Ésaïe 43 / 1-12

 

texte :  Ésaïe, 43 / 1-12   (trad. : Bible à la colombe)

première lecture :  Épître aux Romains, 6 / 3-11

chants :  523 et 539  (Arc-en-ciel)

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Chers amis, dans la liste alsacienne que je suis d’habitude, ce dimanche est consacré au baptême, et le suivant à la sainte cène. Mais des baptêmes et des confirmations, nous en avons déjà eu quatre depuis un mois et demi, et dimanche prochain nous n’avons pas de culte ici, puisque plusieurs seront à Friedrichshafen pour les 25 ans de notre paroisse jumelle. C’est pourtant dans la même liste que j’ai pris les deux textes de ce jour, le premier pour se rappeler que le baptême ne concerne pas que les nouveaux baptisés ou confirmés, mais chacun de nous : nous sommes des baptisés ! Et sur le second, je vous dirai quelques mots de plus… tout en nous rappelant que c’est bien en tant que baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus, plongés en elles, que nous entendons ces paroles.

 

Ainsi, lorsque le chapitre 43 d’Ésaïe commence en nous rappelant que c’est Dieu qui nous a créés, cela ne renvoie pas à je ne sais quel jour du calendrier des sciences ou des religions. Mais lorsque la Bible nous raconte la sortie de l’univers habitable hors des eaux primordiales, lorsqu’elle nous narre la sortie de l’arche hors des eaux du Déluge, lorsque même elle nous met en présence de la traversée par les Hébreux des eaux qui ont englouti l’Égypte, elle ne fait que nous renvoyer par avance à la mort et à la résurrection de Jésus, et à notre propre baptême. L’acte par lequel le Dieu des cieux, le créateur des mondes, nous a créés, nous, c’est par ce baptême en Christ, qui nous a « rachetés de la vaine manière de vivre héritée de [nos] Pères », pour le dire comme l’apôtre Pierre (1 Pi. 1 / 18).

 

Retentit ici cette joyeuse et paternelle revendication : « je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi ! » C’est un appel, bien sûr, et pas seulement un rappel. C’est l’appel du père à son fils prodigue, même lorsqu’il est trop loin pour entendre (Luc 15 / 20) – mais c’est écrit, il peut toujours le lire ! C’est l’appel du père à celui ou celle qui court vers lui, ou bien qui court dans le noir sans savoir où il va. C’est la lumière du phare qui appelle les marins et leur indique par où il faut passer pour ne pas se fracasser sur les rochers. Cet appel peut donc aussi être entendu par d’autres, « qui ne sont pas de cette bergerie », si l’on préfère l’image des brebis… (Jean 10 / 16) Mais pour nous qui le cherchons, nous qui sommes attentifs à voir cette lumière, à entendre cette voix, c’est une parole rassurante. Même dans l’obscurité – le prophète parle des eaux, des fleuves, du feu, de la flamme… – nous savons que Dieu est là, et pas n’importe quel Dieu : celui par qui nous sommes !

 

Car, vous le savez bien, beaucoup d’autres puissances et beaucoup de mensonges prétendent être des dieux pour nous : non seulement pour nous influencer, mais pour prendre pouvoir sur nos vies, sur nos pensées et nos sentiments, sur nos relations, sur notre vie sociale, etc. Parfois nous sommes clairvoyants, et nous ne nous laissons pas abuser par ces idoles. Mais parfois nous sommes aveugles, les prenant pour Dieu lui-même, alors qu’elles ne sont que des créatures de notre imagination ou de notre système ; ou bien les prenant pour des dieux plus intéressants que le vrai… La critique des prophètes contre les idoles et les vanités reste actuelle et le restera jusqu’à la fin du monde, et Jésus lui-même fut tenté de les prendre pour Dieu, lorsqu’au désert il vécut, comme nous, le silence de Dieu (Luc 4 / 1-13). Et lorsque nous n’entendons plus Dieu, le diable vient tellement facilement prendre la place…

 

Il nous est donc bien nécessaire de nous raccrocher à la Parole de Dieu, comme Jésus l’a fait, et jusque sur la croix, puisque son cri d’abandon était une phrase de l’Écriture (Marc 15 / 34), vous le savez bien. Et aujourd’hui la Parole de Dieu n’est pas obscure, elle nous dit clairement que Dieu se préoccupe et s’occupe de nous, quels que soient les chemins sur lesquels nous peinons. Là où nous risquons notre vie, là même où nous risquons notre âme, il est là et nous protège. Il nous rachète. La question n’est pas intellectuelle, elle n’est pas de savoir à qui il nous rachète, faisant ainsi de la théologie au lieu de vivre la foi. Non : la question, c’est que lorsque nous sommes prisonniers, quels qu’en soient le responsable et la cause, c’est comme si nous avions besoin qu’un autre nous rachète, nous libère, paye pour nous, à notre place. Car nous y sommes sans force.

