Ecclésiaste 3 / 1-15

texte :

Pour tout (il y a) un moment et un temps pour toute chose sous le ciel,

Un temps pour enfanter et un temps pour mourir ;

Un temps pour planter et un temps pour arracher le plant ;

Un temps pour tuer et un temps pour guérir ;

Un temps pour démolir et un temps pour bâtir ;

Un temps pour pleurer et un temps pour rire ;

Un temps se lamenter et un temps danser ;

Un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres ;

Un temps pour étreindre et un temps pour s’éloigner de l’étreinte ;

Un temps pour chercher et un temps pour perdre ;

Un temps pour garder et un temps pour jeter ;

Un temps pour déchirer et un temps pour coudre ;

Un temps pour se taire et un temps pour parler ;

Un temps pour aimer et un temps pour haïr ;

Un temps de guerre et un temps de paix.

Quel avantage le travailleur a-t-il de la peine qu’il prend ?

J’ai vu le souci que Dieu a donné aux fils de l’humain pour les affliger.

Le tout, il (l’)a fait beau en son temps, et même il a donné l’éternité dans leur cœur,

bien que l’(être) humain ne puisse pas trouver l’œuvre que Dieu a faite, du commencement jusqu’à la fin.

Je connais qu’il n’y a rien de bien en eux sinon de se réjouir et de faire ce qui est bien pendant sa vie ;

et aussi que tout humain qui mange et boit et voit le bien dans tout son travail, c’est un don de Dieu.

Je connais que tout ce que Dieu fait est pour toujours, sur ça il n’y a pas à ajouter, et d’eux il n’y a pas à retrancher.

Dieu fait qu’ils aient de la crainte devant lui.

Ce qui a été est déjà, et ce qui doit être a déjà été,

Dieu ramène ce qui a disparu.

 

 

autres lectures :  Épître aux Romains 8 / 31-39 ; Évangile selon Luc 2 / 25-38

chants :  37-10 et 53-02

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prédication :

 

 

Chers amis, il est toujours étrange de réentendre le texte de l’Ecclésiaste, qui nous donne une vague impression qu’il n’y a pas d’interaction entre Dieu et les humains, que tout se déroule comme ça s’est toujours déroulé, que tout est écrit d’avance quoi qu’on fasse. Et pire : que les événements mauvais sont dans l’ordre des choses, et qu’on n’y peut rien. Bien sûr, ce n’est pas ce qui est écrit. En tout cas pas comme ça. Mais il est vrai que ce passage, comme tout le livre de l’Ecclésiaste, insiste sur la vanité des efforts humains pour changer quoi que ce soit de fondamental. On a beau se pencher sur les quatorze oppositions du début du passage, chercher ce qui à nos yeux est vraie opposition ou bien pas, ça n’y change rien : la vie des individus, des sociétés et du monde est constituée de toute cette diversité de temps, et c’est comme ça non par hasard, mais de par Dieu qui fixe lui-même les temps sans que j’y connaisse ou comprenne quoi que ce soit.

 

Il faut bien que nous remarquions que cette affirmation va à l’encontre de toute la culture occidentale depuis le XVIIIe siècle au moins, laquelle culture prétend percer tous les mystères et promouvoir la responsabilité individuelle. Quant à la science, c’était d’ailleurs déjà la préoccupation des Grecs de l’Antiquité. Rappelez-vous l’apôtre Paul qui écrivait à ceux de Corinthe : « Quand j’aurais la prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. » (1 Cor. 13 / 2) Mais aujourd’hui ça a pris une telle ampleur ! Connaître et maîtriser les temps et les moments, décider de donner ou de tuer la vie – la sienne et celle des autres, enfants ou vieillards – se croire maître et propriétaire de son propre corps et se permettre d’abîmer ou de détruire celui des autres sans scrupule quand l’intérêt de l’individu prime, etc. Bref : se prendre pour Dieu, vouloir discerner bien et mal (cf. Gen. 3) et croire qu’on est libre de choisir…

 

L’Ecclésiaste est désabusé quant à cela. Lui qui a tout vu, tout fait, et voulu tout comprendre – c’est ce qu’il dit de lui-même – il avoue sans espoir mais aussi sans désespoir que ça ne sert à rien, parce que, dans le fond, rien ne change. Ceux qui sont férus d’histoire, voire de préhistoire, diront : si, les techniques ont changé. Voire… Plus on avance, plus on découvre que nos lointains ancêtres n’étaient pas plus idiots que nous, et que la roue et le feu ne sont pas des inventions récentes, non plus que l’utilisation de tout ce qui nous tombe sous la main pour massacrer ceux d’en face ! Simplement, on avait oublié… Tout comme aujourd’hui la guerre nous fait peur, parce qu’on avait oublié, dans l’abondance de notre propre société et la paupérisation d’une autre partie de l’humanité, on avait oublié que la guerre avait toujours été là. Et pour ne remonter que de 150 ans : la guerre franco-prussienne de 1870, la guerre civile autour de la Commune, les conquêtes coloniales, la Première guerre mondiale, la Deuxième, l’Indochine, l’Algérie… Mais plus rien depuis lors, hormis l’engagement d’une partie de notre armée sur des « théâtres d’opérations extérieures ». Ceux qui arrivent à 60 ans n’ont jamais connu la guerre en France. Mais ça, c’est fini. Tout est hélas en train de redevenir normal…

