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Proverbes 9 / 1-18
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texte : Proverbes, 9 / 1-18 (trad. : Bible à la Colombe)
premières lectures : Évangile selon Jean, 6 / 51-59 ; Épître aux Éphésiens, 5 / 15-21
chants : 22-07 et 43-10 (Alléluia)
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Boire et manger. Il est question de boire et de manger, dans tous ces textes – encore que je ne sois pas très sûr qu’ils aient entre eux un rapport tellement étroit… Avez-vous faim, avez-vous soif ? Les gens qui ne sont pas là ni dans aucune autre église ce matin, vos familles peut-être, vos voisins, vos amis, ont-ils faim, ont-ils soif ? Mais quoi leur donner ? Et quoi consommer nous-mêmes qui étanche notre soif, qui apaise notre faim ? La Parole de Dieu, me direz-vous. Certes. Amen ! Mais qu’est-elle, cette parole ? Sûrement pas une doctrine, une morale, un enseignement… Ces choses sont nécessaires à bien vivre, mais ne nourrissent ni ne désaltèrent ! Quoi alors ? Il y a plusieurs prétendants, nous ne serons pas à court, mais lequel choisir ?
C’est exactement ce que met en scène le chapitre 9 du livre des Proverbes. S’il en était parmi vous qui pensaient que la fin du texte était un horreur machiste, je suis désolé de vous proposer une autre lecture ! Il y a en effet dans ce texte non pas des femmes, mais deux figures féminines, une qui est nommée « la sagesse » et l’autre « la femme insensée ». Elles sont semblables et dissemblables en même temps. Leur apparente similitude fait qu’on peut hélas se méprendre. Mais le texte biblique attire l’attention sur les différences, moins visibles au premier abord, mais fondamentales pourtant : il est question de vie et de mort dans le choix entre les deux. Car, chers amis, c’est à un choix que nous sommes appelés, comme les écrits juifs, puis judéo-chrétiens, vont le souligner jusque dans l’évangile de Matthieu parfois. C’est ce qu’on appelle les « deux voies ». L’image qui nous en est donnée ici n’est pas celle de chemins, ni de portes étroites ou larges, mais l’image de la nourriture : il y en a une qui fait vivre, et l’autre qui fait mourir…
Mais avant de goûter, encore faut-il y aller voir. Je vous propose de nous arrêter un peu sur la stratégie de ces deux « femmes », stratégies là encore ressemblantes et pourtant différentes. Toutes deux sortent, la première par ses servantes qu’elle envoie dehors, la seconde s’assoit elle-même dehors. C’est dire aussi, en passant, qu’il n’y a pas de troisième voie, qui serait d’attendre à l’intérieur que les gens entrent sans qu’on soit allé les chercher. Lorsqu’on est en situation de monopole, on peut se permettre d’attendre le client, qui n’a qu’à venir s’il veut avoir à manger. Mais en situation de concurrence, on se condamne à fermer boutique si l’on agit ainsi. Si nous réfléchissons à l’évangélisation pour notre propre Église un de ces jours, il faudra bien s’en souvenir : personne n’entrera tout seul en voyant de la lumière, il nous faudra sortir, nous !… Ainsi font donc nos deux « femmes ».
Toutes deux « crient […] “Quiconque est stupide, qu’il fasse un détour par ici !” » et s’adressent ensuite « à celui qui est dépourvu de sens », nous est-il précisé. Mêmes expressions donc dans le texte, pour souligner cette grande similitude. Car tous nos discours, toutes nos propositions de sens – les nôtres comme celles qui pleuvent sur nous ou sur d’autres – toutes donc prétendent éclairer les « stupides ». C’est ainsi, notre texte ne nous dit pas le contraire. C’est normal : celui qui est repu n’a que faire des offres de nourriture, c’est bien celui qui a faim, celui qui se sait ou se sent en manque, qui est susceptible de s’approcher, d’être intéressé. Les malédictions adressées aux « riches » dans l’un ou l’autre testament biblique n’ont pas d’autre sens, et ce n’est pas la richesse qui y est visée, mais la suffisance. Aussi bien donc les deux propositions recherchent… ceux qui les recherchent, si l’on peut dire. Il y a une demande, qui n’a pas forcément conscience d’elle-même mais qui est dévoilée par la publicité que font les offres. La publicité en question consiste donc à promettre un rassasiement par la rencontre de l’offre et de la demande.
