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Évangile selon Marc 10 / 35-45
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texte : Évangile selon Marc, 10 / 35-45 (trad. : Nouvelle Bible Segond)
première lecture : Psaume 33
chants : 86 / 3 et 33-24 (Alléluia)
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« Oui, avec l’aide de Dieu ! » C’est ce que votre serviteur, puis vous tous, avez répondu tout à l’heure à notre « évêque » lorsqu’il nous a fait nous engager les uns envers les autres et devant Dieu. Or cette formule est dangereuse à plus d’un titre ! Et le premier danger, c’est Jacques et Jean, « les deux fils de Zébédée », qui le courent en avant de nous autres : « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. » Un chrétien est un homme ou une femme qui a confiance en Dieu, qui fait confiance à Jésus, son Seigneur. Et la plupart du temps, cette confiance se manifeste dans nos prières, lorsque nous demandons à Dieu exactement la même chose que les deux frères au début de cette séquence évangélique. Encore qu’ils manifestent comme une culpabilité plus ou moins consciente, en n’osant pas exprimer dans un premier temps leur demande particulière, sur laquelle je vais revenir. Ils sont comme des enfants qui s’attendent à un « non » de la part de leur parent, mais à qui ils demandent quand même, de manière très générale : « je ne te dis pas à quoi, mais dis-moi oui »…
Enfantin, donc. Comme si on pouvait utiliser Jésus. Comme si un enfant pouvait utiliser ses parents ! Si ceux-ci se laissent faire trop souvent, c’est leur autorité qui disparaît, et donc leur parentalité elle-même : ils ne sont plus respectables, ils n’apportent plus rien à leur enfant que la simple satisfaction de ses désirs, de ses envies, et non pas de ses besoins ; en fait, ils abîment leur enfant, et ils s’abîment eux-mêmes. Évidemment, quand un parent refuse ce « oui » systématique, et que l’autre parent entérine ce refus, alors l’enfant proteste et, parfois, n’en comprend pas la raison. C’est qu’il n’est pas conscient qu’il ne peut pas tout maîtriser, qu’il ne peut pas connaître toutes les fins. C’est qu’il est chagriné de ne pas être le maître incontesté de sa propre existence, et que les autres autour de lui n’en soient pas les esclaves consentants. Moi qui suis petit, je vais pourtant où je veux, et les grands n’ont pas d’autre intérêt pour moi que de m’y aider, que de me le permettre. « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. »
Mes amis, vous le savez fort bien pour l’expérimenter sans cesse : Dieu ne se laisse pas manipuler de la sorte. Certains pensent que c’est la preuve qu’il n’existe pas. Je dirai plutôt que c’est un bon témoignage de son existence, de son existence en tant que personne autonome et libre ! Les fans de Star wars béniront leurs amis en disant « Que la force soit avec toi », tout en attendant le 7ème opus qui sort dans 2 mois tout juste. Mais ils savent aussi qu’on peut manipuler « la force », et ils connaissent la puissance du « côté obscur ». Celui qui utilise le « côté obscur » en devient l’esclave, la première victime, avant d’en faire d’autres. Or, le Dieu de la Bible, le Père de Jésus-Christ, n’est pas comme cette « force » impersonnelle et manipulable, puissante et destructrice. Donc, il résiste ! Il résiste aux sollicitations de celles de ses créatures qui le connaissent et qui, tels des enfants, tentent de se servir de lui, leur père, pour satisfaire leurs propres désirs qu’ils pensent toujours légitimes. Dieu ne résiste pas comme le ferait un mur, mais il résiste comme le fait un père : par la parole, par l’ouverture à l’autre, l’ouverture de l’autre.
« Il leur dit : “Que voulez-vous que je fasse pour vous ?” » Cette question n’admet pas une réponse de surface, elle demande une vraie réponse. Lorsque nous prions, lorsque nous demandons « l’aide de Dieu », comme tout à l’heure, que demandons-nous vraiment, que voulons-nous que le Seigneur fasse pour nous ? Posez-vous la question, non pas pour que cela plombe cette journée, mais lorsque vous demanderez quelque-chose : oui, si je demande ceci ou cela, qu’est-ce que je veux vraiment, comment est-ce que je veux me situer par rapport à Dieu, par rapport aux autres, par rapport à ce ou à ceux pour qui je prie ? La question que Jésus renvoie à ses deux disciples est là pour les ouvrir à eux-mêmes, à une vraie conscience de ce qu’ils désirent, et des limites de ce désir. Bref, c’est une question pour grandir, en réponse à une demande qui était faite pour régresser dans une fausse enfance évidemment égoïste. Je ne sais pas si Jacques et Jean ont compris ce qui se passait, mais leur demande suivante est bien plus claire, et elle révèle vraiment tout ce que je viens de vous dire – car la forme et le fond s’épousent ici, comme souvent. Leur désir est bel et bien un désir infantile de toute-puissance.
