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Évangile selon Marc 12 / 28-40
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texte : Évangile selon Marc, 12 / 28-40 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Exode, 20 / 1-17 ; épître aux Romains, 14 / 17-19
chants : 239 et 532 (Arc-en-ciel)
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Chers amis, les textes d’aujourd’hui tournent autour des commandements de Dieu. Et dans notre monde où tout est permis, y compris d’être seul, pauvre et malheureux, il est bien de se rappeler que, si ce monde ne correspond pas à la volonté bonne de Dieu pour les humains, ce Dieu ne les avait pourtant pas abandonnés : il a donné des commandements afin qu’on ne vive pas trop mal malgré le péché originel, malgré la coupure irrémédiable avec lui. Car depuis toujours, ce Dieu se fait connaître comme un Dieu qui libère, et il le rappelle en tête des Dix commandements : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclaves… » Et il est des Égyptes politiques, économiques, sociales, financières, mais aussi psychologiques, relationnelles, addictives, etc. Nous sommes un peuple libéré, nous avons été sortis d’Égypte « à main forte et à bras étendu », comme avait traduit Louis Segond (Deut. 5 / 15).
Ne vous imaginez pas, même à l’orée d’une année qui va célébrer les 500 ans de la Réforme protestante, ne vous imaginez pas que je parle ici de l’histoire d’autrefois. La plupart d’entre nous n’est pas d’origine juive, et certains, de plus en plus nombreux, ne sont même pas issus des protestants du XVIe siècle. Si notre Dieu est toujours libérateur, c’est qu’il nous a délivrés des Égyptes d’aujourd’hui, nous et quelques autres… Notre question ne doit donc pas être : De quelle Égypte ai-je besoin d’être délivré ? mais plutôt : De quelle Égypte ai-je déjà été délivré, alors que je continue à me comporter comme si ce n’était pas le cas ? L’affirmation que Dieu nous a délivrés avant que nous lui obéissions, avant même que nous le connaissions, c’est cela la grâce de Dieu manifestée en Jésus-Christ, dont la sortie d’Égypte n’était qu’une figure. Nous ne sommes plus esclaves, nous ne sommes plus en prison. Mais nous avons besoin souventes fois d’être secoués pour le réaliser et vivre enfin libres, ce que nous ne savons pas faire…
C’est le but des commandements : ces Dix paroles, comme disent les Juifs, sont donc en quelque sorte la charte de notre liberté. Faut-il trier entre elles ? Sans doute pas, mais il faut bien en trouver le centre, le sens, le fil rouge, la raison d’être qui permet de ne pas s’enfermer dans les rites ou la casuistique, ni dans une morale qui serait dépassée, mais de les mettre en pratique de manière adulte et responsable. D’où la question d’un scribe à Jésus, un scribe et donc un excellent connaisseur de la Bible, mais qui pour une fois ne semble pas être vraiment un adversaire du Maître qu’il va interroger. C’est sans doute qu’il est trop content que Jésus ait mouché les Sadducéens dans les versets précédents… « Quel est le premier de tous les commandements ? »
Tous les clergés et tous les mystiques de toutes les religions constituées répondent : l’amour. La réponse de Jésus n’est pas originale, n’importe quel rabbin aurait donné la même, quoique peut-être pas tout à fait de la même manière. On l’a beaucoup souligné : l’originalité de la réponse de Jésus est dans la mise sur un pied d’égalité d’un verset du Deutéronome, dans le « Shema Israël », et d’un verset du Lévitique ; c’est-à-dire la mise sur un pied d’égalité de la priorité absolue de l’amour qu’on doit à Dieu, et du commandement d’aimer son prochain comme soi-même. Mais même ici, c’est mal connaître le judaïsme que de penser que c’est une grande nouveauté. D’ailleurs la réaction du scribe le dit bien : il approuve chaleureusement ! Nous sommes donc mal fondés à reconnaître dans ce double commandement d’amour une spécificité chrétienne, ou un commandement original de Jésus. Dans l’évangile de Jean, Jésus donne un tout autre commandement d’amour (Jean 13 / 34-35) – mais ce n’est pas le lieu de s’y attarder ce matin, encore que ce que je vais vous dire revienne un peu au même.
