- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Épître aux Romains 9 / 1-16
Épître aux Romains 9 / 1-16
Partage
texte : Épître aux Romains, 9 / 1-16 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Exode, 19 / 1-6 ; Évangile selon Luc, 19 / 41-48
chants : 80 et 172 (Arc-en-ciel)
téléchargez le fichier PDF ici
« Heureuse la nation qui a le Seigneur comme Dieu, heureux le peuple qu’il s’est choisi pour héritage ! » (Ps. 33 / 12) Ce verset de psaume est le verset titre de la semaine qui s’ouvre aujourd’hui, et qu’illustrent les trois lectures de ce matin. Il convient en premier lieu de se rappeler que ce n’est pas à notre sujet qu’a d’abord été prononcée cette parole. Mais le peuple de Dieu, ce peuple qu’il a choisi dès Abraham et qu’il s’est mis à part, c’est Israël. C’est lui « l’olivier franc », comme Paul le dira quelques pages après l’extrait lu tout à l’heure (Rom. 11 / 24). C’est lui à qui Dieu a donné sa Loi après l’avoir libéré de l’esclavage, une Loi qui est comme une charte de la liberté de ce peuple et de son appartenance au Dieu sauveur, le seul vrai Dieu. Ce peuple est-il donc défini par sa généalogie, c’est-à-dire qu’on en fait partie comme descendant d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, par droit de naissance ? Ou bien est-il défini par son obéissance aux commandements de la Loi de Moïse, c’est-à-dire de manière conditionnelle ? On trouve les deux idées dans la Bible, et on en voit aussi très vite les limites ! Mais, encore aujourd’hui, les Juifs ont l’une et l’autre définition… Car le judaïsme n’est pas une religion, mais un peuple issu d’une promesse, et une nation qui pratique la Torah.
Vous entendez donc bien que je ne parle pas ici de l’État d’Israël moderne, qui a d’autres bases internationales et constitutionnelles, même si ces anciennes définitions ne sont jamais très loin et continuent de poser problème… Mais l’ancien État d’Israël lui-même avait déjà posé problème, et force était de constater, dès l’Ancien Testament d’ailleurs – qui a peut-être même édité pour ça –, que l’infidélité des rois et des grands-prêtres, malgré les rappels à l’ordre des prophètes, cette infidélité causa le malheur du peuple pourtant choisi, et les pleurs du Dieu dont l’amour et la promesse n’étaient pas reçus. L’évangéliste nous montre ainsi Jésus pleurant sur Jérusalem et interrompant le culte du Temple, tandis que les dirigeants d’Israël vont le faire mourir bientôt. Incompréhension totale entre Dieu et son peuple. L’Ancien Testament n’est pas le récit de leurs relations harmonieuses, mais au contraire le récit de toutes les occasions manquées, le rappel des paroles divines non reçues et non mises en œuvre…
Israël avait été choisi pour être témoin auprès de tous les peuples, témoin qu’on peut vivre heureux de l’amour que Dieu vous porte, témoin que Dieu tient ses promesses. Dans son histoire, dans ses chefs comme dans sa masse, il n’a pas rendu ce témoignage, mais comme tous les peuples il a cherché à se rendre témoignage à lui-même, à assurer par lui-même son gouvernement, son salut, sa défense. Il a préféré ses dieux au Dieu unique, il a préféré sa religion à une relation vivante avec Dieu. Il a préféré sa propre justice plutôt que le don gratuit de l’amour de Dieu, et ne s’est servi de la Torah que pour prétendre obliger Dieu. Mais Dieu est libre et ne se laisse pas acheter, par aucune religion. Obéir à Dieu pour obliger Dieu, c’est désobéir à Dieu, c’est mépriser sa gloire, c’est le traiter comme un vulgaire maquignon ; c’est faire d’Israël « une caverne de voleurs ».