Là encore, c’est quelque chose qui peut nous donner à penser quant à notre propre offre. On pourra réfléchir à l’adéquation ou non de notre offre aux besoins d’une part, aux demandes exprimées ou non d’autre part. Et c’est bien en termes de marketing qu’il faut voir ça, non pas pour offrir n’importe quoi, mais d’une part pour avoir quelque chose à offrir, et d’autre part pour que ce quelque chose soit attirant pour ceux qui sont en demande, ou bien qui sont intéressés par notre publicité – celle que nous ferons alors, bien sûr ! Car la première des deux femmes, « la sagesse », a préparé nourriture et boisson, dans la maison qu’elle a bâtie pour ça : pas pour y habiter, mais pour faire venir les gens afin qu’ils se rassasient et se désaltèrent. La maison n’est que le lieu où elle prépare ce qui sera pour les gens qui viendront le chercher. Et elle appelle tout le monde, elle ne cible aucun public particulier, mais elle le respecte, elle ne l’assimile pas aux « moqueurs » ou aux « méchants »… qui ne se dévoilent tels que par leur réaction dédaigneuse, outrageuse, voire haineuse.
Ce que propose la sagesse, c’est elle-même. Elle s’offre à qui la recherche. C’est aussi ce que prêchera Ésaïe dans un passage bien connu, lorsqu’il dira de la part de Dieu : « Ô vous tous qui avez soif, venez vers les eaux, même celui qui n’a point d’argent ! Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer ! Pourquoi pesez-vous de l’argent pour ce qui n’est pas du pain ? Pourquoi peinez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc et mangez ce qui est bon, et vous vous délecterez de mets succulents. Tendez l’oreille et venez à moi, écoutez, et votre âme vivra. » (És. 55 / 1-3a) Et il rajoutait : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; invoquez-le, tandis qu’il est près. » (És. 55 / 6) C’est aussi ce que prêchera Jérémie : « Vous me chercherez et vous me trouverez, car vous me chercherez de tout votre cœur. Je me laisserai trouver par vous. » (Jér. 29 / 13-14a) De même dans notre texte, la sagesse expose que « le début de la sagesse, c’est la crainte de l’Éternel. »
L’Éternel, le Dieu unique et inconnaissable, se laisse donc trouver par celui ou celle qui a besoin de lui, il se laisse trouver non pas pour un culte, mais pour un rassasiement. Il se donne à connaître (à « craindre », comme on disait aussi) plutôt qu’à comprendre, il se laisse rencontrer plutôt qu’expliquer. Et celui ou celle qui l’a trouvé, qui s’est laissé rencontrer par lui, verra sa vie s’augmenter. En nombre de jours ici-bas peut-être – ou peut-être pas. Mais en qualité sûrement, et en pérennité surtout : c’est de la vie éternelle qu’il s’agit, pour le dire comme le Nouveau Testament – d’une vie éternelle qui commence ici et maintenant. C’est ce que Jésus dit de lui-même dans le chapitre 6 de l’évangile de Jean : « Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » Les paroles de Jésus se comprennent mieux, je crois, avec le texte sur la sagesse. Je laisse aux autres théologiens de savoir quel texte éclaire l’autre, lequel est une image de l’autre. Peut-être les deux sont-ils des images de ce qui se passe réellement lorsque quelqu’un – vous, moi, quelqu’un d’autre – rencontre Dieu en Jésus-Christ.