Mais revenons à notre scribe. Jésus et lui, si nous nous étions arrêtés là – comme le suggérait d’ailleurs le découpage proposé par la liste de lectures alsacienne – Jésus et lui ne nous auraient guère avancés ! En effet, à ma connaissance, personne n’arrive à « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force ». C’est-à-dire – rendez-vous compte – à le faire passer toujours en premier, en toutes circonstances. C’est la raison pour laquelle le psalmiste disait (et Paul reprendra) qu’ « il n’y a pas de juste, pas même un seul » (Ps. 14 / 3 ; 143 / 2 ; Rom. 3 / 10). Et tous les vrais « saints » le reconnaissent aussi pour eux-mêmes, aucun ne fait semblant de faire toujours passer Dieu en premier. Vous me direz qu’il y a une grande marge entre le faire toujours passer en premier, et le faire souvent passer en dernier, et que nous sommes dans cette marge. Mais Jésus a déjà répondu : « Celui qui violera l’un de ces plus petits commandements […] sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. Car je vous le dis, si votre justice n’est pas supérieure à celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » (Matth. 5 / 19-20)
Si cela nous est dit à propos des « petits commandements », à plus forte raison cela est-il vrai à propos du « premier » ! Tout le « Sermon sur la montagne », d’où j’ai pris cette citation, nous montre qu’on ne transige pas avec les commandements, qu’on ne « truande » pas Dieu, pour le dire vulgairement. L’amour du prochain est d’ailleurs tout aussi éloigné de la réalité de nos vies, et en plus, là, on peut multiplier les arguments pour relativiser cette obligation. On se demandera alors « Et qui est mon prochain ? », comme dans l’enseignement sur le « Bon Samaritain » (Luc 10 / 27-29). Ou bien qu’est-ce que c’est que s’aimer soi-même… et toute la psychanalyse viendra nous expliquer le danger d’un tel commandement. Ce sont des faux fuyants, bien sûr. Je sais bien, sans avoir de quoi me justifier, que je n’aime mon prochain que lorsqu’il me ressemble et qu’il est à mon service… En fait, je n’aime pas mes prochains, et si j’aime les plus lointains, c’est seulement parce qu’ils ne perturbent pas mon existence, et dans cette limite-là.
Jésus a donc répondu – avec raison, bien sûr – à propos du plus grand commandement de la Loi de Moïse. La différence fondamentale est là, dans cette Loi : un juif croit que c’est possible, à travers de plus petits commandements, tandis qu’un protestant sait que c’est impossible, et qu’il faut autre chose, un autre chemin de salut que celui-ci. D’ailleurs, Jésus se moque du scribe. « Voyant qu’il avait répondu avec intelligence », nous dit l’évangéliste, alors que c’était le scribe qui avait posé la question ! Et le « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » dit bien à la fois la proximité (la Loi vient de Dieu) et la distance (pas loin, mais pas dedans…). D’ailleurs la réaction des gens montre aussi que le scribe s’est fait piéger, que ce n’est pas une simple discussion de théologiens qui seraient d’accord entre eux : « personne n’osa plus lui poser de questions », personne n’osait plus risquer de passer pour un nul ! …
Car la question importante vient ensuite, juste après, et c’est évidemment Jésus qui la pose, cette fois. Et cette question concerne « le Christ ». Car il y a une autre voie de salut, un autre moyen de vivre une vraie communion restaurée avec Dieu. Seulement, ce n’est pas la « voie large » mais la « voie étroite » (Matth. 7 / 13-14), ce n’est pas d’obéir à des commandements, mais de suivre un seul homme, mais un homme seul, seul jusque sur la croix où il est mort, seul jusque dans la tombe, mais « premier-né d’entre les morts » (Col. 1 / 18 ; Apoc. 1 / 5), « premier-né d’un grand nombre de frères » (Rom. 8 / 29). En quoi cette question révoque-t-elle la logique du scribe que nous avions cru être celle de Jésus ? Parce que celui-ci conclut par une parole sans ambiguïté : « Gardez-vous des scribes ! » La logique pharisienne de l’obéissance à des commandements est tentante, semble facile, d’autant plus facile que ceux qui la suivent et la promeuvent l’accompagnent d’une casuistique bienvenue, listant toutes les occasions où, en fait, on n’est pas obligé… Et celui qui voudrait y arriver quand même, y arriver tout seul, serait alors submergé par l’orgueil de faire comme s’il était son propre Dieu, même sur le chemin pour se rapprocher du vrai… Tentative vouée à l’échec, donc, que de s’approcher de Dieu en respectant la Loi.
