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Évangile selon Matthieu 3 / 17 – 4 / 11
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texte :
Et voici une voix des cieux disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais. » Alors Jésus fut emmené dans le désert par l’Esprit, pour être tenté par le diable. Et jeûnant quarante jours et quarante nuits, ensuite il eut faim. Et s’approchant le tentateur lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains. » Mais répondant, il dit : « Il est écrit : L’être humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Alors le diable le transporte dans la ville sainte, il le plaça sur le haut du temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit qu’il commandera à ses anges à ton sujet ; et ils te porteront sur les mains, pour que ton pied ne heurte pas contre une pierre. » Jésus lui déclara : « De nouveau il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu. » De nouveau le diable le transporte encore sur une montagne très haute, et il lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire, et il lui dit : « Tout cela je te donnerai, si t’inclinant tu te prosternes devant moi. » Alors Jésus lui dit : « Va-t’en, Satan ! Car il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu et lui seul tu adoreras. » Alors le diable le laisse. Et voici que des anges s’approchèrent et le servaient.
premières lectures : Genèse 2 / 25 – 3 / 24 ; Épître aux Hébreux 4 / 14-16
chants : 47-03 et 62-78
prédication :
Chers amis, sans préméditation aucune nous avons parlé du diable lors de notre partage biblique lundi dernier chez Rosette, et aujourd’hui vous avez entendu les textes que la liste alsacienne nous propose et que je n’avais pas encore découverts lundi ! C’est bien. Plutôt que de parler à bâtons rompus, nous avons notamment aujourd’hui ce texte de l’évangile de Matthieu que je viens de vous lire. J’ai commencé la lecture au dernier verset du chapitre précédant, à la fin du récit du baptême, car c’est là que le diable a pris l’information la plus importante : Jésus est le « Fils bien-aimé » de Dieu. Sans ce verset, le sens de la suite serait diminué. Dieu lui-même a reconnu publiquement son Fils et a en quelque sorte authentifié la mission de celui-ci. Et il se trouve que le diable a entendu. Serait-ce qu’il était présent au baptême de Jésus dans le Jourdain ? Le diable serait-il aussi présent à nos baptêmes, nos saintes cènes, nos cérémonies chrétiennes ? Il est à l’affût pour tenter ceux qui appartiennent à Dieu et qui le servent, alors à plus forte raison Jésus lui-même !
Il faut prendre garde aux mots. Le mot « tentation » n’a pas spécifiquement un sens moral, il indique une épreuve. « Tenter », c’est « éprouver », un même mot dans la Bible. Or qui dit épreuve dit possibilité de la réussir, et c’est même pour ça qu’on passe une épreuve : non pour échouer, mais pour réussir. Tous les lycéens et étudiants du monde vous le diront, tous ceux qui passent un entretien d’embauche, ou même tous ceux qui nouent des relations d’affection ou d’amour. Donc tout le monde ou presque ! Mais souvent, devant l’épreuve, on n’est pas porté par l’espoir de la passer victorieusement, mais par la peur d’échouer, de tomber… C’est bien alors que la tentation, l’épreuve, de divine et spirituelle, peut devenir diabolique, et qu’à bon droit on nomme « tentateur » l’examinateur. C’est bien ce que fait ici l’évangéliste, passant de « diable » à « tentateur », puis à nouveau à « diable », que Jésus nomme « Satan », c’est-à-dire « Accusateur ».
Trop de noms pour un seul homme ? Mais justement ce n’est pas un homme ! Même pas un serpent, sauf qu’il s’en servait d’un dans le texte de la Genèse ! Mais il peut bien aussi se servir de chacun de nous… Peut-être même le fait-il en ce moment par ma propre bouche… Mais vous qui êtes chrétiens, vous savez discerner sa voix quand elle emprunte une autre bouche que la vôtre : exercez ce discernement, n’écoutez que ce qui vient de Dieu, n’écoutez que le Saint-Esprit, pas les discours humains ni les tentations du diable. Le métier du diable est de se mettre en travers, en nous accusant aux oreilles de Dieu, et en accusant Dieu aux nôtres : si nous ratons l’épreuve, il aura beau jeu de nous désigner comme perdants, voire méchants, en tout cas pécheurs. Et même alors que nous la passons, il n’aura de cesse de nous faire croire que Dieu ne nous aime pas, que c’est Dieu qui veut que nous tombions.
