Deuxième épître aux Corinthiens 4 / 14-18

 

texte :

Sachant que celui qui a éveillé le Seigneur Jésus nous éveillera aussi avec Jésus et nous placera près de lui avec vous. Oui, tout arrive à cause de vous, que tant de grâces au service du rayonnement de Dieu. C’est pourquoi nous ne reculons pas. Et même si notre humanité extérieure est détruite, notre intériorité est renouvelée de jour en jour. Notre léger tourment momentané nous procure en abondance et en abondance un poids éternel de gloire. Nous ne nous arrêtons pas au visible mais à l’invisible, car le visible est passager, mais l’invisible est éternel.

 

 

premières lectures :  Genèse 1 / 1-4a. 26- 28. 31a ; 2 / 1-4a ; Actes des Apôtres 17 / 22-34

chants :  22-08 et 44-14

 

 

prédication :

 

 

Il y a une chose que je ne connaîtrais jamais, c’est la douleur d’une grossesse. Néanmoins, je sais que c’est une chose difficile et très douloureuse. Ce n’est pas pour rien que la Genèse l’a immédiatement reconnue comme la souffrance ultime de la femme. Et pourtant, des milliards de femmes, sachant cela, ont accepté un jour d’enfanter, de traverser ces douleurs. Pourquoi ? Parce qu’elles étaient profondément convaincues qu’à la fin, elles gagneraient quelque chose qui vaudrait infiniment plus que leurs souffrances.

 

Or, c’est exactement ce que Paul dit ici à l’Église de Corinthe : surmonter l’épreuve, car ce qui en émergera en vaudra la peine.

 

Mais de quoi parle-t-il ? Qu’elle est cette chose pour qui la souffrance vaudrait-elle la peine ? Bon, la réponse est simple, puisqu’il le dit lui-même : cette chose, c’est de suivre le Christ, d’avoir foi en lui. Dans ce contexte, de faire parti de l’une des premières églises chrétiennes.

 

Et pourquoi cela vaudrait-il tant le coup ? Encore une fois, Paul le dit de façon très explicite, et en tant que chrétien vous le savez déjà : parce que le Christ n’a pas juste triomphé de la mort juste pour lui-même. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce récit nous est proposé en plein temps pascal. Car ce récit, comme celui des Actes des Apôtres que nous avons lu plus tôt, nous rappelle que ce qui paraît une évidence dans nos communautés chrétiennes d’aujourd’hui, était à l’époque de Paul une idée totalement nouvelle et folle. Car il ne s’agit pas juste d’accepter que Christ soit revenu d’entre les morts. Il faut se demander pourquoi cela aurait-il une quelconque importance pour nous ? Je rappelle que chez les Grecs, dans leur mythologie, on ne compte plus le nombre de héros, même de simples mortels, qui ont réussi à entrer dans les Enfers et y revenir. Si ce fameux Christ était un Dieu, et bien il est normal qu’il ait vaincu la mort. Mais dire que Jésus n’a pas seulement accompli un acte divin, héroïque, mais qu’il l’a surtout fait pour le salut du monde entier… Cela, c’était quelque chose d’incroyable et de totalement nouveau. Et pourtant, c’est bien cela, la croyance du christianisme : que si notre Dieu s’est dépouillé, c’est en sacrifice pour sauver tous les siens. C’est cela, la croyance qui a émergé immédiatement après la résurrection du Christ, et qui a donné naissance au christianisme. C’est cela, qui fait dire à Paul qu’au bout de la souffrance, tel un accouchement, une vie qui vaut la peine d’être créé va apparaître (même si là, c’est filer la métaphore et accepter que l’on accoucherait de soi-même, mais cela colle avec nos croyances que le baptême fait de nous une nouvelle créature, ou colle avec la théologie de Paul lorsqu’il parle de notre extériorité dont il faudrait nous dépouiller pour laisser place à l’homme nouveau, intérieur). Et c’est cette croyance qui a habité des milliers, puis des milliards, jusqu’à se transmettre jusqu’à nous. Et c’est ainsi je pense que ce récit trouve sa place dans le temps pascal : si Jésus est mort pour nous, et a demandé de l’annoncer au monde entier, alors la réception et la compréhension du miracle sont aussi importants que le miracle lui-même.

 

Nous voilà donc à entendre ce message, cette révélation, à l’entendre il y a deux mille ans, à Corinthe, mais nous voilà aussi à l’entendre ici, aujourd’hui. Nous entendons ces paroles, cette promesse. Et nous sommes en droit de nous demander : mais comment être sûr que cela vaut le coup ? Et c’est une question à laquelle la seule réponse que vient est : eh bien, oui, si tu y crois !

