Évangile selon Marc 1 / 21-28

 

texte :

 

Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. » Jésus l’interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme. » L’esprit impur le fit entrer en convulsions, puis, poussant un grand cri, sortit de lui. Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. » Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée.

 

 

premières lectures :  Deutéronome 18 / 15-20 ; Première épître aux Corinthiens 7 / 32-35

 

 

prédication :

 

« Il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » Qu’est-ce que c’est, enseigner comme un scribe ? Et qu’est-ce que c’est, enseigner avec autorité ? » J’ai déjà prêché là-dessus devant vous il y a 6 ans, mais vous ne vous en rappelez pas, ni moi non plus. C’est donc que je n’avais pas prêché avec autorité. Avais-je prêché comme un scribe juif ? Prêcher avec autorité, ce n’est pas parler plus fort et faire plus long qu’un scribe… encore que les scribes puissent faire très long, bien plus que moi ! Un scribe est un répétiteur. Il ne fait que redire ce que dit le texte, et ce que d’autres en ont dit avant lui. C’est d’ailleurs le critère de son autorité à lui : est-il fidèle à ses prédécesseurs, à la Tradition des Pères, y compris dans les innovations de son enseignement ?

 

Jésus est-il un scribe ? Jésus est-il un rabbin ? Jésus est-il même un prophète ? Je ne suis ni juif ni musulman, je répondrai donc non à ces questions-là. C’est bien aussi ce que ses auditeurs ont pensé, lors de l’office à la synagogue de Capharnaüm ce jour-là. Beaucoup de gens, dans le judaïsme, ont prétendu être le « prophète comme Moïse », que celui-ci avait annoncé – vous l’avez entendu dans la première lecture. Mais pas Jésus. Il enseigne. Qu’enseigne-t-il ? La Torah, les commandements de Dieu ? Non. Sinon il serait considéré comme un scribe, justement ! D’autres textes nous disent quel était son enseignement, et ce dans tous les évangiles, notamment dans celui de Jean. Mais ce n’est pas le sujet de ce texte-ci. Enfin… on verra… Ce jour-là à la synagogue, il s’est passé quelque chose. Et c’est ça qui fait la différence. Une prédication s’est transformée en événement…

 

L’enseignement d’un scribe, comme celui d’un philosophe, doit entraîner l’adhésion intellectuelle, puis la pratique morale : le disciple fait ce que son maître a dit. La conséquence d’un tel enseignement lorsqu’il est reçu est de l’ordre de la piété ou bien de la morale. Elle est l’œuvre du disciple. Ce n’est pas ce à quoi nous assistons à Capharnaüm ! Nous assistons à deux conséquences frappantes, bien qu’ambiguës. La première est un exorcisme. La seconde est que « sa renommée se répandit aussitôt partout » …

 

L’exorcisme d’abord, car c’est lui qui va déclencher la renommée galopante de Jésus. L’homme possédé reconnaît et confesse qui est Jésus, et il s’y oppose. L’assemblée synagogale ne retiendra pas cette parole – l’aura-t-elle-même entendue ? – mais elle retiendra seulement l’efficacité de l’exorcisme. Arrêtons-nous pourtant un peu là-dessus. La présence de Jésus suscite donc de l’opposition. Les foules ne sont pas admiratives du bien-fondé de son enseignement, puisque ce n’est pas un scribe ! Mais c’est lui-même qui suscite de l’opposition, à cause de ce qu’il est. Vous me direz : opposition d’un démon ! Certes. Mais est-ce parce que c’est un démon qu’il s’oppose, ou bien est-ce un démon parce qu’il s’oppose à Jésus ?!