Mais ça ne marche pas, sauf sur les gens crédules dont nous faisons parfois partie. Le fait de nous accuser devant Dieu – c’est le travail du satan – ne marche plus depuis longtemps : Dieu ne l’écoute plus, il l’a mis à la porte, ne l’oubliez jamais ! Quant à penser que Dieu veut notre chute, il suffit d’écouter ce qu’il a proclamé sur Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais. » N’est-ce pas aussi ce qu’il proclame, ce que nous proclamons de sa part, lors d’un baptême chrétien ? Nous manifestons qu’il adopte le baptisé comme son enfant qu’il aime. Ce serait bien de nous en souvenir ensuite, tout au long de notre vie, au fur et à mesure de ce qui nous arrive, que cela soit l’œuvre de la nature, de la société, de nous-même, du diable, ou de tous à la fois. Dieu aime ses enfants. Dieu aime même ceux qui se refusent à lui : « Est-ce que je désire avant tout la mort du méchant ? – oracle du Seigneur, l’Éternel – N’est-ce pas qu’il se détourne de sa voie et qu’il vive ? » (Ez. 18 / 23)
C’est donc assuré de l’amour du Père que Jésus va passer l’épreuve, grâce à quoi l’examinateur pervers va repartir bredouille… Celui-ci s’attaque à Jésus dans sa faiblesse : après son jeûne de carême, c’est-à-dire de 40 jours, Jésus a faim, nous dit l’évangéliste. La tentation du pouvoir va donc commencer par là : « sers-toi de ce dont tu as besoin ! » Exerce ta violence de puissant contre la nature – les pierres – ou même contre les gens : combien ne le font-ils pas au nom de ce qu’ils sont en manque et que c’est injuste ? Bien sûr que c’est injuste. Mais la faiblesse en tant que telle n’est pas injuste, c’est le pouvoir, la puissance, qui sont injustes, et qui privent de pain les affamés. La faiblesse appartient à la condition humaine, cela nous le refusons la plupart du temps, mais Jésus, lui, pourtant vrai homme, l’assume et l’assumera jusqu’au bout, jusqu’à la croix. La nature du Fils de Dieu n’a pas besoin de la puissance, de la magie, du pouvoir, pas même de la religion : l’amour du Père lui suffit.
Et notre interpellation est bien là : cela nous suffit-il à nous ? – C’est l’accusateur qui parle… Il attend et suggère notre réponse négative. Or c’est bien une réponse positive qui est attendue, qui est suggérée par le Saint-Esprit à travers le texte biblique que Jésus cite : « L’être humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » La parole d’amour que Dieu prononce sur chacun de nous est nécessaire et suffisante pour vivre. Évidemment je n’ai pas à citer ce verset à qui me demande du pain, je n’ai qu’à lui en donner ! Par-là-même je serai témoin de cet amour de Dieu pour lui. Mais par contre je puis citer ce verset au diable, à cette voix en moi qui me susurre que j’ai besoin de plus. Car j’ai sans cesse plutôt besoin de réentendre cette parole d’amour et d’adoption du Père, j’ai sans cesse besoin d’être réassuré dans cet amour qui fonde mon identité. Et c’est en travers de cela que le diable vient se mettre. Plusieurs dans la Bible ont voulu éprouver Dieu qui leur adressait vocation : « est-ce bien toi ? prouve-le ! » C’est qu’ils ne le connaissaient guère, et cela a souvent mal fini…
Ceci dit, un verset biblique sans le Saint-Esprit, comme le diable en cite un ici, ce n’est qu’une récupération futile, une appropriation égoïste d’une non-parole. Je peux toujours tirer à moi un verset pour mon propre intérêt, comme je peux tirer à moi n’importe quoi voire n’importe qui pour m’en servir. C’est bien l’œuvre du diable : me couper de la parole de Dieu, même avec le texte biblique qui perd alors tout sens, toute valeur. « Mets Dieu à ton service, et s’il ne le fait pas c’est qu’il ne t’aime pas… » Toujours la même rengaine… La réponse de Jésus est claire : Dieu n’est pas à mon service, non plus que les parents ne sont au service de leurs enfants. Aimer quelqu’un, ce n’est pas faire ses quatre volontés. Aimer quelqu’un, c’est être disponible pour les choses dont il a besoin, pas pour celles dont il a envie ! Et comme des enfants égoïstes, nous avons quelque peine à ce que Dieu nous résiste.
