Épître aux Romains 8 / 18-25

 

texte : Épître aux Romains, 8 / 18-25  (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures : Évangile selon Marc, 13 / 24-33 ; selon Matthieu, 25 / 31-46

chants : 56-07 et 31-24 (Alléluia)

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Chers amis, malgré le thème classique de cet avant-dernier dimanche de l’année liturgique, que vous avez pu repérer à travers textes et prières, je ne verserai pas aujourd’hui dans la forme apocalyptique ni dans le contenu eschatologique. En français courant, je veux dire que je ne vous parlerai pas de révélations touchant à la fin du monde… Ceux qui le feraient ne seraient pas, me semble-t-il, fidèles à l’esprit de ces textes, et pas même souvent à leur lettre. Ces textes sur le Jugement dernier ou sur la fin du monde, comme tous les autres textes bibliques, nous parlent d’aujourd’hui. Et ce non seulement parce qu’ils permettent une parole actuelle de Dieu, mais aussi parce que l’intention de leurs auteurs, l’intention de Jésus lui-même, n’était pas de parler de l’avenir, mais bel et bien du présent. Le texte de l’apôtre Paul le dit d’ailleurs clairement.

 

Les événements de vendredi soir ne doivent pas nous induire en erreur, laquelle serait ici tragique. Même s’il a pu nous sembler que le soleil s’était obscurci, que les étoiles tombaient du ciel – et c’est bien ce que ces gens qui sont en guerre contre nous aimeraient nous signifier – eh bien force est de constater que ce n’est pas vrai. La manière dont Jésus concluait cette partie de son discours le rappelle : « pour ce qui est du jour ou de l’heure, personne ne les connaît… » Si c’est vrai de l’heure de notre mort, comme ce le fut vendredi pour tellement de gens sous les coups des assassins, ce n’est néanmoins pas de cela que parle ce texte. Et la phrase la plus importante n’est pas que « le ciel et la terre passeront », mais c‘est la phrase suivante : « mes paroles ne passeront pas. » C’est ici l’ancrage de notre foi et de toute notre existence, quand bien même les pires choses arriveraient : nous pouvons avoir confiance dans le Dieu qui s’est fait parole, se livrant ainsi à nous pour nous faire vivre dans toutes les circonstances, et même dans la mort qui est donc désormais sans pouvoir.

 

Ainsi, « lorsque le Fils de l’homme viendra »… – c’est une parabole qui nous est livrée, et non pas un exposé théologique. Je n’épiloguerai pas ce matin sur ce second texte, il y aurait trop de choses à dire. Je signalerai pourtant qu’il s’agit ici du jugement des « nations », c’est-à-dire des païens, et que ceux-ci sont jugés sur leur attitude à l’égard des « plus petits de mes frères », dit Jésus, c’est-à-dire des plus petits des chrétiens. Il y a donc bien là une condamnation sans appel – car auprès de qui faire appel, si le seul possible nous récuse ? – condamnation sans appel pour tous ceux qui tuent ou écrasent d’une manière ou d’une autre les gens, et notamment les chrétiens, mais donc aussi condamnation pour nous lorsque nous ne nous soucions pas des « plus petits des frères » de Jésus qui sont aussi les nôtres. Ainsi, « lorsque le Fils de l’homme viendra », ce ne sont pas nos actions de demain ni la généralité de notre vie, et encore moins l’étiquette chrétienne ou protestante que nous nous serons collée sur le front, qui seront jugées… et condamnées !, mais bien nos actions d’aujourd’hui. Le jugement, qu’il arrive demain ou dans 100.000 ans, concerne de toute façon notre vie d’aujourd’hui : il nous parle d’aujourd’hui.

