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Épître aux Romains 5 / 1-11
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texte : Épître aux Romains, 5 / 1-11 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Ésaïe, 5 / 1-7 ; Évangile selon Marc, 12 / 1-12
chants : 33-03 et 33-19 (Alléluia)
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« Nous avons la paix », « nous avons obtenu la réconciliation. » C’est entre ces deux affirmations que se place l’extrait de la lettre aux Romains que nous venons d’entendre. À vrai dire, comme prédication pour aujourd’hui, cela devrait nous suffire ! Malgré toutes les apparences, malgré la maladie, l’injustice, la crise morale et économique, la guerre pas si loin de nous que cela, « nous avons la paix ». Et quoi qu’en dise à nos oreilles la voix de l’Accusateur, surtout lorsque nous nous regardons dans le miroir de l’Ancien Testament et jusque dans le Nouveau, « nous avons obtenu la réconciliation. » Ces deux petites phrases se renvoient l’une à l’autre. Il n’y a pas de paix sans réconciliation, il suffit de regarder dans nos familles et notre proximité pour le savoir, et les dirigeants du monde devraient y penser de temps en temps. Et il ne peut y avoir de réconciliation si l’on ne cherche pas la paix.
Mais comme d’habitude, le texte de ce matin ne nous parle pas de morale. Ce qu’il en est de nos efforts et de nos mensonges, le prophète Ésaïe le dit assez : nous avons tout faux, et c’est trop tard pour redresser la barre ! Dieu sait bien ce qu’il en est de nos bonnes résolutions, il sait aussi que nous ne faisons que le bien qui nous rapporte, et tout ceci, il l’appelle des « fruits infects »… Ne rêvons donc pas à bâtir la paix, nous en sommes incapables, déjà en nous-mêmes, mais aussi les uns avec les autres, et à plus forte raison avec Dieu ! Soyons réalistes, renonçons à nos propres œuvres qui ne produisent jamais ce que la Bible appelle « la justice ». Soyons réalistes, mais ne soyons pas cyniques : n’abandonnons pas l’envie et la quête de la paix, en nous, entre nous, avec Dieu. Mais confions-les à celui seul qui y peut quelque chose : Dieu lui-même. – En fait, si nous pouvons les lui confier au lieu de nous y mettre nous-mêmes et de tomber à nouveau, c’est parce que c’est déjà fait : il l’a déjà fait, pour nous : « c’est à lui que nous le devons », écrivait l’apôtre Paul.
Ce que Paul nous écrit ce matin n’est qu’un commentaire, une explication de cette paix que nous avons reçue, de cette réconciliation que nous avons obtenue. Des protestants devraient le savoir : nous sommes « justifiés par la foi ». Ceci n’est pas un slogan, c’est un titre, un titre sous lequel sont écrites deux choses : notre propre paix, et la mort de Jésus, la seconde étant la cause de la première. Mais Paul commence par ce qui est le plus important pour nous – la nature humaine ne se refait pas : le plus important pour nous, c’est nous. Et donc, pour nous, c’est la paix que nous avons reçue gratuitement, gracieusement : c’est un cadeau, c’est le fruit de notre attachement à Jésus, c’est le produit du regard de Dieu qui n’est plus tourné vers tout ce qui nous sépare de lui, mais vers celui qui seul trouve grâce à ses yeux, son Fils bien-aimé, qui « a été tenté comme nous à tous égards, sans péché » (Héb. 4 / 15). Attachés à ce Fils, nous sommes regardés par le Père à sa ressemblance, placés comme lui dans la bonne relation au Père, rendus semblables par lui à ses enfants. Voilà ce qu’est la foi.
