Évangile selon Jean 13 / 1-17

 

texte :  Évangile selon Jean, 13 / 1-17  (trad. : Bible à la colombe)

première lecture :  Évangile selon Jean, 6 / 47-63

chants :  581 et 528  (Arc-en-ciel)

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« Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? » C’est ce que Jésus nous demande après avoir lavé les pieds de ses apôtres. C’est ce que Jésus nous demande après nous avoir nourris de son corps et de son sang. Et la réponse, bien sûr, est négative. Non, nous n’avons toujours pas compris, nous n’avons désespérément pas compris…

 

Autrefois, nous nous sommes battus pour savoir si le repas que nous venons de prendre, et qui commémore le dernier repas de Jésus avant son arrestation et sa mise à mort – si ce repas était une simple commémoration, un simple souvenir, ou bien si le pain et le vin, voire le pain seulement, devenaient vraiment corps et sang de Jésus-Christ, et de quelle manière… Oui, nous nous sommes battus, nous nous sommes excommuniés pour ça, y compris au sein-même du protestantisme, et beaucoup croient encore que c’est ce point qui nous sépare des catholiques… Nous n’avons pas compris ce que Jésus a fait pour nous. À l’heure où la « bête immonde » surgit une fois de plus inopinément au détour d’un aéroport ou d’une rame de métro, et alors qu’elle poursuit son œuvre de destruction, de viol des corps et des âmes, au Moyen-Orient et en Afrique, la question n’est pas du mode de présence de Jésus dans la cène !

 

Lorsque Jésus pose cette question, c’est bien sûr, au premier niveau, à propos du service, comme il l’explique alors. Mais ce récit du lavement des pieds, vous le savez, remplace celui de la cène dans l’évangile de Jean. Cela se passe bien « pendant le repas », comme le dit l’évangéliste. Au chapitre 6, Jésus avait expliqué le sens de ce repas, c’est-à-dire le sens de ce que produit pour nous sa mort sur la croix, que ce repas rappelle. L’apôtre Paul le dira autrement : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Gal. 2 / 20). Et pour une fois, Saint Paul est plus facile à comprendre qu’un évangéliste ! Mais il dit la même chose. Paroles spirituelles là encore, et non pas à comprendre de manière chimique ou biologique, sinon pour essayer de « noyer le poisson » et ne surtout pas voir ce que l’Évangile nous raconte, ce que le saint Esprit veut nous dire !

 

« Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? », demande Jésus. Ce « vous » empêche toute définition théorique, à distance de nous autres. C’est une interpellation existentielle : Jésus ne nous a pas montré quelque chose, ni expliqué quelque chose. Il nous a « fait » quelque chose. La question se fait alors plus précise : « qu’est-ce que ça nous a fait à nous, ce que Jésus a fait ? »… En quoi suis-je concerné par ce repas, qui nous dit que « si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » … ? Quand donc Jésus a-t-il fait ça ? Quand donc s’est-il mis ainsi à mon service, comme un esclave ? C’est sur la croix, bien sûr, et c’est aussi ce que ce repas célèbre : « lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous. » (Rom. 5 / 8)

 

« Vous », « nous », toujours la même interpellation ! La foi chrétienne ne se base pas sur une mythologie, ni elle ne raconte un passé vieux de 2.000 ans. Mais en le racontant, elle raconte aussi et même d’abord en quoi moi, vous, nous sommes concernés dans notre chair et dans notre esprit, dans notre quotidien le plus pénible et dans nos aspirations les plus profondes, dans notre présent et dans notre avenir, dans notre intimité et dans nos relations, dans notre santé, notre sexualité, notre travail, notre porte-monnaie, nos paroles et nos silences… bref, dans tout ce qui nous constitue de près ou de loin – non pas que tout en nous en ait besoin, mais pourtant tout en nous est touché par « ce que [Jésus] [nous] a fait ». Car en toute chose, je suis si souvent tiré vers le bas – c’est ce que la Bible appelle « la chair », emprisonnant « l’esprit » dans mes peurs et mes besoins. Voilà ce que Jésus a modifié, radicalement modifié, en moi, en vous, en donnant sa vie pour nous : celle-ci, « [sa] chair et [son] sang », a pris la place de ma propre « chair ».