 

Que fait et qui est Jésus, qui entraîne en nous de l’opposition ? Je dis bien : en nous – car finalement, peu nous importe l’homme particulier de notre texte. Frères et sœurs, réfléchissez bien à ceci, et je n’y répondrai pas à votre place, j’ai déjà assez à faire avec moi ! Devant Jésus, face à sa Parole, il y a des choses en moi qui résistent, et pas tellement dans ma tête. Et chez certains, c’est même tout qui résiste et s’oppose : ceux-là ne sont pas ici, j’imagine, ils sont partis, comme le feront beaucoup des auditeurs de Jésus tout au long des évangiles. Mais nous, nous sommes chrétiens, nous nous tenons face à Jésus, et force est de constater que nous fermons nos oreilles et nos cœurs plus souvent que nous ne les ouvrons. Pourquoi ? Ou bien alors, fuyons-nous sa présence ?

 

Cette opposition à Jésus reconnu pour ce qu’il est est une des marques de son autorité. Cette opposition le mènera à la croix, et il n’y aura plus personne auprès de lui, sinon d’autres condamnés à mort, et quelques femmes… Comme vous le savez, le centurion qui commandait les exécutions a lui-même reconnu qui était cet homme qui venait de mourir sous ses yeux (Marc 15 / 39). La présence de Dieu en humanité, non pas à la manière des mythes grecs, mais en vrai, est un scandale : la place normale de Dieu est au ciel, pas cloué sur une croix ! Juifs et musulmans nous considèrent comme des blasphémateurs, nous qui confessons ce scandale. Et il y eut même des chrétiens pour essayer de le nier, pour essayer de l’effacer. Mais nous n’en sommes pas. Encore que… Acceptons-nous vraiment que la mort du Fils unique fût inévitable, causée par notre péché et nécessaire à notre salut ? Peut-être que ce qui, en nous, suscite notre opposition à Jésus et notre refus, est justement cet Évangile dans lequel j’entends à la fois ma condamnation, et le pardon qui m’est gratuitement offert sans que je le mérite. Moi, j’aurais tant aimé le mériter…

 

Mais Jésus est venu pour me perdre, comme le lui reproche notre homme. Me perdre ? Oui, car c’est moi qui me refuse à lui, et ça, c’est ma mort ! La mort du « vieil homme » en moi, comme l’écrira Saint Paul (Rom. 6 / 6). Il me faut donc accepter cette mort, la mienne, celle de ma soi-disant liberté, celle de mon péché qui prétend « connaître le bien et le mal » (Gen. 3 / 5-6) tout seul sans Dieu – moi qui prétends être mon propre dieu. Il me faut laisser Jésus faire mourir en moi tout ceci, prononcer sur moi son « Tais-toi, sors de cet homme ! » Mais pour ça, il me faut le reconnaître, lui, et reconnaître mon propre péché – et ces deux « reconnaissances » sont le fruit de sa présence à ma vie. Thomas, répondant à Jésus ressuscité : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20 / 28), ne fera pas autrement.

 

Les gens, peut-être parce qu’ils n’ont pas encore compris, vont être « frappés de stupeur », nous dit l’évangéliste. Admiratifs ? Inquiets ? Interrogateurs, sûrement. Ils viennent donc d’assister à un enseignement dans lequel la parole accomplit immédiatement ce qu’elle annonce. Bien sûr, l’exorcisme a été efficace : la parole « tais-toi et sors » a été obéie. J’imagine qu’enseignants et politiciens aimeraient bien, eux aussi, que cette parole-ci soit efficace quand ils la prononcent ; mais le résultat est plus mitigé ! Les gens vont s’arrêter à ça, et ils vont envahir Jésus avec leurs malades à guérir ! Sa renommée sera donc celle d’un guérisseur, et malheureusement cette renommée n’est pas éteinte. Combien souvent ne le prions-nous pas de guérir nos corps, nos esprits, nos amis, notre société, notre planète ! Mais vous avez compris qu’il y a autre chose de bien plus important…

 

