Nombres 21 / 4-9

 

texte :

 

 

Ils partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer des Joncs, pour contourner le pays d’Édom. Le peuple s’impatienta en route, parla contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avez-vous fait monter hors d’Égypte, pour que nous mourions dans le désert ? car il n’y a point de pain et il n’y a point d’eau, et nous sommes dégoûtés de ce pain méprisable. » Alors l’Éternel envoya contre le peuple les serpents brûlants ; ils mordirent le peuple, et il mourut beaucoup de gens en Israël. Le peuple se rendit auprès de Moïse et dit : « Nous avons péché, car nous avons parlé contre l’Éternel et contre toi. Prie l’Éternel, afin qu’il éloigne de nous ces serpents. » Moïse pria pour le peuple. L’Éternel dit à Moïse : « Fais-toi un brûlant et place-le sur une perche ; quiconque aura été mordu et le contemplera, conservera la vie. Moïse fit un serpent de bronze, et le plaça sur la perche ; et si quelqu’un avait été mordu par un serpent et regardait le serpent de bronze, il conservait la vie.

 

 

premières lectures :  Épître aux Romains 5 / 1-11 ; Évangile selon Jean 3 / 14-21

chants :  43-09 et 45-24

 

 

prédication :

 

 

À plusieurs reprises cette semaine, j’ai cité ce texte des Nombres que Jésus reprend à la fin de son dialogue avec Nicodème, comme vous l’avez entendu. La situation au désert était terrible. Je ne sais pas si vous avez en tête la géographie des lieux, mais les Hébreux sont au bord du pays de Canaan ; pour avancer il leur faudrait traverser le pays d’Édom, censément habité par les descendants d’Ésaü. Or comme dans l’histoire de leurs ancêtres, Jacob a peur d’Ésaü, Israël a peur d’Édom. Et pour contourner, nous dit le texte, ils repartent vers la mer des Joncs qu’ils avaient traversée dans le bon sens bien longtemps auparavant. Tout va à contresens, semble-t-il… Et « le peuple parla contre Dieu et contre Moïse », nous dit l’auteur. Ce n’est pas la seule fois dans le livre des Nombres !

 

Il est évidemment intéressant de nous appliquer ce texte à nous-mêmes, qui sommes le peuple de Dieu aujourd’hui. Vous avez sans doute l’impression que notre Église traverse un désert : elle n’a plus guère d’enfants ni de jeunesse – encore que ceux qui sont là soient particulièrement motivés – et nous ne sommes plus guère nombreux sur ces bancs le dimanche, et encore moins sur les chaises du Foyer ici ou de la sacristie à Senones pour des temps de réflexion et de partage sur la Bible…  Je ne parle pas de groupes de prière, ils sont quasi inexistants. Notre Entraide elle-même n’a plus guère des forces. Oui, désert, je suis bien d’accord. Mais où allons-nous ? Nous n’en savons rien. Il y a notre volonté – ou nos velléités – et puis il y a les aspérités du terrain et une boussole un peu en panne. Allons-nous ainsi de l’avant, nous tels que nous sommes, ou bien repartons-nous en arrière ? Où est le Nord ?

 

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais ce n’est pas ça qui constitue les critiques des gens à l’égard de Dieu et de Moïse, qui, lorsque tout va mal, sont mis dans le même panier. Que disent les gens, au lieu de se plaindre du contretemps ? Ils disent : « il n’y a point de pain et il n’y a point d’eau, et nous sommes dégoûtés de ce pain méprisable. » Ce n’est donc pas une récrimination contre le trajet, mais contre le désert lui-même. Pire que ça, il y a un rejet très fort de la manne, la nourriture par laquelle Dieu maintient en vie son peuple pendant la traversée du désert, « ce pain méprisable », disent-ils… Mais quelle est donc le pain par lequel Dieu nous nourrit et assure notre subsistance, cette nourriture qu’il nous donne autant que de besoin, ni plus, ni moins ? C’est sa Parole, confessons-nous. Le texte nous oblige à constater que, lorsque tout va bien, nous sommes friands de la Parole de Dieu, au point d’en avoir fait notre drapeau face aux autres confessions chrétiennes. Mais quand nous arrivons au désert, sommes-nous encore si attentifs à ce que dit Dieu ? N’avons-nous pas tendance à négliger sa Parole, à chercher à nous en sortir par nous-mêmes, puisque nous ne voyons plus Dieu agir pour nous ? Nous méprisons alors sa Parole et ne voulons plus l’écouter…