 

Ah, croire ! Un mot si terrible, parce qu’il se veut l’opposé de « savoir », et parce qu’à cette époque, aujourd’hui, le monde ne semble vouloir exister qu’à travers des faits, de la science. Au point que régulièrement, des gens sortent des livres comme ceux-ci, pour vous dire « non, non, mais, vous savez, il y a moyen de le prouver, avec des faits solides. »

 

Quand je vois des livres comme cela, je me dis « Pourquoi ce genre de livres existent ? Pourquoi essaie-t-on d’expliquer l’inexplicable ? D’atteindre ce qui par définition est inaccessible ? » Et la réponse me semble simple : parce que le fait de « croire », simplement « croire », sans preuve, est quelque chose qui dans la société d’aujourd’hui paraît absurde, et surtout, parce qu’il est difficile en tant qu’humain de croire, d’avoir confiance, quelque soit le sujet, sans preuve.

 

Paul lui, n’avait pas besoin de ce genre de livre pour nous dire qu’il savait.

 

Paul, pour ce qui était de croire sans jamais douter, était un modèle : déjà, il a pendant de très longues années, jusqu’à ces 20 voire 30 ans, vécu avec la croyance que le modèle juif, avec le respect scrupuleux de la Torah, serait son moyen d’accéder à une vie heureuse et éternelle. Puis, un jour, il a changé du tout au tout, est devenu chrétien suite à une apparition, et a embrassé cette nouvelle croyance, pourtant totalement différente de la précédente, avec autant de ferveur et de certitude.

 

Pourtant Paul n’avait aucun intérêt, aucune raison rationnelle – puisqu’encore une fois c’est un mot qu’adore notre époque – à changer de religion. Lui-même le dit : il était juif, très respectueux de la loi, assez élevé dans la société. En devenant chrétien, il a abandonné tout cela, et s’est lancé dans une vie très difficile, où il mettait ni plus ni moins que sa vie en jeu, chose qu’il savait, et qui fini par lui arriver, puisqu’il a fini par être emprisonné puis mourir. Il n’avait aucune raison logique d’être chrétien, et pourtant il l’a été.

 

De plus, ce n’est pas comme si Paul avait un modèle éprouvé, scientifique, pour parler de sa nouvelle religion. On le voit à travers ses écrits, espacés de plusieurs années. On le voit par exemple changer d’avis sur la question de ceux qui sont déjà morts : il a longtemps pensé que les morts ne rejoindraient pas les cieux avant le jugement dernier, qu’ils étaient « endormis » jusqu’à ce jour. Mais très clairement, on voit dans ses dernières épîtres qu’il ne pensait plus du tout cela à la fin. De même pour la résurrection des corps : si on lui demandait ce qu’il advenait du corps des êtres humains, le grec en lui aurait répondu que le monde matériel n’était pas digne du monde spirituel, et qu’il aurait donc fallu se débarrasser de la chair physique dès que la mort arrivait. Mais le juif en lui croyait en l’homme créé de la terre, et croyait en la résurrection de la chair. On voit le fruit toutes ses contradictions par exemple lorsqu’encore une fois parle d’un homme extérieur et intérieur, sans qu’on sache si l’homme intérieur serait l’âme, ou un nouveau corps dépourvu de défaut.

 

Oui, le même Paul qui vous dit que la récompense vaut le coup, n’est même pas certains de ce que sera exactement la récompense.

 

Non, on est loin d’une théorie scientifique. Et là nous avons deux choix : soit dire que Paul était fou, soit dire que le monde d’aujourd’hui est fou de dire que croire n’est pas quelque chose qui a de la valeur.

 

Je reprends mon histoire de la femme enceinte. Si croire sans preuve, c’est être fou, n’importe qui ayant souhaité avoir un enfant un jour est en quelque sorte fou. Car comme vous ignorez votre destin après votre mort, vous ne savez pas ce qui va arriver à votre enfant. Vous êtes remplis d’incertitudes : est-ce qu’il va naître sans soucis ? Est-ce que je vais réussir à l’élever ? Est-ce que je vais pouvoir faire en sorte à ce qu’il mène une belle vie ?

 

Ici, qui oserait dire à une femme : mais pourquoi veux-tu enfanter, tu n’as aucun moyen de savoir si cela en vaut la peine !

 

Alors, ais-je des certitudes à vous donner ? Non. Mais alors, comment savoir que cela « vaut le coup » ? Eh bien, vous ne le « saurez » que lorsque votre vie ici-bas sera terminé.

 

Mais je peux vous assurer : l’espoir que vous avez, qui est en vous, qui croyez en Christ, personne n’a le droit de vous dire qu’il est fou parce qu’il est irrationnel.

