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Apocalypse de Jean 15 / 2-4
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texte :
Et je vis comme une mer de cristal, mêlée de feu, et les vainqueurs de la bête, de son image et du chiffre de son nom, debout sur la mer de cristal. Ils tiennent les harpes de Dieu. Ils chantent le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau :
« Tes œuvres sont grandes et admirables, Seigneur Dieu Tout-Puissant ! Tes voies sont justes et véritables, Roi des nations ! Seigneur, qui ne craindrait et ne glorifierait ton nom ? Car seul tu es saint. Et toutes les nations viendront et se prosterneront devant toi, parce que ta justice a été manifestée. »
premières lectures : Premier livre de Samuel 16 / 14-23 ; Épître aux Colossiens 3 / 12-17
chants : 41-38 et 36-03
prédication :
Certains font des rêves avec du son. D’autres font des rêves avec le son coupé. Moi, je crois que je fais partie de cette seconde catégorie : quand je me rappelle mes rêves, j’ai quelques images, voire quelques films, mais pas de son, pas de paroles… Par contre, Jean, le Voyant de l’Apocalypse, lui, il a du son dans nombre de ses visions. Parfois c’est du bruit, souvent violent, bruit de tempêtes ou de catastrophes. Parfois ce sont des paroles, qu’il surprend – encore qu’il soit là pour les entendre, justement – et parfois des explications qu’un ange lui donne, ou le Seigneur Jésus lui-même. Dans le texte de ce matin, il assiste à un culte, et, dans les visions qu’il nous rapporte dans ce livre, ce n’est pas la première fois. Et dans un culte il y a à voir – quoi qu’en pensent les Réformés – et il y a à entendre – oui, ça nous le savons mieux !
Ce qu’il y a à voir est étrange, bien sûr : c’est une vision, pas une photo ! Il y a une mer. Est-ce la mer d’où était sortie la première bête, deux chapitres auparavant (Apoc. 13 / 1) ? Ce serait étonnant. Est-ce une nouvelle mer, cette fois-ci de cristal, limpide donc ? Mais néanmoins mêlée de feu, et avec des gens sur elle… Ou alors il s’agit d’une vision idéalisée de la « mer », c’est-à-dire la cuve en bronze construite par Salomon pour le Temple de Jérusalem (1 Rois 7 / 23), de grandes dimensions, qui servait aux ablutions des prêtres qui se purifiaient ainsi avant d’accomplir les sacrifices, par exemple les holocaustes où l’on brûlait toute la victime – ce qui expliquerait le feu… Les gens, appelés ici « les vainqueurs de la bête » etc., sont les 144 000 qui ne se sont pas compromis avec elle. C’est dire si cette « mer » est grande ! Nous sommes bien dans le Temple, mais pas celui de la Jérusalem terrestre : celui du ciel ; et c’est donc bien un culte auquel Jean nous fait assister.
Et dans ce culte, il y a de la musique et des chants. Ce n’est pas une messe catholique : pas de sacrifice eucharistique ! Ce n’est pas un culte protestant : pas de prédication ! Encore que… Certes il n’y a pas d’orgue, mais des « cithares de Dieu », dit le texte. Et un cantique sur lequel je vais revenir. Dans ce livre il est déjà question d’un cantique aux chapitres 5 et 14 : « un chant nouveau », et dans la première occurrence il est bien question, comme dans notre texte, de l’Agneau et de la conversion des nations : « Et ils chantaient un chant nouveau, en disant : Tu es digne de recevoir le livre et d’en ouvrir les sceaux, car tu as été immolé et tu as racheté pour Dieu, par ton sang, des hommes de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation ; tu as fait d’eux un royaume et des sacrificateurs pour notre Dieu, et ils régneront sur la terre. » (Apoc. 5 / 9-10) Dans le second passage on lit ceci : « Personne ne pouvait apprendre le chant, sinon les 144 000 qui avaient été rachetés de la terre. » (Apoc. 14 / 3)
C’est donc un « chant nouveau » et non pas une resucée de Louange et Prière ou d’Arc-en-ciel ! C’est le chant qui acclame comme Roi et Sauveur celui qui a été crucifié. C’est le chant de la fidélité des croyants, c’est pourquoi il ne peut être chanté que par eux. Mais pourquoi alors parler d’un « cantique de Moïse », sinon pour affirmer la continuité, la cohérence des deux Testaments ? J’ai cherché, bien sûr. J’ai trouvé deux choses intéressantes pour éclairer cette expression. La première, qui a dû vous venir aussi en mémoire, c’est le chant que chante Moïse – et que reprend Myriam derrière lui – après le passage de la Mer des Roseaux : « Je chanterai à l’Éternel, car il a montré sa souveraineté ; Il a jeté dans la mer le cheval et son cavalier. » (Ex. 15 / 1) Tiens, encore une mer ! Mais surtout, Dieu confessé comme Roi et Sauveur de son peuple. L’autre explication se trouve à quelques endroits du Deutéronome, par exemple : « Moïse vint prononcer, avec Josué, fils de Noun, toutes les paroles de ce cantique pour les faire entendre au peuple. » (Deut. 32 / 44) Or ici, le « chant » en question, c’est la Torah elle-même, les commandements de Dieu !
