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Ésaïe 29 / 17-24
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texte : Ésaïe, 29 / 17-24 (trad. : Bible à la colombe)
autres lectures : Actes des Apôtres, 9 / 1-20 ; Évangile selon Marc, 7 / 31-37
chants : 31-30 et 35-15 (Alléluia)
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Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, lire consistait à lire à haute voix. Car d’une part tout le monde n’avait pas de livre, et on écoutait quelqu’un lire pour plusieurs. Mais d’autre part, plus important, on ne lit bien qu’avec les oreilles ! Il suffit d’ailleurs de faire lire quelqu’un à haute voix pour savoir s’il sait lire ou pas, c’est-à-dire si, au-delà de déchiffrer des lettres et des syllabes, il comprend les mots et les phrases. Votre serviteur sait lire les textes écrits en gothique, ou en hébreu, ou en grec. Pour le premier de ces alphabets, je me suis amusé à l’apprendre il y a longtemps, quant aux deux autres ils sont évidemment nécessaires pour lire la Bible dans le texte ! Et puis, ça n’est pas bien difficile. Mais savoir lire le gothique ne signifie pas savoir l’allemand, non plus que savoir lire le grec et l’hébreu n’implique de comprendre ces deux langues. Et si je lis un texte écrit dans un de ces alphabets, dans une de ces langues, ou n’importe quel texte autre que français écrit avec l’alphabet latin, vous vous apercevrez tout de suite que je ne comprends pas ce que je lis – bref : que je ne sais pas lire… J’espère que ce n’est pas le cas lorsque je vous lis du français !
Il faut « un certain temps » pour apprendre à lire, et il y faut une méthode adéquate. Personnellement je suis heureux que notre nouveau ministre de l’Éducation l’ait enfin compris, et permette à l’école de réapprendre enfin à lire à nos enfants. – Vous savez qu’en France quasiment un jeune adulte sur 4 ne sait pas lire en comprenant ce qu’il lit… – Pour lire la Bible aussi, comme pour toutes les autres sciences et connaissances, il faut du temps et de la méthode : c’est pour ça qu’il y a, ou qu’il y avait, des écoles bibliques ; c’est pour ça qu’il y a des études bibliques, et que les bibles d’aujourd’hui sont imprimées avec introductions, notes et parallèles. Les rabbins juifs orthodoxes considèrent même qu’il y faut toute la vie, en ne faisant que ça – ce qui pose d’autres problèmes, et d’autres questions… Mais nous ne sommes pas des Juifs orthodoxes ! Pour autant je vous invite à ne pas négliger ces études bibliques, où nous lisons ensemble le texte pour tâcher de comprendre ce qu’il énonce, ce qu’il suggère, quelle parole il porte pour nous aujourd’hui.
Texte. Parole. Est-ce donc la même chose ? Jamais, pour aucun texte, pour aucune parole. L’un renvoie certes à l’autre. Mais si nous pensons que la parole nous renvoie au texte, alors nous sommes des fondamentalistes et non pas des protestants. Nous sommes comme quelqu’un disant à quelqu’un d’autre : va-t’en et écris-moi donc, car je comprends mieux quand tu n’es pas là, plutôt que quand tu me parles… ! Comme si la parole n’avait d’intérêt que pour désigner un texte qui seul dirait la vérité. C’est bien sûr dans l’autre sens qu’il faut fonctionner ! C’est le texte, le livre, qui renvoie à une parole, à des paroles. Le texte est le moyen par lequel nous pouvons recevoir une parole – ou pas. Et combien souvent nous avons lu la Bible en n’y entendant aucune parole, en y apprenant peut-être des choses, mais sans que cela nous atteigne nous-mêmes ! Pour ça, la Bible n’est pas différente d’autres livres : lire en silence ne suffit pas, il faut entendre et comprendre pour ensuite recevoir.