La paix en est la conséquence. C’est dire aussi que cette paix imméritée et pourtant reçue est nôtre, mais que nous ne pouvons la saisir et en profiter que dans la relation avec le Père, en Jésus-Christ. Mais lorsque nous nous y tenons, dans cette relation, dans la foi, alors oui, quoi qu’il puisse nous arriver d’autre, c’est cette paix qui nous porte et qui agit en nous, qui nous fait porter à notre tour des fruits inattendus. Vous entendez bien qu’il n’y a pas là d’automatisme, comme si nous étions à nous-mêmes notre propre père, notre propre dieu. Mais il y a une relation vivifiante, qui a été rétablie pour nous par Jésus-Christ, et qu’il n’est au pouvoir de personne de détruire ni d’amoindrir. « Nous avons la paix » ! Mais comme un enfant ne profite de l’amour de ses parents qu’en étant en relation avec eux, comme un citoyen ne profite de son droit de vote qu’en allant voter, comme l’amour conjugal n’est un véritable amour, qui apporte à l’un et à l’autre, qu’en présence l’un de l’autre, de même la foi ne me procure la paix que lorsque je m’y tiens.
Mais alors, même les pires oppositions – ce que nos anciennes traductions appellent « tribulations » – ne peuvent avoir d’effet négatif. Au contraire, elles sont l’occasion d’éprouver cette paix que, sinon, nous ne saurions pas distinguer du bonheur humain. Or la paix et le bonheur sont deux choses différentes, sauf si on regarde la définition du bonheur donnée dans les Béatitudes bien sûr ! Mais le bonheur au sens où les gens utilisent ce mot n’est que l’absence, forcément momentanée, de tout ce qui peut s’opposer à lui, à nous. Lorsque ces oppositions arrivent, telles la tempête sur ce que le sage et l’insensé ont tous deux construit (Matt. 7 / 24-27), alors s’efface le bonheur, mais pas la paix reçue dans la foi. Et c’est bien ainsi que, parfois, l’un ou l’autre d’entre nous peut témoigner de cette bénédiction alors-même que d’autres auraient coulé dans la tempête. Ce n’est pas une question de psychologie, ce n’est pas le produit de je ne sais quels exercices spirituels. C’est un cadeau, une grâce de Dieu.
La question se pose du pourquoi. Pourquoi, si je n’ai rien fait pour auparavant, si je ne fais rien pour pendant, pourquoi donc les soi-disant épreuves, les catastrophes en fait, peuvent-elles glisser sur moi, et même renforcer ma foi et mon espérance ? À cause de cette paix reçue, à cause de Jésus-Christ. Il est le moyen par lequel cette grâce nous a été accordée. Comment cela se peut-il ? Comment moi, né au XXème siècle, puis-je être au bénéfice de ce que quelqu’un a fait plus de 19 siècles auparavant ? Et pourquoi ce qu’il a fait était-il nécessaire pour que je reçoive cette paix ? Je vais vous dire : je n’en sais rien ! Mais je fais confiance à la parole qui me l’affirme, je fais confiance à l’Esprit qui en témoigne dans ma vie à moi, comme dans celle d’autres gens. Or cet Esprit parle ma langue. Je veux dire : il utilise des images qui me parlent, même si elles sont approximatives ou peu adaptées. Et puisque, après tout, il reste en moi l’envie de bien faire pour y gagner quelque chose, c’est donc qu’en moi l’image de Dieu comme un juge ou un notaire n’est pas morte. Alors l’Esprit utilise cette fausse image de Dieu, sachant que je ne puis contempler Dieu face à face, tel qu’il est vraiment. Il me parle donc de péché, de dette, d’une existence qui doit être rachetée…
Et selon cette image, il fallait que « quelqu’un paie »… À qui ? La question n’est pas là : c’est une image. Si j’ai de Dieu l’image d’un juste juge, alors je dois considérer l’immensité de la peine que je mérite de sa part, et qui donc pourrait bien payer cette dette incommensurable à ma place : eh bien c’est le Christ qui a payé à ma place. Car dans ma vie, tout se passe comme si Dieu et moi, on était fâchés. Sauf que c’est Dieu, et donc c’est grave ! Et puisque c’est Dieu, ça devrait être à moi de faire le chemin. Sauf que je n’en suis pas capable, et que je ne le serai jamais. Aucune paix pour moi sur ce chemin… C’est donc lui qui a fait ce chemin de réconciliation à ma place, jusqu’à moi. – C’est une autre image qui dit la même chose.
