Première épître de Pierre 1 / 18-21

 

texte :

 

Vous savez que ce n’est point par des choses périssables – argent ou or – que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre, héritée de vos pères, mais par le sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache ; il a été désigné d’avance, avant la fondation du monde, et manifesté à la fin des temps, à cause de vous. Par lui, vous croyez en Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts et lui a donné la gloire, afin que votre foi et votre espérance soient en Dieu.

 

 

premières lectures :  Premier livre des Rois 19 / 1-8 ; Épître aux Éphésiens 5 / 1-2. 8-9 ; Évangile selon Luc 9 / 57-62

chants :  416 (Arc-en-ciel) et 34-15 (Alléluia)

 

 

prédication :

 

 

Quelle est la place de Dieu, de Jésus, dans notre vie ? Chers amis, il faut se méfier de ce genre de question, pourtant très évangélique ! Nous pourrions croire qu’il y a là une vraie interpellation, qui peut mener à une conversion, à un nouveau choix de vie croyante ; c’est le but de ceux qui proposent cette question et s’en servent comme un moyen d’évangélisation. Le seul problème – petit problème ! – c’est que le diable, l’Accusateur, pose la même question. Car cette question, adressée à des chrétiens, ne peut qu’entraîner chez vous et moi une culpabilisation dont tous les psychologues du monde vous diront qu’elle ne permet pas d’en sortir par le haut, mais qu’elle vous enfonce, au contraire ; et c’est bien le but du diable… Quelle est donc la place de Dieu, de Jésus, dans notre vie ? Insuffisante, évidemment ! Je ne lui laisse pas assez de place, je m’occupe de mes propres affaires, et éventuellement je les lui soumets quand j’ai un problème, je me sers de lui quand j’en ai besoin. D’ailleurs, la question elle-même me renvoie vers moi : qu’est-ce que je fais de Dieu, moi – toujours moi ?

 

Vous entendez bien alors que, contrairement aux apparences, cette question n’est pas évangélique. Jamais l’Évangile ne me mets au centre : ça, c’est l’Accusateur, le serpent du jardin primordial (Gen. 3 / 1-5). L’Évangile est celui de Jésus, pas le mien. C’est Jésus qui est au centre… sauf dans ma vie à moi – et revoilà l’Accusateur… Or tous les textes de ce matin inversent la question, ou plutôt ils la prennent dans le bon sens, celui de l’Évangile : quelle est ma place, quelle est notre place, dans la vie de Jésus, dans le projet de Dieu ? Jésus d’abord, Dieu en premier, « à Dieu seul la gloire » … Dans notre extrait de la première lettre de Pierre, la première question est révoquée d’emblée, implicitement. Il est question de « la vaine manière de vivre, héritée de vos pères ». Nos pères n’étaient généralement pas des méchants, quels qu’ils fussent. Ils étaient comme nous, nous sommes comme eux. C’est juste ce que remarque le texte. Leur « vaine manière de vivre », la nôtre, c’est donc, comme depuis le jardin, de nous mettre ou de nous vouloir au centre de notre propre vie, nous-mêmes. C’est la revendication quasi universelle de toute notre société : l’individu roi, seul à décider de sa vie et de sa mort, de ses projets et de ses amours. Selon les civilisations, les gens sont pris dans ce dilemme : vivre en esclave des autres ou bien être esclave de ses propres désirs.

 

Quand nous avons conscience du caractère pervers de cette alternative, ou quand nous y étouffons, que ce soit en matière psychologique, familiale, sociale, ou tout ce que vous voulez, alors nous voulons en sortir. Mais comment ? Là encore, les seules solutions qui nous apparaissent ressortissent, en fait, de la même alternative : moi au centre, moi, que puis-je faire ? Et le diable finit toujours, après avoir cherché à nous convaincre du contraire, par nous faire réaliser que : rien, je ne peux rien faire, « argent ou or » ou quelque autre moyen, sacrifice, prière, désert, etc. Aucun moyen à ma disposition aujourd’hui ou demain ne me permet d’échapper à moi, au diable, à la mort… Mais c’est sur cette amère constatation que l’Évangile peut se développer et nous en faire sortir, et c’est ce que Pierre nous explique, comme les autres textes.

