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Évangile selon Marc 7 / 31-37
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texte : Évangile selon Marc, 7 / 31-37 (trad. : Bible à la colombe)
première lecture : Ésaïe, 29 / 17-24
chants : 604 et 630 (Arc-en-ciel)
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Dimanche dernier, pour ceux d’entre nous qui étions à Raon-l’Étape, le Seigneur nous demandait si nous avions faim et soif. Aujourd’hui, il nous demande si nous sommes sourds et muets… C’est que, comme dimanche dernier, nous sommes invités à acquérir – gratuitement – la sagesse qui vient de Dieu. Et cette sagesse, cette intelligence, ce n’est ni une doctrine ni une morale, mais une personne : Jésus-Christ lui-même. C’est lui qui nous a donné rendez-vous ici ce matin, vous le savez bien ! Vous ne seriez pas venus, sinon… A-t-il aussi donné rendez-vous ici à d’autres, qui n’ont pas répondu à son appel ? Ce n’est pas notre affaire, nous n’avons aucun moyen de le savoir ni d’ailleurs d’en faire quoi que ce soit. Occupons-nous de nous, et de notre rendez-vous à nous !
Nous sommes des païens !… Oh, ce n’est pas une insulte, ni même une critique. La plupart d’entre nous sont des païens, c’est-à-dire pas des Juifs. Là, je ne vous apprends rien ! Nous n’habitons certes pas la Décapole, les « dix cités » grecques de Transjordanie et des environs à l’époque de Jésus. Mais comme les gens de cette époque et de cette province, nous habitons un pays païen, un pays qui ne connaît pas ou plus la Bible, qui n’a pas entendu parler du vrai Dieu ou qui se méprend sans cesse à son propos, qui n’a pas entendu la Loi qui le condamne ni l’Évangile qui le sauve. C’est donc, naturellement, un pays qui attend des miracles mais qui n’y croit pas, qui attend son salut de la classe politique à laquelle pourtant il ne fait plus aucune confiance, qui déplore la crise mondiale et qui pourtant fait tout pour la conforter, etc. Bref, un pays païen, je vous le disais…
Mais nous, chrétiens, vous allez me dire que nous ne sommes pas comme les autres ! Si seulement… Car les gens attendent aussi de nous quelque chose. Mais lorsque rien ne vient, alors ils se tournent vers les bonimenteurs de foire, de cave ou de chapelle, ils se tournent vers la violence ou vers le désespoir, ils se tournent vers eux-mêmes et là ils ne trouvent plus personne… Heureusement, quelques-uns, sans doute pas très nombreux, n’ont pas perdu tout espoir. Ils ne connaissent pas Jésus, bien sûr. Mais sans le connaître, sans savoir qui il est et ce qu’il peut leur apporter, ils « lui amènent un sourd qui avait de la difficulté à parler, et on le supplia de lui imposer les mains. » C’est ce que l’évangéliste nous raconte ce matin. Je ne ferai pas de la morale en vous expliquant que nous aussi, nous devons amener les sourds à Jésus. Non. Là où nous sommes, dans cette histoire, ce n’est pas dans le rôle des gens qui amènent, c’est dans le rôle du sourd… Car oui, chers amis, nous sommes sourds, nous l’avons encore confessé avec d’autres mots il y a dix minutes.
La Bible nous appelle à être clairvoyants sur nous-mêmes. De nombreux textes nous disent la Loi de Dieu, c’est-à-dire tout ce qu’il voudrait nous voir faire pour que nous grandissions, et que nous ne faisons pas… Il n’y a qu’à les écouter. Oui, mais nous sommes sourds ! Cercle vicieux… Voilà pourquoi ce sont des gens qui amènent ce sourd à Jésus. Personne n’a dit qu’il était empêché de marcher, mais comment viendrait-il vers Jésus, s’il n’a pas même entendu dire qu’il était sourd, s’il ne l’a pas même compris ? C’est aussi pour ça qu’un sourd parle mal, si sa surdité date de toujours : il n’entend pas le langage des autres. Lorsque nous sommes sourds, nous n’entendons pas le langage de Dieu, et lire la Bible n’y fait rien, ne produit pas de sens. Ce ne sont plus alors dans ces vieilles pages que de vaines paroles, historiquement douteuses, sans nul intérêt et nulle efficace pour notre vie de tous les jours.
