- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Actes des Apôtres 9 / 1-20
Actes des Apôtres 9 / 1-20
Partage
texte : Actes des Apôtres, 9 / 1-20 (trad. Chouraqui)
premières lectures : Évangile selon Marc, 7 / 31-37 ; Ésaïe, 29 / 17-24
chants : 417 et 416 (Arc-en-ciel)
téléchargez le fichier PDF ici
Nous sommes morts et nous avons besoin d’être ressuscités, je vous le disais, avec Saint Paul, dimanche dernier (Éph. 2 / 1-10). Aujourd’hui, il est encore question de cette résurrection qui tout à la fois nous attend et nous précède – toujours avec Paul, mais cette fois sous la plume de quelqu’un d’autre : Saint Luc, l’auteur des Actes des Apôtres… Je dis bien : « résurrection », car dans le texte grec, ce mot qui nous vient du latin correspond à deux verbes différents qui veulent dire « se lever » … et tous deux sont utilisés dans notre texte, aussi bien pour Paul – encore appelé Saul – que pour Ananias, on va le voir – c’est le cas de le dire ! Car nos textes de ce matin parlent tous de guérison, que ce soit des sourds ou des aveugles, des pauvres ou des opprimés. Dites, si vous voulez, que c’est du mythe, car celui-ci n’est après tout que le langage des choses qui nous dépassent et que nous ne savons pas dire autrement. Ou bien dites que ce sont des images, si ça vous fait plaisir. Mais dans tous les cas, reconnaissez que c’est vrai : Dieu, parce qu’il est Dieu, est capable d’accomplir ces choses, pour les gens, pour son peuple et pour le monde. Dieu est capable de ressusciter, de faire se relever, ce qui était mort, ce qui était à terre, il est capable de faire voir les aveugles et entendre les sourds, il est capable de réjouir et de libérer son peuple. « Il fait bien tout : il fait et entendre les sourds et parler les muets. »
À quelle occasion le fait-il ? Non pas ordinairement, mais lorsque l’enjeu est celui dont il parle par le prophète Ésaïe comme en des tas d’autres textes : « Alors ils reconnaîtront qui je suis, moi, le Dieu saint de Jacob. » Rappelez-vous : c’était déjà l’enjeu de l’Exode ! Et c’est bien dans ce but-ci, pour une telle mission, que le Seigneur Jésus a besoin de ce Pharisien extrémiste nommé Saul – Shaoul en hébreu. Il n’a pas besoin d’un disciple de la première heure ou d’un de ses familiers, il n’a pas besoin de quelqu’un qui soit chrétien par naissance et éducation – il n’y en a certes pas encore au moment où se passe ce récit, mais il y en a déjà quand il est mis par écrit… Jésus a besoin d’un de ses adversaires, et même d’un des pires. Ne dites pas que ce qui est raconté ici est une question de psychologie ou d’évolution personnelle, tout le texte dit le contraire. Le personnage central du texte n’est ni Paul ni Ananias, c’est Jésus, c’est lui qui intervient à deux reprises de manière explicite, c’est lui qui fait évoluer les choses.
Saul est donc en route vers Damas. Dans la littérature de l’époque qu’on suppose essénienne, « Damas », c’est le lieu de la « Nouvelle Alliance », du véritable Israël qui vit selon la Loi : « Le puits, c’est la Loi, et ceux qui le forèrent ce sont les convertis d’Israël, ceux qui sont sortis du pays de Juda et se sont exilés au pays de Damas… » (Écrit de Damas, VI, 4-5). Ainsi Saul va-t-il du Temple de Jérusalem vers une « Nouvelle Alliance » (ibid. VI, 19) que, peut-être, il croit fondée encore plus sur la Loi. Mais son projet reste le même, à lui qui débuta sa carrière par la lapidation d’Étienne (Actes 7 / 58 – 8 / 3) : extirper ces sans-loi que sont « les adeptes » de Jésus, « les hommes et les femmes » qui suivent sa « route », sa « voie » … Mais Saul se trompe de « Nouvelle Alliance » ! Il se trompe de « route ».