 

Dans le texte de Luc, nous avons entendu Jésus révoquer tous ceux qui disaient « je », « moi ». Les deux premiers textes nous mettaient sur la voie de manière plus claire encore. C’est l’intervention de Dieu, par son ange, qui permet à Élie le prophète de le suivre, de venir le rejoindre. Et Paul nous invite à « imiter Dieu », ce qui suppose bien qu’on le regarde agir avant de bouger soi-même, et que c’est lui le modèle, pas notre vaine autonomie. « De même que le Christ… », écrivait Paul. Le fondement de l’Évangile est là, et il est dit pratiquement de la même manière par Paul et Pierre – ce qui n’est pas très fréquent ! Le fondement n’est pas ma conversion, loin de là. Le fondement n’est pas dans mes œuvres, dans ce que je peux faire ou crois faire pour Dieu ou pour les autres. Le fondement est dans l’action du Christ, l’action de Dieu en lui, à notre bénéfice. Pour le dire en termes « religieux » quoique inadéquats : il « s’est livré lui-même à Dieu pour nous en offrande et en sacrifice comme un parfum de bonne odeur », écrivait Paul, tandis que Pierre parle du « sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache », c’est-à-dire apte à être sacrifié selon l’ordonnance divine.

 

Contrairement à ce qu’on dit parfois, que la Bible elle-même dit parfois, ici Pierre ne nous dit pas que nous avons été rachetés à Dieu qui sinon nous aurait condamnés, comme si le Père et le Fils avaient à notre égard des desseins opposés, mais que nous avons « été rachetés de la vaine manière de vivre » dont je vous parlais tout à l’heure. Nous étions prisonniers de nous-mêmes de par notre nature pécheresse : c’est nous-mêmes qui nous condamnions à mort, c’est notre péché, notre manière d’être autocentrés, qui nous menait à la mort ! Ainsi, soit nous étions perdus, dans cette vie comme dans l’autre, soit quelqu’un d’autre venait nous libérer. Et c’est ce qui s’est passé, sans que nous l’attendions, sans même que cela corresponde à ce que nous espérions (cf. Luc 7 / 19). Et c’est Dieu qui en est à l’origine. Bien que nous lui tournions sans cesse le dos, bien que nous préférions nous passer de lui comme des enfants qui se croient adultes avant de l’être, lui, notre Père, nous a montré ainsi son amour. Il est venu lui-même, en son Fils Jésus, pour nous libérer ; il a payé le prix que nous ne pouvions pas payer nous-mêmes – manière humaine de parler, évidemment…

 

Et Dieu n’a pas agi sur un coup de tête – ça, c’est nous ! Il avait depuis toujours ce projet, cet amour à nous donner afin que nous vivions et que nous grandissions dans cet amour. Pourquoi est-ce arrivé il y a 2 000 ans dans un coin perdu du monde ? Parce que sa Parole avait été semée justement là, auprès de ce peuple pas meilleur que les autres, mais choisi par Dieu dans ce but. Et sa Parole avait préparé sa venue afin que nous le comprenions et le reconnaissions : c’est pour ça que nous avons un Ancien Testament, pour comprendre et reconnaître Jésus, et en lui l’amour de Dieu pour nous. Mais c’était il y a 2 000 ans ! Nous aujourd’hui, qu’est-ce que ça nous fait, comment ça marche ? Pierre nous répond : c’est « à cause de vous » ! Le lecteur de la Bible peut recevoir cette bonne nouvelle en pleine figure, tandis que celui qui ne la lit pas ne peut pas savoir… La Parole que Dieu nous fait entendre aujourd’hui par son Saint Esprit nous met en relation directe avec l’événement central de l’Évangile : la croix de Jésus, croix victorieuse pour lui et pour nous. Le temps ne compte plus : il a été « manifesté à la fin des temps ». Le temps, c’est celui de mon errance loin de Dieu. Au pied de la croix, « le temps est accompli » (Marc 1 / 15) pour moi aussi.