Mais alors, Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Au désert autrefois, il avait fait croire à Moïse qu’il le pouvait (Nb. 14 / 12). Mais non : Dieu est fidèle, il tient ses promesses, quand même il serait le seul à le faire ! Et c’est précisément là-dessus que l’apôtre Paul écrit ce que nous avons entendu. Il ne dit pas que Dieu a changé de peuple, qu’il s’en est choisi un autre – comme des théologiens chrétiens le diront en se prenant pour Dieu, comme c’est la tentation dans toutes les religions, pour le plus grand malheur des gens. Mais non. L’apôtre au contraire souligne que Dieu tient ses promesses. Dans un autre passage, il souligne que celles-ci sont accomplies en Jésus-Christ, que c’est lui qui était annoncé, et que c’est pour préparer sa venue qu’Israël avait été choisi (Gal. 3 / 16). Dans le texte de ce matin, il rappelle que la promesse a été faite à ceux qui sont la descendance d’Abraham, c’est-à-dire, paradoxalement, à ceux qui reçoivent cette promesse pour eux, et non pour le voisin ! C’est là une nouvelle définition d’Israël, qu’Israël-même avait négligée : non plus la race, non plus la Loi, mais la promesse, autre manière de dire l’amour de Dieu.
Et c’est bien en cela que nous sommes concernés nous aussi, et non pas seulement par le texte de Paul, mais aussi par les précédents. Car en Jésus-Christ la promesse nous a atteints, nous. Or « ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés comme descendance. » Nous sommes donc, nous aussi, « fils d’Israël ». Et les paroles de Moïse rapportées par le livre de l’Exode seront reprises dans la première lettre de l’apôtre Pierre : « vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté, afin d’annoncer les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1 Pi. 2 / 9). La chaire de Moïse s’étant démultipliée autant qu’il y a de cultes chrétiens, c’est ici mon rôle que de vous adresser à vous ces paroles mosaïques, ces mêmes paroles qui viennent de l’acte libérateur de Dieu pour vous, à savoir la mort et la résurrection de son Fils. Oui, ces paroles, ces promesses réalisées en Christ, elles parlent de vous aujourd’hui, de chacun de vous et de nous tous ensemble comme peuple. Car nous sommes le peuple de Dieu. « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. »
Nous sommes le peuple de Dieu, la nation sainte… « Heureuse la nation qui a le Seigneur comme Dieu, heureux le peuple qu’il s’est choisi pour héritage ! » Mais aujourd’hui et par les temps qui courent, il redevient fréquent de mélanger les choses, et nous ne savons plus si cela s’adresse à l’Église ou à notre pays ! Certes la France fut « la fille aînée de l’Église » – encore était-ce une autre Église que la nôtre !… Mais aujourd’hui, alors que les églises et les temples sont presque vides, on argue volontiers de la France comme « pays chrétien ». Or je ne sache pas que la France « ait le Seigneur comme Dieu » – ça se saurait… – non plus qu’Allah d’ailleurs. La France a aujourd’hui d’autres valeurs, que nous partageons dès lors qu’elles n’empêchent pas la liberté de religion, c’est-à-dire à la fois la liberté de croire, de célébrer et d’évangéliser. Plaise à Dieu qu’au sein de ce pays de plus en plus de gens « aient le Seigneur comme Dieu » ! À nous, chrétiens, de témoigner de lui, afin que d’autres rejoignent le troupeau !
Mais notre pays, en tant que tel, n’est pas, n’est plus, chrétien. Le fut-il vraiment, d’ailleurs ? La Réforme protestante et ses Réveils n’auraient pas été utiles si ç’avait été le cas… Cessons donc de fantasmer là-dessus, mais rappelons-nous quand même ce que Paul écrivait sur « les Israélites, à qui appartiennent l’adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses, les patriarches… » D’une certaine manière et avec beaucoup de guillemets, on pourrait aussi rappeler cela à nos concitoyens : non pas ceux qui arrivent, seuls ou en nombre, mais ceux qui « sont d’ici » et qui ont dès longtemps oublié tout ceci, qui ont oublié d’où ils venaient, et d’où viennent aussi l’égale dignité des hommes et des femmes, la fin de l’esclavage, le droit de vivre libres, une certaine conception de l’égalité liée à la fraternité universelle, etc. S’il y avait plus d’ « héritiers de la promesse » dans ce pays, il aurait sans doute plus de possibilité de s’opposer pacifiquement à ceux qui le prennent pour une terre de conquête…
Notez pourtant que ce calcul trop politique n’est pas notre problème. Nous ne sommes pas là pour nous compter ni pour nous opposer à qui que ce soit. Nous sommes là pour – ou plutôt parce que Dieu a fait promesse, et que nous l’avons reçue. Et pourquoi et comment nous l’avons reçue, cela non plus n’est pas notre problème. Ça peut tout au plus être un motif d’action de grâces, que nous ayons compris ou pas ! La vraie question, existentielle, est d’accomplir cette vocation que nous avons reçue avec le baptême et le nom de chrétien, à savoir vivre et témoigner du Christ auprès de ceux qui nous entourent, et au cœur de notre société. « Dieu [nous a] fait miséricorde », et notre vie peut et doit en rendre témoignage. On ne vit pas de la même façon en étant prisonnier et en étant libre, on ne vit pas de la même façon en croulant sous le poids du péché et en étant pardonné. Et ça se voit, qu’on le veuille ou pas.