La rencontre va être brutale, comme ça arrive parfois. Mais son dénouement va prendre trois jours, et trois jours, c’est bien le temps pour une résurrection d’entre les morts (Matt. 12 / 40 ; 27 / 63) ! C’est aussi, et sans rien manger, le temps d’être auprès de Jésus pour écouter ses paroles (Matt. 15 / 32). C’est, enfin, le temps pour reconstruire le Temple (Matt. 26 / 61) ! Ces différents sens des « trois jours » dans les évangiles donnent aussi du sens aux « trois jours » de la cécité de Saul et de sa reconstruction. Le changement débute par un éblouissement, tant il est vrai que trop de lumière aveugle celui qui la regarde. Et cette lumière céleste qui aveugle ne peut guère venir que de Dieu… Mais comment le savoir ? D’autant que la phrase entendue est étrange : « Shaoul, Shaoul, pourquoi me persécutes-tu ? » Saul est appelé par ce qui est vraiment son nom, sans le prononcer à la grecque. C’est son identité qui est en jeu, et pas seulement ce qu’il fait, même si c’est là-dessus que porte la question de Jésus. Tout comme le même Jésus, dans un autre contexte – mais qui est aussi de résurrection – appelait Marie de Magdala par son nom, ce à quoi elle avait répondu « Rabbouni », à la manière dont elle-même appelait Jésus, le reconnaissant ainsi (Jean 20 / 16). Mais Saul, lui, ne reconnaît pas Jésus, puisqu’il ne le connaissait pas…
En fait, Saul n’a pas le sentiment de persécuter quelqu’un dont la voix puisse ainsi lui parler. Certes il persécute les chrétiens, parce qu’ils sont des hérétiques dangereux, du moins c’est ce qu’il croit. Il faut donc que Jésus lui mette les points sur les i : « Moi je suis Jésus que toi tu persécutes. » Il y a là au moins trois révélations importantes : « moi je suis », c’est le nom que Dieu se donne devant Moïse au Sinaï (Exode 3 / 14), c’est en quelque sorte le nom propre de Dieu… Puis le nom de Jésus, qui signifie donc en même temps qu’il est vivant, contrairement à ce que pensait Saul, et qu’il est Dieu. Et enfin la désignation claire de ce que Saul accomplit depuis qu’il est apparu dans le livre : il persécute nom pas des hérétiques, mais ce Jésus qui est ressuscité et qui est Dieu : il persécute Dieu – projet insensé et sans issue, ce que montre bien le fait que maintenant Saul est par terre et aveuglé. Cette phrase de Jésus est aussi celle qui convainc Saul de péché, qui souligne sa responsabilité à l’égard de Jésus, et son éloignement de la véritable « route » du seul vrai Dieu.
Rencontre brutale donc, non pas parce que Saul n’y voit plus rien, se retrouve par terre et aura désormais besoin d’être guidé, mais parce que tout ce qui le constituait jusqu’à maintenant s’est effondré. Le religieux fanatique s’aperçoit, par la force des choses – pire : par l’intervention-même de Dieu – qu’il a fait tout faux, qu’il a lutté contre Dieu au lieu de lutter pour lui. Il serait heureux que nombre de gens qui assassinent facilement au nom de Dieu, comme le protestantisme lui-même en a connu en d’autres contrées, fassent la même expérience que Paul. Mais cela arrive aussi : la presse évangélique relate les conversions de membres de Boko Haram ou de Daesh qui se sont convertis à l’Évangile devant le martyre des gens qu’ils persécutaient au nom de Dieu – celui de l’islam cette fois – et parfois devant l’intervention de Jésus lui-même.
Rencontre brutale avec le Seigneur, découverte par Saul de son péché et de son aveuglement, mais déjà dans la même phrase de Jésus il y a promesse de résurrection : « lève-toi ! » et déjà Saul, obéissant à la voix, « se réveille de terre ». Les deux verbes pour dire la résurrection… Trois jours, je vous le disais, pour digérer cette expérience, pour l’assumer – ce qui se fait, traditionnellement, par le jeûne, c’est-à-dire la suspension de tout ce qui éloignerait de cette expérience et de la recherche de son sens… et de ses suites. Car s’il y a promesse et début de résurrection, c’est bien pour qu’il y ait quelque chose après, et non pas retour au statu quo ante, ni attente béate et passive de… quoi donc, d’ailleurs ? Simplement une consigne : « Entre en ville. Il te sera dit ce que tu devras faire. » Entrer dans la « Nouvelle Alliance », si c’est bien ce que signifie « Damas ». Et attendre l’ordre de mission. Ce n’est plus à Saul de « demander des lettres », de décider ce qu’il doit faire, mais il lui appartiendra d’obéir à une mission qui n’est pas la sienne, mais celle de Dieu – un Dieu qui, par son Esprit, le gardera ou le remettra sans cesse sur la route qu’il aura décidée lui-même.
