Ecclésiaste 1 – 2

 

texte : Ecclésiaste, 1 et 2  (trad. : Parole de vie)

autres lectures : Psaume 146 ; deuxième épître aux Corinthiens, 5 / 17-20

chants : 21-02, 23-07 et 47-12

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« Rien ne sert à rien, rien ne mène à rien. » Chers amis, que voici donc une constatation amère et désabusée. Pourtant c’est dans la Bible, vous l’avez bien entendu ! Si vous suivez la liste des lectures quotidiennes de la Fédération protestante, « la Bible en 6 ans », que vous avez aussi dans Paroles protestantes chaque mois, oui, si vous suivez cette liste, vous avez commencé hier ce livre étrange du Qohélèth, l’Ecclésiaste, « le Sage », comme dit la traduction que je vous ai lue. « Vanité des vanités, tout est vanité », disaient nos traductions classiques…

 

Alors, « rien ne sert à rien » ? C’est comme dans la pub il y a quelques années, vous vous rappelez ? « À quoi ça sert que Ducros il se décarcasse ? » Sauf que notre texte répond clairement : « à rien ». À quoi ça sert, tout ce que vous avez construit pendant toute votre vie ? À quoi ça sert, les efforts, voire les sacrifices, que vous avez consentis ? À quoi ça sert même de venir au culte, de maintenir quelque chose dans ce temple ou ailleurs ? « À rien. » – Bon, vous allez vous dire que ce nouveau pasteur, il a une bien étrange prédication ! Non : pas moi, mais l’Ecclésiaste, ce livre placé sous l’autorité de Salomon, le sage par excellence, le roi riche non seulement de sagesse, mais aussi d’argent et de femmes ! Il a tout vu, il a tout fait, il a tout possédé ; il le dit lui-même. Résultat de ses cogitations et de toute cette riche existence : « rien ne sert à rien »…

 

Notez pourtant qu’il y a dans cette constatation, et dès le début de notre texte, une excellente nouvelle. C’est aussi que les méchants peuvent bien s’escrimer à détruire, à tuer, à déstructurer les individus et les sociétés, « une génération passe, une génération naît, et le monde est toujours là. » Les sages d’aujourd’hui diraient que c’est là une sagesse d’autrefois, culturellement datée, et qu’à cause du progrès des techniques ce n’est plus vrai : l’espèce humaine serait aujourd’hui capable de détruire l’humanité et même la planète. Mais sagesse pour sagesse, je préfère celle de la Bible ! Je préfère faire confiance à une parole qui dit que, non, l’être humain n’a pas pouvoir sur la vie et le monde. Non, les talibans, les salafistes ni leurs émules n’ont de pouvoir sur la vie et le monde. Non, les Occidentaux ni les Chinois, avec leurs gaz à effet de serre, n’ont de pouvoir sur la vie et le monde. Bien sûr, les méchants conscients ou involontaires – car nous en faisons partie – peuvent abîmer et détruire, peuvent tuer par action ou par omission. Mais l’Ecclésiaste, dans ses réflexions, nous le promet : « le monde est toujours là. »

 

Cela est donc vrai aussi pour l’Église. C’est Jésus qui l’affirmait à Pierre, après que celui-ci avait confessé que Jésus était le Christ : « sur cette pierre, je construirai mon Église, et la puissance de la mort ne pourra rien contre elle. » (Matt. 16 / 18) Bien sûr, les lieux et les formes changent au fil du temps, au fil des événements voulus ou subis. Aux premiers siècles, l’Église était grecque, sur la territoire de l’actuelle Turquie et en Égypte. Puis elle fut européenne – latine et slave – pendant de nombreux siècles. Aujourd’hui presque disparue de Turquie, minoritaire en Égypte, laminée en Europe, elle a pris pied en Afrique, elle domine aux Amériques, elle se développe dans la clandestinité en terre d’Islam et en Extrême-Orient. Alors, qu’en sera-t-il demain dans la vallée du Rabodeau et dans toute la Déodatie ? Je n’en sais rien, mais vous non plus : ne jugez pas d’après la pente, celle-ci peut s’inverser… ou pas. « Tous les fleuves se jettent dans la mer, pourtant, la mer n’est jamais remplie… »

