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Évangile selon Marc 4 / 26-29
Partage
texte :
[Jésus] dit : « Il en est du royaume de Dieu comme d’un humain qui jette la semence sur la terre ; qu’il s’endorme ou qu’il se réveille nuit et jour, la semence germe et croît et il n’a pas su comment. D’elle-même la terre porte fruit : d’abord de l’herbe, puis un épi, puis plein de blé dans l’épi ; et quand le fruit donne, vite il envoie la faucille, car la moisson est là. »
premières lectures : Ésaïe 55 / 6-13 ; Épître aux Hébreux 4 / 12-13
chants : 45-15 et 36-19
prédication :
Je ne sais pas, chers amis, si un quelconque agriculteur se retrouverait dans cette parabole ! Mais Jésus n’était pas cultivateur, il était menuisier… Pourtant les images de semeur et de semence abondent dans la Bible ! Nous avons tous en tête la parabole du semeur qui sème sur tous les terrains, et où ça donne évidemment des résultats très différents selon le terrain considéré. C’est d’ailleurs un des textes de ce dimanche pour une autre année… Mais cette année-ci, c’est cette parabole que je vous ai lue : ne confondons pas les deux. Ce n’est pas parce que les deux images nous montrent un semeur que les deux sont identiques, ou bien qu’il faudrait mettre l’une dans l’autre. Non, nous allons essayer de rester dans la parabole du jour, même si déjà Ésaïe nous a dit tout à l’heure quelque chose avec une image semblable.
Ésaïe justement, tout comme l’épître aux Hébreux, nous montrent la parole de Dieu être efficace et aller suffisamment profondément pour porter fruit. Nous y avons réfléchi dimanche dernier, à la messe à Saint-Dié, avec l’histoire de l’homme possédé qui refusait Jésus, à la synagogue de Capernaüm (Marc 1 / 21-28), histoire qui nous montrait la parole de Jésus être efficace immédiatement, chassant l’esprit impur. Et vous connaissez bien sûr l’histoire du centurion de Capernaüm qui dit à Jésus : « Dis seulement une parole, et mon serviteur sera guéri » (Matth. 8 / 5-13), texte qui a ouvert notre dernière réunion de Conseil presbytéral, où là encore, tout comme lorsque Dieu avait créé le monde (Gen. 1), c’est l’efficacité immédiate de la parole de Jésus qui était soulignée.
Or le texte d’aujourd’hui nous donne une image un peu différente. Mais c’est peut-être que le sujet n’est pas tout à fait le même. Dans notre texte, il s’agit du Royaume de Dieu. C’est lui qui est « comme » cette image que Jésus montre. Il y a plusieurs paraboles qui commencent ainsi, qui nous montrent le Royaume de Dieu. Nous, nous aurions plutôt aimé que Jésus nous montre à quoi ça ressemble quand on est – quand on sera – auprès du Père. Bien sûr les images d’anges, de jugement, de destruction, de festin surabondant, de cantique sans fin, dérangent notre rationalisme. Mais un brin de fantaisie ne fait pas de mal… Et si le Royaume de Dieu ressemble à ce que nous vivons ici, est-ce bien la peine… ? Eh bien non, pas d’images réalistes ni fantastiques. Tant pis. Même l’apôtre Paul ne s’y risquera pas ! À la place, des paraboles, des devinettes qui ne nous expliquent rien, mais qui nous interpellent : c’est leur rôle.
« Un être humain jette la semence sur la terre », et puis ne fait plus rien jusqu’au moment de la moisson, où il coupe le blé mûr. C’est l’image que les citadins se font des paysans. C’est l’image que les gens qui ne sont pas pratiquants se font des pasteurs, aussi : « et à part ça, vous faites quoi, comme métier ? » ! C’est l’image aussi que subissent les enseignants dans notre société : 4 mois de vacances, n’est-ce pas ! Etc. Comme si tout se passait tout seul sans que personne ne travaille ! Jésus, comme toute la Bible, sait bien que ça ne fonctionne pas comme ça ! Et c’est bien ce qu’il dit. Notre attente, c’est que ça marche comme avec le centurion de Capernaüm : nous demandons quelque chose d’important à Jésus, sa parole y répond, et nous constatons tout de suite que ça s’est passé comme il avait dit. Avec la première étape, pas de problème : nous demandons, nous demandons sans cesse, tant les besoins sont grands : les nôtres comme ceux du monde.