Ananias, quant à lui, est installé à Damas, il est installé dans la foi, installé dans sa religion. Lui aussi va être dérangé par son Seigneur, même si c’est évidemment de manière plus soft, quoique néanmoins inquiétante : il lui faut « se lever », lui aussi, pour aller… risquer sa vie, en fait ! Rencontrer le persécuteur… Alors s’affrontent deux paroles : celle du Seigneur qui donne ordre, et puis « j’ai entendu plusieurs dire… » Bien sûr Jésus ne se laisse pas convaincre. C’est Ananias qui doit se laisser convaincre, et qui le fait d’ailleurs. Il aura moins résisté que Moïse ou Jérémie ou tant d’autres… Il y va, comme un ange, si j’ose dire ! Comme un simple messager, qui ne parle pas de lui, mais délivre son message : « c’est le Seigneur qui m’envoie : Jésus… » C’est pour Saul l’annonce de sa délivrance, de la fin de son aveuglement – plutôt que de sa cécité. Car ce qui est dit juste après nous le dit bien sur ce mode : « il tomba de ses yeux comme des écailles… » Elles ne viennent pas de ce qui s’est passé sur la route, c’est donc qu’elles étaient là avant.
Car de ce moment – le mot « vite » ou « aussitôt » est dit deux fois dans la fin de ce récit – de ce moment Saul est sur une route désormais nouvelle, celle que justement il combattait lorsqu’il était « sur la route dont tu viens », comme dit Ananias. Les cinq verbes qui suivent font sens : « il voit de nouveau, se levant il est baptisé, prenant de la nourriture il est fortifié. » Dans l’ordre : conversion-résurrection, baptême et cène… et la suite qui vient « aussitôt ». Car le but, ce n’est pas Saul, c’est sa mission : « il proclame de Jésus qu’il est le fils de Dieu ». L’ancienne « route », l’ancienne religion, la recherche de la pureté religieuse par la destruction des adversaires de Dieu, a fait place à la proclamation du nom de Jésus. L’aveuglement était là avant la rencontre, et cette rencontre a révélé à Saul qu’il s’agissait bien d’aveuglement et non pas de foi ou de zèle. Ce qui apparaît comme une simple guérison miraculeuse d’une cécité passagère et inexplicable est en fait la guérison d’un aveuglement ancien et durable, par une réorientation totale de la vie de cet homme. Et le but de cette réorientation, c’est l’annonce de l’Évangile.
Nous pouvons bien sûr nous reconnaître en Saul. Non pas forcément en ce que nous aurions autrefois persécuté l’Église… Mais je ne suis pas dans le secret de la vie de chacun d’entre vous ! Je pense que nous sommes plutôt entre Saul et Ananias, dans une vie certes de foi – puisque nous sommes là ce matin – mais qui est souvent une vie sans Jésus, et en tout cas sans l’annonce publique de qui il est. Nous sommes bien – plus ou moins – avec notre religion, mais nous avons devant les yeux « comme des écailles », nous aussi, qui nous empêchent de voir que Jésus est vivant et qu’il est Dieu, et qui donc nous empêchent de considérer comme la première urgence, et comme notre mission à nous, d’aller parler de lui et du salut qu’il offre à tous les pécheurs, quels qu’ils soient et quelles que soient leurs propres « écailles ». Car il y a promesse de guérison dans cette histoire, et elle est pour tous. Serons-nous les Paul qui allons le prêcher à nos proches ou à nos plus lointains, ou serons-nous les Ananias qui allons, d’autre manière, accomplir la même mission auprès de ceux que nous aimons ou auprès de ceux que nous craignons ?
Si, dans les Actes des Apôtres, la foi chrétienne est appelée « la route » ou « la voie », ce n’est pas pour rien. C’est pour y marcher, pas pour s’y arrêter et regarder le paysage… Ananias a été simplement dérangé, alors que Saul a été retourné comme une crêpe. Et nous ? De quoi avons-nous besoin, comme rencontre avec le Seigneur, pour nous faire réaliser à la fois notre aveuglement et notre guérison-résurrection ? Non pas pour notre humiliation ni pour notre louange. Mais pour une mission, celle de Dieu dans le monde. Il nous y envoie avec la force de son Esprit. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 14 août 2016