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Exode 3 / 1-10
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texte : Exode, 3 / 1-10 (trad. : Bible à la colombe)
autres lectures : Deuxième épître aux Corinthiens, 4 / 6-10 ; Évangile selon Matthieu, 17 / 1-9
chants : 21-16 et 22-08 (Alléluia)
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C’est comme dans un rêve… « La lumière brille du sein des ténèbres », comme l’apôtre Paul le rappelait dans sa lettre en évoquant la Genèse (1 / 3). Et voilà le visage de Jésus illuminé. Et voici le buisson en feu qui ne se consume pas. C’est comme dans un rêve. Et ça, ça me rappelle le psaume 126. C’est un « cantique des montées », un chant pour « s’avancer vers l’autel de Dieu » (Ps. 43 / 4), le Temple de Jérusalem. Et puis, chanter la louange du Dieu vainqueur, n’est-ce pas s’avancer comme dans un rêve ? Rappelez-vous :
Quand l’Éternel ramena les captifs de Sion, Nous étions comme ceux qui font un rêve.
Alors notre bouche riait de joie, Et notre langue poussait des cris de triomphe ;
Alors on disait parmi les nations : “L’Éternel a fait pour eux de grandes choses !”
L’Éternel a fait pour nous de grandes choses ; Nous sommes dans la joie.
Éternel, ramène nos captifs Comme des torrents dans le Néguev.
Ceux qui sèment avec larmes Moissonneront avec cris de triomphe.
Celui qui s’en va en pleurant, quand il porte la semence à répandre,
S’en revient avec cris de triomphe, quand il porte ses gerbes.
Le rêve, lorsqu’il se termine, comme au milieu de ce psaume, se transforme en prière, et la prière en projet de vie, et ce projet en espérance. C’est alors qu’on peut marcher, c’est alors qu’on peut vraiment « monter ». À quoi donc Moïse rêvait-il en « faisant paître le troupeau de son beau-père » ? À quoi rêvez-vous dans vos propres activités, lorsque vous faites ce que vous devez, ce qu’il faut bien faire, ce même pour quoi vous ne vous posez pas de question ? Rêves altruistes, humanistes, de paix, de justice et de fraternité ? Ou bien rêves de développement personnel, de bonheur à votre portée, de meilleure santé, voire de guérison ou de résurrection ? Moïse pensait-il à son troupeau, à ses brebis, à son beau-père, au sacerdoce que celui-ci exerçait ? Rêvait-il au Dieu de son beau-père, dont la Bible ne nous dit rien ? Rêvait-il à ses enfants, ou bien à se retraite ? (Il avait quand même 80 ans !) Rêvait-il à son peuple qu’il avait abandonné 40 ans auparavant ? Regrets ou espoirs… ?
« L’Ange de l’Éternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson. » Comme dans un rêve. « Spectacle extraordinaire », se dit Moïse. Moïse a besoin de rêver, comme vous, comme moi. Et Dieu le sait ! Dans la vie de tous les jours, « personne n’a jamais vu Dieu » (Jean 1 / 18). Comment donc Dieu peut-il parler à quelqu’un en se faisant reconnaître ? Comment entendre Dieu parler sans que ce soit une bien nommée « vue de l’esprit » ? Comment faire la différence entre ce que produit mon cerveau et / ou mon existence, et le vrai Dieu que je ne connais pas, que personne ne peut me décrire, dont je ne sais même pas s’il parle ni comment ? Car Moïse n’avait pas de Bible, n’est-ce pas… Nous, nous en avons une, même si très souvent nous ne savons pas nous en servir ! Mais lui ?