La chute du discours chez Jean nous renvoie à la seconde femme, lorsque l’évangéliste prend soin de préciser : « C’est ce que Jésus dit alors qu’il enseignait dans la synagogue », alors que Jésus venait de dire « vos pères sont morts ». Le pain qu’ils avaient mangé les avait donc conduits « dans les vallées du séjour des morts », comme dit l’auteur des Proverbes. C’est que « la femme insensée » n’est pas intéressée par les gens, mais par sa propre maison, où elle siège. Si ses paroles d’appel sont les mêmes que celles de la sagesse, son attitude n’est pas la même ! En plus, elle, elle cible son public : « les passants qui vont droit leur chemin ». Elle n’est pas intéressée par les gens qui ont besoin, mais par détourner ceux qui ne sont pas errants. Elle leur dévoile alors la nourriture qu’elle propose : des eaux croupies, du pain rance et moisi. Ce n’est pas du « pain vivant », mais du pain mort, du pain de mort… Jésus dira cela de l’ancienne religion, la religion des œuvres, celle qui nous habite naturellement encore aujourd’hui.
Mais aujourd’hui, les paroles de « la femme insensée » revêtent, comme de tout temps d’ailleurs, des formes et des contenus multiples, religieux ou non. De nombreuses sagesses se proposent à nous et à tout le monde, et il n’est jamais évident au premier abord de reconnaître si elles sont pour la vie ou si elles sont pour la mort. Un réflexe de protection serait de toutes les considérer comme mauvaises, en les étiquetant, en en faisant des choses en « -isme ». Mais ce serait retomber dans l’illusoire troisième voie dont je vous parlais tout à l’heure : se calfeutrer chez soi en attendant de mourir sans avoir rencontré les gens, sans avoir rencontré le Seigneur et s’être nourri de lui, sans avoir vécu. Vous savez comme moi que ceci ne convient ni à des chrétiens ni à une Église. Le choix, le « discernement des esprits » (1 Cor. 12 / 10), « discernement du bien et du mal » (Héb. 5 / 14) qui est devenu inévitable depuis que nos mythiques ancêtres y ont goûté (Gen. 3 / 6), nous ne pouvons y échapper : il nous faut être responsables.
Nous le devons aussi aux gens, à ceux qui attendent une parole qui ne soit pas de pure mythologie ni de pure idéologie, mais qui concerne leur propre existence. C’est à travers nos paroles et nos gestes, nos discernements et nos responsabilités, qu’ils pourront peut-être, eux, reconnaître l’appel de leur Seigneur. Les Églises sont les « servantes » de la « sagesse ». Elles sont des lieux, ou plus exactement des liens, où tout un chacun peut trouver nourriture pour sa faim et réjouissance pour sa soif. Sinon elles ne sont pas des Églises ! Elles ne le sont que parce qu’elles-mêmes se nourrissent du corps et du sang du Christ, « livré pour nos offenses, et ressuscité pour notre justification. » (Rom. 4 / 25) Elles ne font ce pour quoi elles sont faites que lorsqu’elles offrent ce Seigneur aux gens, aux « stupides » aussi stupides que nous autres, marcheurs des mêmes chemins, chercheurs des mêmes horizons. Pas lorsqu’elles offrent leurs murs, ni l’une ou l’autre idéologie, mais Jésus lui-même. « La sagesse […] a envoyé ses servantes, elle crie sur les points culminants des hauteurs de la ville. » Telle est donc notre vocation, y aller tels que nous sommes, pour parler de Jésus aux gens. De Jésus, pas de nous. De Jésus, pas de religion ou de morale. De Jésus qui « a donné sa vie pour nous. » (1 Jn. 3 / 16)
« Qu’ils sont beaux sur les montagnes, les pieds du messager de bonnes nouvelles, qui publie la paix !, du messager de très bonnes nouvelles, qui publie le salut !, qui dit à Sion : “Ton Dieu règne !” C’est la voix de tes sentinelles ! Elles élèvent la voix, elles poussent ensemble des cris de triomphe ; car de leurs propres yeux elles voient l’Éternel revenir à Sion. » (És. 52 / 7-8) Chers amis, nous sommes ces sentinelles, placées là pour distraire les gens de tous les mensonges et de toutes les horreurs qui prétendent les attirer vers en-bas. Nous avons autre chose, nous avons quelqu’un d’autre, à leur proposer : « Venez, mangez de mon pain et buvez du vin que j’ai mêlé ; abandonnez la stupidité et vous vivrez, dirigez-vous dans la voie de l’intelligence ! » Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 16 août 2015