Alors nous voici, avec notre surdité et nos graves défauts de langage, qui font que nous ne comprenons pas et que nous ne sommes pas compris. Nous voici, amenés vers Jésus par d’autres, parents ou amis, il y a longtemps ou bien plus récemment. Il suffirait de bien entendre les commandements de Dieu, et non pas comme un rituel, pour réaliser la profondeur de notre surdité à sa parole, et donc notre incapacité à aimer Dieu avant tout le reste, et à aimer notre prochain autant que nous-mêmes. Mais donc, je vous l’ai dit, nous sommes sourds, et votre serviteur ne sait pas mieux parler que vous, puisqu’il est aussi sourd que vous autres. Mais, bon, moi aussi, un jour, on m’a amené vers Jésus, quelqu’un d’autre, quelques autres, à différents moments, depuis toujours, et j’espère bien qu’il y en aura toujours qui le feront chaque fois que reviendra cette sale surdité !
Nous voici donc, vous et moi, alors que la foule alentour attend… quoi ? Elle-même n’en sait rien ! Mais ce qui se passe dans cette histoire ne se passe pas devant la foule, de sorte que personne ne pourra rien en dire, rien raconter, rien tenter de refaire ou de singer. La foule est absente lorsque l’essentiel se passe entre Jésus et le sourd de l’histoire. La foule demandait seulement une imposition des mains de Jésus, une bénédiction ; mais Jésus ne bénit pas nos surdités, quelles qu’elles soient. Il n’accomplit pas non plus de miracles gratuits – mais ça, la foule ne le comprendra pas. Pour l’instant, Jésus et l’homme sont seuls, et évidemment Jésus ne lui parle pas, ne l’enseigne pas : l’homme est sourd ! Alors Jésus fait des gestes – l’homme n’est pas insensible ! Jésus s’adresse au corps, comme il le fait encore lors de la plupart de nos cultes, en donnant du pain pour nourrir nos corps et du vin pour réjouir notre cœur, comme le disait le psaume 104.
Et ces gestes ont du sens, bien sûr. Non seulement par ce qu’ils représentent, mais parce que la parole de Jésus les fait agir, les rend efficaces. Premier geste : Jésus « lui mit les doigts dans les oreilles. » Les doigts de Jésus apparaissent rarement dans le récit évangélique, à vrai dire une seule autre fois, dans l’histoire de la femme adultère qu’on lui amène pour savoir s’il faut la lapider ou bien désobéir à la Loi (Jean 8 / 1-11). Serait-ce que le sourd, comme ladite femme, a des choses à se faire pardonner, aux yeux de l’évangéliste ? Mais surtout, dans cette autre histoire, « écrire avec le doigt » renvoyait à l’écriture de Dieu sur les tables de pierre données à Moïse (Ex. 31 / 18 ; Deut. 9 / 10). Ce n’est donc pas un geste magique que Jésus accomplit, mais il fait entrer en quelque sorte la parole de Dieu, celle de l’Ancienne alliance, la Loi, il la fait entrer dans l’homme sourd.
Ce premier geste ne peut pas être omis ; ce qu’il signifie ne peut pas être oublié ni refusé. L’Écriture de Dieu doit entrer en nous, comme on le voit aussi pour Ézéchiel, rappelez-vous : « Il me dit : “Fils d’homme, mange ce que tu trouves, mange ce rouleau et va parler à la maison d’Israël !” J’ouvris la bouche, et il me fit manger ce rouleau. Il me dit : “Fils d’homme, nourris ton ventre et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne !” Je mangeai, et il fut dans ma bouche doux comme du miel. Il me dit : “Fils d’homme, va vers la maison d’Israël, et tu leur diras mes paroles !” » (Éz. 3 / 1-4) Ici, le récit de la vocation du prophète va plus vite et dis les deux choses en même temps. Car la seconde chose, c’est de parler…
Et c’est là, chers amis, le second geste de Jésus : prendre de sa salive et la mettre sur la langue de l’homme incapable de bien parler. Prendre de ce qui sort de sa propre bouche – la parole de Dieu – et faire que cet homme, bientôt, puisse lui aussi prononcer cette même parole de Dieu. On comprend bien alors qu’il fallait d’abord recevoir cette parole (le doigt dans l’oreille dans notre texte, ou le rouleau à manger pour Ézéchiel), pour pouvoir ensuite la restituer en tant que parole. Car le prophète ne parle pas de sa propre autorité, ni n’invente les paroles à dire selon ses propres idées ou selon l’air du temps, voire selon qui le paie, comme Balaam l’apprit à ses dépens autrefois, lors du passage des Hébreux par Moab avant d’entrer en Canaan (Nb. 22 / 34-35). Le prophète de l’Ancien Testament, le chrétien du Nouveau, ne fait que redire les paroles reçues de Dieu et dites par Jésus.