Tout comme l’ancien Israël et ce qui en subsiste aujourd’hui, nous avons beaucoup reçu, à commencer par ce pardon scellé sur la croix de Jésus-Christ. « Nous avons été créés en Christ Jésus pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions », écrivait ailleurs l’apôtre Paul (Éph. 2 / 10). Il nous faut prendre garde à ce que les pleurs de Jésus ne soient pas versés sur nous, et à ce que sa critique du Temple ne s’applique pas à notre Église ! Le témoignage qui doit être rendu à l’amour et à la seigneurie de Dieu ne peut l’être que par nous, évidemment pas par des gens qui ne les connaissent d’aucune manière, ni par des gens qui proclament un autre Dieu que le seul vrai. Et c’est en aimant qu’on témoigne de l’amour reçu, c’est en lui obéissant qu’on témoigne avoir un seigneur auquel on doit sa vie. Il n’est pas besoin d’inventer en la matière, même si les formes sont accessoires et contingentes. Aimer, c’est donner sa vie, pas prendre celle des autres. Obéir à Dieu, c’est trouver les chemins de cette obéissance dans la Bible et pas dans l’air du temps, ni dans ses propres sentiments ou ressentiments…
Alors, bien sûr, on peut être attentifs à ce qu’il advient du peuple juif, et prier pour lui. Bien sûr, on peut être attentif à ce qu’il advient du pays dans lequel Dieu nous a placés, et prier pour lui et pour tous ceux qui y vivent, quels qu’ils soient. Mais la promesse qui nous lie à Dieu, c’est qu’il a fait de nous ses enfants, « son peuple et le troupeau de son pâturage » (Ps. 100 / 3). Cette promesse nous oblige, nous ; pas lui. Elle nous oblige à vivre en adultes responsables, reconnaissants de tout ce qu’il nous a donnés et qu’il continue à nous donner afin d’accomplir ce pour quoi il nous a mis là. Chacun peut parfaitement recevoir du même Dieu une vocation différente : je ne vous en ferai donc pas le détail, c’est à vous, Bible en main, à savoir à chaque fois ce que Dieu attend de vous, et c’est à vous de le mettre en œuvre.
Le « pour vivre heureux, vivons cachés » du poète (J.P. Claris de Florian, in Le Grillon) n’est plus de mise pour les chrétiens ni parmi eux pour les protestants. Mais le mode d’action qui est le nôtre n’est ni militaire ni politique (encore que ce puisse être ceux de notre pays). Notre mode d’action à nous est évangélique, c’est-à-dire à l’image du Christ. C’est à lui, à lui seul, que le Saint-Esprit veut nous conformer. La manière, encore une fois, « ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » On peut toujours suggérer à Dieu ce qu’on voudrait qu’il fasse de nous… Mais c’est lui qui sait, qui veut, qui fait. Il n’y a plus qu’à le vivre. Tel est, aujourd’hui comme toujours, le défi des chrétiens et des Églises : faire ce que Dieu veut que nous fassions pour être témoins du Christ et de son pardon, enfants de la promesse. Alors, oui, « heureuse la nation qui a le Seigneur comme Dieu, heureux le peuple qu’il s’est choisi pour héritage ! » Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 31 juillet 2016