 

Oh, pas totalement, certes ! Pour le dire comme Paul, le « vieil homme » (Rom. 6 / 6) subsiste en moi, parfois lourdement, et ça ne s’arrêtera pas demain matin… Mais tout comme le pain de la cène est pour nous le corps du Christ (concevez cela comme vous voulez !), de même notre propre « chair » est transformée par la vie du Christ en nous, ce qu’aucun chimiste ou médecin ne pourra constater – quoique, parfois… La question de Jésus rebondit alors encore un peu autrement : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? », c’est aussi « Comment constatez-vous dans votre propre vie, dans votre propre chair, ce que je vous ai fait ? » Ou pour reprendre la dernière phrase de la scène du lavement des pieds : « vous êtes heureux, pourvu que vous le fassiez. » D’un « faire » à l’autre, de ce que Jésus m’a fait à comment je le fais, moi.

 

D’aucuns parlent de la « dimension éthique » de la foi, voire de la sainte cène. Ce n’est pas seulement mon intelligence qui est touchée – défaut que les Réformés connaissent bien – mais c’est tout mon être, y compris dans mon comportement. Et lorsque j’essaye de ne pas seulement m’intéresser à moi, mais que je retrouve le pluriel qu’utilisait Jésus, alors oui, c’est notre être comme Église, comme communauté de gens, c’est notre comportement entre nous, qui est touché, modifié, par la mort et la résurrection de Jésus, et par la participation ensemble à la sainte cène, qui est le lieu, le moment, de notre appropriation commune de ce que Jésus « [nous] a fait. » « Comprenez-vous ? » Il a réalisé, en se donnant à nous, un grand miracle : il nous a faits serviteurs les uns des autres. Ainsi la foi chrétienne ne peut pas se vivre de manière solitaire, de même qu’on ne prend pas la cène seul dans son coin. La cène est forcément un repas communautaire, la foi chrétienne se vit forcément dans la communauté, la solidarité.

 

Bien sûr, comme toute paroisse qui se respecte, nous avons des activités communes, des repas, etc., et beaucoup de gens y sont au service. Mais ce n’est pas tellement de ça que je parle, même si c’en est aussi un aspect, et nous leur en sommes reconnaissants. Mais le service au sens où Jésus a lavé les pieds de ses disciples, le service au sens où il a donné sa vie pour nous, où il a payé le prix de notre vie à notre place – on peut aussi le dire comme ça –, ce service est beaucoup plus qu’un service associatif même désintéressé, ce qui n’est déjà plus si fréquent… Ce service engage toute la personne, et il ne choisit pas qui il sert. Ami ou ennemi, prochain ou étranger, reconnaissant ou indifférent, tout un chacun peut être au bénéfice de ce service. Or ces différences peuvent aussi se retrouver parmi nous, tant il est vrai que nous sommes loin d’être parfaits ! Car c’est donc à des gens imparfaits, comme Pierre et ses compagnons, comme vous et moi, c’est à nous que Jésus « a fait » ce service et ce don de sa vie. Le verbe est au parfait, lui !, et non pas au présent ou au conditionnel. Il n’a pas attendu que nous soyons justes, il nous a rendus justes par le don de sa vie. Il le redira à Jean tout à la fin de la Bible : « c’est fait ! » (Apoc. 21 / 6)

 

« Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? » Lorsque nous venons de prendre la cène, de « communier au corps et au sang du Christ » (cf. 1 Cor. 10 / 16), comme nous l’avons fait ce soir, la réponse à cette question n’est pas une réponse intellectuelle, ce n’est pas la récitation d’un article de doctrine. La saine doctrine chrétienne consiste à laisser l’Esprit de Dieu réaliser dans notre vie ce que le Christ a fait pour nous une fois pour toutes sans considérer nos mérites ni nos péchés. La doctrine chrétienne consiste en un « faire » qui, expliqué aux autres, devient témoignage rendu au Christ, et non pas témoignage de notre bonté ! C’est ce qu’on voit les apôtres accomplir tout au long du livre de leurs Actes… Nous servons non pas parce que nous sommes bons, non pas parce que Dieu se sert de nous, mais parce que Christ nous a servis le premier, et que nous vivons de ce service, de ce don, de cette chair et de ce sang qui ont été offerts sur la croix. Nous aurons accompli notre service lorsque nous pourrons à notre tour poser à quelqu’un d’autre la question : « comprenez-vous ce que [Jésus] vous a fait ? » et que l’autre répondra « je crois ». Amen.

 

Saint-Dié (Jeudi saint)  –  David Mitrani  –  24 mars 2016

 

 

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