On peut leur accorder qu’ils avaient une telle confiance en leur Maître que sa victoire ne faisait aucun doute pour eux. Mais cette victoire, ils la voyaient comme une prise de pouvoir… à laquelle, naturellement, ils voulaient être associés ! Or dans un tel raisonnement, les places sont chères, n’est-ce pas ! La première ne peut pas être convoitée, on n’est pas ici dans un jeu électoral… La première place est occupée, depuis toujours et pour toujours. C’est pour l’avoir oublié, pour avoir voulu occuper cette place quand même – « vous serez comme des dieux », avait dit le serpent (Gen. 3 / 5) – que nos mythiques ancêtres sont devenus ceux de l’humanité telle qu’elle est, et non telle que Dieu la voulait ; mortelle et mortifère au lieu d’être vivante et vivifiante. Ainsi, la première place est celle de Dieu, et personne ne peut la lui prendre : ni les hommes ou les partis, ni l’économie ou l’idéologie, ni la nature ou la religion : Dieu seul, car « à lui seul est la gloire » (Jude 25) : c’est bien le sens de cette expression chère aux protestants…
À Dieu seul, certes, la première place. Mais les suivantes ?… Car après tout, n’est-ce pas, Dieu est au ciel, et son Fils siège à sa droite. « Et nous, nous resterons sur terre », comme le chantait le poète irrévérencieux (J. Prévert, « Pater noster », in Paroles). Oui, mais contrairement au poème, sur terre la course à ces seconde et troisième places fait des ravages, quel que soit le régime, quelle que soit l’institution. Jacques et Jean ne le savaient-ils pas, n’en avaient-ils donc aucun exemple sous les yeux, dans leur pays, dans leur village, dans leur famille, dans leur milieu social, dans leur groupe de disciples même ? La réaction des autres disciples le dit assez ! La course au pouvoir est une course mortifère. Dans notre petit texte, cette course a déjà brisé le groupe des disciples, l’Église de Jésus-Christ. Dans le même groupe, elle entraînera la trahison et la mort de Judas (Jean 13 / 21-30 ; Matt. 27 / 3-5), et plus tard de dangereux dérapages des apôtres, d’autres morts, d’autres prisons (Actes 5 / 1-18)… C’est toujours comme ça. Il suffit de se regarder soi-même, comment chacun de nous fonctionne. Il n’y a même pas besoin d’aller regarder chez le voisin, ni la télé, ni où que ce soit. Dans nos couples, nos foyers, nos relations proches, notre soif infantile et souvent inconsciente du pouvoir est capable de tout casser, de tout tuer.
Pour voir comment s’accomplit cette défaite, je pourrais vous conseiller Le Seigneur des anneaux – le livre de Tolkien, pas les films… Mais notre texte biblique suffit pour ce matin ! Regardez donc, nous dit-il, « ceux qui paraissent gouverner les nations »… Et dès que le haut-le-corps sera passé – s’il passe jamais – vous pourrez aussi vous regarder vous-mêmes. C’est l’exercice que Jésus propose non pas aux deux frères, mais à tout le groupe, pour enseigner ceci : « il n’en est pas de même parmi vous »… ce qui laisse entendre que, si, il en est malheureusement de même, mais que ce n’est pas une fatalité, ça peut changer. Plaise à Dieu que cela change aussi dans le monde. Plaise à Dieu, mesdames et messieurs les élus et responsables de notre pays, chers amis, que vous-mêmes ne fonctionniez pas sur ce mode, mais accomplissiez votre mission dans un esprit et des moyens de service et non pas de domination, dans un souci des personnes et non pas des sièges « l’un à droite et l’autre à gauche » ! Mais plaise aussi à Dieu, vous tous et moi avec vous, que dans nos couples nous soyons serviteurs l’un de l’autre plutôt que possesseur ou associé ; que dans nos relations de travail ou de voisinage, nous nous grandissions dans l’abaissement, plutôt que de nous croire quelque chose en prenant une place que nous pensons nôtre même quand elle ne l’est pas.