Vous assisteriez à un tel événement, vous vous demanderiez, bien sûr, qui est donc celui capable de faire ça. Je reviens au contenu de l’enseignement de Jésus, de l’enseignement apostolique : c’est Jésus lui-même, c’est sa personne, qui est le contenu de l’Évangile. Et l’événement auquel nous avons assisté dans ce texte est l’événement qui authentifie celui qui en fut l’agent, le réalisateur. Parler avec autorité de Jésus, c’est donc voir s’accomplir cette parole, le voir agir en tant que Fils de Dieu, que « Saint de Dieu » comme a dit le démon. Or considérer Jésus comme tel, c’est regarder à la croix, c’est regarder à sa mort qui nous sauve. C’est ce que feront les apôtres dans le livre de leurs Actes (Actes 3 / 6), et que les magiciens juifs ou samaritains ne comprendront pas (Actes 19 / 13-16 ; 8 / 18-24). Car il n’y a rien de magique dans la prédication évangélique : c’est le nom de Jésus qui agit, qui change la réalité…

 

… qui change ma réalité ! Si, lisant les Écritures, vous n’entendez qu’un récit édifiant, alors ça ne sert à rien, ça ne vous changera pas, dans aucun domaine, à part peut-être d’augmenter votre culpabilité de ne pas ressembler à ce que vous lisez que Jésus attend de vous… Si, participant à la cène ou à l’eucharistie, vous n’y voyez qu’un moment peut-être sympathique ou spirituel de partage fraternel avec du pain et du vin, ou même un simple rite, une simple obéissance, alors je pense là aussi que ça ne sert à rien. Mais si, à travers l’Écriture, vous entendez Jésus lui-même se montrant à vous, si vous le recevez lui-même dans le partage du pain et du vin, en son corps et en son sang, ce corps brisé pour vous, ce sang versé pour sceller en vous une alliance éternelle, alors oui, vous serez changé, et à chaque fois que vous l’entendrez et que vous le goûterez. Vous vivrez l’événement de la Parole de Dieu qui est Jésus-Christ lui-même, parole créatrice et recréatrice pour chacune de nos vies, pour chacune de nos Églises, et pour le monde s’il l’entendait lui aussi…

 

Je vous disais tout à l’heure que peu importait l’homme de cette histoire. C’est en tout cas comme ça que les gens ont réagi : ils ne s’en occupent pas. Pourtant c’était un des paroissiens de Capharnaüm, un des leurs ! Intéressés par le miracle, mais pas par celui qui l’accomplit ni par celui qui fut à son bénéfice : seulement intéressés qu’il leur arrive la même chose, à savoir être guéris de leurs maladies. Pourtant, c’est eux-mêmes que Jésus est venu guérir, leur personne, pas leurs maladies : pour ça il y a des pharmaciens et des médecins, même à cette époque ! C’est leur péché, leur distance avec Dieu, que Jésus est venu réparer. Et pour ce faire il ne leur offre pas son savoir-faire, mais sa propre personne, comme il le fait encore aujourd’hui par son saint Esprit dans la prédication de son Évangile et le partage eucharistique.

 

Je suis désolé, quant à moi je ne sais pas enseigner avec autorité. Et si jamais, grâce à Dieu, l’un ou l’autre d’entre vous entend aujourd’hui l’Évangile et s’en trouve touché et transformé, ce sera bien l’œuvre de Jésus lui-même et pas la mienne ! Car Jésus parle toujours, car il est vivant, et c’est à vous, mes amis, c’est à nous tous qu’il parle. « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? » Si cette question vient du fond de nous-même et s’adresse vraiment à lui, alors sans aucun doute sa réponse nous atteindra de plein fouet, comme elle fit pour l’homme du récit évangélique. Et malgré nos craintes et malgré le choc, ce sera une bonne chose pour nous, et nous pourrons en témoigner. D’ailleurs, normalement ça se verra ! Alors certes « sa renommée se répandra aussitôt partout », non pas comme pour un rabbin, un guérisseur ou un magicien, mais comme le Seigneur et le Sauveur de celui ou celle qu’il aura libéré, lui le seul qui a autorité sur toute vie et sur le monde ! Amen.

 

Saint-Dié (église Saint-Martin et cathédrale)  –  David Mitrani  –  28 janvier 2024

 

 

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