Évangile selon Jean 21 / 13-24

 

texte :  Évangile selon Jean, 21 / 13-24   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Épître aux Éphésiens, 6 / 10-17 ; deuxième aux Corinthiens, 12 / 1-11a

chants :  45-21 et 33-20  (Alléluia)

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« Suis-moi ! » C’est l’invitation – ou l’ordre – du Christ à la plupart des gens qu’il rencontre et qu’il appelle : c’est à le suivre qu’il les appelle, c’est à le suivre qu’il nous appelle. Sans doute cela se traduit-il de manière plus personnelle pour chacun de nous : tout le monde n’est pas appelé à le suivre de la même façon ! Dans la méditation et le recueillement, dans la lecture de la Bible et la participation au repas du Seigneur, chacun peut laisser le Saint Esprit de Dieu lui traduire cet ordre de Jésus pour sa propre existence, pour son actualité immédiate aussi. Mais si nous traduisons cette invitation au mouvement comme si c’était une invitation à ne pas bouger, à ne rien changer, alors assurément ce serait une vraie trahison, ce serait prendre la justification de notre envie de tranquillité ou de notre peur pour un commandement du Seigneur ; à vrai dire, ce serait un pur blasphème… Car Jésus nous appelle à le suivre, pas à rester là où nous en sommes.

 

Dans le premier texte, en fait parmi les trois le seul texte du jour de la liste que j’utilise d’habitude, l’apôtre Paul nous indique des moyens de cette suivance, des moyens « militaires », « toutes les armes de Dieu » : « ceinturon, cuirasse, chaussures, bouclier, casque, épée », tout un arsenal de fantassin ! Ensemble, nous sommes donc toute une « Armée du salut » dont les moyens de lutte et de protection sont spirituels, bien sûr : « la vérité, la justice, les bonnes dispositions que donne l’Évangile de paix, la foi, le salut, l’Esprit, la Parole de Dieu » … Celui qui croirait qu’un fusil, une loi, un bulletin de vote, police, armée, prison, sont de meilleurs moyens, commettrait le même péché, la même erreur de jugement, que Salomon et tous ses successeurs : se confier en sa propre force plutôt que dans le Seigneur ! Ça ne marche pas…

 

Alors, suivre Jésus ? Mais avant-même que de vouloir comprendre en quoi ça consiste, nous y avons une ferme opposition, et le motif qui revient, dans la bouche de Moïse ou de Jérémie comme de chacun de nous, c’est quelque chose du style « je n’en suis pas digne » ou « je n’en suis pas capable ». Après, on module ce refus selon les circonstances : trop vieux, trop jeune, trop occupé, pas assez formé, etc. C’était aussi, sur un autre mode, le cas de Paul, comme vous l’avez entendu dans le second texte : « Il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter, pour que je ne sois pas enflé d’orgueil. Trois fois j’ai supplié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit : ‹ Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. › » Bien sûr, Paul n’essayait pas de se soustraire à la tâche qui lui était demandée. Mais il voyait bien en lui ce qui s’opposait à son accomplissement. Il reçut comme encouragement une fin de non-recevoir. L’argument est rejeté par le Seigneur comme irrecevable. Tous les arguments qui s’opposent à l’ordre de mission sont et seront toujours ainsi rejetés par le Seigneur. Comment celui qui a assumé la plus totale et radicale des faiblesses : la mort, pourrait-il recevoir les arguments bien moins puissants qui sont les nôtres ?

 

D’ailleurs, dans le texte de Jean que je vous ai lu en dernier, la mort de Jésus est bien au centre. Il vient d’apparaître à ses disciples en train de pêcher, lui au bord du lac. Mais pourtant il est mort ! Il faut même qu’il mange devant eux pour leur prouver qu’il n’est pas un fantôme. Ils l’avaient déjà vu, mais il n’y a rien à faire, le fait de sa résurrection ne rentre pas dans leur tête ! Trois fois, il leur est apparu vivant depuis sa mort. Tout comme trois fois Paul aura prié d’être débarrassé de ce qui l’empêche à ses yeux d’être un meilleur apôtre. Et trois fois maintenant Jésus va s’adresser à Pierre, qui l’a renié déjà trois fois pendant le procès… (Jean 18 / 17. 25-27) Trois fois : autant dire toujours. Combien de fois en effet n’avons-nous pas communié au Christ vivant en prenant pain et vin depuis que nous sommes devenus chrétiens ? Et pourtant… qui ne serait pas surpris de voir Jésus en chair et en os ?! Trois fois, ou toujours, nous disons au Seigneur que nous ne sommes pas capables… et lui s’en moque, il continue à nous dire d’y aller, à nous dire de le suivre. Comme au jeune homme riche (Marc 10 / 21-22), mais qui, lui, « avait de grands biens », avait les moyens humains de suivre, et ces mêmes moyens l’en ont empêché !

