- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Épître aux Romains 3 / 21-28 (1)
Épître aux Romains 3 / 21-28 (1)
Partage
texte : Épître aux Romains, 3 / 21-28 (trad. : Bible à la colombe)
autres lectures : Évangile selon Matthieu, 10 / 26-33 ; épître aux Galates, 5 / 1-6
chants : 22-04 et 45-24 (Alléluia)
téléchargez le fichier PDF ici
Qu’est-ce que c’est, la Loi ? Vous me direz : c’est le contrat qui permet que nous puissions vivre ensemble sans nous taper dessus. Mais si vous êtes plus réalistes, vous me direz peut-être que c’est ce qu’il faut respecter par crainte du gendarme ! Et si vous êtes honnêtes, vous confesserez que c’est ce que vous respectez quand ça vous arrange… et que vous transgressez quand le gendarme n’est pas là et que la loi vous embête. Mais ça, c’était déjà ce que Jésus reprochait aux Pharisiens à son époque, de s’arranger avec la loi, de prévoir les cas où, par facilité, on pouvait – légalement ! – ne pas respecter la loi… (Marc 7 / 10-13) Nous sommes tous, toujours, les mêmes ! Ceci pour dire que la loi, qui devrait s’imposer à nous, ne le fait pas vraiment. On peut la contourner. Les Français, les Latins, y excellent, paraît-il. Et puis, de toutes façons, on peut la changer ; même la Constitution ! Et même la Loi de Dieu ! L’Ancien Testament montre que les commandements reçus à une époque peuvent être modifiés à une autre époque – on dira pudiquement que c’est leur compréhension qui évolue, et ce n’est pas toujours faux.
Mais une chose est certaine pour l’apôtre Paul, et devrait l’être pour nous à sa suite : c’est que la Loi de Dieu, de quelque manière qu’on la comprenne, ne fait que nous condamner, en nous révélant que nous sommes pécheurs et donc dignes du néant de la mort éternelle. « Le salaire du péché, c’est la mort », comme il le rappellera aux Romains trois pages après l’extrait que je vous ai lu (Rom. 6 / 23). Déjà les Psaumes reconnaissaient qu’ « il n’en est aucun qui fasse le bien, pas même un seul » (Ps. 14 / 3 ; 53 / 4), ce que Paul avait d’ailleurs repris (Rom. 3 / 12). Autant dire aussi que lorsque nous condamnons quelqu’un en fonction de ce qu’il est ou de ce qu’il fait, nous reconnaissons par là-même que nous aussi, nous méritons la même condamnation, même si c’est pour d’autres raisons : « que celui qui est sans péché lui jette le premier la pierre » (Jean 8 / 7). Dire ceci n’est pas faire de l’antinomisme, de l’anarchisme. Si les lois sont bonnes pour gérer les sociétés, dès lors que les puissants donnent l’exemple au lieu de s’y soustraire, elles ne permettent pourtant pas de faire bonne figure – « se glorifier » – devant Dieu. « Le commandement est saint, et la Loi sainte, juste et bonne » (Rom. 7 / 12). Mais c’est moi qui suis pécheur, et la rigueur de la Loi me le fait réaliser.
La Loi… L’apôtre Paul joue avec ce mot. C’est qu’en grec, s’il désigne les lois humaines, ainsi que les commandements de Dieu, il désigne aussi la « Loi de Moïse », les cinq premiers livres de la Bible, en traduisant le mot hébreu « Torah » qu’il vaudrait mieux rendre par « enseignement ». Certes cet enseignement fait loi pour le croyant – en tout cas je le crois, quant à moi. Mais il n’est pas d’abord un texte juridique, c’est une parole qui me permet de me placer devant Dieu, parole qui prend certes la forme de lois – dont les sanctions sont souvent et heureusement inapplicables – mais qui prend aussi forme de récits, de mythes, d’histoire, de poèmes, etc. Ainsi dans l’expression « la Loi et les Prophètes », s’agit-il de toute la Bible : les livres de Moïse et la suite. D’où sous la plume de Paul cette phrase étrange à nos oreilles : « sans la Loi est manifestée la justice de Dieu, attestée dans la Loi et les Prophètes »… Car pour Paul comme pour tous les croyants, l’Écriture sainte – « la Loi et les Prophètes » – nous apprend comment Dieu est juste, et quelle est sa justice. Or, ce que Paul lit dans cette Torah, c’est précisément que la justice de Dieu passe par-dessus la loi, sa propre loi… Car si les commandements de Dieu nous condamnent, lui, Dieu, nous rachète de cette condamnation dans une action qui ne nous coûte rien, qui n’est pas la nôtre, mais la sienne : la mort de Jésus. Comme si nous étions condamnables de toute façon, et que ses commandements étaient juste là pour limiter les dégâts, et nous faire connaître ce que nous sommes, comme un miroir qui ne mentirait pas. Mais Dieu « ne désire pas la mort du méchant, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Éz. 18 / 23), disait le prophète.