Rêve pour rêve… ! Pour parler à Jacob, Dieu lui montrera une pyramide à degrés, avec son escalier qui montait vers le temple situé au sommet (Gen. 28 / 12-13). Pour Moïse, Dieu aurait pu lui montrer… un veau d’or ? Non, trop dangereux. Un veau d’or, c’est quelque chose qu’on peut se fabriquer (Exode 32 / 4), une statue, une image, une projection de mes fantasmes que je peux objectiver, placer devant moi et me prosterner devant. Alors, je m’enfermerais dans cette projection, je m’enfermerais dans moi, et je n’aurais plus aucun moyen de m’ouvrir aux autres ou d’entendre le vrai Dieu me parler. Ce n’est pas pour rien que la Bible condamne aussi fermement l’idolâtrie, l’image qui empêche de rêver. Non. Il faut un « truc » improbable, impossible à refaire, à fabriquer. Quelque chose qui attire l’attention, qui fasse poser question, qui dise une altérité radicale.
Alors, oui, pourquoi pas ça ? « Le buisson était tout en feu, mais que le buisson ne se consumait pas. » Étonnant. Le feu, lumière et chaleur, « lumière [qui] brille du sein des ténèbres ». Mais aussi le feu dévorant, purificateur, dangereux pour tout ce qui en moi n’est pas métal précieux, mais scories de terre et de métal vil… D’ailleurs, la lumière éclairante, comme le feu purificateur, disent le jugement. Jugement de quoi ? De ma vie, bien sûr, hélas… Le feu qui apparaît signifierait-il autre chose ? Pour Moïse, quelle condamnation ? De ses 40 premières années comme « prince d’Égypte » ? Du meurtre commis alors ? Des 40 années suivantes loin de son peuple, dans la tranquillité de la famille de Jéthro ? La voix qui va parler ne va rien en dire. Le feu ne consume pas le buisson, mais le feu a dévoré et la faute et la culpabilité. Le passé de Moïse est comme effacé – pas sa famille, pas non plus son foyer, mais ce qui le définissait, lui, jusqu’à maintenant. Le feu signifie donc du nouveau : non pas de la destruction, mais un renouvellement. Faute et culpabilité, disais-je, sont consumées, mais pas Moïse lui-même.
« Pourquoi le buisson ne brûle[-t-il] pas » ? Pourquoi le feu ne me détruit-il pas, alors que je le mériterais ? Qu’est-ce qui est donc présent dans ce feu, pour qu’il me conserve en vie au lieu de me payer le salaire de ce que j’ai fait ? Mais le feu n’est pas passif. Une voix appelle, elle convoque : « Moïse ! Moïse ! » Le rêve devient réalité. Je suis appelé hors de mon propre rêve. Jacob n’avait fait que rêver, Moïse, lui, n’a pas cette liberté illusoire. Il est rappelé à la réalité, il lui faut répondre. Mais il ne sait pas à qui. Et il ne sait pas de quoi. N’avez-vous jamais entendu cette voix, qui ne se préoccupe plus de vos fautes, qui ne se préoccupe même plus de votre culpabilité, mais qui vous appelle de manière si impérative que vous ne pouvez pas faire autrement que de répondre « me voici » en vous avançant ? Et c’est en vous avançant que vous découvrez alors que « l’endroit sur lequel [vous vous tenez] est une terre sainte. » C’est-à-dire que vous réalisez que cette voix ne vient pas de vous, qu’elle n’est pas dans votre rêve, que le feu n’a plus d’importance lui non plus, que seule compte cette voix, que seul compte celui qui s’adresse maintenant à vous, comme Jésus dira « Marie » à une femme dans un cimetière un jour… (Jean 20 / 16)