Mais ce sont les deux étapes suivantes qui manquent. Nous n’entendons pas Jésus répondre, et s’il l’a fait pourtant, eh bien nous n’en voyons nulle trace, nulle conséquence. Sauf quelquefois, certes, mais alors c’est de l’ordre du miracle, à moins que ça ne soit aussi un peu de l’autosuggestion… Mais en temps normal : rien. D’autres textes nous diront qu’une prière qui n’est pas faite dans le Nom de Jésus, en nous tenant là où il est : à la croix, n’a aucune raison d’être exaucée. Si la mort de Jésus n’était pas indispensable, ne pensez-vous pas que Dieu s’en serait passé ? « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux », priait Jésus à Gethsémané (Marc 14 / 36). Prions-nous ainsi, non par défaitisme ou fatalisme, mais pour nous en remettre entièrement à Dieu, comme Jésus ?
Ce matin, Jésus prend notre attente d’immédiateté à rebrousse-poil. Il ne s’agit plus de la prière, je vous l’ai dit, mais du Royaume de Dieu. Or « le Royaume de Dieu s’est approché de vous », comme les évangélistes envoyés par Jésus doivent le proclamer (Luc 10 / 9). Je ne devrais pas avoir à vous le dire à vous, c’est vous qui devriez le dire aux gens ! Or comment s’approche-t-il ? C’est exactement ce que nous montre la parabole de ce jour. Il s’approche doucement, il prend son temps, c’est-à-dire qu’il prend le temps qu’il faut ! Lorsque je cuisine et que je veux que ça aille plus vite, généralement c’est brûlé et immangeable. C’est pareil. Et si, lorsque nous chantons ensemble, nous ou bien n’importe quelle chorale, certains ne respectent pas le tempo donné par le chef ou par l’organiste ou autre, alors il n’y a plus de chant, mais seulement une cacophonie qui n’exprime plus que l’envie de pouvoir de chacun sur les autres. Je pourrais trouver d’autres exemples, et vous aussi. Pour chaque chose il faut le temps qu’il faut.
Pour le Royaume de Dieu aussi. Et si la semence, c’est la parole de Dieu, comme le disent tant d’autres textes, alors il faut que la parole de Dieu « pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles », comme l’exprimait l’épître aux Hébreux. Il faut qu’elle vienne jusque là où ça fait mal, jusque là où ça travaille. Il ne sert à rien que Jésus la redise ; rappelez-vous : sa parole est efficace ! Mais cette efficacité doit se développer dans le réel de nos existences et du monde. Sinon, ce serait du viol. La parole de Dieu travaille, c’est-à-dire qu’elle travaille celui, celle, ceux à qui elle a été adressée. Et vous savez bien combien nous sommes lents, difficiles à bouger – moi le premier ! La parole de Dieu travaille dès qu’elle est adressée, et elle travaille constamment alors, même si nous ne la voyons pas faire, tout comme la graine dans le sol. À la différence de la semence agricole justement, elle, il n’y a pas besoin de bêcher, de tailler, ou je ne sais quoi d’autre.