Car s’il en est parmi nous qui exercent la difficile et noble tâche de gouverner, de juger, d’enseigner, et qui ont besoin de notre prière persévérante pour le faire bien, c’est pour eux et pour nous, pour chacun de nous, que Jésus parle aujourd’hui. Et il nous dit que c’est pour chacun de nous que lui, le premier, a été librement fait dernier ; que lui, le Seigneur du monde, a été cloué sur un bout de bois, comme tant d’autres avant et après lui, et comme deux autres « l’un à sa droite et l’autre à sa gauche » (Marc 15 / 27) en même temps que lui, accomplissant ainsi ce qu’il prophétisait dans notre texte. Et ces deux-là n’étaient pas Jacques et Jean, ni d’autres disciples. C’étaient des criminels. Et leurs sièges n’étaient pas des maroquins ministériels, mais des poteaux de torture. La leçon de ceci n’est pas qu’il nous faut rechercher de telles places, mais bien plutôt qu’il nous faut renoncer à chercher à dominer. Certes la croix est élevée, mais qui voudrait être élevé ainsi ? Comme Saint Paul l’écrira aux chrétiens de Rome, « N’aspirez pas à ce qui est élevé, mais soyez attirés par ce qui est humble. Ne soyez pas sages à vos propres yeux. » (Rom. 12 / 16)
Nous aspirons aux honneurs et au pouvoir, même discrets. Et pour ce faire, nous utilisons la force, celle que nous avons, celle à laquelle nous aspirons, tout comme les grands et les pays se confient dans leurs armées. Le psaume 33, entendu tout à l’heure, dénonçait déjà l’illusion de cette confiance mal placée, qui nous est démontrée tous les jours dans toutes les situations du monde, de la rue ou de la maison. Comment le monde, notre pays, notre société, peuvent s’en sortir, je ne sais pas, ce n’est pas mon ministère, même s’il m’arrive d’avoir des idées là-dessus ! Mais pour nous chrétiens, la parole biblique est très claire, et j’ose la proposer aussi à ceux d’entre vous qui ont d’autres convictions. Cette parole a pris corps dans la passion et la mort de Jésus. Elle est de nous confier en Dieu, en Dieu seul. Pas de seconde ni de troisième place, ni pour nous ni pour d’autres : lui seul suffit. Oui, « à Dieu seul soit la gloire ». Abdiquant ainsi tout rêve de maîtrise, de puissance, «avec l’aide de Dieu » nous pouvons alors vivre autrement la réalité, quotidienne et peut-être même nationale, dans l’exemple qu’il nous a donné, dans le chemin de vie qu’il a ouvert devant nous. Comme il voudra, où et quand il voudra. Demander l’aide de Dieu, c’est aussi le laisser diriger !
La fonction que j’exerce porte traditionnellement deux noms différents dans notre Église : pasteur, et ministre. Le premier mot semble indiquer une fonction de guide, une mise à part – car le berger n’est pas brebis –, une certaine primauté qui s’exerce par la parole. Mais le second mot casse ces images sans rien enlever de la fonction ; car ministre, ça veut dire serviteur. Je ne souhaite à personne parmi vous de devenir ministre dans notre pays – encore que Dieu puisse le vouloir pour l’un ou l’autre, qui le dira ?! Mais je souhaite à chacun, et je vous remercie de bien vouloir le souhaiter pour moi aussi, d’être ministre simplement, là où il est, dans ce qu’il fait, que ce soit grand ou invisible, honoré ou méprisé ; ministre, donc serviteur des autres qui ne sont ni plus grands ni moindres. Tel est en tout cas la fraternité ordinaire dans l’Église de Jésus-Christ : que chacun soit entouré et soutenu dans la mission qu’il accomplit, quand c’est au service de tous qu’il l’accomplit – quels que soient ses qualités et ses défauts, et quel que soit le rôle occupé. Car Jésus est mort pour tous, et c’est cela qui a vaincu la mort et rendu vain tout pouvoir. Amen.
Saint-Dié (culte d’installation) – David Mitrani – 18 octobre 2015