 

Pierre, quant à lui, a perdu tous ses moyens : il a renié Jésus devant ses accusateurs, il a perdu toute dignité, tout droit à être apôtre, et à plus forte raison à diriger les autres ! Pierre est non seulement faible et sans moyens, mais il est indigne de la charge. Il est « trois fois » indigne… Et Jésus, pourtant, de s’adresser de nouveau à lui, non pas en tant que « Pierre » qui s’est avéré n’être qu’un caillou qu’on bouscule tellement facilement du bout du pied… mais en tant que « Simon fils de Jonas », fils de la colombe qui vole au-dessus de l’eau, fils du baptême qui en a fait à jamais un enfant du Père, un frère de Jésus. « Simon », celui qui entend… Et à nouveau, trois fois, Jésus lui parle. Ne vous faites pas d’illusion, même si la traduction française ne sait pas vous le faire entendre : Pierre non plus n’a pas entendu comme il faut ce que Jésus lui demandait. Les deux premières fois, c’était un « m’aimes-tu ? » avec le verbe le plus fort pour « aimer », au sens de donner sa vie. Mais Pierre a répondu avec le verbe le plus faible, celui de l’amitié. Et lorsqu’enfin Jésus utilise ce verbe plus faible pour demander « m’aimes-tu ? », Pierre n’a toujours pas entendu la différence, au point de s’attrister de la répétition. Tant pis, Jésus fera avec…

 

Pierre entend néanmoins la conclusion de Jésus, la même qu’il avait eue avec le jeune homme riche : « Suis-moi ». Et là, le sentiment de son indignité ressort à nouveau, cette fois-ci en regardant « le disciple que Jésus aimait ». L’autre disciple, lui, serait digne de la confiance du maître, lui qu’on appelle ainsi depuis la résurrection de Lazare, comme s’il était lui-même déjà ressuscité, lui « qui, pendant le souper, s’était penché sur la poitrine de Jésus », lui qui était au pied de la croix, lui qui dans le tombeau vide avait « vu et cru » … Lui, oui, mais pas moi, moi qui ai trahi, qui me suis enfui, qui n’ai jamais rien compris tout de suite ni comme il faut, qui entends la prédication et ne la mets pas en œuvre, qui participe à la cène « sans discerner le corps » (1 Cor. 11 / 29), etc. Pourtant, l’ordre de marche est bien Jésus en tête, Pierre qui doit le suivre, et « à leur suite le disciple que Jésus aimait ».

 

L’ordre de Jésus est incontournable. Et sa révocation des arguments de Pierre également : « que t’importe ? », lui dit Jésus. C’est Jésus qui marche en tête, c’est lui qui décide, c’est lui qui appelle qui il veut, y compris dans la difficile tâche de faire paître agneaux et brebis, qui sont peut-être, justement, les « disciples que Jésus aime » … Chers amis, vous n’avez pas cette tâche-ci. Vous en avez d’autres, que vous soyez conseillères presbytérales ou avec d’autres responsabilités ecclésiales ou même sans. Jésus n’appelle pas seulement à des ministères ecclésiastiques, mais à le suivre là où l’on vit, donc aussi dans vos foyers, vos familles, votre travail quel qu’il soit, votre environnement social ou simplement humain. À chacun, chacune, il dit « suis-moi » et il donne les moyens qu’il juge bon, et par-dessus tout cette parole entendue par Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. »

 