 

Or aujourd’hui, nous sommes en souffrance, pour diverses raisons, les uns et les autres, de manière visible ou de manière cachée, et aucun argument des « amis de Job » que nous ne manquons pas d’avoir ne saurait atténuer ni faire oublier cette souffrance. De manière plus spécifique aujourd’hui, notre pays est en souffrance, et cela nous touche évidemment. Le Nouveau Testament, et notamment Pierre et Paul dans leurs lettres (1 Pi. 2 / 13-17 ; Rom. 13 / 1-7), nous disent assez quelle solidarité nous devons avoir avec notre pays dans tout ce qui concerne les affaires humaines, et de prier pour ses dirigeants notamment, quel que soit notre avis sur leur manière de gouverner – avis que, dans notre régime, nous avons les moyens de leur signifier par ailleurs… Quant à « la chair », pour parler comme Paul, nous sommes solidaires certes de toute l’humanité, mais d’abord de la cité dans laquelle nous vivons, à savoir notre pays. Si sa souffrance pouvait aider celui-ci à retrouver un esprit de corps, serait-ce contre ses agresseurs, cela ne pourrait lui être que bénéfique, au lieu qu’il continue à se déliter dans l’indifférenciation hyper-individualiste qui le caractérise dans trop de domaines. Je crois que nous autres, chrétiens, nous avons là un rôle à jouer à la fois pour l’y pousser et aussi pour l’empêcher de se précipiter dans la recherche de boucs émissaires.

 

Ceci étant dit, le christianisme lui-même est en souffrance ici et de par le monde. Il est, vous le savez, la religion la plus persécutée sur la planète. Et en la matière, les pays musulmans ne sont pas les derniers, il faut bien le dire même si ce n’est pas politiquement correct ! Mais certes le christianisme n’est pas persécuté en France. Encore que, dans la compréhension très antireligieuse de la laïcité telle qu’elle est aujourd’hui ordinaire dans tous les discours officiels et souvent les pratiques administratives, il vaut souvent mieux ne pas dire qu’on est chrétien, ne pas dire qu’on est une Église, ne pas dire qu’on a un but religieux. Que cette ségrégation soit parfaitement illégale, en vertu du droit international mais aussi en vertu du droit français, ne pose pas de problème à nos censeurs : ils ont l’opinion avec eux, entretenue par les medias quasi unanimes. Le protestantisme n’est respecté que par ceux qui s’imaginent que nous sommes une sorte de maçonnerie laïque ou de catholicisme qui aurait démocratisé et évacué sa religion ! À nous de veiller à ne plus laisser cette opinion-là nous dicter notre foi et notre témoignage. À nous de faire respecter nos droits, puisque nous en avons, et de réclamer notre liberté non seulement de croire, mais aussi d’exister socialement comme Église et de témoigner de ce que nous croyons.

 

Mais quelle que soit notre situation, l’apôtre Paul, entre ce présent pénible et l’avenir radieux qui nous est promis, nous renvoie vers un présent qui est porteur de cet avenir. Entendez bien dans cette phrase l’indicatif et non le subjonctif ! Car cette « portée », cette « puissance » du présent ne dépend pas de nous : elle nous est donnée. Cela ne concerne pas seulement nos individus, comme nous avons pris l’habitude de le croire et de nous en contenter. Mais cela concerne aussi le corps que nous formons – car certes nous formons un corps, même si la société nous en dénie le droit. Le présent de l’Église est porteur de son avenir donné, offert gratuitement par la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Et la merveille de ce texte de Saint Paul, c’est de nous dire que cela concerne toute la création. Car si le monde – et je ne parle pas de la nature, ni au contraire de l’humanité seule, mais bien du monde entier, avec tout ce qu’il contient, espèces et individus et structures sociales et autres – si le monde est aujourd’hui souffrant – et certes il l’est ! – ce sont les souffrances d’une grossesse.

 

Mais cela, nous seuls le savons. Le monde croit mourir, comme à d’autres époques il a cru resplendir. Mais ce n’est ni l’un ni l’autre, aujourd’hui comme hier et demain. Le monde, en tant qu’il est création d’un Dieu qui ne l’abandonne pas, est en lui-même promesse d’un autre monde, non pas ailleurs, mais – c’est le cas de le dire dans la cohérence de l’image – en son sein. Nous le savons, et nous avons à en témoigner, non pas seulement par des paroles ou des gestes individuels, mais aussi par une certaine manière d’être dans ce monde (Jean 17 / 18), nous qui appartenons déjà au monde qui n’est pas encore là. Nous sommes en quelque sorte le cadeau de Dieu au monde, pour lui faire connaître ce qu’il adviendra de lui : une nouvelle naissance, une nouvelle création, un enfantement à cette sorte de liberté qui n’est pas le droit de faire ce que je veux et d’être esclave de mes désirs, mais liberté qui est le statut d’enfant de Dieu dont la gloire est dans l’amour du Père et dans l’amour des frères et sœurs.