 

Le dernier jour de l’année civile – qui n’est rien sinon la veille de son lendemain ! – on a l’habitude d’un regard rétrospectif sur l’année écoulée, parce qu’on a fait un tour complet autour du soleil ! Nos journaux d’information, quel que soit le media, n’y échappent pas, et sans doute peu d’individus ou de familles. Ceux qui travaillent regarderont à nouveau ce qu’ils ont gagné et ce qu’ils ont perdu durant l’année ; ceux qui consomment regarderont l’augmentation du prix des produits de consommation courante, alimentation et énergie, sous des prétextes que je ne qualifierai pas… ; ceux que le sport intéresse, sur le terrain ou devant leur télé, feront aussi le bilan des médailles françaises et du mercato footballistique ; et chacun regardera aussi l’évolution de sa santé et de celle de ses proches, tout comme les décès et les naissances. Nous sommes en plein dans notre texte ! Quant à ceux, et nous en sommes aussi, qui se préoccupent de ce qui se passe à l’extérieur de notre pays, selon nos opinions politiques nous nous réjouirons ou déplorerons tel ou tel événement, mais nous éviterons d’en parler parce qu’alors nous nous apercevrions que même les morts en grand nombre ne nous trouvent pas forcément du même avis, du même côté…

 

Or toutes ces choses nous atteignent, en bien ou en mal. Et beaucoup sont marquées à nos yeux du sceau de l’injustice. Pourquoi telle chose arrive-t-elle, alors que pourtant tant d’énergie a été déployée pour l’éviter ? Ah, mais c’est qu’il y a des gens qui ont déployé aussi de l’énergie pour que ça arrive ! Bon, mais pourquoi telle maladie, tel accident, tel suicide… ? Et de nous noyer dans les « pourquoi », même si, dans cette noyade, quelques planches, quelques bribes d’explication, nous permettent de surnager momentanément. Parce que, oui, il y a dans l’être humain cette soif de comprendre, ce refus du fatalisme, cette quête d’un absolu quand bien même nous le savons inatteignable. Nous sommes condamnés à être frustrés dans ce domaine. Mais c’est peut-être que ce n’est pas dans ce domaine qu’il faut nous investir ? Peut-être que notre soif de connaissance et d’autonomie est-elle mal orientée, mal placée ? N’est-ce pas ce que Paul écrivait aux Corinthiens ? L’Ecclésiaste le disait à sa manière : « Je connais qu’il n’y a rien de bien en eux sinon de se réjouir et de faire ce qui est bien pendant sa vie ; et aussi que tout humain qui mange et boit et voit le bien dans tout son travail, c’est un don de Dieu. » Face à la constatation qu’il vient de dresser et qui n’est pas encourageante pour qui veut changer le monde, l’auteur nous indique ce qui est bon pour les êtres humains. Je vous propose bien sûr d’en retenir les deux propositions.

 

La première, c’est l’invitation à se réjouir et à bien faire. Lorsque les temps s’y prêtent, ça vient facilement, non ?! Mais puisqu’il y a aussi des temps contraires, l’invitation y a plus de force : c’est aussi quand tout va mal, ou que rien ne va comme ça devrait à nos yeux, qu’il serait bien que nous nous réjouissions quand même, et que nous nous occupions à bien faire plutôt qu’à nous laisser engloutir. Évidemment on peut se dire qu’après la pluie vient le beau temps, qu’après un temps de guerre reviendra un temps de paix – même si on ne la voit pas encore – et déjà se réjouir pour ça, se réjouir des temps positifs passés et à venir alors-même qu’on vit un temps négatif… Mais l’auto-persuasion, la méthode Coué, si ce n’est que ça, ça ne va pas marcher très longtemps. Aussi il faut tout de suite regarder la deuxième proposition : le fait que ce qui est bon, dans ce qu’on vit comme dans ce qu’on fait, c’est Dieu qui le donne. C’est une puissante motivation pour se réjouir non pas du malheur, mais des dons de Dieu au cœur-même du malheur.