Ésaïe nous annonce qu’il faut « un bref instant pour que le Liban se change en verger, et que le verger soit considéré comme une forêt ». Je ne connais pas le Liban ni les vergers, mais ceci m’étonnerait fort. Comme souvent dans la Bible, les images agricoles sont à prendre pour ce qu’elles montrent, c’est-à-dire non pas le cours naturel des choses, mais une intervention miraculeuse. Ce que notre texte dit d’ailleurs en parlant ensuite de « ce jour-là », ce qui dit bien non pas un processus naturel et donc plus ou moins lent, mais plutôt une intervention ponctuelle, fulgurante, et future aux yeux du prophète. Future, oui, car si les aveugles ne voient toujours pas, si les sourds n’entendent toujours pas, eh bien les humbles non plus n’ont guère de joie, ni les pauvres de confiance en Dieu, d’autant que les tyrans et les injustes dominent toujours le monde… Alors, à quoi sert ce texte, si c’est seulement pour nous dire que c’est demain qu’on rasera gratis ?
C’est que, pour nous, contrairement aux apparences, ce jour est advenu, et c’est de lui que témoigne toute la Bible. Ce jour est celui de la mort victorieuse de Jésus-Christ, jour où, comme l’écrivait Matthieu, « le voile du temple se déchira en deux du haut en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui étaient décédés ressuscitèrent. » (Matth. 27 / 51-52) Cette victoire du Christ a ouvert des portes qui étaient fermées, comme Jésus lui-même l’avait dit aux envoyés de Jean le Baptiste : « les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Matth. 11 / 5) Ceci est donc fait. Pourquoi donc ne le voyons-nous pas ? C’est que c’est nous qui sommes aveugles et sourds ! Et c’est pour nous qu’Ésaïe écrivait ! « En ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre. » Quel livre ? La Bible, bien sûr. Mais il faut dire plus…
Car l’expression « les paroles du livre », sans l’article qui serait pourtant ici nécessaire devant le mot « livre », ne se retrouve qu’en deux occasions dans ladite Bible, et il faut aller y voir pour comprendre plus. Ces deux occurrences de l’expression sont toutes deux dans le récit de la découverte d’un « livre de la Loi » dans le Temple en reconstruction de Jérusalem sous le roi Josias, avant l’Exil à Babylone. Ici, l’absence d’article est logique puisqu’il y a un complément de nom ensuite : soit justement « les paroles du livre de la loi » (2 Rois 22 / 11), soit un peu plus loin « les paroles du livre de l’alliance » (2 Rois 23 / 2). Le premier de ces versets énonce ceci : « Lorsque le roi entendit les paroles du livre de la loi, il déchira ses vêtements. » Pourquoi fait-il ce geste de repentance ? Il le dit lui-même deux versets plus loin : « Car grande est la fureur de l’Éternel. Elle s’est enflammée contre nous, parce que nos Pères n’ont pas obéi aux paroles de ce livre pour agir selon tout ce qui est écrit sur nous. » Quant au second verset, voici ce qui s’y passe : « Le roi monta à la Maison de l’Éternel, avec tous les hommes de Juda et tous les habitants de Jérusalem, les sacrificateurs, les prophètes et tout le peuple, du plus petit au plus grand. Il lut à leurs oreilles toutes les paroles du livre de l’alliance, qu’on avait trouvé dans la Maison de l’Éternel. »
Nous assistons donc à un double mouvement de la part du roi Josias. D’abord il entend « les paroles du livre » et en est intimement, profondément, touché, au point de faire passer ce qu’il a entendu avant tout le reste. Et ensuite il rassemble tout le monde : « tout le peuple, du plus petit au plus grand », pour leur faire lui-même la lecture, afin qu’eux comme lui en soient touchés, sans que cela passe par les professionnels, « sacrificateurs et prophètes », qui ne sont que des auditeurs comme les autres. S’ensuivra une alliance selon les paroles du livre… On assiste exactement au même double mouvement dans le récit de la vocation de Paul dans les Actes des Apôtres : il entend une parole qui le fait tomber et reconnaître son aveuglement, puis après l’intervention d’Ananias il se met lui-même à prêcher. Alors, Josias, puis Saint Paul… Et enfin, le sourd muet guéri par Jésus « se mit à parler correctement » après que « ses oreilles [se furent] ouvertes ». « Correctement », c’est-à-dire selon la vérité. Et lorsque Jésus demande de se taire sur ce miracle, il ne s’adresse pas à l’homme guéri, mais à la foule. Ainsi, lui aussi est rendu capable de prêcher la vérité, c’est-à-dire de faire entendre à son tour la parole qui l’a délivré et qui a délié sa langue.
