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Lamentations 3 / 21-32
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texte : Lamentations de Jérémie, 3 / 21-32 (trad. : Bible à la Colombe)
première lecture : Ésaïe, 5 / 1-7
chants : 12-05 et 45-24 (Alléluia)
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« Notre Dieu est pour nous un Dieu des délivrances », chantait le psaume 68 avec lequel nous avons loué Dieu tout à l’heure ; pas n’importe quel Dieu, ce Dieu-ci précisément, qui « est pour nous un Dieu des délivrances ». Mais il ne nous délivre pas à bon marché, comme si rien n’avait vraiment d’importance. Regardons simplement comment nous pratiquons nous-mêmes les uns à l’égard des autres. Dans le monde, il m’arrive, comme à vous sans doute, d’aider, voire de délivrer quelqu’un de quelque chose. Mais il arrive que la personne me soit à peu près indifférente, ou alors sa prison, ou alors sa liberté… Bref, je fais parce que je dois, ou parce que je peux, mais cela ne me coûte rien ; cela me coûte d’autant moins que l’autre ou sa situation compte moins pour moi. La plupart du temps, lorsque nous aidons, lorsque nous donnons, c’est sur ce mode-ci, il faut bien le reconnaître… Ce que je fais alors pour l’autre est un plus, une bonne action, peut-être une bonne conscience. Mais ce n’est jamais un moins, cela ne m’atteint pas, tout juste un peu mon temps ou mon porte-monnaie.
Notre Dieu fonctionne-t-il ainsi dans sa relation avec nous ? Lorsque nous le louons, lorsque nous parlons de lui, il arrive que ça ressemble à ça. Je ne vous le reproche évidemment pas à vous, je ne vous connais pas ! Mais quand moi, j’écoute d’une oreille plus ou moins distraite les paroles de ma propre louange, lorsque je m’entends parler de Dieu à quelqu’un qui le connaît plutôt moins que plus, je me demande de qui je parle. Est-ce que je parle d’un Dieu qui délivre, d’un Dieu qui me délivre, ou bien est-ce que je parle d’un concept théologique, d’un extra-terrestre, d’une entité « toute bonne » comme la confessait les catéchismes d’autrefois, qu’ils fussent protestants ou catholiques ? Un Dieu qui vit dans le ciel, qui est bien gentil avec tout le monde… Sauf que n’importe qui vous dira que ça ne se voit pas vraiment, dans la vie de tous les jours, dans le monde réel, là où des gens ont mal ou font mal, là où les logiques humaines ou les catastrophes naturelles maltraitent tout le monde, et où ceux qui ont besoin de délivrance en sont pour leur espérance : rien ne vient ni pour eux ni pour moi. Qu’on se le dise bien, alors : ce Dieu-là n’existe pas, ce n’est pas de lui que parle la Bible.
Mais alors, la Bible parlerait-elle d’un Dieu vengeur, qui lui ne serait pas au ciel, au contraire, il n’y serait pas assez, il serait trop près de nous, trop dangereusement près… ? Après le Père Noël, faudrait-il croire en Zeus maniant le foudre jusqu’au cœur de mon quotidien ? Mais nous ne sommes ni dans la mythologie grecque ni dans les aventures de Percy Jackson ! Pourtant, nous avons mal, et rien ne vient nous délivrer. Pourtant, nous faisons mal, et rien ne vient non plus nous délivrer de ça… Cette expérience n’est pas d’aujourd’hui, elle n’est pas due à la sécularisation de notre société, ni à l’incroyance de la plupart de nos concitoyens. Cette expérience du silence de Dieu est de toujours. L’ancien Israël l’a faite tout autant que nous, y compris dans son existence comme peuple de Dieu ! Le texte d’Ésaïe que je vous ai lu donnait, pour son époque et peut-être au-delà, une explication de la part de Dieu lui-même, une explication qui nous montre un Dieu qui n’est donc ni le Père Noël ni Zeus, mais un Dieu amoureux et jaloux, qui pleure sur son amour que son peuple ne lui rend pas…
Gardez-vous bien d’appliquer sauvagement un tel texte à tout ce que vous-mêmes vivez, ou d’autres, amis ou ennemis. Ça ferait plus de dégâts que d’Évangile ! Mais entendez notre Dieu se lamenter sur sa vigne, comme il l’appelle… Entendez aujourd’hui que ce n’est pas tant nous qui attendons quelque chose de Dieu, que Dieu qui attendait quelque chose de nous. Et non pas à cause de sa seigneurie sur nous autres qui serions ses esclaves… Non. Il attendait quelque chose de nous parce qu’il avait pris soin de nous et qu’il nous aimait. Dans ce reproche, les verbes sont au passé, comme toujours dans ce genre de reproche, mérité ou non : « avec ce que j’ai fait pour toi… » Dieu, notre Dieu, est un Dieu qui nous aime et qui s’attend à ce que cet amour soit réciproque, qui s’attend à vivre une relation avec nous, avec son peuple, et, oserai-je dire, avec chacun de nous. L’amour est exigeant, vous le savez comme moi, sinon ce n’est pas de l’amour. C’est parce que l’amour place la personne aimée très haut. Entendez bien les conséquences de cette image : Dieu nous a placés, nous, très haut dans son amour, très haut dans son estime, très haut dans son attente ! Sa déception est à la même hauteur, mais elle ne fait que redire autrement son amour pour nous.