Car « le Christ » au sujet duquel Jésus argumente bibliquement, c’est lui qui est « Seigneur », c’est lui qu’on doit suivre, non pas un Dieu dans les nuages, Dieu lointain et juste, trop juste pour moi, mais un Dieu qui s’est fait proche, qui a vécu la même vie que moi, même si c’était ailleurs et autrefois – mais il est vivant aujourd’hui ! Celui qui m’a libéré de mon Égypte, là où je croyais mériter la viande que je mangeais, c’est lui, c’est Jésus. C’est lui qui me conduit à travers le désert, vers la Terre promise qui est la vie éternelle, moi qui ne le méritais pas. Il m’a rendu propre, et propre à recevoir le Saint-Esprit qui va mettre en moi non pas obéissance – pauvre infirme que je suis – mais reconnaissance. Et qui va me porter à faire ce dont je ne suis pas capable, qui va mettre en moi un amour étranger, me rendant proche de ceux qu’il aura mis sur mon chemin. Ainsi l’amour de Dieu n’est plus celui que j’éprouve, mais celui que Dieu accomplit en moi, et par moi. Le double commandement d’amour est bien double, avec ses deux dimensions, mais c’est un seul commandement et c’est Dieu qui l’accomplit ; car moi, j’en reste incapable.
La Loi de Dieu certes me fait connaître mon péché, en me disant ce que je ne fais pas (Rom. 3 / 20). Mais aussi elle me fait connaître l’action de Dieu, son action actuelle, c’est-à-dire à la fois réelle et accomplie aujourd’hui. Dieu agit, et c’est en Jésus-Christ qu’il agit, comme c’est par lui qu’il a créé le monde (Col. 1 / 16 ; Héb. 1 / 2) : c’est par lui qu’il me recrée, moi, et nous ensemble comme peuple ; c’est lui qui nous a libérés de l’esclavage du monde et de l’esclavage de la Loi (Rom. 7 / 25b). « Nous sommes son ouvrage, nous avons été créés en Jésus-Christ pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. » (Éph. 2 / 10) Lorsque, de dehors, il semble que nous faisons ce que les commandements demandent, en fait c’est Dieu qui est l’auteur de ces œuvres-là et c’est en Christ qu’elles s’accomplissent en nous et par nous. Faisant ce que l’Esprit nous pousse à faire, ce n’est donc pas à nous que nous rendons témoignage, mais au Christ vivant.
Et c’est bien pourquoi nous sommes là, comme je nous le répète chaque dimanche : pour rendre témoignage au Christ qui a donné sa vie pour des gens qui ne le méritent pas : moi, vous, et ceux qui sont dehors… qui sont ainsi nos frères et sœurs en Christ, non pas à cause de la foi qu’ils ne partagent pas, mais parce qu’en Christ ils ont été aimés de Dieu, eux qui sont pécheurs tout comme vous et moi. Nous ne méritons rien, mais nous avons tout reçu gratuitement. Contemplons donc cet amour reçu, laissons-le nous transformer, laissons-le nous faire reconnaître en Dieu notre Père, et laissons-le nous faire reconnaître en ceux qui nous entourent les gens pour qui le Fils de Dieu est mort et pour qui il est ressuscité, même s’ils ne le savent pas. Laissons donc l’Esprit de Dieu changer notre regard, et faire servir nos mains à son œuvre à lui envers les autres. Cet abandon à un Dieu qui par son amour va nous faire faire des choses inédites, voilà notre témoignage chrétien. Amen.
Saint-Dié (rentrée) – David Mitrani – 25 septembre 2016