 

Cette constatation nous ramène à la tonalité de nos premiers chapitres de l’Ecclésiaste : nous n’avons pas de prise réelle sur la marche du monde. Nous ne faisons jamais que nous agiter pour rien. Bien sûr, cette vision nous fâche ! Nous en oublions l’aspect positif que je viens de vous dire, et, comme le personnage du livre, nous regardons seulement à nous-mêmes, à ce que voient nos yeux, entendent nos oreilles et font nos mains. Et si la jeunesse peut vouloir avaler le monde entier – encore qu’aujourd’hui les jeunes soient souvent plus désabusés que leurs aînés, ce qui est une crise de société fort grave – les aînés, vous et moi, savons le peu de poids de nos actions et l’inertie des choses et des gens… dont nous sommes ! Mais l’inertie, justement, n’est-elle pas la réponse appropriée aux constatations désabusées de l’Ecclésiaste ? Sans doute pas : si la Bible nous est un miroir, alors nous devons comme le personnage du livre avoir tout essayé, tout tenté, rempli notre vie ! Comment pouvons-nous constater que rien ne marche si nous n’essayons plus ?

 

Pourtant, à l’autre bout du texte de ce matin, il y a cette constatation que tout le monde peut faire, à condition d’être un tant soit peu réaliste et honnête : « Le sage meurt comme le sot, et les gens oublient autant le sage que le sot. » Ou pour le dire de manière plus crue : « on finit tous dans le même trou… » Ainsi, c’est vrai, ni la sagesse – à la fois connaissance et morale – ni les œuvres, n’acquièrent un quelconque salut à qui que ce soit. La sagesse ni les œuvres ne donnent du sens à une quelconque existence. Est-ce pour cela qu’avec l’âge nous devenons philosophes, dans le pire sens du terme, ressemblant alors au personnage du livre ? Celui-ci néanmoins connaît l’action de Dieu. Mais il ne l’évalue qu’à l’aune de sa propre action à lui ou de celle de ses congénères : « J’ai constaté que c’est Dieu qui donne le bonheur. En effet, qui peut manger et profiter de la vie si Dieu ne le permet pas ? Oui, à l’homme qui est bon à ses yeux, Dieu donne la sagesse, la connaissance et la joie. Mais à l’homme qui agit mal, il donne la charge de rassembler des biens et de les garder pour celui qui est bon à ses yeux. »

 

Telle est la « constatation » de l’Ecclésiaste. Mais il constate aussitôt que « cela non plus n’a pas de sens, autant courir après le vent ! » C’est qu’il est philosophe, tirant sa connaissance de ce qu’il voit et fait. Je vous le redis : si nous faisons comme lui, il nous faut tirer les mêmes conclusions que lui. Mais la question est bien là : faut-il faire comme lui ? Après avoir vu dans le miroir biblique ce que nous faisons, après avoir appris de ce miroir ce que doit être alors notre cohérence, nous pouvons en détacher nos regards et envisager peut-être autre chose ! Car nous ne sommes pas rivés à l’Ancien Testament, que l’Ecclésiaste relativise lui-même dans son doute et son amertume : je vous l’ai dit, pour lui, nos œuvres ne donnent pas de sens ni de salut. Mais ça, c’est bien déjà l’Évangile, n’est-ce pas ?!

 

Vous l’avez remarqué, l’auteur mentionne Dieu, mais presque comme à la marge. Il confesse que le bonheur vient de lui, mais aussi que ce bonheur peut passer par le fait, inadmissible pour nous, que « les méchants fleurissent comme l’ivraie des champs », selon le psaume 92 que nous avons chanté au début de ce culte. Il confesse aussi la supériorité de la sagesse sur la folie, la supériorité du bien sur le mal. Mais il n’en tire aucune consolation, et il a raison. Il n’y a plus alors que deux issues possibles. La première, qu’il exprime, est la solution matérialiste, athée : « Le seul bonheur pour les êtres humains, c’est de manger, de boire et de profiter des résultats de leur travail. » Mais alors c’est le serpent qui se mord la queue : car tout ce que l’Ecclésiaste a constaté auparavant s’applique à nouveau… Si le sens de la vie est dans cette vie, alors cette vie n’a pas de sens ! « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons… » (És. 22 / 13 ; 1 Cor. 15 / 32)