La grâce de cette rédemption – de ce rachat – est gratuite, mais elle se saisit « par la foi ». La justice de Dieu consiste donc en ce cadeau qu’est la personne de Jésus qui est mort pour nous, mort pour réaliser ça. Dieu me rend juste, et donc il me replace dans sa communion, comme son enfant, lui qui est mon Père, dès lors que je viens remplir cette place que sans lui j’aurais laissée vide. Et comment est-ce que je reviens à ma place ? En faisant confiance à Dieu, en croyant ce cadeau qu’il m’offre malgré et à cause de ce que je suis. Avoir « la foi de Jésus », comme écrit Paul : croire en lui, et croire comme lui, croire au bénéfice pour moi de sa foi à lui. Car Jésus s’est placé à la bonne place, à sa vraie place, celle du Fils unique du Père : la foi, c’est se mettre à sa vraie place. Jésus a eu cette foi. Et il m’invite, par sa mort, à me mettre moi aussi à cette place, ma vraie place, la sienne, afin qu’en me regardant le Père voie son Fils, d’un même regard, son Fils avec majuscule et son fils sans majuscule… Jésus m’a offert sa place !
« Où donc est le sujet de se glorifier ? Il est exclu. » Et voilà pourquoi cet Évangile a tant de mal à passer, même pour nous autres, protestants, qui prétendons nous y tenir. C’est la nature humaine – et pas seulement masculine, quoi qu’on en dise ! C’est notre nature – que les théologiens appelleront « le péché originel » – que de vouloir être les artisans de notre propre gloire, de notre propre justice. Oui, nous voulons, au fond de nous, être assez bons, ou assez pieux, ou assez quelque chose, pour que Dieu nous agrée. Nous voulons mériter son intérêt. Comme des enfants qui voudraient mériter l’amour de leurs parents. Mais nous, nous savons, comme adultes, que l’amour ne se mérite pas, mais qu’il se reçoit, simplement. Soyons donc un peu adultes dans notre relation avec Dieu : comprenons que nous n’avons rien à mériter, mais que nous avons à recevoir un amour pour le laisser agir en nous, pour en vivre. C’est là « la foi qui est agissante par l’amour », comme Paul l’écrivait aux Galates. Si l’amour est un sujet de se glorifier, alors il n’est plus l’amour, il est un devoir, avant de devenir un pensum et de finir par disparaître totalement – ce dont, généralement, on accuse toujours l’autre. Or, quand l’autre est Dieu, il ne se laisse pas accuser, mais il nous renvoie le miroir…
Ainsi, aucune œuvre ne peut me rendre juste devant Dieu. C’est l’expérience douloureuse du « jeune homme riche », vous savez bien (Marc 10 / 17-27). Il a tout fait, tous les commandements, et c’est bien. Mais ça ne sert pas à être regardé comme juste. Jésus seul réalise ce grand miracle que moi, « pécheur indigne et misérable », je sois regardé par Dieu comme si j’étais juste, comme si j’étais son enfant – et ce regard de Dieu fait de moi, vraiment, son enfant : son regard sur moi, pas mes œuvres, pas mon obéissance. La « loi » qui opère – Paul joue toujours avec ce mot – c’est « la loi de la foi », qui n’a en fait aucun rapport avec des commandements. Ne me dites pas qu’il s’agit du double commandement d’amour, qui, lui aussi, excellent résumé de la Torah, ne peut que me condamner. Car qui de vous ou moi peut prétendre aimer Dieu par-dessus tout, et son prochain comme soi-même ? Non. La « loi de la foi » est le contraire des commandements. C’est ici Dieu qui m’aime, et moi qui le crois.