Et du coup, cette lumière qui brille au point de vous aveugler, que vous n’arrivez plus à regarder, que votre regard est de toute façon infirme à saisir, cette lumière, c’est dans vos ténèbres à vous qu’elle luit désormais. Et elle n’est pas une image, vous ouvririez les yeux que vous ne verriez rien, que vous ne pourriez rien en décrire (2 Cor. 12 / 1-4). Mais vous les gardez fermés, pour mieux entendre cette parole adressée à vous, à personne d’autre. Cette parole, elle, a vu… Elle a vu ce que vous n’avez pas vu, trop préoccupés de vous-mêmes que vous étiez. Elle a vu la détresse, et elle vous envoie. Vocation de Moïse. Je ne suis pas Moïse. Vous n’êtes pas Moïse. Chacun de nous, s’il se tait, s’il s’avance près du buisson qui brûle sans se consumer, chacun peut s’entendre appeler de son propre nom. La tombe n’a pas consumé Jésus, et il a appelé Marie et il l’a envoyée (Jean 20 / 17). Ce que les trois apôtres ont rêvé sur la montagne de la Transfiguration, Jésus l’a fait. Jésus le fait. Pour chacun. Il est, lui, le buisson ardent, il est « la lumière véritable qui éclaire tout être humain en venant dans le monde. » (Jean 1 / 9)
« Tout être humain », c’est-à-dire aussi vous et moi, et les autres. Et voilà l’enjeu du buisson ardent : il y a trois « partenaires » dans cette histoire. Il y a celui qui parle, il y a celui qui écoute, et il y a ceux dont le premier parle. Il y a Dieu, Moïse et les Israélites. Ou si vous voulez, il y a Jésus, chacun de nous, et ceux vers qui il nous envoie, et qui ne sont dans aucune église, dans aucun temple, seulement en Égypte… Son troupeau à lui – pas celui de Jéthro, pas le nôtre non plus, et sur lequel nous ne pourrons mettre aucune étiquette, ni politique ni ecclésiastique ni nationale ni quoi que ce soit. Bien sûr il y a « des Cananéens, des Hittites, des Amorites », etc. Qui niera les identités des gens ? Bien sûr il y a des catholiques, des luthériens, des réformés, des pentecôtistes, etc. Sauf que, de la place du buisson ardent, il ne vient pas une justification de ces identités, ni d’ailleurs une condamnation : la voix qui s’exprime n’en a rien à faire. Il ne vient qu’une détresse : « j’ai bien vu la misère de mon peuple », une bonne nouvelle que nous appelons l’Évangile : « je suis descendu pour le délivrer », et une mission : « maintenant, va, je t’envoie… »
Ainsi, Moïse n’est rien – il sera condamné à ne pas entrer dans la Terre promise pour avoir cru qu’il était quelque chose (Nombres 20 / 12) – mais sa mission est nécessaire. C’est bien pour ça qu’il aura beau essayer de résister, Dieu l’enverra quand même. Et qui sait, mon frère, ma sœur, si la tienne, de mission, n’est pas tout aussi nécessaire ? Te prendrais-tu pour Moïse rebelle en prétendant juger du projet de Dieu pour toi ? « Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. » (Luc 17 / 10) La voix que tu entends quand tu cesses de regarder le buisson n’admet pas de refus. « Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. » (Rom. 8 / 30) Ainsi la voix sortie d’un rêve nous renvoie dans un rêve, mais un autre : la promesse de la gloire du Fils unique, pour nous qui ne sommes rien, mais que Dieu a choisis. Et le moyen de son choix, de son appel, c’est cette voix hors de nos rêves, c’est cette parole par laquelle Jésus-Christ crucifié nous nomme et nous envoie.
Le dialogue entre Dieu et Moïse après le buisson n’est rien d’autre que ce que nous pouvons vivre dans la prière : non pas notre demande, nos soucis, en vue de notre exaucement, mais bien la demande de Dieu à notre égard, et l’impossibilité de ne pas l’exaucer. Lorsque Dieu requiert quelqu’un, celui-ci ou celle-ci y va, tout comme fit une autre Marie, jeune fille qui dit oui à un ange il y a quelques 2.017 années : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole. » (Luc 1 / 38) Dieu a fait de nous son Église en Jésus-Christ. « Église », ça veut dire qu’on répond à une convocation. Pas une invitation. Pas un conseil. Pas une proposition de sens. Pas une lamentation sur nous-mêmes. Un ordre. Un ordre de marche. Mais Jésus nous dit : « Levez-vous, soyez sans crainte ! » Soyez donc attentifs aux buissons embrasés qui ne se consument pas, que vous risquez de croiser sur vos routes. Approchez-vous-en, comme d’une bible ouverte, et écoutez ce qu’une voix a à vous dire… Et faites-le. Amen.
Senones – David Mitrani – 5 février 2017