 

Parce que ce qui rend vraiment heureux dans ce monde (l’amitié, l’amour, les projets que l’on mène et que l’on réussi) se sont toujours des croyances, des espoirs, de la confiance, des choses irrationnelles qui nous y conduit.

 

Maintenant, la question est « peut-on vivre réellement avec ce message ? Comment vivre avec cette idée que ‘surmontez les épreuves, car cela en vaut la peine ?’ » Je pense vous en avoir donné un petit aperçu, mais continuons.

 

Paul, fermement convaincu par son message, sûr de sa foi au point de dire « nous SAVONS que Christ va nous ressusciter », est bien sûr un modèle à suivre. Et comment Paul a vécu ? En propageant le message de la résurrection, en construisant des communautés chrétiennes, en tentant de les garder debout. Et en dépassant toutes les difficultés : les autorités, et les disputes avec les communautés même qu’il avait créées. L’Église de Corinthe à laquelle il écrit là en est un très bon exemple. Je vous remets le contexte. On sait que c’est Paul lui-même qui a fondé cette communauté de Corinthe. Or, dans les années qui ont suivi cette création, Paul va rencontrer beaucoup de difficultés avec cette communauté – comme avec beaucoup d’autres. La deuxième fois que Paul se rendra à Corinthe, il se brouillera d’ailleurs avec eux. Il nous parle d’un affront que lui aurait fait l’un des membres de la communauté, sans que l’on sache de quoi il s’agisse on peut deviner que les insultes ont fusé. On sait que Paul a reproché aux Corinthiens une certaine hypocrisie, notamment vis-à-vis de l’argent à reversé à l’église de Jérusalem : visiblement ils étaient motivés à faire de la publicité pour la collecte, mais moins à y mettre leur propre argent (blague : n’oubliez pas l’offrande tout à l’heure). L’autre chose qu’il leur reprochait, c’était d’écouter d’autres apôtres, ou pseudo-apôtres, qui professaient eux aussi de leur côté, d’autres croyances, d’autres promesses.

 

Donc Paul a non seulement dû affronter des ennemis externes, mais aussi internes. Pourtant, Paul a continué sa mission, coûte que coûte.

 

A certains moments, on pourrait même s’imaginer dire à Paul « Mais si tu es un si bon chrétien, laisse-les tomber ceux qui ne te suivent pas, et fuit tes ennemis. Cache-toi, et attends patiemment le retour du Christ – que Paul, je rappelle, croyais imminent. »

 

Mais non. Paul s’est battu. Paul était en mission. Et Paul a affronté toutes les difficultés.

 

Cela, c’est je pense la manière idéale de vivre avec son message. Affronter les épreuves, et ne même pas craindre qu’elles nous arrivent, car notre confiance que « à la fin, ce qui arrive en vaut la peine », est invincible.

 

Heureux qui est comme Paul.

 

Mais soyons honnête : souvent, nous sommes plutôt comme les Corinthiens.

 

D’ailleurs, nous pouvons nous dire que leur époque est à la fois très semblable et très différente de la nôtre : d’un côté, il est clair que les membres des communautés chrétiennes du premier siècle ont mis leurs vies en jeu pour pratiquer leur religion et la faire propager. Finalement, ils étaient, j’ose faire le parallèle, comme des résistants de la seconde guerre. Mais en même temps, dans la même réalité, ils rencontraient des problèmes aussi « quelconques » que les nôtres. Les mêmes hommes et femmes que la menace de la prison et de la torture ne faisaient pas flancher, pouvaient craquer à cause d’une dispute avec un confrère.

 

C’est paradoxal.

 

Mais c’est, finalement, un paradoxe qui est tout à fait humain. Paul Tillich, grand théologien du XXe siècle, disait que la religion était la préoccupation ultime du croyant. Et il avait raison. Et Tillich rajoutait qu’en tant que telle, la religion devait prendre le pas sur toute nos priorités de la vie. Et il aurait encore raison… Si l’être humain n’était pas si compliqué.

 

Soyons clair : même parmi les fidèles des fidèles, qui n’a jamais manqué un culte ? Ni manqué un jour de son catéchisme ? Ni une réunion de chorale chrétienne ? Ni une réunion tout court ? Bref : qui n’a jamais failli à son devoir de chrétien au moins une fois ? Et soyons honnête : qui l’a fait pour une raison qui parfois paraît insignifiante comparé à l’importance que l’on accorde à Dieu ? Parce que le culte était loin, parce que l’on était en vacances, parce que l’on recevait des amis, parce que le décalage horaire et qu’il faut se lever plus tôt, parce que… Bah tous les dimanches ça fait beaucoup et que c’est bon, quoi, on peut bien louper une fois de temps en temps ?