 

Une fois de plus je vous citerai cet extrait des Actes des Apôtres : « Après les avoir roués de coups, ils les jetèrent en prison, en recommandant au geôlier de les tenir sous bonne garde. Celui-ci, qui avait reçu cette recommandation, les jeta dans la prison intérieure et leur mit les ceps aux pieds. Vers le milieu de la nuit, Paul et Silas priaient et chantaient les louanges de Dieu, et les prisonniers les écoutaient. » (Actes 16 / 23-25) C’est une stricte mise en pratique de notre passage de l’Ecclésiaste ! Car le Dieu dont parle cet auteur est bien le Dieu créateur et sauveur du reste de la Bible ! C’est bien celui que Paul décrivait aux Romains dans la seconde lecture de tout à l’heure. Dieu reste le même aussi en ceci qu’il maintient sa création et qu’il continue de sauver ceux qui se confient en lui. Or c’est justement cette confiance que l’Ecclésiaste sollicite de notre part, dans les temps positifs comme dans les temps négatifs. Quant à nous, si nous n’étions pas chrétiens, nous aimerions bien que Dieu change les temps, que Dieu retourne la fortune à notre profit et bénéfice. Qu’il donne force aux faibles et victoire à ceux qui sont bons.

 

Mais Dieu n’agit pas ainsi. Il ne chamboule pas les équilibres. Mais pour ceux qui sont faibles, il devient, lui le fort, le faible qui marche à leur côté. Et pour ceux qui sont mauvais, il ne leur offre pas la défaite, mais le pardon. Quant à ceux qui se croient bons, « ils ont leur récompense », comme Jésus le leur reproche dans les évangiles (Matth. 6), récompense qui vient de leur propre cœur ou des autres humains et non de Dieu, récompense fallacieuse, éphémère, versatile, sans valeur… Par contre, ils ont vraiment fêté Noël, ceux qui vivent des temps d’effroi ou de mort, mais dont le cœur se réfugie en Dieu et connaît la victoire de celui qui est né pauvre et déraciné et qui est mort condamné par les hommes et par la Loi qui venait de Dieu. Peut-être pensez-vous que c’est là une prédication de petit-bourgeois qui vit tranquillement et qui a tout ce qu’il lui faut. Je ne puis vous démontrer le contraire. Mais seulement vous renvoyer vers le témoignage de tant de frères et sœurs qui, comme Paul et Silas, chantent les louanges de Dieu au cœur de la détresse, du malheur et de l’assaut des puissances de mort.

 

Or, comme Paul encore l’écrivait : « je suis persuadé que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances ni les êtres d’en-haut ni ceux d’en-bas ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus Christ notre Seigneur. » Si nous ne sommes pas capables de changer l’ordre du monde, les temps et les moments, réjouissons-nous donc que personne d’autre ne le puisse non plus ! Car personne, aucune puissance, ne peut changer Dieu, le détourner de son amour pour nous. La mort elle-même ne l’a pas pu, alors, Hérode et ses imitateurs, vous pensez… ! La constante de notre Dieu, c’est son amour, c’est le don de son Fils comme Sauveur des humains. Pour le reste, le remercier pour les bonnes choses et ne rien lui reprocher pour les mauvaises, c’est déjà ce que disait Job après qu’il avait tout perdu : « Nu je suis sorti du sein de ma mère, et nu j’y retournerai. L’Éternel a donné, et l’Éternel a ôté ; que le nom de l’Éternel soit béni ! » (Job 1 / 21)

 

Alors pourquoi prendre du souci pour ce qui n’en vaut pas la peine, ou pour ce qui en vaudrait la peine mais pour lequel on ne peut rien ? Là aussi, faire confiance, s’en remettre à Dieu pour aussi savoir discerner sa volonté, ce qu’il attend de nous. Les païens attendent de Dieu et demandent. Les chrétiens, eux, s’attendent à lui et se mettent à sa disposition. Les païens demandent pourquoi et veulent des réponses – qu’ils ne trouveront jamais… Les chrétiens quant à eux demandent aussi pourquoi, mais se contentent de se savoir aimés d’un amour plus fort que tout. Le vieillard Siméon et la prophétesse Anne, tout aussi âgée, ont vu un enfant, chose bien banale, mais ils ont discerné en lui et proclamé ce qu’ils ne voyaient pas de leurs yeux : le salut du monde, le rachat des pécheurs, la victoire sur la mort et le mal. Alors, dans les bons moments et dans les mauvais pour nous comme pour le monde, discernons, nous aussi, ce que nous ne voyons pas : comment Dieu nous a aimés et comment il a aimé le monde en Jésus-Christ vivant à jamais. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  31 décembre 2023

 

 

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