 

Ici la parole du prophète, la poésie à travers laquelle il nous donne cette parole, se fait étrange à nos oreilles, comme si Dieu sacrifiait les païens pour nous sauver. Ça ne veut évidemment rien dire. Ou plutôt, si : ça veut dire que le maître du monde est prêt à sacrifier le monde, tout ce qui est le plus précieux de ce qui lui appartient, pour nous racheter, nous. Entendez bien : pour Dieu, vous valez plus que le monde entier ! Il l’a montré quelques siècles après la prophétie qui ne savait pas ce qu’elle annonçait : il a donné son propre Fils, c’est-à-dire sa propre vie, pour ce rachat, cette libération, de gens qui passons pourtant notre propre vie à lui tourner le dos. Ce « sois sans crainte » qui fut exploité de manières diverses il y a quelques années retentit ici deux fois. Pour le dire en français plus courant : « n’aie pas peur ! »

 

Serait-ce alors de la peur, que Dieu – notre Dieu, qui a donné sa vie pour nous – veut nous racheter ? Peut-être bien. La peur est pire que la mort : elle est peur de la vie, peur de l’espoir, enfermement total par exclusion des autres et de soi, exclusion du passé, du présent et de l’avenir. Peur de son propre nom. Mais voilà que ce Dieu nous dit que le nom que nous portons n’est ni un nom culturel, ni un nom génétique, ni un nom de rencontre. Mais c’est le sien : nous chrétiens, nous portons le nom du Christ, et ce n’est pas un effet de littérature, mais la conséquence de notre adoption par Dieu. Nous n’appartenons plus à ce qui, à vues humaines, nous constitue pourtant. Mais nous appartenons au Dieu du ciel, nous sommes les fils et les filles adoptifs du Père. Oui, nous sommes à lui, et à rien ni personne d’autre, pas même à nous-mêmes dans ce qui nous séparerait de lui. Notre liberté n’est pas en nous – la Bible n’est pas humaniste – mais dans l’amour du Père pour nous.

 

Et dans son amour il nous appelle, il nous fait sortir, comme il fit sortir Lazare de son tombeau. Et peu importe que Lazare « sentît déjà » (Jean 11 / 39). De quoi avons-nous besoin que Dieu nous fasse sortir par l’appel puissant de son amour pour nous en Jésus-Christ ? Chacun le sait ou le devine pour lui-même. Celui qui penserait ne pas en avoir besoin serait comme ces Pharisiens à qui Jésus disait : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites : “Nous voyons” ; aussi votre péché demeure. » (Jean 9 / 41), ou comme cet autre qui priait à proximité d’un escroc notoire : « Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager : je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. » (Luc 18 / 11-12) Prisonnier de sa propre justice, de son aveuglement, précisément. Mais moi, je sais que j’ai besoin de guérison, de libération.

 

Ou plutôt, je sais que j’ai été libéré, mais j’ai encore besoin qu’on me fasse sortir en me prenant par la main, comme Pierre lorsqu’il était en prison, qu’il se voyait libre, mais n’y croyait pas vraiment : l’ange dut le faire sortir lui-même ! (Actes 12 / 7-9). Oui, les récits de libération sont nombreux dans la Bible. Vous me direz qu’ils sont nombreux dans le monde entier. Le marxisme n’en est-il pas un immense ? Et le bouddhisme ? Et, après tout, l’islam ? Etc. Mais si elle n’est pas humaniste, la Bible n’est pas non plus libérale : elle dénonce la fausseté de tous ces récits où les aveugles restent aveugles, où leurs divinités et leurs idéologies ne sont que du vent et ne peuvent pas libérer, « qu’on puisse dire : “C’est vrai” » ! …

 

C’est que la libération n’est démontrée que lorsque c’est le prisonnier libéré qui se sait libre et qui en témoigne. Rappelez-vous l’aveugle de naissance, interrogé par les Pharisiens à propos de Jésus : « S’il est pécheur, je ne le sais pas ; je sais une chose : j’étais aveugle, maintenant je vois. » (Jean 9 / 25) Ces parents, par contre, n’ont pas témoigné : « Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle ; mais comment il voit maintenant, nous ne le savons pas, ou qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez âgé pour parler de ce qui le concerne. » (ibid. 20-21) Nous avons là l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire : laisser entendre qu’il pourrait y avoir toutes sortes de sauveurs, toutes sortes de moyens de libérer les gens, et qu’on peut bien se taire, qu’on peut laisser croire cela, car seule importe la libération…

 

Mais non. Seul importe le libérateur, et il n’y en a qu’un. Les autres soit n’existent pas, soit sont des menteurs : ils ne libèrent pas, mais emprisonnent autrement. Comme l’écrivait Paul à Timothée : « il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous : c’est le témoignage rendu en temps voulu, pour lequel j’ai été moi-même établi prédicateur et apôtre… » (1 Tim. 2 / 5-7a) Si cela n’est pas vrai, « et si Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, et votre foi aussi est vaine, […] vous êtes encore dans vos péchés » (1 Cor. 15 / 14. 17), écrivait Paul. Nous n’avons pas le choix, comme tous ceux qui sont enfermés, d’ailleurs : il n’y a qu’un sauveur, et soit il existe et nous sommes libres, soit il n’existe pas et « nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. » (ibid. 19) Aucune illusion n’y pourra rien…

 

Mais nous avons été libérés, et c’est bien de ce Dieu et Sauveur que « nous sommes donc témoins », comme Ésaïe nous y appelle. En fait, nous n’avons pas d’autre rôle ici-bas. Certes, nous vivons la même vie que tout un chacun ; mais devant Dieu ce n’est pas cela qui compte – et ça ne devrait pas l’être à nos yeux non plus, sauf là encore à en être prisonniers. Mais à travers cette existence-ci, de manière originale nous sommes là pour témoigner que notre identité n’y est pas enfermée, mais que nous avons reçu le nom-même du Christ, un nom victorieux même de la mort ! Aussi nous n’avons plus aucune crainte, même là où nous aurions des raisons d’en avoir. Comme le confessait Job : « Je sais que celui qui me rachète est vivant ! » (Job 19 / 25) Dans toutes les circonstances de la vie, nous n’avons pas d’autre combat à mener, pas d’autre témoignage à avoir, en paroles et en actes, auprès des grands et des petits, que celui-ci. Il ne nous reste qu’à le manifester dans un amour libéré de tous nos égoïsmes, dans une parole libérée de toutes nos idéologies, dans une communion qui n’est fondée qu’en un seul homme : Jésus-Christ. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  3 juillet 2016

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