 

Je ne suis pas là pour vous blâmez. Enfin, si mais trop fort (rire), et en me blâmant avec vous. Mais simplement pour vous dire : il est difficile pour nous de faire nôtre cette phrase « affronter les difficultés, car cela vaut le coup » Car déjà, hélas, nous sommes terriblement inconstants.

 

Donc parfois, c’est notre inconstance qui nous empêche de faire nôtre ce message. Et parfois… C’est tout simplement que l’on n’y croit plus. Nous ne croyons plus quand nous entendons « tenez bon, cela vaut le coup ».

 

Et ce monde malheureusement nous donne mille raisons de ne plus y croire, d’au contraire de l’espoir, tomber dans le désespoir. Loin de voir Dieu, nous nous demandons où il se cache. Où est-il lorsque nous sommes malades ? Où est-il quand nos proches sont malades ? Que nous perdons notre emploi ? Que la guerre frappe ?

 

Alors, que faire dans ces moments là ? Pour l’inconstance… Je n’ai pas grand-chose à vous dire à part « essayer de faire mieux, juste un petit peu ».

 

Pour l’espoir… Ce que je vais vous dire va peut-être paraître étrange pour un futur pasteur, mais vraiment, j’y ai réfléchi avant de vous le dire : frères et sœurs, vous avez le droit de douter.

 

Ce que je veux dire par là c’est : vous n’avez pas à culpabiliser de douter. Déjà Dieu n’en sera jamais offensé. Comme je l’ai dit dans ce culte, notre Dieu n’est pas un juge, ce n’est pas un Père fouettard. Il sait que nous sommes inconstants et faibles, et c’est bien pour cela et parce qu’il l’accepte qu’il nous pardonne toutes nos fautes.

 

Je vais plus loin : vous avez aussi le droit d’être en colère. Regardez Job, Moïse, Ésaïe. Des gens très saints, que Dieu a aimé particulièrement. Ils ont osé se plaindre envers Dieu, lui dire « mais tu es en train de me laisser tout seul, de me traiter injustement ! Aide-moi, agis-moi, s’il te plaît ! » De la même façon qu’un parent ne foudroierait pas son enfant qui se plaint, Dieu au contraire écoute les plaintes des siens.

 

Et du coup, je vais aller encore une fois plus loin : vous avez le droit d’être exigeant. Alors, encore une fois, cela peut paraître fou, mais finalement, c’est quelque chose que nous faisons déjà tous. Pourquoi croyons-nous ? Nous voulons que Dieu nous pardonne nos fautes et qu’il nous accorde la vie éternelle à ses côtés. Vous ne pensez pas que c’est déjà une grande exigence de notre part ? Jésus, sur sa route, n’a-t-il pas accordé à des milliers de gens ce qu’ils ont osé lui demander ?

 

Qu’est-ce que j’essaie de dire avec tout cela ?

 

Je veux dire que Dieu est votre parent, et que vous êtes son enfant, et qu’il vous aime. Rien, ni personne ne peut changer cela. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un vous aime que tout se passe toujours parfaitement. Parfois, c’est une colère passagère. Parfois, on perd simplement confiance en l’amour que nous porte l’autre. Auprès de toutes les personnes qui dans cette vie vous aiment, vous avez le droit de demander des signes d’affections, ou d’attendre qu’on vous les offre. Comme l’enfant a le droit d’espérer que ses parents n’oublient pas son anniversaire, ou lui sourient sincèrement, comme preuve que oui, vraiment, ses parents l’aiment.

 

Je rappelle, ce message est pour tous ceux qui sont tristes, qui ressentent un vide dans leur cœur.

 

Si vous doutez de Dieu, c’est que vous ne sentez plus son amour autour de vous. Et vous avez le droit de le demander. Vous avez le droit de demander de pouvoir ressentir l’amour de Dieu.

 

Parce que finalement, c’est de l’amour qu’il est toujours question. Je reprends une dernière fois mon histoire de la femme enceinte. Si vous décidez d’avoir un enfant, de vous lancer dans ce projet incertain, dont vous savez qu’il engendrera des souffrances, c’est bien que déjà, avant même qu’il existe, vous l’avez déjà aimé.

 

Alors pour faire vôtre cette phrase « surmontez les épreuves, car grâce à Dieu, cela vaut le coup », oui, il faut que vous soyez convaincu de cet amour. Et pas parce que quelqu’un d’autres vous a dit dans la rue que Christ l’a sauvé, ou que sais-je. Mais parce que cet amour, vous le ressentez profondément dans votre cœur.

 

Amen.

 

Raon-l’Étape  –  Vincent Vinot  –  21 avril 2024

 

 

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