Et c’est bien ce que nous font entendre les Lamentations de Jérémie dans l’extrait qui nous est proposé aujourd’hui. Ce passage nous adosse en quelque sorte à la certitude de cet amour de Dieu pour nous, une certitude qui n’est pas le produit d’une aimable tranquillité, d’un bonheur durable, d’une situation sociale enviable, mais au contraire une certitude qui est ancrée au cœur-même de la défaite, du malheur, de la souffrance de Jérusalem dévastée. Le livre nous dit une espérance insensée, mais insensée comme l’amour est insensé. Ce n’est pas un bouche-trou pour nos malheurs, mais la réponse tant attendue par Dieu qui surgit là où la raison ne l’aurait pas mise. Car cette réponse, cette espérance, elle est le fruit d’une rencontre avec Dieu, une rencontre qui n’a pas lieu au ciel, qui n’a pas lieu dans les palais ni dans les édifices religieux ; une rencontre qui a lieu dans la vraie vie des humains, dans une mangeoire à bestiaux, sur un poteau de crucifixion… Non, « la bienveillance de l’Éternel n’est pas épuisée », et s’il y a épuisement il est peut-être de notre côté ! Mais le Dieu que nous avons crucifié a vaincu la mort et maintenant il est là, avec nous, non pas pour se venger mais pour nous associer à lui, à sa victoire, à son rétablissement, à sa résurrection. Il est là pour nous, car ce Dieu est fidèle, nous dit notre texte.
Dieu est fidèle, Dieu nous est fidèle, lui ! C’est là une grande bénédiction, quelque chose qui nous fait un grand bien, au point de changer notre vie et notre mort, de changer nos relations et même de changer notre foi. « L’Éternel est mon partage, dit mon âme ; c’est pourquoi je veux m’attendre à lui. » Ce dernier petit bout de phrase est tout le sens que je voudrais donner à cette prédication. C’est tout le sens aussi que je voudrais me voir placer au centre de mon existence, alors que beaucoup de choses en moi y résistent, par orgueil, par flemme, par peur, et pour des tas d’autres raisons tout aussi parfaitement stupides. « Je veux m’attendre à lui », tout comme quelqu’un qui aime s’attend à l’autre, l’objet de son amour, ou plutôt le sujet de son amour. Voilà : que Dieu, objet de ma foi, devienne sujet de ma foi. Qu’au lieu que je l’attende comme si j’étais, moi, son seigneur, que plutôt je l’attende en sachant que son amour donne sens à ma vie, que lui est Seigneur non pas par puissance mais par amour, non pas par jugement mais par don de lui-même. Aurai-je assez d’humilité pour espérer Dieu dans ma vie ?