 

Il est toujours malencontreux de le reprocher à ceux qui sont encore là, et qui précisément viennent se nourrir de cette Parole de Dieu ! Mais d’une part les autres sont partis, engloutis par le monde, égarés loin de la route qui mène à la Terre promise. Et d’autre part et surtout, nous aussi sommes souvent coupables sinon d’un tel mépris, du moins d’une telle négligence. C’est alors qu’interviennent les « serpents brûlants », les « séraphins » du désert, dont la morsure est mortelle. Voyez-y des démons si vous voulez, ou pas. Qu’importe ! La réalité demeure que plus nous nous éloignons de la Parole de Dieu, plus nous sommes attaqués de toutes parts, brûlés, empoisonnés, par toutes choses qui nous arrivent et qui, dès lors que nous ne sommes plus nourris par la Parole de Dieu, nous attaquent et nous blessent et nous font mourir. Il en est de même d’ailleurs de notre pays… Lorsqu’on traverse le désert, refuser la manne, c’est chercher la mort. Et qui la cherche la trouve, trop heureuse qu’elle est d’accourir…

 

Entendez bien : malgré la lettre du récit, il ne s’agit pas d’une vengeance de Dieu, mais de la simple et naturelle conséquence de vouloir se passer de lui et de sa Parole à un moment où, justement, on ne peut pas s’en passer ! Les trop prévisibles Israélites vont donc revenir vers Moïse non plus pour l’accuser cette fois, mais pour lui demander d’intervenir, le dissociant ainsi de Dieu lui-même. Moïse, c’est la Torah, c’est la Bible, en quelque sorte. Ce n’est pas la Parole de Dieu, mais c’est par lui, par elle, que Dieu nous parle. Et c’est par elle, en effet, que nous apprenons que nous sommes pécheurs, et que « le salaire du péché, c’est la mort », comme l’exprimait l’apôtre Paul (Rom. 6 / 23). Dans le récit, les Israélites ont su lire les attaques mortelles des « brûlants » comme la révélation de leur péché qui les mène à la mort, et non pas seulement comme une invasion de bêtes malfaisantes. Ils sont donc prêts pour que Dieu s’occupe d’eux à nouveau. Mais ce ne sera pas en leur redonnant de la manne, qu’ils ont toujours. Comme Jésus le dira dans l’évangile de Jean : « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts. » (Jean 6 / 49)

 

Et l’on a cette drôle d’histoire, un peu idolâtre peut-être, de l’érection d’une sorte de caducée métallique par Moïse… À l’époque du roi Ézéchias à la fin du VIIIe siècle, on le prendra effectivement comme idole, on adorera le Serpent, et le roi le fera détruire comme tous les autres objets de culte idolâtre au royaume de Juda (2 Rois 18 / 4). En attendant, ce « serpent d’airain » va être l’instrument du salut, non pas objet magique mais instrument mis à la disposition de son peuple par Dieu lui-même, pour que les gens reçoivent à la fois le pardon et la vie.

 

Je ne sais pas si certains d’entre vous sont férus de mythologie grecque. Il s’y trouve aussi des serpents dont la contemplation produit, en l’occurrence, la mort. J’aurais pu y penser tout seul, ayant revu il y a peu l’histoire de Percy Jackson en streaming sur Disney+ ; mais c’est Wikipédia qui m’a éclairé là-dessus hier !  C’est la Gorgone, Méduse, qui a été maudite et qui se retrouve avec une chevelure de serpents et un regard qui fait mourir. La déesse Athéna porte l’égide, le bouclier de Zeus, qui a en son centre l’image de la tête de Méduse, afin de faire mourir de ce regard ceux qu’elle combat. Le « serpent d’airain » a rigoureusement l’effet inverse, comme le bâton d’Esculape, dieu gréco-romain de la médecine. Il donne la vie à ceux qui le regardent. Ainsi, pour l’auteur de la Torah, la Bible est elle-même comme l’égide, mais dans l’autre sens. Mais cela ne nous suffit pas comme explication, n’est-ce pas ; sinon, c’est bien le cas de le dire, c’est le serpent qui se mord la queue ! On ne veut plus de la Bible, on en meurt, alors on y revient, puis on s’en lasse et on la délaisse, etc.

