Néhémie 8 / 1-12

 

texte :  Néhémie 8 / 1-12   (trad. : TOB)

autres lectures :  Première épître aux Corinthiens 12 / 12-30 ; Évangile selon Luc 4 / 14-21

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À quoi ça vous sert, de lire la Bible ? Voilà une question qui est belle et bonne, de la part d’un pasteur protestant ! Comme si on ne savait pas ! Eh bien, ça sert à… Euh… À lire la Bible ?!… Voilà. Nous lisons la Bible, chacun dans notre coin, parfois avec l’aide de feuillets quotidiens, parfois ensemble en étude biblique, parfois même entre catholiques et protestants. Nous l’avons même débitée en petites tranches pour nos célébrations dans l’une ou l’autre Église, pour mieux la prêcher – encore que parfois nos prédications ne soient plus guère bibliques… Mais sans jamais nous poser la question de pour quoi faire. Parce qu’on l’a toujours fait ? Mais ça, c’était avant… Alors, pour la redécouvrir ? Mais vous, les catholiques, y êtes plus ardents que nous autres, protestants – enfin, certains… La réponse nous échappe toujours. L’affirmation du sola scriptura, « l’Écriture seule », a de toute façon été bien malmenée dans le protestantisme historique, malgré des retours épisodiques.

 

En était-il de même au Vème ou IVème siècle avant notre ère, à l’époque d’Esdras et de Néhémie ? Il y avait, semble-t-il – vous l’avez entendu tout à l’heure dans la première lecture – une soif de lire la Bible, afin de mieux « comprendre » ou « discerner » les paroles qu’elle comportait, puisque c’est Dieu qui avait ainsi commandé que l’on fît. Et comme on ne savait plus – peut-être parce qu’on n’en parlait plus la langue, ou peut-être qu’elle était réservée à des spécialistes, à moins qu’on ne sût même pas qu’elle existait – il a fallu la faire sortir de sa cachette et en faire retentir les paroles aux oreilles de tout le peuple ! Car ces paroles éclairaient l’existence de tout ce peuple, son expérience quotidienne. Comme disent les Juifs : « la Torah est lumière » ! Alors, lisons-nous la Bible pour être éclairés ? Mais souvent nous avons nos propres lumières : celles des Lumières avec une majuscule, qui prirent en France la tournure d’un matérialisme athée ; celles aussi qui viennent de nous, de notre psychologie, de notre culture, etc., de nos propres lunettes qui sont souvent des lunettes de soleil bien sûr, c’est-à-dire qu’elles atténuent la lumière trop forte. Au moins cette lumière ne nous aveuglera-t-elle pas, ni ne nous brûlera les yeux !

 

Sans doute les Juifs de notre texte n’avaient-ils pas de telles lunettes, puisque n’ayant pas l’habitude de la Bible ils ne cherchaient pas à s’en protéger ! Et le texte nous les montre alors « pleurant en entendant les paroles de la Torah… » Non seulement éclairés, mais bel et bien aveuglés par elles. Ah, mais si seulement il en était de même pour nous, mes frères et sœurs ! Non que je veuille passer ma vie à pleurer et à me lamenter… Mais la radicalité de la parole de Dieu à travers la Bible ne nous atteint plus, ne nous touche pas. Pourtant Jésus nous l’a annoncé : « Quand [le Consolateur] sera venu, il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement : de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi ; de justice, parce que je vais vers le Père, et que vous ne me verrez plus ; de jugement, parce que le prince de ce monde est jugé. » (Jean 16 / 8-11) Voilà donc ce qui s’est passé ce jour-là dans Jérusalem restaurée : les auditeurs de la Parole, la redécouvrant et la comprenant, puisqu’elle était mise à leur portée, se sont découverts pécheurs. Comme l’écrira l’apôtre Paul : « je n’ai connu le péché que par la Loi. » (Rom. 7 / 7)

 