Faut-il alors oublier les commandements, et « vivre comme un cochon » ?… Bien sûr que non. C’est le même Dieu qui me parle par la Loi et par l’Évangile. Mais il ne me faut pas confondre les deux ! Ce serait comme de confondre la vie conjugale et la cérémonie de mariage : ça n’a presque rien à voir, et pourtant c’est le même mot, « mariage », que nous utilisons dans les deux cas. Pauvre couple, qui confondrait les deux choses… Eh bien, la loi de Dieu, c’est ainsi de me dire que je suis condamnable à cause des commandements, et aussi de me dire que Dieu n’en a rien à faire à cause de Jésus. Deux choses différentes et pourtant essentielles l’une et l’autre. Et il n’y a pas d’ordre chronologique. Chaque fois que je crois que je dois ou que je peux faire quelque chose pour Dieu, alors ses commandements me rappellent que j’en suis incapable, ou alors c’est tellement pervers que le résultat est pire que si je n’avais rien tenté. Et chaque fois que je crois – au sens fort – que Jésus est mort pour moi, et que ça me suffit, alors oui, ça me suffit, comme ça suffit à Dieu, parce que c’est ça, l’amour. Et c’est aussi ce qui me permet d’aimer – gratuitement comme lui – d’aimer à mon tour, pas pour gagner quoi que ce soit, mais d’aimer… par amour !
D’habitude, quand je dis ces choses, on me rétorque que, « oui, mais, quand même, il faut bien… » Non. Il ne faut pas. Je ne suis pas capable. Alors, « il ne faut rien faire ? » Ça dépend pour quoi faire. Si c’est pour se gagner Dieu, non, il ne faut rien faire, il me faut accepter que je sois aimé sans avoir à le mériter, par seule grâce. Sinon, je rends vaine la mort de Jésus, comme si ça ne me suffisait pas qu’il soit mort pour moi ! Mais « ce qu’il faut faire » quand même, mais qui ne me rapporte rien de plus au niveau de ma relation avec Dieu, c’est pour moi et pour les autres. Aimé par Dieu, je puis m’aimer moi-même et aimer les autres. « L’amour ne fait pas de mal au prochain : l’amour est donc l’accomplissement de la Loi. » (Rom. 13 / 10) Il est le fruit de la foi, le fruit rendu possible de la certitude d’être sauvé, libéré, et de n’avoir rien à prouver, rien à craindre et rien à perdre : « vous valez plus que beaucoup de moineaux. »
Ce message, cet Évangile, est extrêmement libérateur. J’imagine et j’espère que vous l’avez déjà expérimenté, même si, comme moi, ce n’est malheureusement pas tout le temps. Le naturel revient toujours, même quand on sait que ça n’a pas de sens. Mais lorsque notre foi se fait conviction et pas seulement connaissance, alors il ne faut pas nous taire. Car cette liberté que l’Évangile nous a acquise, elle est pour tout le monde : il faut donc que tout le monde le sache ! L’Évangile, vous le savez, est une annonce, c’est le sens du mot. Or qui dit annonce dit à la fois un contenu à annoncer, et le fait de l’annoncer. C’est notre tâche de faire cette annonce aux gens qui ne savent pas combien Dieu les aime. Que serions-nous, si on ne nous l’avait pas annoncé à nous ?! « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru ? Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Et comment entendront-ils parler de lui, sans prédicateurs ? » (Rom. 10 / 13-14) Nous en avons bénéficié, sinon nous ne serions pas là. À nous maintenant d’en faire bénéficier d’autres. Nous ne pouvons pas croire à la place des autres. Mais nous pouvons faire en sorte qu’ils aient cette liberté, cette possibilité. Dans notre société tellement a-religieuse quand ce n’est pas anti, qui d’autre que nous peut faire cette annonce ?…
Puisse cet anniversaire de la Réforme protestante, et aussi l’attente du 500ème, dans deux ans, nous rappeler à la fois que nous sommes évangéliques – c’est-à-dire que nous vivons de la Parole de la grâce de notre Dieu, qui nous est annoncée dans la Bible – et que nous sommes évangélistes – c’est-à-dire que nous avons à relayer cette annonce à notre tour. Qu’importe que ces mots soient aujourd’hui repris par d’autres que nous, et même tant mieux. Mais nous, faisons ce à quoi nous appelle l’amour que Dieu a placé en nous. Car il nous a libérés de tout ce qui aurait pu nous en empêcher : péché, culpabilité, envie de trop bien faire, envie de plaire, etc. À lui seul soit la gloire. Amen.
Raon-l’Étape (Réformation) – David Mitrani – 25 octobre 2015