 

Là, devant le sacrifice que Jésus a accompli par amour pour moi, je peux reconnaître le vrai Dieu, si différent de tout ce que les gens appellent « dieu » pour l’adorer ou le rejeter, et même si différent de ce que les Écritures d’Israël pouvaient laisser croire. Je ne peux même reconnaître Dieu que là, sur la croix de son Fils, comme le faisait le centurion romain à ce moment-là : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. » (Marc 15 / 39) Et comme Jésus lui-même le dit à plusieurs reprises, et notamment dans Jean : « Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 1 4/ 6) Toutes les vieilles images de Dieu sont caduques : de principe éternel, de législateur, de juge souverain, de Seigneur du ciel et de la terre, de Dieu Très-Haut, etc. Toutes sont exactes, mais toutes s’effacent devant l’amour de Celui qui s’est sacrifié pour vous et moi. Seul cet amour me fait découvrir Dieu comme le Père qu’il est pour moi depuis toujours et pour toujours, non pas un père qui voudrait maintenir ses enfants dans la soumission, mais qui est fier de les voir grandir et devenir adultes. Et c’est bien ce qu’écrit Pierre : « afin que votre foi et votre espérance soient en Dieu. »

 

Car être adulte devant Dieu, ce n’est pas être capable de faire sans lui, mais au contraire lui faire confiance et espérer sans l’ombre d’un doute que l’amour qu’il a ainsi montré sera toujours là, toujours présent, toujours actif. Cette foi et cette espérance sont celles qui nous permettent de « marcher dans l’amour, de même que le Christ nous a aimés », comme Paul y exhortait les Éphésiens. L’amour que nous sommes appelés à vivre les uns avec les autres n’est pas seulement un témoignage rendu à l’amour de Dieu pour nous, mais il ne peut exister et se développer que dans cet amour de Dieu pour nous. La croix de Jésus est la condition de possibilité de notre liberté à aimer. Comme il le disait aussi : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jean 15 / 5). C’est donc seulement après avoir bien réalisé quelle était notre place dans la vie de Jésus – en fait, il nous a donné toute la place tout en restant devant Dieu – que nous pouvons nous reposer la question du début : quelle place son amour pour moi prend-il dans ma vie et comment se manifeste-t-il dans mes membres, dans son Église, dans nos relations sociales ?

 

La réponse cette fois ne se trouve dans aucune culpabilisation tirant vers le bas, mais dans une dynamique vers le haut. La place, dans ma vie, de Jésus et de son amour n’est pas assez grande ? Alors je puis le laisser augmenter cette place, s’y rendre de plus en plus présent ! Et plus cette place augmentera, plus je m’abandonnerai à cet amour, plus je pourrai aimer à mon tour, plus mon témoignage deviendra crédible. Et c’est vrai pour chacun de nous tel qu’il est et là où il est. Non pas parce que nous nous sommes approchés de Jésus, mais parce que lui, par son Esprit, s’est approché de nous et nous a mis de manière de plus en plus claire en présence de son sacrifice. « Nous aimons, parce que lui nous a aimés le premier », écrivait Jean (1 Jean 4 / 19). Et cet amour n’est pas mythologique, mais existentiel : c’est pour moi qu’il est mort, et cette mort victorieuse change mon existence. Et si le diable vous souffle qu’elle ne l’a pas tant changé que ça, vous pouvez lui répondre : « merci de me le dire, je vais donc me confier encore plus en Dieu à cause de Jésus » ! Alors ce diable n’aura plus qu’à s’en aller la queue entre les pattes qu’il n’a pas (Gen. 3 / 14) ! Et vous, et moi, nous pourrons aimer les gens avec l’amour de Jésus au lieu de nous poser des questions sur nous-mêmes, questions qui ne se posent plus depuis la croix de Jésus ! Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  3 mars 2024

 

 

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