L’arrière-fond dans l‘Ancien Testament du cantique que Jean a entendu dans sa vision est ainsi à la fois la Loi de Dieu et le salut que Dieu a souverainement opéré en faveur de son peuple. Et les autres moments de culte que Jean avait vus avant ce matin précisaient combien ce salut consiste en Jésus-Christ crucifié, comme Paul d’ailleurs l’avait écrit aux Corinthiens (1 Cor. 2 / 2), Jésus qui est lui-même la Parole de Dieu, par-dessus la Loi de Moïse, comme il se présente dès le début du livre dans la première vision et dès le prologue de l’évangile (Jean 1 / 1.14.17). C’est bien là toute une prédication, et même toute une dogmatique chrétienne ! Il nous faut lire tout ceci dans les quelques phrases de louange que cite Jean, et que je vous rappelle : « Tes voies sont justes et véritables, Roi des nations ! Seigneur, qui ne craindrait et ne glorifierait ton nom ? Car seul tu es saint. Et toutes les nations viendront et se prosterneront devant toi, parce que ta justice a été manifestée. »
Vous me direz : il n’y a là ni la Loi de Moïse ni la croix de Jésus-Christ ; comment Jean peut-il dire qu’il s’agit du « cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et [du] cantique de l’Agneau » ? C’est que nous persistons, malgré le Nouveau Testament, à partir d’une certaine idée de Dieu, et à lui rajouter Jésus, comme une annexe importante certes, mais en fait assez accessoire. C’est un peu le défaut du calvinisme de nos Pères… Nous pouvons alors tout à fait dire les phrases que cite Jean… sans être chrétiens ! Des Juifs pourraient tout à fait les dire, et d’ailleurs ils les disent, ou leur équivalent. Beaucoup de nos cantiques sont ainsi, et pas seulement les psaumes comme celui que nous avons chanté au début de notre culte tout à l’heure. Oui, notre image de Dieu, le Dieu de notre prière et de notre imaginaire, se passe volontiers de la croix de Jésus-Christ, « l’Agneau immolé » de l’Apocalypse. Or le texte de ce matin nous l’interdit.
Hier, le Conseil presbytéral se réunissait pour une excellente journée à l’abbaye d’Autrey, autour du thème de la prière. Mais cette question-là, nous ne l’avons pas abordée. Nous en avons abordé plein d’autres autour de notre thème, sur ce que nous faisons et comment nous le faisons lorsque nous prions, et ce qu’est la prière, etc. Mais la question du destinataire de notre prière est aussi une question importante. C’est celle du texte de Jean ce matin. Lorsque nous prions, que contient notre chant ? Cela inclut non seulement celui qui chante ou prie, mais aussi le contenu et bien sûr celui pour qui nous chantons ou prions. C’est Dieu bien sûr. C’est-à-dire c’est le Dieu, le Père, de Jésus-Christ, avec qui à nos yeux il est uni – comme lorsque Jean parle du « trône de Dieu et de l’Agneau » (Apoc. 22 / 1.3) comme s’ils étaient une seule personne. Et cela change tout.