Mais il ne s’agit pas de répéter de vieux mots, d’être esclave de la lettre. Ce n’est pas une question de compréhension, de théologie, ni même de marketing comme je le suggérais dimanche dernier. Il y faut l’action de Dieu. Et elle passe forcément par Jésus, qui dira un jour : « Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14 / 6) Or Jésus se tourne vers le Père : c’est ce que signifie l’évangéliste en nous disant qu’ « il leva les yeux au ciel. » Puis Jésus « soupira », envoyant ainsi son souffle, son Esprit. La parole de Jésus va alors accomplir la volonté du Père et indiquer son action à l’Esprit. Cette parole est fondamentale, elle accomplit ce qu’elle énonce, tout comme au premier jour du monde « Dieu dit » et cela fut (Gen. 1 / 3). « Il dit : “Ephphatha”, c’est-à-dire : ‹ouvre-toi›. Aussitôt ses oreilles s’ouvrirent, sa langue se délia, et il se mit à parler correctement. » Le doigt n’était rien, la salive n’était rien. Mais maintenant, la parole de Jésus qu’il a « soupirée » leur donne sens et efficace. On pourrait aussi dire que le texte de l’Ancien Testament n’est rien, que le texte du Nouveau n’est rien, mais que l’Esprit fait en sorte qu’ils nous atteignent là où nous en avons besoin pour… eh bien pour entendre la Parole, et pour la parler nous-mêmes !
Les gens qui étaient là, et qui n’ont vu que le résultat, n’ont bien sûr pas compris, je vous le disais tout à l’heure. Ils vont donc en dire du bien… et des bêtises en même temps ! « Il fait tout à merveille », ça pourrait être une reconnaissance que Jésus est Dieu. Mais ici il n’en est rien, c’est seulement un cri d’admiration pour le faiseur de grands miracles, qui fait des choses que personne d’autre ne fait. Évidemment, la technique d’aujourd’hui est plus avancée, et il y a des moyens de faire entendre les sourds – encore que je n’en connaisse pas de vraiment efficaces – et des moyens de faire parler les muets, comme le fameux logiciel qui équipe l’ordinateur de Stephen Hawking… Mais on ne parle pas de la même chose, n’est-ce pas. Les gens qui s’extasiaient devant les capacités thaumaturgiques de Jésus s’extasient aussi devant la technique d’aujourd’hui. Et dans les deux cas ils ont raison ! Mais ils n’ont pas compris, ce jour-là, ce qui s’était vraiment passé, et c’est pour ça que Jésus leur demande – vainement, d’ailleurs – de ne pas en parler. Et depuis, le bruit court que Jésus fait de grands miracles, et les gens se demandent pourquoi, alors, il n’en fait pas pour eux… Ils se trompent de Jésus, ils se trompent de dieu…
Ils feraient mieux d’écouter ce qu’ont à leur dire les sourds qui entendent enfin la parole de Dieu, et qui désormais « parlent correctement », c’est-à-dire selon Dieu. Les sourds… vous et moi ! Cette parole merveilleuse, « Ephphatha », a été prononcée, est prononcée, à chaque fois que Jésus rencontre notre surdité à la parole divine et notre faiblesse à parler de lui. Puisque nous sommes chrétiens, nous sommes donc prophètes, chargés de dire la parole de Dieu aujourd’hui. Nous tous. Chacun de nous, quel que soit son âge, sa santé ou sa position sociale. Et nous l’avons fait, ou bien nous l’avons tenté. Si vous entendez bien le texte de ce matin, soyez donc assurés et rassurés : Jésus nous envoie toujours à nouveau, en nous donnant la capacité et les moyens de notre mission. Adossés à l’Écriture et poussés par l’Esprit, nous sommes désormais « ouverts » par Jésus pour notre seule mission, notre seule raison d’être : « parler correctement » de celui qui n’est pas un magicien, mais le Seigneur et le Sauveur de tout être humain pécheur. Il nous a touchés la langue avec sa salive, il a délié notre parole : servons-nous-en ! Amen.
Saint-Dié- David Mitrani – 23 août 2015