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Michée 4 / 1-5
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texte : Michée, 4 / 1-5 (trad. personnelle)
premières lectures : Évangile selon Luc, 12 / 15-21 ; deuxième épître aux Corinthiens, 9 / 6-15
chants : 41-22 et 12-16 (Alléluia)
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Ce week-end à Saint-Dié, c’est le FIG, le Festival international de géographie, comme vous le savez bien. Et hier matin, il y avait un « temps pour la paix », selon ce qui était indiqué dans le programme de manière très ambiguë, et non commentée, à la différence de toutes les autres activités. N’empêche, nous y étions quand même quelques-uns, et parmi les intervenants il y avait les représentants des principales religions… dont votre serviteur. Comme le thème du FIG cette année, c’est « les Territoires de l’Imaginaire », et sachant que le prêtre catholique prendrait le chapitre 21 de l’Apocalypse auquel j’avais d’abord pensé, j’ai finalement choisi ce début du chapitre 4 du prophète Michée, et je me suis dit que je pouvais bien le reprendre avec vous aujourd’hui. Mais aujourd’hui, premier dimanche d’octobre, dans la tradition des Églises luthériennes et réformées c’est la « fête des récoltes », ce qui retentit dans le choix des autres lectures de ce culte et de plusieurs prières.
Et c’est bien que les deux arrivent ensemble à nos oreilles et, Dieu voulant, à nos cœurs, ce matin. Parce que la « fête des récoltes » est occasion de reconnaissance pour les dons de Dieu, mais aussi occasion d’offrande. Alors, bien sûr, ce culte ne sera pas spécialement un culte d’offrande, mais il l’aurait pu ! Rien ne vous empêche donc, comme les Corinthiens à l’époque de Saint Paul, non seulement de penser à l’offrande, mais de verser à l’Église ce dont elle a besoin à la fois pour fonctionner – c’est l’association cultuelle – mais aussi pour aider ceux qui sont dans un besoin plus vital encore. Et si vous ne le faites pas aujourd’hui, vous pouvez le faire demain ou à tout autre moment, et vous pouvez aussi le rappeler à ceux qui ne sont pas là ce matin. Mais, frères et sœurs, entendant ces mots, vous entendez aussi que c’est vous et moi et nos semblables qui sommes sollicités d’agir. Or la « fête des récoltes » célébrait le don de Dieu, l’agir de Dieu permettant l’agir humain.
Mais plus que cela : car la paix ne fait pas partie de nos récoltes… Hélas, nos efforts, même lorsqu’ils sont sincères et nombreux, ne savent pas produire la paix. C’est comme ça depuis au moins le Néolithique, et rien ne garantit que ce n’est pas plus ancien encore : dès qu’on a su tailler des outils, on les a assenés sur le crâne de son voisin ! Or l’humanité n’a pas progressé depuis, sinon au niveau technique : les outils d’aujourd’hui tuent infiniment plus de gens que ceux d’autrefois, mais la folie d’aujourd’hui n’est rien d’autre que celle d’autrefois, toujours alimentée par la peur et alimentant la peur en retour. Pouvons-nous alors être reconnaissants pour la paix et vouloir la répandre autour de nous, quand nous avons tant de peine à la voir, à la vivre, et même à la vouloir ? Le texte biblique est-il donc utopique, au sens où l’utopie n’a pas de lieu, comme son nom l’indique ? Pour le dire autrement, est-ce un doux rêve pour nous consoler à bon marché de la réalité trop pesante ?
Le prophète, et à plus forte raison celui au nom de qui il s’exprime, savent parfaitement que la paix ne fait pas partie de notre réalité. Vous ne l’entendez pas dans les quelques versets que je vous ai lus, mais si vous retournez lire tout le livre de ce « petit » prophète – 7 pages en tout, vous pouvez y aller – vous verrez alors combien la guerre et l’injustice sont présentes, tout comme dans la vie des gens et des peuples. Juste avant le passage que je vous ai lu, les chefs et les prêtres d’Israël sont condamnés pour leurs injustices et leurs violences, et Jérusalem promise à la destruction à cause de ça. Et juste après notre extrait, c’est la guerre qui est annoncée ! Je vous le disais : rien de nouveau sous le soleil… Le texte du prophète, ici, a la forme d’une promesse, et c’est bien le signe que la paix qui est promise est une autre réalité que celle que nous vivons quotidiennement.