Si le moindre des sourds muets rencontré par Jésus sur des routes païennes en dehors d’Israël, si même les plus petits du peuple sous Josias autrefois, si même enfin Saül le persécuteur ennemi des chrétiens, ont pu voir la vérité et se mettre à parler, c’est qu’ils avaient non pas lu un livre, mais écouté une parole qui leur était adressée personnellement. Et pour eux s’est accomplie la prophétie d’Ésaïe : « ceux dont l’esprit s’égarait acquerront de l’intelligence, et ceux qui murmuraient recevront instruction. » Et c’est alors qu’autour d’eux, on a pu remarquer que Jésus « fait tout à merveille, il fait même entendre les sourds et parler les muets. » C’était bien la prophétie ! Alors quant à nous, nous sommes invités à observer que cela se passe. Ah mais, j’oubliais : nous sommes aveugles…
Alors il nous faut lire et relire la Bible, non pas comme un livre d’histoire sur ce qui s’est passé – ça, je vous l’ai déjà dit – mais comme le livre d’une parole qui est pour vous, comme un livre qui permet aujourd’hui ce qu’il a permis autrefois. Lisez à haute voix, ou faites-vous lire par quelqu’un d’autre – et n’est-ce pas ce que fait le pasteur ou le prédicateur le dimanche, et ce que nous faisons ensemble aux études et partages bibliques ? Ouvrez les oreilles de votre cœur, mâchez et mangez cette parole, laissez-vous tomber par terre lorsque cette parole vous rencontre. Comme l’écrivait Saint Pierre : « Désirez comme des enfants nouveau-nés le lait non frelaté de la parole, afin que par lui vous croissiez pour le salut, si vous avez goûté que le Seigneur est bon. » (1 Pierre 2 / 2-3) Laissez-vous transformer par la parole entendue, laissez-vous transformer en pécheurs repentants, puis en prédicateurs, témoins de « la vérité [qui vous a] rendu libres » (Jean 8 / 32). Pour Saül il a fallu trois jours, mais pas plus. Car pour Jésus il y aura eu trois jours de la mort à la résurrection. Ou bien parce qu’il faut un avant, un pendant et un après…
Chers amis, nous ne sommes plus « avant », car l’Évangile nous a atteints, d’une façon ou d’une autre. Mais ne restons pas « pendant », attendant la fin du monde pour vivre la vie nouvelle… Car le présent n’est que le passage sans épaisseur entre avant et après. Vivons « après », vivons transformés comme en « un bref instant » par la parole, et rendus capables de la prononcer à notre tous par nos lèvres et par nos gestes. C’est une parole d’amour, c’est celle par laquelle Christ est mort pour nous afin que nous, nous vivions par lui. C’est la parole par laquelle, dans son Église, « les sourds entendent les paroles du livre ; et, délivrés de l’obscurité et des ténèbres, les yeux des aveugles voient. Les humbles ont de plus en plus de joie en l’Éternel, et les pauvres parmi les humains font du Saint d’Israël leur allégresse. Car le tyran n’est plus, le moqueur a fini, et tous ceux qui étaient à l’affût pour le mal sont retranchés… » Cette parole n’est pas pour demain, ou alors, c’est que nous sommes déjà demain ! « Cette parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » (Deut. 30 / 14)
Ne nous contentons plus de lire en silence le Livre, mais écoutons et recevons la parole que Dieu nous y adresse, et vivons-la, aujourd’hui. Amen.
Senones – David Mitrani – 3 septembre 2017