 

L’autre issue, qu’il suggère justement en parlant de Dieu un peu comme un cheveu sur la soupe, là au milieu, c’est la solution croyante. Elle consiste non pas à dire que Dieu sait et que notre sagesse est infirme à le comprendre – ce qui est d’ailleurs vrai. Mais elle consiste plutôt à tourner nos regards vers lui et à attendre de lui le changement, le sens, le salut. Pour le dire de manière plus paulinienne et plus protestante : non plus les œuvres, mais la foi ; non plus mes œuvres, mais le Christ ! L’Ecclésiaste nous montrait qu’observer la Loi est bon, mais ne mène nulle part. Tout le Nouveau Testament, à part quelques passages, nous montre la même chose. Mais d’autres passages de l’Ancien Testament nous le disaient aussi, comme le psaume 146 que je vous ai relu tout à l’heure. Il insiste sur l’œuvre de Dieu, qui dépasse ce qu’on en voit et ce qu’on en comprend, et il invite non pas à la philosophie ou à la morale, mais à la louange et à la foi : « Il est heureux, celui qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met sa confiance dans le SEIGNEUR son Dieu ! »

 

S’il y a une conclusion recevable des constatations de l’Ecclésiaste, alors c’est la foi. Car la philosophie comme la morale sont dénoncées par lui comme ne donnant ni sens ni vie, comme étant même absurdes. La « voie étroite », comme on dit, n’est pas alors celle de l’obéissance quand même – ça c’est le judaïsme – mais celle de la confiance en Dieu qui seul peut sauver et faire vivre. C’est ce que l’apôtre Paul expose clairement, notamment dans le passage de ses lettres aux Corinthiens que je vous ai lu aussi. En Christ – ce que l’Ecclésiaste ne pouvait pas voir – « ce qui est nouveau est là » ! L’Ecclésiaste avait bien vu la mort des justes, au même titre et de la même manière que celle des méchants. Mais dans cette figure du Juste il se projetait lui-même, alors qu’il fallait y voir le Christ. Mais après tout, le Christ n’est-il pas lui aussi « fils de David et roi à Jérusalem » ? N’est-ce pas lui alors, le Christ, qui à travers le Sage a éveillé notre attention à l’absurdité de la vie humaine autocentrée, à l’impasse que sont la philosophie et la morale ?

 

Il y a donc non pas une, mais au moins deux raisons d’être heureux et réconfortés par les paroles du Sage. Je vous ai dit la première tout à l’heure, c’est la pérennité de ce monde voulu et guidé par Dieu malgré nos efforts pour le détruire, et la pérennité de nos vies malgré ce et ceux qui leur veulent du mal. La seconde raison, c’est donc maintenant que la désespérance du Sage nous tourne vers la seule solution restante : la foi en Dieu qui, en Christ, a accompli pour nous tout ce qui nous est nécessaire pour vivre. « Oui, c’est Dieu qui a réconcilié le monde avec lui, par le Christ. Il ne tient plus compte des fautes des êtres humains et il nous charge d’annoncer cette parole de réconciliation. » Faute de chercher ou de trouver un sens à notre vie en nous-mêmes, nous avons désormais, en Christ, une vocation et une mission, un appel et un envoi, qui tiennent en un mot, nous dit saint Paul : la « réconciliation ».

 

Il y a même une troisième raison d’être réconfortés par l’Ecclésiaste, c’est de savoir qu’à travers lui, à travers ses paroles qui frisent l’athéisme pratique, c’est le Christ, parole de Dieu, qui s’exprime lui-même et qui s’adresse à nous, qui révoque nos efforts comme nos lâchetés, pour nous tourner vers lui. Car c’est en lui que nous avons paix, joie et salut, c’est en lui que notre vie prend son sens, lorsque nous accomplissons ce à quoi il nous appelle. Suivons-le donc ! Amen.

 

Senones – David Mitrani – 6 septembre 2015

 

 

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