Ce texte de Jean, qui n’est pas l’un des « textes du jour », je l’ai entendu jeudi matin, en ouverture de la réunion de la commission régionale d’animation missionnaire de notre Église, à Montbéliard. Et là, il m’est apparu qu’il était tout autant valable pour vous et moi que pour ladite commission ou pour la Mission avec une majuscule. Oui, à nous aussi Jésus dit « suis-moi », à nous tels que nous sommes, avec plus de faiblesses que Paul et plus de reniements ou d’inconséquences que Pierre. Et cet ordre n’est pas discutable. Contrairement au mot que j’utilisais au début, ce n’est pas une invitation, et aucune objection de notre part ne sera recevable. Ceci dit, c’est quand même une bonne nouvelle ! Car la triple question de Jésus à Pierre semble racheter son triple reniement avant que le coq n’eût chanté… Et si personne n’a jamais su ce qu’était « l’écharde dans la chair » de Paul, nul doute que nous n’en ayons quelques-unes nous-mêmes ! Or tout ce qui, en nous, s’oppose à l’amour de Dieu, Jésus le balaie par sa parole qui nous reprend, dans les deux sens : elle souligne et réfute ce que nous avons fait, et elle nous prend à nouveau.

 

Le pardon de Dieu, en Jésus, est la même parole que celle qui nous envoie à sa suite. Il n’y a pas d’abord le pardon, et ensuite l’envoi. Le « Simon fils de Jonas, m’aimes-tu ? » dit à la fois le pardon du reniement, et la relation rétablie par Jésus. Le « suis-moi » en est la conséquence obligée, simple explicitation. On ne peut pas faire ce que Pierre, pourtant, a essayé vainement : répondre « oui » à la question et ensuite chercher des excuses pour se défiler, pour ne pas suivre… « Que votre oui soit oui », avait dit Jésus. C’est vrai pour nous aujourd’hui. Lorsque nous disons « oui » à ce Seigneur qui sollicite notre amour, alors nous acceptons de le suivre, y compris là où ça nous embête, là où nous pensons que d’autres feraient mieux, là où nous nous savons indignes d’y aller, etc. Il serait blasphématoire de penser par-devers nous que si nous renions à nouveau, il nous pardonnera à nouveau. Là où il y a de tels calculs, il n’y a pas d’amour, mais au contraire un rejet par nous de ce que Dieu a fait pour nous en Jésus-Christ.

 

Pas d’échappatoire donc. Personne ne nous a obligés à dire à Jésus « Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime. » Il sait, précisément, « toutes choses », il nous connaît tels que nous sommes – ce qui n’a jamais voulu dire qu’il s’en contentera toute notre vie ! Mais s’il a voulu se servir de nous, c’est en connaissance de cause. C’est aussi en sachant où nous irons en le suivant – ce que nous, nous ne savons pas… La vie d’un chrétien n’est pas la vie de tout être humain avec en plus des convictions religieuses, non. Suivre Jésus, c’est vivre une existence dans laquelle c’est lui qui décide, non pas parce qu’il ne serait qu’un autre nom du Destin – pensée païenne s’il en est – mais bien parce que nous, nous lui remettons notre vie, à lui, pour qu’il nous mène là où il veut. C’est pourquoi c’est lui aussi qui nous fournit les armes qu’évoquait Paul dans la lettre aux Éphésiens, des armes dont nous avons besoin. Si nous vivons comme tout le monde, attendant la mort, nous n’en avons pas besoin, de ces armes ! Mais si c’est la vie que nous attendons, alors il faut nous préparer au combat, à commencer par le combat contre nous-même, notre égoïsme, notre inertie, nos idées toutes faites, nos bonnes raisons et nos mauvaises raisons, et tout ce qui en nous est « diabolique », c’est-à-dire qui se met en travers de notre suivance de Jésus !

 

La meilleure arme que nous ayons, c’est notre suivance elle-même, c’est-à-dire le fait que c’est Jésus qui marche devant nous et qui nous ouvre la route. Tout comme il nous a ouvert la route de la vie éternelle en mourant pour nous et en ressuscitant d’entre les morts, il nous ouvre aujourd’hui la route sur laquelle il nous appelle à sa suite, une suite que nous pouvons découvrir au fil de notre lecture des Écritures et de ce que l’Esprit saint nous souffle à travers elles. Ainsi donc, même dans les petites choses, même pour les petits obstacles, passés, présents et futurs, c’est lui qui marche devant et nous n’avons qu’à suivre. « Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? – Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. » Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  16 octobre 2016

 

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