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Deuxième épître aux Corinthiens 4 / 3-10
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texte :
Si notre Évangile est encore voilé, il est voilé pour ceux qui périssent, pour les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé les pensées, afin qu’ils ne voient pas resplendir le glorieux Évangile du Christ, qui est l’image de Dieu. Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes ; c’est le Christ Jésus, le Seigneur, que nous prêchons, et nous nous disons vos serviteurs à cause de Jésus. Car Dieu, qui a dit : “La lumière brillera du sein des ténèbres”, a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ. Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin que cette puissance supérieure soit attribuée à Dieu, et non pas à nous. Nous sommes pressés de toute manière, mais non écrasés ; désemparés, mais non désespérés ; persécutés, mais non abandonnés ; abattus, mais non perdus ; nous portons toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre corps.
premières lectures : Premier livre des Rois 10 / 1-13 ; Première épître aux Corinthiens 1 / 26-31
chants : 22-08 et 32-04
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prédication :
Aujourd’hui, réception à l’Élysée… Euh, non, pardon : réception à Jérusalem ! Les grands parlent aux grands, les riches parlent aux riches. Le récit de la réception de la reine de Saba par Salomon est caricatural, et pourtant parfaitement ordinaire dans un tel milieu. Les historiens de l’Afrique se rappellent encore la venue au Caire, à la cour des Mamelouks, de Mansa Moussa, empereur du Mali, qui dispensa allègrement ses 12 tonnes d’or et ses milliers d’esclaves avant d’achever son pèlerinage à La Mecque, au début du XIVe siècle. Et si la reine de Saba rend gloire à Dieu, c’est un tout petit passage dans sa longue et brillante admiration pour Salomon, pour ce qu’il a bâti, ce qu’il a fait, sa sagesse proverbiale et toute sa richesse venant tant du Nord que du Sud. C’était l’époque lointaine où Israël et le Yémen étaient en bons termes…
Mais certains rendez-vous sont ratés ! Je n’évoquerai pas l’Élysée, ce n’est pas le lieu… ! Mais regardez les « Mages d’Orient », dans le récit de Matthieu (2 / 1-12) par lequel ce culte a été ouvert. Ils ne sont ni trois ni rois, mais ils apportent bel et bien les richesses, de l’Orient cette fois et non plus du Sud, à la cour de Jérusalem. Mais à Jérusalem il n’y a aucun descendant de Salomon, et sa sagesse a disparu. Il n’y règne qu’un descendant de prêtres et d’étrangers, Hérode le Grand, ami des Romains, roi illégitime s’il en est. Le roi légitime, lui, est un petit enfant, à Bethléhem, dans la campagne environnante, et non dans la Ville sainte. Il y est incognito. Cela fait 6 siècles que sa famille a perdu le trône, 5 siècles que son dernier prétendant connu, Zorobabel, a disparu de l’Histoire. Alors, quel est le rendez-vous raté : celui des Mages avec Hérode, ou celui des Mages avec Jésus ? Pour l’évangéliste, c’est certainement celui avec Hérode ! La preuve ? Les Mages ne se donnent même pas la peine de revenir vers lui, comme c’était convenu.
À l’incognito de Jésus enfant répond le nôtre. Comme l’apôtre Paul le soulignait à ses paroissiens de Corinthe, aux yeux du monde la plupart d’entre eux ne sont rien : des petites gens, des gens sans importance, de ceux dont la vie passe inaperçue, et dont la mort passe également inaperçue. Ils sont comme Jésus, et nous sommes comme eux. Serions-nous d’ailleurs riches et puissants, ou certains d’entre nous le seraient-ils, comme cela s’est bien produit autrefois, que ça ne changerait rien. Car aux yeux de Dieu, et aux yeux des Mages, la richesse qui éblouit les gens ne les éblouit pas, elle ne compte pas ! À ce titre, les Mages sont le contraire de la reine de Saba. Ils donnent sans recevoir, gratuitement. Comme Dieu. Ils sont témoins de sa grâce, pas de sa splendeur ou de sa toute-puissance. Ou plutôt, ils sont témoins d’une splendeur et d’une toute-puissance qui ne se manifestent pas dans ce qui brille, riche ou clinquant, mais dans le don de soi tel que Dieu le pratique et l’agrée.
