et vraisemblablement à l’époque du Nouveau Testament, en tout cas. C’est César qui brille alors comme un soleil, dictateur militaire païen à la tête d’un empire qui ne fait alors que croître. Et quel que soit l’homme qui porte ce titre au fil du premier siècle de notre ère, que le gant soit de velours ou de crin, la main de fer n’en est pas moins là, qu’on habite la Syrie ou la Grèce, et Jean lui-même en sait quelque chose, exilé à Patmos pour avoir semé le trouble à Éphèse.
C’est donc dans un contexte guère éloigné du nôtre, en ce qui concerne le peu de prégnance de la foi biblique sur la société, que les trois textes de ce matin nous parlent de la lumière du soleil ! Dans le récit de la Transfiguration, Matthieu nous dit que le « visage [de Jésus] brillait comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. » Pour Jean dans sa vision en Esprit, ce sont les cheveux du personnage qui lui apparaît qui « étaient blancs comme laine blanche, comme neige » tandis qu’ensuite il nous dit que « son aspect était comme le soleil qui brille dans sa puissance ». Pour Paul enfin, après avoir cité l’Écriture sur « la lumière [qui] brille dans les ténèbres », il affirme que c’est « Dieu qui a brillé dans nos cœurs pour illuminer la connaissance de la gloire de Dieu sur le visage du Christ. » Dans ces versets, Dieu et le soleil sont associés – ce qui est classique dans l’Ancien Testament aussi. Quant à la lumière, on ne sait pas trop si elle éclaire celui qui la porte ou celui qui la reçoit – et le Christ est sans doute les deux, car nous, nous la recevons de lui !
Voici donc la vision de Jean bien entourée, bien informée. Laissons-nous donc éclairer, nous aussi… Mais c’est, comme Jean, par la parole qu’il convient de se laisser éclairer. Comme souvent dans les écrits bibliques placés sous l’autorité de cet apôtre, il y a une articulation entre ce qu’on entend et ce qu’on voit, un jeu d’opposition entre les deux. Ainsi, la première chose qui attire l’attention de Jean, c’est la voix. C’est le contraire de ce qui s’était passé avec Moïse et le buisson ardent – autre texte prévu pour ce matin mais que je ne vous ai pas lu (Ex. 3 / 1-10). Moïse avait été attiré par quelque chose à voir, et ensuite la parole lui avait été adressée ; la vision avait simplement attiré son attention, et puis on n’en avait plus entendu parler. Il était arrivé la même chose à Jacob dans le rêve qu’il avait eu à Béthel (Gen. 28 / 12) : l’escalier qui montait vers le ciel, puis la parole, et on n’avait plus reparlé de l’escalier…
Pour Jean, et pour nous ce matin, ce n’est pas la même chose. Car déjà nous connaissons le Dieu qui va parler, ce qui n’était le cas ni de Jacob ni de Moïse. Et Jean aussi le connaissait, puisque c’est à cause de lui qu’il a subi la persécution et l’exil. Et là où l’a conduit l’Esprit, ce qu’il va voir, il va devoir le raconter, grâce à quoi nous avons ce livre qui clôt les Écritures. Cette mission, il ne va pas la tirer du néant, ni de son propre chef, ni d’une commande de l’Église ou d’un mécène. Sa mission, il la reçoit d’une parole, et la vision qu’il va devoir écrire commence par le dévoilement de celui qui a proféré cette parole – c’est donc bien le dévoilement, la révélation de Jésus, « l’apocalypse de Jésus » (Apoc. 1 / 1), que voit et raconte Jean. Mais sans la parole initiale, pas de vision : car Jean ne se serait pas « retourné », il n’aurait rien vu, il n’y aurait pas de livre, nous ne saurions pas qui est Jésus en vérité. Puisque c’est donc bien de cela qu’il s’agit. Non pas de mettre en scène une fois de plus une parole ou un épisode de la vie de Jésus avant sa mort, manifestant combien c’était « un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple », comme le disaient les disciples sur le chemin d’Emmaüs sans reconnaître Jésus (Luc 24 / 19). Cela n’a pas d’intérêt : il est mort. Il s’agit de dire autre chose, car il est vivant !
Sur la mission de Jean je voudrais encore souligner quelque chose : c’est qu’elle concerne le monde entier, représenté par les sept Églises de la province d’Asie. Au moment où nous prions pour l’unité des chrétiens – « oikoumènè » signifie « la terre habitée » – et où nous allons avoir dans trois semaines une journée missionnaire, il n’est pas indifférent de l’entendre dans ce texte. Et de l’entendre, dit par une voix excessivement « forte, comme le son d’une trompette » ! Ce que Jean va recevoir ne le concerne pas lui, mais les autres, le monde entier. Et même si vous et moi ne sommes pas l’apôtre Jean, ce que nous recevons du Christ n’est pas non plus pour nous, mais pour que nous puissions le consigner et le transmettre à nos proches et à nos lointains. Comme je vous l’ai déjà dit, qu’ils l’acceptent ou non n’est pas notre problème. Si vous donnez un livre à quelqu’un et qu’il ne le lit pas, vous n’y pouvez rien ; mais si vous ne le donnez pas, il ne risque pas de le lire ! C’est ce que Dieu avait expliqué au prophète autrefois, faisant de lui une sentinelle (Éz. 33 / 2-7). La voix de la trompette n’est-elle pas assez forte à nos oreilles ?