Pourtant, comme je le faisais remarquer au public hier matin, le futur de notre langue est trompeur, la langue hébraïque ne le connaît pas. Le temps qu’elle emploie ici est en quelque sorte un « accompli du futur ». Il n’exprime pas la possibilité d’un avenir, mais la certitude que cet avenir est déjà posé, à défaut d’être déjà visiblement là : tout ce qui est nécessaire à sa venue, à sa manifestation, tous les préalables, sont accomplis. C’est un futur en quelque sorte inconditionnel. Vous ne pouvez pas dire : « ce n’est pas encore fait », parce que, oui, « c’est fait » (Apoc. 21 / 6). Et pour nous chrétiens, ça l’est d’autant plus que ça fait 2.000 ans ! Ce futur a été accompli dans la mort et la résurrection de celui qu’à cause de ça nous confessons comme Seigneur et Sauveur. D’ailleurs Michée en avait posé les figures.
C’est ce qui est montré au début de notre extrait : « la montagne du Seigneur sera établie à la tête des montagnes, et elle, elle sera plus élevée que les collines. » Rappelez-vous le psaume : « Je lève les yeux vers les montagnes… D’où me viendra le secours ? » (Ps. 121 / 1) « Les montagnes » désignent donc tout ce dont on attend « le secours » dans la détresse. Toutes les puissances, toutes les idéologies, tous les recours, tous ces gens, mais aussi toutes ces choses à la fois extérieures et intérieures à moi. Tous les « il faut que », « tu dois », « ils devraient », etc. Comme si le secours dans la détresse, comme si la paix dans la guerre et l’injustice, pouvaient être produits par de telles « montagnes » qui n’en sont pas – à peine des « collines ». Ainsi de vos efforts, de mes efforts, ainsi de toutes nos œuvres, quand même elles seraient excellentes, immenses et innombrables. Le psaume 121 continuait par : « Le secours me vient de l’Éternel… » C’est lui la seule vraie montagne qui domine tout alentour et même au loin. Jésus est donc bien « la montagne du Seigneur établie à la tête des montagnes » ! Tout le reste sonne creux et ne tient pas, il suffit d’écouter 2 mn la télé pour s’en rendre compte : « tout est vanité et poursuite du vent »… (Eccl. 1 / 14)
L’autre figure christique posée par la prophétie de Michée, c’est ce verset qu’on trouve si souvent dans les synagogues, par exemple sur le rideau qui cache les rouleaux de la Torah : « car de Sion sortira la Torah, et la parole du Seigneur de Jérusalem. » Et qui donc est « la parole du Seigneur », sinon là encore le Fils de son amour, envoyé pour nous sauver, crucifié hors de Jérusalem ? Il est lui-même la parole de Dieu, et non point des livres écrits sur lui par la main des hommes, même sous l’inspiration de l’Esprit. Il est la Torah vivante, présente auprès de Dieu, lumière du premier jour d’une Création dans laquelle il est lui-même à l’œuvre. C’est de lui encore, sagesse de Dieu, que Salomon parlait en ces termes : « avant que les montagnes fussent établies, avant les collines j’ai été enfantée » (Prov. 8 / 25). Encore les montagnes !
Sur cette montagne, il nous est promis, à nous qui croyons en ce Seigneur, à nous qui recevons la prophétie, il nous est promis le grand rassemblement pacifique, « l’unité dans la diversité » comme on dit, mais non pas autour d’un consensus, d’un parti, d’un homme, d’un projet. Non. Autour du Seigneur afin qu’il nous enseigne, afin qu’il nous enseigne et nous offre la paix. Celui qui enseigne la lecture à un enfant lui offre par là-même la lecture. De même celui qui seul enseigne la paix et la réalise par son sang nous offre par là-même cette paix. Pour reprendre l’image des récoltes, lui, Jésus, a été à la fois le semeur, la semence – qui est tombée en terre et y est morte – et les épis. C’est la fête des récoltes, c’est la fin de la moisson. « Venez, car tout est déjà prêt. » (Luc 14 / 17) On peut aussi tourner l’image autrement, et comprendre alors pourquoi les épées et les lances ne nous servent plus à rien, puisque la paix est réalisée, et pourquoi nous avons plutôt besoin d’instruments agricoles : justement pour cette moisson dont, peut-être, nous qui connaissons ce Seigneur, nous sommes les moissonneurs qu’il envoie dans le champ !