Dans notre orgueil, nous avons oublié que nous étions et que nous restions pécheurs. Nous avons pris la grâce de Dieu non pas comme un pardon, mais comme un blanc-seing. La Bible nous est au moins nécessaire pour ceci : nous rappeler qui nous sommes, nous rappeler la valeur de nos pensées, de nos paroles et de nos actes. Elle nous est le miroir tendu par Dieu afin que nous contemplions nos existences non pas avec nos lunettes si arrangeantes, mais avec celles de Dieu. Souvent des gens demandent : « Mais pourquoi l’Ancien Testament est-il si violent, pourquoi s’y commet-il tant de mal, pourquoi Dieu punit-il si violemment les gens ? » Mais c’est que l’Ancien Testament (et parfois le Nouveau, car Jésus n’est pas tendre…) nous montre tels que nous sommes au fond de nous, et parfois pas seulement au fond… « Ne vous y trompez pas – écrivait encore Paul – ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n’hériteront le royaume de Dieu. Et c’est là ce que vous étiez, quelques-uns de vous… » (1 Cor. 6 / 9-11)

 

Nous, gens honnêtes et respectables, respectueux de la loi et de la morale (encore que peut-être pas tous…), nous avons bien de la peine avec ça. Et c’est bien pour ça que la Bible, « la Torah de notre Dieu », nous est ouverte. Pour réaliser qui nous sommes, pour réaliser le poids de nos actes les plus bénins, les plus quotidiens, qui font offense à Dieu et à nos prochains simplement lorsque nous les ignorons – et nous les ignorons souvent, tant Dieu que nos prochains ! La foi ne consiste pas à respecter les lois et la morale ambiante, ni même les Dix Commandements, mais à connaître et à suivre Jésus. Tandis que nous, nous vivons tranquilles : que nous soyons heureux ou malheureux, nous vivons comme tout le monde. C’est bien ce qu’Esdras, à la fin du livre qui porte son nom, reprochait aux gens de son peuple : ils vivaient comme tout le monde, avec les valeurs qui étaient celles du monde. Il ne leur reprochait pas d’être méchants ou violents, mais de vivre sans Dieu, sans connaître ni aimer ni suivre sa Parole.

 

D’où ce grand rassemblement, bien plus important que nos messes et nos cultes : car tous les croyants y sont ! Oui, ça devrait aussi être le cas pour cette célébration, mais ceci est une autre histoire… Donc ils sont tous là, la Bible présentée à leurs yeux, à leurs oreilles, à leur intelligence, pour que leur vie lui soit confrontée… et tous, ils pleurent, alors qu’ils venaient de bénir et d’adorer Dieu. Comme quoi dire « Amen ! » ne nous évite pas la radicalité de la Parole de Dieu… C’est que cette Parole, on ne le redira jamais assez, n’est ni un récit mythologique ni un enseignement dogmatique ou moral. C’est une parole directement adressée à notre existence quotidienne. Je ne lis pas la Bible pour savoir ce qui s’est passé il y a tant et tant de siècles ou de millénaires, encore que ce soit intéressant aussi ! Je lis la Bible pour me connaître et connaître le jugement de Dieu sur moi. Le risque serait alors que j’en reste là, « sur le sac et la cendre » comme dit la Bible (Esther 4 / 3 ; Ésaïe 58 / 5), mon orgueil brisé…

 

Esdras et les Lévites ont bien vu ce risque, ils l’avaient sous les yeux. C’est pourquoi ils disent aux gens de se réjouir en un repas de fête. Ils leur disent deux choses. La première, c’est que « ce jour est saint pour le Seigneur ». Pourquoi ? Parce que sa Parole a retenti et a été entendue par tous ces gens ensemble. – Nous n’irons pas, nous, relire aujourd’hui le Lévitique et ses prescriptions concernant les différentes journées célébrées le 7ème mois (qui est de nos jours le premier de l’année juive). Restons seulement dans ce que nous montre notre extrait du livre de Néhémie. – La Parole a été proclamée de manière compréhensible, par une lecture dans la langue des gens. Et cela a suffi ! La Réforme protestante a promu contre le catholicisme médiéval dont elle est issue l’idée de l’immédiateté du texte biblique – moyennant qu’il soit bien compris à l’aide de tous les outils disponibles. Et c’est ce que nous voyons agir dans notre texte : les Lévites fournissent les moyens de comprendre le texte qui a été lu, et ce texte parle alors aux auditeurs, il leur parle de leur vie – je vous l’ai dit.