La relation juste avec Dieu est bien exprimée par les deux dernières réponses de Jésus, après la première qui recevait de Dieu sa parole d’amour. Cela tient en deux expressions : « tu ne tenteras pas Dieu », « tu adoreras lui seul ». La phrase négative, je viens de l’évoquer : ne pas prendre Dieu ni pour un copain ni pour un distributeur automatique ni pour un maquignon ! C’est le diable qui promet à Faust de le rendre riche, jeune et beau ! C’est la même tentation que pour Jésus et que pour nous tous, même si c’est avec d’autres mots et un peu plus de réalisme. C’est la cause de tous les maux des individus, des familles et de l’humanité. L’hubris, mère de toute injustice et de toute violence. Vouloir être le dieu de Dieu, le maître du Seigneur, au nom de mon autonomie, de ma liberté, de mon envie… Ne serait-il pas plus intelligent et mieux inspiré de se demander non pas ce que Dieu doit faire pour moi, mais quelle est sa volonté, son projet pour moi, pour ma vie ?
Dès lors qu’on opère cette conversion, ce changement de direction, c’est bien à l’adoration qu’on est porté. Dès lors que je ne me prosterne plus devant mes propres envies qui sont pour moi le diable, je peux me retourner et me prosterner devant le Seigneur de l’univers qui a bien voulu être mon Père très-aimant. C’est la question de mon existence : qui est dieu pour moi ? Est-ce Dieu qui est mon dieu ? Est-ce moi ? Est-ce untel ou une telle ? Est-ce telle ou telle idéologie, tel système de valeurs, tel engagement sociétal ? Est-ce la richesse – Mammon ? Est-ce la santé, celle que j’ai ou celle que je n’ai pas ? À qui vais-je sacrifier ma vie et ceux qui m’entourent ? Car tous ces dieux exigent des sacrifices : il faut payer. C’est bien ce que le diable expose à Jésus. Or le vrai Dieu ne fait pas payer, c’est lui qui paie de sa personne, en son Fils Jésus, précisément. Jésus réussira l’épreuve, il paiera, mais non pas le diable. Il offrira sa vie, il ne descendra pas de la croix.
Ce récit de la tentation de Jésus au désert est une image de la croix, de « la dernière tentation du Christ » : se sauver au lieu de sauver les gens. Le diable dit : « Que Dieu te prouve son amour maintenant, et toi, sauve-toi toi-même ! » C’était le sens des paroles tentatrices des adversaires de Jésus au pied de la croix (Matth. 27 / 39-43). Le diable n’a pas changé, il continue à nous adresser à nous les mêmes paroles, nous dressant contre Dieu et contre les autres, nous dressant nous-même comme une idole devant notre miroir si facilement déformant. Saurons-nous répondre au diable : « Dieu m’aime et cela me suffit » ? Jésus nous montre la bonne attitude devant le tentateur diabolique : « Va-t’en, Satan ! »
Et lorsque c’est nous qui tentons Jésus, en refusant sa faiblesse et sa croix, en voulant de lui ce que nous attendrions d’une idole, il nous dit comme à Pierre : « Va-t’en derrière moi, Satan ! », et ce « derrière moi » fait toute la différence (Matth. 16 / 23). Car face au tentateur, qu’il parle par mon cœur ou par ma bouche ou par d’autres ou par des événements intérieurs ou extérieurs à moi, le seul lieu où je puis me réfugier, c’est bien « derrière » Jésus, à sa suite, dans son ombre, face au Père. Afin de l’adorer lui seul, et non pas moi-même ni le monde. Et de l’entendre me dire et me redire son amour et me le montrer de nouveau agissant dans la mort et la résurrection de Jésus. Que m’importeront alors « tous les royaumes du monde et leur gloire » ! Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 18 février 2024