L’apôtre Paul prend alors une idée que tout le monde peut comprendre : « à peine mourrait-on pour un juste ; quelqu’un peut-être aurait le courage de mourir pour un homme qui est bon… » Ainsi sommes-nous, petites gens, peu souvent héroïques. Mais rien ne nous est reproché ici : ce n’est pas nous le sujet, c’est le Christ ! Et c’est de sa mort à lui qu’il est question. À l’inverse de nous autres, lui a pu donner sa vie pour des inconnus qui ne le méritaient pas, et non pas pour ceux de ses amis qui l’auraient mérité. Là encore, pourquoi il a dû donner sa vie, je ne sais pas. Mais il l’a fait, et je sais que c’est grâce à ça que ma vie à moi en est changée, que j’ai reçu la paix dont je vous parlais tout à l’heure, et que si réconciliation il devait y avoir – et ça, c’est certain – eh bien c’est grâce à lui et non à moi qu’elle a pu avoir lieu. Une autre image dira qu’il a pris sur lui ma mort pour que je vive de sa vie. Ou qu’ayant pris sur lui mon péché, il m’a donné sa justice, et c’est pourquoi, comme Paul le disait, j’ai été « justifié par la foi », c’est-à-dire par sa mort.
Car cette mort est une victoire, quoi qu’en pensent le monde et ses religions. Cette mort est une victoire sur la mort : c’est ce que nous nommons « résurrection ». La mort de Jésus a été le moyen obligé pour que la plénitude de vie que Dieu offre à ses enfants puisse se manifester dans ce monde, dans notre existence concrète, et pas seulement dans nos rêves et nos espoirs. Notre réconciliation avec Dieu – pour garder ce langage – n’est pas une remise à zéro, que nous replongions aussitôt dans le gouffre. C’est la suppression du compteur des dettes ! Il n’a pas approvisionné notre compte – autre image – il a fait sauter la banque… et il a pris sa place ! Il nous a ouvert à chacun un compte illimité. Oh, pas pour que nous nous servions comme on le fait dans le monde. C’est un compte de vie, de paix, un compte inépuisable sur lequel, sans autre clef d’accès que le Christ lui-même, nous pouvons tirer toute la paix dont nous avons besoin pour supporter cette existence, pour nous supporter nous-mêmes, pour supporter les autres.
Et c’est maintenant, naturellement, qu’il faut se rappeler que « supporter », c’est subir, mais en anglais c’est aussi soutenir. De même que le Christ, par sa mort victorieuse, nous supporte dans les deux sens du mot – il nous subit et jusqu’à en mourir, et il nous soutient par sa résurrection – de même nous aussi nous avons à subir, certes, comme tout un chacun, mais aussi à soutenir, car désormais nous en sommes capables : par la paix, justement, que nous avons reçue. « Lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous », écrit Paul. L’argument selon lequel, à mes propres yeux, je ne mérite pas, ou bien untel ou unetelle ou les gens ne méritent pas, est donc un argument qui, dans la foi, est caduc. Quoi que me dise mon miroir, quoi que me montrent mes yeux, ma raison, mon jugement, la mort du Christ pour moi, moi qu’il ne connaissait pas, est un contre-argument nécessaire et suffisant. Mon argument à moi était exact, mais il n’était pas juste. La justice, c’est que désormais je ne puis regarder les autres qu’avec les yeux du Christ, les mêmes avec lesquels il m’a regardé, moi.
La réconciliation avec Dieu qu’il nous a acquise est alors aussi une réconciliation avec nous-mêmes et avec les autres. Celle-ci est rendue possible, elle est même rendue aimable, par la paix qui est désormais nôtre. Et nous ne nous glorifierons plus de ce que cette paix nous aide à tenir dans les épreuves, mais de ce qu’elle se répand à partir de nous vers ceux qui, comme nous, ne la méritent pas. « Cela est impossible aux humains, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu. » (Marc 10 / 27) Ne nous a-t-il pas rachetés à grand prix ? Demeurez fermes dans la paix que Christ vous a acquise, et laissez-la agir en vous et autour de vous. Espérez que cela est possible. « Or, l’espérance ne trompe pas, parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. » C’est lui qui le fera. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 21 février 2016