Car le destinataire de notre prière est celui-là-même qui a donné sa vie en son Fils, afin que nous ne mourions pas de nos péchés, mais que nous en soyons lavés pour toujours. Ainsi, pour reprendre le contenu du chant que Jean entend dans sa vision, les « voies [de Dieu qui] sont justes » ont consisté dans cette mort, dans ce don de la vie du Fils unique – ce qui paraît insensé à tout esprit soit rationnel soit religieux. Les « voies » de Dieu ne consistent pas dans ses commandements, ni dans des décisions que nous ne connaissons pas ni ne comprenons, mais elles sont le plan de salut de Dieu pour l’humanité, dans lequel la pièce centrale est le don de lui-même pour nous, pour nous permettre une vie éternelle dont nous sommes incapables et que nous ne méritons pas. Telle est la justice de Dieu, qui ne consiste pas en ce que nous l’avons gagnée par nos œuvres, mais en ce qu’elle nous a été donnée gratuitement : nous sommes justifiés, rendus justes, par grâce, par le moyen de la foi. Dieu ne nous considère pas comme justes à cause de nos actes mais à cause du sacrifice de son Fils. C’est pour ça que Jean nous parle de « l’Agneau immolé » (Apoc. 13 / 8) pour désigner Jésus.
C’est à cause de cette mort de Jésus, et seulement à cause de ça, que des gens de toutes nations peuvent s’approcher de Dieu sans avoir besoin d’adopter telle ou telle religion comme le judaïsme. Car « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni mâle ni femelle, car vous tous, vous êtes un en Christ Jésus. » (Gal. 3 / 28) Nous chantons donc tous dans la même langue, qui n’est ni l’hébreu ni le grec ni le latin ni l’anglais, mais qui est le Saint-Esprit, celui qui témoigne en nous de Jésus-Christ et qui porte notre chant vers le Père sans se soucier des pauvres mots et des fausses notes de nos prières. En fait, par l’Esprit, Jésus est lui-même à chaque étape de nos prières : il est en nous pour formuler et porter notre prière, il est le contenu de notre prière – nous disons alors que nous faisons mémoire de lui devant Dieu – et il en est le destinataire, le Fils uni au Père depuis toujours et pour toujours. La prière chrétienne consiste à tous points de vue en Jésus crucifié, Jésus vainqueur du péché et de la mort. « Seigneur, qui ne craindrait et ne glorifierait ton nom ? Car toi seul es saint ! »
Le texte de l’apôtre Paul – la seconde lecture – disait tout ceci très clairement : « faites tout au nom du Seigneur Jésus. » Et l’histoire de David calmant le roi Saül le fait implicitement. Si Cette histoire n’était là que pour dire que « la musique adoucit les mœurs », ça ne vaudrait pas la peine ! Comment faire la différence entre l’esprit venant de Dieu : le bon et le mauvais ? L’Esprit qui fait du bien, celui que chante David, c’est l’Esprit qui témoigne de Jésus-Christ, c’est celui qui console Saül de ses péchés et de sa désobéissance, celui qui lui redit l’amour de Dieu auquel, selon la Loi, selon l’autre esprit, il n’a plus droit. C’est le même esprit qui nous fait chanter à Dieu comme David – vous connaissez ce chant de l’école biblique, n’est-ce pas : « Quand l’Esprit de Dieu habite en moi, je chante comme David… » (Alléluia n° 51-14) Le chant de David, celui qui se laisse deviner dans le texte des Psaumes, c’est « le chant nouveau » dont parlent les visions de Jean, c’est l’existence croyante tournée vers Jésus, et non plus vers soi-même ni vers de fausses images de Dieu.
C’est que notre vie a été sauvée de la mort et de l’esclavage du péché par la croix du Christ, sa mort victorieuse. C’est parce que nous ne sommes plus les mêmes que notre prière et notre vie de foi peuvent être appelées « chant nouveau », « chant de l’Agneau ». C’est parce que nous sommes déjà citoyens des cieux. Moïse n’est appelé « serviteur de Dieu », comme le fait notre texte, que dans le livre de Josué, c’est-à-dire lorsqu’Israël pénètre dans la Terre promise. Nous chantons le salut de Dieu en Jésus-Christ parce que nous sommes sauvés par lui. Nous sommes dans la bonne position pour nous tenir devant Dieu parce que c’est en Christ que nous nous tenons devant le Père. Notre vie chrétienne ne chante pas nos mérites, mais ceux de Jésus-Christ. Tel est aussi le chant que nous pouvons faire entendre à d’autres gens, car nous ne pouvons pas nous tenir différemment devant Dieu et devant les autres, mais seulement en Christ devant Dieu et en Christ devant les gens. Où seraient sinon et notre prière et notre témoignage ?
Alors oui, vainqueurs, « chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ! » Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 28 avril 2024