Le « territoire de l’imaginaire » de cette prophétie – pour reprendre le titre de notre FIG – n’est pas un kolkhoze, et ce n’est pas la tour de Babel qui nous est promise, où tous parleraient un seul langage. Mais « Ils habiteront chacun sous sa vigne et sous son figuier, et pas de perturbateur ! » La prophétie ne porte pas de projet politique, elle ne prétend pas nous faire construire une société idéale. Car d’une part de telles sociétés sont en fait d’atroces prisons et il y en a déjà bien assez sur notre terre. Et d’autre part, je vous l’ai dit et peut-être montré, c’est le Seigneur lui-même qui a déjà fait tout ceci, ce n’est plus à faire, ce n’est plus à construire, puisque de toutes façons nous en sommes toujours incapables. Cette paix, elle est à recevoir. Simplement à recevoir. C’est aussi pour ça que c’est tellement difficile.
Tous les discours sur la paix – sur l’écologie de même, qui est la paix avec la planète – sont des discours qui cherchent à nous motiver… en nous culpabilisant. C’est notre faute si nous nous tapons dessus et si nous avons peur les uns des autres. Évidement : la faute à qui d’autre qu’aux humains ?! Mais ceci posé, ça ne sert à rien de le marteler, sinon à nous en dégoûter pour nous pousser dans les bras de ceux qui, au prétexte de nous déculpabiliser, nous invitent sournoisement vers la pente mortifère, vers le repère de la bête immonde. Bref, les discours humains nous poussent soit à la haine de nous-mêmes soit à la haine des autres. Ils nous poussent dans la mort, dans tous les cas. Nous n’avons donc pas besoin des discours sur la paix, ni qu’on nous dise quoi faire. Nous avons besoin de recevoir la paix.
Et c’est bien ce que propose le Christ notre Seigneur. Non pas un nouveau discours, mais son corps et son sang pour nous réconcilier avec Dieu et entre nous. « Prenez et mangez. […] Buvez-en tous, c’est la nouvelle alliance en mon sang… » Le Christ Jésus est lui-même le territoire de son alliance, le territoire de notre paix ; et notre paix, c’est de nous en remettre à lui. Ou plus exactement de nous remettre à lui. De le recevoir, ou plutôt de le laisser nous recevoir. « Venez, car tout est déjà prêt », c’était la parole adressée aux invités des noces. Mais dans la parabole ils n’ont pas laissé l’hôte les recevoir, ils ont préféré d’autres priorités, d’autres occupations, d’autres armes. Ils ont préféré leur propre montagne, plutôt que de grimper celle-là qui s’offrait à eux. Ils nous sont donnés en contre-exemple, pour nous avertir. Car le « futur accompli » de la paix du Christ est là, à nous proposé, non pas une fois pour toutes comme si la paix était une carte d’identité, mais proposé toujours à nouveau, car la paix est « une aventure à vivre », selon l’expression consacrée.
Ce territoire nous est ouvert ici et maintenant. Ce culte et notre Église n’en sont que de pâles images, car c’est dehors que cela se vit, avec les autres gens – quelle drôle de paix sinon, si c’était seulement entre nous, semblables ! Si la paix est notre avenir, alors notre avenir est là maintenant. Ne l’attendez pas, vivez-le aujourd’hui avec ceux qu’il vous est donné de fréquenter. Montez ensemble la même montagne, celle du Seigneur de l’univers. Vos pieds sont posés sur la route, le paysage est déjà sous vos yeux. N’ayez pas peur, « allez-y, montons ! » Amen.
Senones – David Mitrani – 4 octobre 2015