Comment l’attendrai-je ? Le texte nous donne quelques éléments de cette attente pour qu’elle ne se trompe pas elle-même ni ne s’étiole. Le premier conseil, c’est le silence. C’est, vous me direz, le contraire de ce que je suis en train de faire ! Puisse simplement ces quelques mots inadaptés nous mener, vous et moi, chacun, vers le silence. Faire taire, laisser s’éteindre en nous, nos fausses attentes, nos raisonnements fallacieux, nos gesticulations sans effet et sans intérêt. L’amour, c’est s’abandonner à l’autre. C’est exactement ce à quoi les Lamentations nous appellent : nous abandonner à Dieu, quoi que l’existence nous fasse traverser d’heureux ou de malheureux. Nous taire et faire taire le décor de nos vies, et l’attendre, lui ; seulement lui. Nous tourner vers Jésus qui nous montre le Père ; pas vers ce que nous savons sur lui, mais vers lui personnellement. Laisser l’Esprit de Dieu opérer cela en nous, sans que nous nous mettions en travers comme nous faisons d’habitude. Paul n’écrit pas autre chose aux Romains, écoutez-le : « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables ; et celui qui sonde les cœurs connaît quelle est l’intention de l’Esprit : c’est selon Dieu qu’il intercède en faveur des saints. Nous savons, du reste, que toutes choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein. » (Rom. 8 / 26-28)
C’est bien de silence que l’apôtre Paul parlait ainsi, pas de prière au sens où nous multiplions les mots, les jolis textes ou les cris. Pas en renonçant à ce que Dieu réponde à nos prières ou à nos cris, mais en le laissant faire, lui, lui qui sait, lui qui nous aime, lui dont le Fils a donné sa vie pour nous. Jusqu’où donc m’attendrais-je à Dieu en le laissant faire ? N’y a-t-il pas une limite ? Si c’était celle de ma patience, elle serait bien vite atteinte, alors que celle de Dieu est bien plus grande – ce qui est bon pour moi… Si c’était celle de ma douleur, l’auteur biblique sait bien qu’au contraire, en-deçà d’un certain seuil nous avons encore trop de force, de confiance en nous-mêmes, en la science, en la chance, en la bonté des humains, etc., pour nous en remettre vraiment à Dieu. Dieu ne se rencontre bien, hélas, que là où nous avons vraiment mal – même si c’est un mal qui ne se voit pas de l’extérieur… Alors, non, pas de limite supérieure à mon attente, à mon silence, à mon espérance. « Qu’il mette sa bouche dans la poussière, Peut-être y a-t-il de l’espoir ! Qu’il tende la joue à celui qui le frappe, Qu’il se rassasie de déshonneur. Car le Seigneur ne rejette pas à toujours. » C’est l’expérience du patriarche Job, au cœur de notre Bible, c’est l’expérience de tout croyant qui crie à Dieu son mal, mais qui s’attend à lui.
On est très loin d’une louange dégoulinante de bonne théologie et de bons sentiments, prononcée par des gens heureux et qui n’ont rien d’autre à faire ! La vraie manière de parler de ce Dieu qui nous délivre, c’est de nous taire et de l’attendre au cœur de ce qui fait mal, en nous et dans le monde autour de nous ; c’est de parler de lui comme de celui que nous aimons et qui, surtout, nous aime, lui, et nous fait grâce, dont la compassion nous relèvera comme elle nous a relevé et comme elle nous fait marcher depuis toujours. Cela est vrai aussi de l’Église, comme autrefois d’Israël. Je ne sais pas encore vraiment ni quels sont vos projets, vos rêves, ni quels sont vos douleurs, vos malheurs, vos échecs. Sur les uns et sur les autres, associez donc votre prière et votre silence, et toute votre vie d’Église, aux Lamentations de Jérémie. Attendez le Seigneur, attendez-vous non pas à son indifférence ni à sa vengeance, mais à sa fidélité, à sa compassion. Entendez son propre cri, son amour pour vous. C’est pour vous, pour votre Église, que Jésus a dû crier « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et c’est pour vous, chacun de vous, et pour votre Église, que Dieu « lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil. 2 / 9), le seul « nom donné parmi les humains, par lequel nous devions être sauvés » (Actes 4 / 12).
C’est dans la mort de Jésus pour nous que nous rencontrerons Dieu et que nous saisirons notre salut, notre vie éternelle, cette incroyable puissance qui nous fera marcher en vainqueurs même au milieu de « la vallée de l’ombre de la mort » (Ps. 23 / 4) et même au milieu des flammes, tels les trois jeunes gens jetés au feu par Nabuchodonosor (Daniel 3). Oui, la compassion de Dieu nous relève, c’est notre certitude. Dieu en fait profession, il s’y engage totalement, pour son peuple, pour vous, pour moi. Amen.
Senones – David Mitrani – 5 octobre 2014