Et c’est bien ce qu’à nouveau la deuxième épître aux Corinthiens nous montre. Non seulement nous sommes invisibles aux yeux qui cherchent ce qui brille – et à Senones et dans la vallée du Rabodeau, nous le sommes, pas de doute là-dessus ! – mais en plus, dit Paul, c’est l’Évangile qui est « voilé », invisible, incompréhensible sans le Christ Jésus. Même s’ils sont de moins en moins nombreux, encore beaucoup de gens dans notre pays se disent chrétiens, « croyants mais pas pratiquants » – comme je l’ai encore entendu dans la bouche de l’un d’entre eux cette semaine. Ce n’est plus qu’une étiquette. Tout comme Hérode se disait sans doute « roi des Juifs », sans vraiment se préoccuper de ce que c’était qu’être Juif, au sens religieux. À la différence de ses prédécesseurs hasmonéens qui s’étaient accaparé la grande-prêtrise, il laissait le culte à des spécialistes au gré de leurs sympathies pour son régime. Après lui, les Romains continueront cette politique religieuse, si on peut l’appeler ainsi…
Notre société est-elle chrétienne ? Outre que l’expression est très ambiguë, les valeurs qui étaient plus ou moins fondées sur la Bible en ont presque toutes disparu. Comme à la cour de Salomon, on parle sagesse, mais on échange des richesses ! La richesse, l’argent, le pouvoir, est le vrai dieu de notre monde, ce dieu fallacieux que déjà Jésus dénonçait (Luc 16 / 13). Le culte de l’individu lui-même n’en est qu’une conséquence, chacun et chaque groupe se définissant et étant défini non pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il a ou qu’il n’a pas. La rencontre des Mages avec Jésus était expressément autre chose, un moment, un échange, où ni la richesse ni le pouvoir ne comptaient. Les Mages représentent un monde impossible, un monde basé sur la confiance en Dieu et, je vous l’ai dit, le don de soi. L’inverse de notre monde…
Car « l’Évangile est voilé », comme écrivait Paul. « Il est voilé pour ceux qui périssent, pour les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé les pensées. » Ce n’est pas par hasard si notre société méconnaît et l’Évangile et les chrétiens. Étiquette, ou même valeur, il n’y a d’Évangile que de Jésus-Christ, que du Dieu qui s’est fait homme pour racheter les humains, du Dieu qui s’est fait pauvre pour racheter ceux qui n’ont que lui. Et la seule richesse qu’il avait pour ce rachat, celle qu’il a dû donner, c’est lui-même, c’est sa propre vie. Mais à la différence d’Hérode, et de tous ceux qui croient en eux-mêmes et dans leur propre richesse – Hérode à qui sa vie a été prise – Jésus, lui, il a donnée la sienne.
La question qui nous est alors renvoyée, c’est : qu’en est-il de nous ? Non pas pour être des petits christs, chacun de nous : un seul suffit ! Mais où est notre richesse, à nous comme chrétiens, et à nous comme Église ? Croyons-nous que le monde est lumineux ou qu’il le sera un jour par nos propres œuvres ? Ou bien savons-nous vraiment que nous marchons dans les ténèbres, et qu’aucune des œuvres du monde ne saurait l’éclairer, seraient-elles accomplies par des chrétiens ? Je vous le dis, le monde est ténèbres. Mais nous, nous pouvons contempler la vraie lumière, le Christ Jésus ! La contempler et marcher sous cette lumière, les pieds sur terre et la tête dans le ciel ! Comme les Mages, en fait… Car l’Évangile ne nous fait pas sortir du monde : nous ne sommes pas une secte ! Il nous aide à y marcher, à y vivre, à y témoigner de cette lumière que les autres ne connaissent pas. Sans repasser vers Hérode, quand bien même cela devrait déclencher sa colère meurtrière. Mais Hérode mourra !