 

Jésus donne une autre explication, bien plus convaincante. C’est que le « serpent d’airain […] sur [sa] perche », c’est Jésus sur sa croix ! Ce n’est pas tant qu’il se serve de cette histoire pour parler de lui-même, comme il aurait pu en prendre une autre. Non. Cette histoire, ce récit du livre des Nombres, parle effectivement de Jésus ! Il a été inspiré à l’auteur de ce livre par Dieu, et Dieu sait ce qu’il fait ! Telle est l’inspiration des Écritures : Dieu veut que nous y trouvions le Christ, de la première à la dernière page. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de notre salut. Il sait bien que nous sommes pécheurs, c’est-à-dire que nous sommes sans cesse agressés, par notre faute ou autrement, par des tas de forces qui croient être quelque chose et qui veulent nous éloigner de lui et nous détruire. Il l’avait déjà dit à Caïn, mais celui-ci ne l’avait pas écouté (Gen. 4 / 6-8). Là aussi, comme pour les « brûlants », on pourrait penser que c’était la faute de Dieu qui avait refusé le sacrifice de Caïn. Mais comme les « séraphins » du désert, la jalousie de Caïn n’était que le moyen de le révéler à lui-même et de lui offrir la vie… dont il n’a pas voulu ! Dieu, lui, veut nous faire contempler le Christ Jésus : « le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les humains, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4 / 12)

 

Oui, le Christ, non la Bible, est le « serpent d’airain » qu’il suffit de contempler pour que le venin mortel des « brûlants », ces péchés qui nous consument, n’ait plus de force ni d’effet sur nous, sur notre vie ici-bas et au-delà. Le texte ne dit pas que les fameux « séraphins » ont disparu dès qu’ils sont devenus inefficaces. Ce sont les Israélites qui sont partis, non pas « de Charybde en Scylla », mais vers Moab où ils vont à nouveau avoir des problèmes pour passer. Comme toutes les réalités de l’Ancienne Alliance, le « serpent d’airain » s’est écarté pour que l’histoire avance vers ce qui le réalise : la personne de Jésus-Christ, qui donne la vie à tous les pécheurs. Tout à l’heure je vous ai cité un verset de Paul, mais de manière incomplète, le voici en entier : « Le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rom. 6 / 23)

 

Encore faut-il aller devant le « serpent d’airain », encore faut-il s’avancer au pied de la croix du Christ ! Un don peut bien être gratuit – à la différence de tous les soi-disant dons de notre existence et de notre monde – encore faut-il vouloir le saisir, le faire sien. Dans ce sens, le savoir mais ne pas s’en approcher est d’une bêtise profonde et suicidaire ! J’imagine bien qu’aucun Israélite mordu par un « brûlant » ne s’est abstenu d’aller voir la sculpture faite par Moïse ! Mais nous autres, bien souvent, nous contemplons de loin, ou bien depuis ce temple-ci seulement, ce qui nous est montré au ciel, et nous ne nous en approchons guère plus près le reste de nos jours. Or c’est la proximité du « serpent d’airain » qui nous guérit de la mort, c’est la proximité de Jésus mort et ressuscité qui nous sauve du péché qui nous étouffe et nous entraîne vers le fond.

 

« Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait pour nous péché, afin que nous devenions en lui justice de Dieu », écrivait Paul (2 Cor. 5 / 21). Tout comme c’est la vue de l’animal mortel qui donnait la guérison, de même c’est celui dont l’Écriture disait : « Maudit soit quiconque est pendu au bois » (Gal. 3 / 13) qui est le moyen de notre salut et l’accomplissement de la bénédiction de toute l’humanité, bénédiction promise à Abraham (Gen. 12 / 3). Paul encore écrivait : « nous savons que notre vieille nature a été crucifiée avec lui, afin que ce corps de péché soit réduit à l’impuissance et que nous ne soyons plus esclaves du péché. » (Rom. 6 / 6) Contemplant Jésus crucifié, nous y voyons notre péché et nous le voyons mort, tout comme les Israélites voyaient l’image de ce qui les avait mordus, mais qui était désormais sans force, mort. Et comme sans doute ils pouvaient s’en réjouir comme des morts revenus à la vie, nous aussi, naturellement : car Christ a pris notre place dans la mort pour nous amener vivants au Père miséricordieux. Plus aucun serpent ne nous fera mourir. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  25 février 2024

 

 

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