 

La sainteté du jour réjouit le Seigneur, et cela aussi concerne la vie de chacun. Comme le dit Esdras : « Cette joie du Seigneur est votre refuge. » Car il ne faut pas s’arrêter, s’abîmer, dans la contemplation pourtant nécessaire de notre propre péché. La Parole de Dieu qui condamne est aussi une Parole qui prononce le pardon, et ce pardon, il faut l’entendre, et non comme une concession à cause de notre faiblesse, mais comme la contagiosité de la joie de Dieu, cette joie du Père qui pardonne ses enfants prodigues (cf. Luc 15 / 10-32). Nous sommes invités à nous réfugier dans cette joie, à y trouver paix et joie nous aussi. C’est la seconde partie de l’exhortation finale. Car tel est le pardon, qu’il produit non pas soulagement, mais vraiment paix et joie. Et si nous gardons l’idée, l’image, de Dieu comme d’un juge et de sa Parole comme jugement, il faut alors considérer que « si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste. » (1 Jean 2 / 1) « Avocat », c’est le même mot que le « Consolateur » que j’évoquais tout à l’heure. Esdras et les Lévites ne pouvaient pas le savoir, ils en ont pourtant été témoins. C’est une autre leçon de la lecture de la Bible, c’est que partout elle annonce l’Évangile, la bonne nouvelle du salut offert en Jésus-Christ à travers la foi.

 

Nous sommes donc sur le bon chemin si, comme les disciples d’Emmaüs au matin de Pâques (Luc 24 / 25-32), nous entendons d’abord la Bible et que l’Esprit nous la fait comprendre comme nous parlant de Jésus, et qu’ensuite nous sommes réunis autour du repas de la fête. Puisque tel est le but de la Bible, que nous soyons réunis, présents et absents, pour la fête et la joie. Nos célébrations ne sont-elles pas organisées ainsi, de la chaire à l’autel (de la prédication à la cène) ? La Bible sert donc à ça : nous convaincre de péché et nous assurer du pardon de Dieu sans considération de nos mérites, afin que notre vie devienne réjouissance les uns avec les autres devant Dieu. C’est donc ce qui vient après le culte qui importe vraiment : Dieu ne nous donne pas la joie pour le temps du culte – encore que ce soit aussi le lieu ! – mais il nous donne la joie pour la vie de tous les jours, et cela s’appelle l’Église, la fraternité chrétienne, la solidarité avec ceux qui en ont besoin… Mais le mouvement, le chemin des disciples d’Emmaüs, ne s’arrête pas là : cette parole entendue et comprise et célébrée dans la joie, ils courent en témoigner auprès des autres (Luc 24 / 33-35). N’est-ce pas aussi ce qui est signifié dans notre texte par le fait d’ « envoyer des parts à ceux qui n’ont rien de prêt » ?  Cela fait partie de la joie des croyants pardonnés, restaurés, que d’annoncer cette joie à d’autres afin de la partager avec eux. Car ce n’est pas seulement une part de nourriture qui est envoyée aux absents, mais une part de joie, une part de la « joie du Seigneur » afin qu’eux aussi y trouvent leur « refuge ».

 

Lire la Bible, pour quoi faire ? Pour pleurer, se réjouir et témoigner. Et ce témoignage ne peut pas faire l’économie ni de nos pleurs ni de notre joie. Car ce sont des pécheurs pardonnés qui témoignent, tout comme ceux qui vont faire comprendre l’Écriture aux gens sont au départ parmi ces gens pendant la lecture de la Torah. Nous sommes des pécheurs, et nous avons été pardonnés en Jésus-Christ notre avocat, dont la plaidoirie a consisté dans sa mort pour nous, et grâce à qui le jugement favorable à notre égard a consisté dans sa résurrection, gage de la nôtre. Puisse la Parole de Dieu vous atteindre, une fois pour toutes mais aussi chaque jour, à chaque heure, telle qu’elle a été dite à travers la lecture de la Bible. Puisse-t-elle vous faire découvrir votre besoin vital de Dieu pour changer votre existence, et la grâce qu’il vous a faite de répondre à cette nécessité qui est la vôtre devant lui, afin que vous puissiez vivre désormais dans la joie et pour le témoignage de Jésus, ensemble. « Ce jour est saint pour le Seigneur Dieu, ne vous lamentez pas et ne pleurez pas […]  Allez, mangez des graisses et buvez des douceurs et envoyez des parts pour ceux qui n’ont rien de prêt… » Amen !

 

Saint-Dié (messes)  –  David Mitrani  –  23 janvier 2022

 

 

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