Notre place n’est pas dans la crèche, mais dans le monde. Noël n’est pas un rêve enfantin, il annonce la Passion du Christ, mais aussi sa résurrection à la fois lumineuse et cachée à ceux qui ne croient pas, qui ne la croient pas. La manifestation de Dieu au monde, son « épiphanie », reste paradoxalement « voilée ». Toutes les nations en ont entendu parler, mais ne nous faisons pas d’illusions : malgré les statistiques, il n’y a pas 2,2 milliards de chrétiens dans le monde ! Notre préoccupation, pour pouvoir témoigner de cette lumière cachée, c’est d’abord de la recevoir, et pour ce faire de savoir nous tourner vers elle. Recevons-nous cette lumière « dans nos cœurs », comme dit Paul, c’est-à-dire pour éclairer notre volonté et nos comportements ? Cette lumière, c’est le Christ, toujours, le Christ que nous connaissons par les textes bibliques, le Christ pauvre et que peu de gens ont suivi dès lors qu’ils ont compris qu’il ne voulait ni argent ni pouvoir.
Vous le savez, le Ressuscité devra montrer sur son corps la trace des clous et de la lance à Thomas qui refusait de croire (Jean 20 / 27). Jamais la croix ne sera effacée, elle est constitutive de la présence de Dieu au monde, de son incarnation. Jamais nous ne pourrons prétendre à un Christ vainqueur si cette victoire n’est pas celle qu’il a acquise sur la croix. La puissance de Dieu se manifeste comme un refus de la puissance. Notre difficulté durable, c’est d’accepter cela, tout comme Pierre a eu du mal à l’accepter, selon les évangiles (Matth. 16 / 21-23). C’est d’accepter que notre Dieu ne nous évite ni la pauvreté, ni la maladie, ni les souffrances, ni la mort. C’est d’accepter qu’il nous conforme au Christ et non pas à nos propres désirs. Par nature, nous sommes tournés vers nous-mêmes. Souvent notre existence ne se déroule pas comme nous l’aurions voulu. Un païen le reprochera à Dieu ; nous, nous nous en contentons, comme l’enfant Jésus a dû se contenter d’une mangeoire pour abriter ses premières heures.
Ce n’est pas faire contre mauvaise fortune bon cœur. C’est comprendre en quoi consiste l’Évangile, en quoi consiste la puissance révolutionnaire de l’Évangile pour un monde qui se refuse à Dieu. « Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin que cette puissance supérieure soit attribuée à Dieu, et non pas à nous », écrivait Paul. Et aussi : « nous portons toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre corps. » Le travail d’un chrétien sur lui-même consistera donc à se conformer, ou à se laisser conformer par le Saint-Esprit, au Christ qui est notre Seigneur et notre lumière : non pas un Dieu rayonnant d’or et de miracles, mais le crucifié, celui qui s’est offert lui-même par amour. Comme le dit le début du récit de la Passion selon Jean : « Sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde au Père, Jésus, qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jean 13 / 1)
La confiance en lui nous permet ce changement non seulement d’attitude, mais de paradigme, tel que Paul l’exprimait. Ce que le monde considère comme réussite n’a pas de valeur ; c’est ce que Dieu considère comme réussite qui en a, et cette réussite n’est pas de notre fait, mais du sien, c’est notre propre résurrection ! Comme il est écrit ailleurs : « Cette parole est certaine : si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui ; si nous persévérons, nous régnerons aussi avec lui. » (2 Tim. 2 / 11-12a) ou encore « nous sommes héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être aussi glorifiés avec lui. » (Rom. 8 / 17) Serons-nous donc de « ceux qui périssent, les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé les pensées » ? Soyons plutôt de ceux pour qui « la vie de Jésus se manifeste dans notre corps », de ceux qui se conforment à « la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout être humain. » (Jean 1 / 9) En elle la puissance de la résurrection agit en nous dès maintenant. Amen.
Senones – David Mitrani – 7 janvier 2024