Il ne s’agit pas d’autre chose que lorsque je vous dis que la foi consiste à faire confiance ! En Jésus le Royaume de Dieu s’est approché, et il s’est approché de chacun de vous sur qui une parole d’adoption a été prononcée lors de votre baptême, à quelque âge que vous l’ayez reçu ; vous à qui une invitation à consommer le Royaume, à en vivre, est adressée à chaque culte, invitation que ceux qui ne viennent pas n’entendent pas et donc à laquelle ils ne peuvent répondre, à moins que vous ne la leur répercutiez. Le Royaume de Dieu s’est approché, il est venu « sur la terre » et il y grandit jusqu’à porter fruit, il mûrit jusqu’à la moisson. Faites confiance, soyez disponibles. Salomon ne disait-il pas que « l’Éternel […] en donne autant à son bien-aimé pendant qu’il dort » (Ps. 127 / 2) ? C’est ce que Jésus reprend ici. Un autre psaume bien connu chante ainsi dans la détresse : « J’espère en l’Éternel, mon âme espère, Et je m’attends à sa parole. Mon âme (s’attend) au Seigneur, Plus que les gardes (ne s’attendent) au matin. Que les gardes (s’attendent) au matin ; Israël, attends-toi à l’Éternel ! » (Ps. 130 / 5-7a)
Est-ce donc le semeur qui ne sait pas comment ça se passe ? Ou bien la terre, c’est-à-dire la où la semence a été semée ? Est-ce moi qui ne sais pas comment ça se passe ? Oui, assurément, je n’en sais rien, et aucune théologie ni aucune stratégie paroissiale ne me le dira. Je prendrai encore une image culinaire : à moins d’avoir une cocotte transparente, si je dois cuire quelque chose à l’étouffée, je ne peux pas soulever le couvercle en cours de cuisson, je ne peux pas voir dedans ! Il me faut faire confiance à ma recette, et attendre le temps qu’il faut. Avec le Royaume de Dieu, comme avec du blé ou toute autre plante, au bout d’un certain temps au moins je peux voir : « d’abord de l’herbe, puis un épi, puis plein de blé dans l’épi… »
Moi qui n’y connais rigoureusement rien en agriculture, vous me montrez de l’herbe – pour dire comme la parabole – je suis incapable de la reconnaître, de dire de quelle plante il s’agit ; je vois juste que ça pousse ! Mais c’est déjà ça, non ? Au moment de le moissonner, je reconnais quand même le blé ! J’imagine que, pour le Royaume de Dieu, c’est plus ou moins pareil. On ne le reconnaît vraiment que lorsqu’il est mûr, lorsque « le fruit donne ». Mais là, c’est sans doute le semeur qui sait le moment, puisque c’est lui qui moissonne. Je ne suis pas le semeur, ni vous non plus. Ce n’est pas à nous de dire en quel temps nous sommes, nous-mêmes, ou telle autre personne, tel autre chrétien : le grain germe-t-il de manière invisible, ou bien est-ce le temps de sa croissance jusqu’à ce que la plante sorte de terre et se voie, même si les gens comme moi ne la reconnaissent pas, ou bien sa transformation se passe-t-elle bien ? Vous connaissez cette autre parabole qui parle de l’ivraie… (Matth. 13 / 25-30)
Le semeur sait, lui. Et c’est lui qui envoie ses ouvriers quand il en a besoin. Ce n’est pas moi. Encore moins quand il est question de moi : à quel stade de développement le Royaume de Dieu en est-il dans ma vie ? Je vois bien ce qui n’en est pas ! Mais ce qui en ressortit, je ne sais pas. Je fais confiance au semeur : lui, il sait. Je lui fais aussi confiance pour la durée, pour « les temps et les moments » et pour la date de la moisson. À quoi me servirait-il de m’en inquiéter ?! La parole de Dieu n’a-telle pas été semée, en moi comme en vous ? En douter risquerait d’en compromettre le travail, tout comme je peux ruiner ma cuisson à l’étouffée en intervenant quand il ne faut pas… Comme l’écrivait Paul : « N’attristez pas le Saint-Esprit de Dieu, par lequel vous avez été scellés pour le jour de la rédemption. » (Éph. 4 / 30) À l’égard de ceux qui se disent chrétiens alors qu’on pourrait en douter, Calvin parlait du « jugement de charité ». Soyons donc charitables, aimables et aimants, avec nous-même et avec les autres. Soyons charitables avec la Parole de Dieu qui travaille le Royaume de Dieu en nous ! Oui, c’est elle qui travaille, pas nous. Heureusement… Soyons patients, faisons confiance ! Amen.
Senones – David Mitrani – 4 février 2024