Car lorsque cette voix retentit, Jean se retourne pour voir qui lui a parlé, avant-même de réaliser que c’est bien là sa mission : voir pour raconter ensuite. La Bible n’est pas la parole de Dieu, et certains l’ont lue longtemps sans rien entendre ! La lire ne suffit donc pas, encore faut-il vouloir enlever – et les enlever vraiment – les boules Quies que la société et nous-mêmes nous sommes collées au fond du cœur. Il faut alors se retourner pour voir qui parle, lorsque nous l’entendons enfin, voix de tonnerre dans la quiétude de nos existences honnêtes et tristounettes. « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! » (1 Sam. 3 / 9-10) Faire sienne cette prière, c’est accepter de faire ce que dira ce Seigneur qu’on aura finalement décidé de reconnaître et d’écouter. C’est accepter d’accomplir la mission, petite ou grande, qu’il nous confie au bénéfice des autres.
En attendant, ce que découvre Jean ne vous parle peut-être pas beaucoup, surtout si vous n’avez pas en mémoire les visions d’Ézéchiel, de Zacharie et de Daniel… Mais quand on veut raconter l’indicible, montrer l’ineffable, il faut bien utiliser les images qu’on a sous la main : c’est ce que fait Jésus avec Jean, et Jean avec nous… Regardez encore sa voix, si j’ose dire : cette fois-ci ce n’est plus la trompette, mais les « grandes eaux ». Entend-on encore sonner la trompette lorsqu’on est au bord des chutes de Niagara ou du Zambèze ? J’imagine qu’on doit avoir l’impression d’être emporté par ce bruit. Et c’est bien ce que Jean va vivre pendant 22 chapitres. Et c’est bien ce que tous les croyants peuvent vivre lorsqu’ils se laissent aller à écouter la voix du Seigneur, à travers et par-delà leur pratique religieuse.
Encore que cela puisse d’abord mettre par terre ! Jean est-il terrassé par la voix ou bien par l’éclat du soleil regardé en face ? C’est la même chose. Christ est la Parole de Dieu : entendre le Christ, c’est voir Dieu ; voir le Christ, c’est entendre Dieu. Mais cet homme dit toujours la même chose, il n’est pas différent de ce que racontent les récits évangéliques. « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est aisé, et mon fardeau léger. » (Matth. 11 / 28-30) Il n’est pas venu nous mettre par terre, mais nous relever, comme il le fait avec Jean dans notre texte. Le « n’ayez pas peur », que les journalistes attribuent à Jean-Paul II et que, depuis, tous les politiciens répètent à l’envi, nous vient de la Bible, et c’est Jésus qui le dit de la part de Dieu. « Sois sans crainte » dans la traduction de Louis Segond…
Cette simple petite phrase est extraordinairement bienfaisante, quand elle nous est dite par le Seigneur lui-même. Et dans notre texte, pas de doute : c’est bien lui, tous les attributs que la vision donne à ce personnage le révèlent pour qui il est. Je puis avoir peur de moi, je puis avoir peur des gens, je puis avoir peur de la pauvreté ou de la maladie, de la solitude ou de l’injustice. Mais sa petite phrase nous rappelle sans cesse que je ne peux pas avoir peur de lui. Et donc que c’est bête d’avoir peur de moi, et des gens, et de ci, et de mi… La vision de Jean est paradoxale, mais c’est parce que la réalité qu’il révèle l’est aussi : c’est le Tout-puissant qui nous dit de ne pas avoir peur ! C’est celui qui pourrait tout faire contre nous – qui l’aurions d’ailleurs bien mérité – qui nous dit que sa toute-puissance n’est pas de cet ordre. Sa lumière brille d’un éclat insoutenable, certes, mais c’est pour faire reculer la mort, pas pour me faire reculer, moi ! Son combat n’est pas contre moi ni contre aucun des humains pécheurs, mais contre les ténèbres, contre le péché et la mort.
Ainsi Jean nous montre-t-il Jésus comme celui qui est la puissance-même de la Vie, et qui a triomphé de la mort, non seulement la sienne – ce qui sans autre serait de la mythologie – mais aussi la nôtre, et là nous touchons à notre propre réalité concrète, au sens de notre existence, aux relations qui nous constituent, toutes ces choses qui sont abîmées par le péché et la mort, mais qui sont désormais libérées par la victoire du Christ. Devant sa lumière, notre propre réalité est atteinte. La Bible utilise parfois l’image de la purification par le feu, ce feu qui purifie le minerai et détruisant les scories (cf. 1 Pi. 1 / 7). Le sens de notre existence est changé : elle n’est plus tournée vers nous-mêmes, mais vers les autres. Les relations avec eux sont donc changées : non plus ennemis ou concurrents, mais frères et sœurs. Il y faut évidemment du temps, car même lorsque les chaînes qui nous attachaient ont disparu, leur marque dans la chair fait encore mal, et nous ne réalisons pas toujours qu’il n’y a plus de chaînes…
La gloire et la lumière de ce Seigneur victorieux pour nous de la mort – le même homme dont les évangiles nous narrent la passion, le même Dieu dont l’Ancien Testament nous révélait déjà l’amour fou pour son peuple et pour le monde entier – cette gloire et cette lumière ne sont pas contre nous, mais pour nous. Et « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rom. 8 / 31) Et si lumière et gloire sont « pour nous » au sens de « dans notre intérêt », elles sont aussi pour nous pour que nous les revêtions. « La voix des grandes eaux » vous a déshabillés de vos vêtements de misère pour vous faire revêtir la gloire du Fils unique, et non pas demain, mais aujourd’hui, « afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre corps », comme Paul l’écrivait. Regardez-vous donc désormais dans la glace non plus pour y voir la marque du péché et de la mort, mais pour y voir la gloire et la lumière du Ressuscité. « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. Écoutez-le ! » Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 21 janvier 2018