 

Cette heureuse nouvelle que nous recevons et transmettons nous permet aussi de relativiser ce qui nous arrive, à nous, à notre pays ou au monde entier. Non pas pour dire que ce n’est rien : c’est faux. Mais pour dire et vivre le fait, la certitude, que le premier et le dernier mot de notre existence, de celle de notre pays, et du monde entier, ne sont pas aux mains ou dans la bouche de qui que ce soit d’autre que le Créateur. Le monde, le pays, ni nos vies, ne nous appartiennent. Mais ils n’appartiennent pas non plus aux terroristes, aux fanatiques, non plus qu’aux financiers ou aux politiques, non plus qu’aux philosophes ou aux militaires, etc. Le premier et le dernier mot de toutes choses sont à Dieu, et nous savons combien ce premier mot et ce dernier mot sont bons pour le monde et pour nous, et sont bons à entendre dès aujourd’hui, dans notre présent si douloureux parfois, si ambigu souvent. De la Genèse à l’Apocalypse, la parole de Dieu pour nous et pour le monde est une parole d’amour, une parole à la fois intime et publique dans laquelle Dieu nous déclare son amour et nous le faire vivre, lui fait porter fruit en nous et dans le monde.

 

Bien sûr c’est une parole de jugement, comme toute parole d’amour. C’est une parole qui disqualifie la parole humaine d’auto-nomination, que ce soit celle des barbares ou la nôtre d’ailleurs. La parole d’amour nous dit à la fois que nous ne pouvons pas vivre sans Dieu et que Dieu a voulu que nous vivions. Cette parole dit à la fois le manque qui est en nous et la réponse de Dieu à ce manque, qui nous dispense de chercher par nous-mêmes une complétude fantasmatique comme celle qui a produit les gens qui sont en train de porter leur guerre partout en ce monde et jusque chez nous. Le monde, les autres, la société, notre pays notamment, ne peuvent pas entendre directement cette parole : ils s’y sont bouché les oreilles. À nous donc de la leur faire entendre, car c’est la parole de leur salut. Notre solidarité avec le monde implique, oblige, à ce témoignage. La liberté de la prédication chrétienne est une condition objective pour que « la grossesse » se passe bien ! Que d’autres aient aussi la liberté de prêcher autre chose fait partie du jeu, et c’est un bon moyen de nous empêcher de nous prendre nous-mêmes pour des sauveurs : à Dieu seul soit la gloire !

 

Mais vous voyez combien notre rôle est important, et pourquoi il faut que, chrétiens et Église, nous cessions de nous cacher et d’avoir honte d’être ce que nous sommes. Nos parents et voisins, mais aussi nos villes et villages et notre pays, ont besoin de notre parole si celle-ci est porteuse de la parole de Dieu pour eux, parole de jugement et de grâce, de condamnation et de rédemption, parole d’abaissement et de relèvement, parle d’amour en lutte contre les paroles et les actes de mort. Témoigner de l’amour rédempteur de Dieu est un acte civique, dès lors que nous-mêmes nous soumettons à cette parole, pour pouvoir la proposer à notre société. Notre espérance n’est pas quelque idée dans les nuages, mais se manifeste par un comportement social : affirmer la parole chrétienne de salut pour ce monde qui a une peur panique de mourir en couches et qui pourtant semble tout faire pour… L’éradication de la menace actuelle se fera sans doute de manière militaire et policière, et peut-être législative. Mais nous avons une manière à nous d’être solidaires : la prière et le témoignage chrétiens. S’il nous arrive de pratiquer la première en toute discrétion, n’hésitons plus à pratiquer le second, et évidemment de manière notoire : que serait un témoignage muet et invisible ?! Notre pays a besoin de nous comme citoyens, certes, mais aussi comme chrétiens, même s’il ne le sait pas. Nous le lui devons. Amen.

 

Raon-l’Étape – David Mitrani – 15 novembre 2015

 

 

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