Évangile selon Marc 8 / 29-38

 

texte :  Évangile selon Marc 8 / 29-38   (trad. personnelle)

premières lectures :  Amos 5 / 20-25 ; Évangile selon Luc 18 / 31-34

chants :  44-07 et 43-05

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« Ils n’y comprirent rien ; ces paroles leur restaient cachées ; ils ne savaient pas ce que cela voulait dire. » Ainsi se concluait le court passage de Luc que je vous ai lu, et on voit bien cela à l’œuvre dans le texte d’aujourd’hui, celui de Marc. Comment les disciples de Jésus auraient-ils pu comprendre l’annonce par leur maître de son rejet, de sa mort et de sa résurrection ? Passe encore pour le rejet, il eût été naïf de ne pas le voir arriver… Mais mort et résurrection ? Au bout de 20 siècles nous sommes blasés, cela ne nous surprend plus, mais mettez-vous à leur place, à celle de Pierre par exemple. Car c’est bien cela que le texte de ce matin nous propose : nous mettre à sa place. C’est d’ailleurs ce que Jésus proposait déjà aux autres disciples, comme nous allons voir…

 

Mais auparavant revenons à la confession de foi de Pierre, qui vient après qu’ils avaient rapporté à Jésus, à sa demande, les rumeurs à son sujet. Cette confession de foi est tellement vraie que nous avons accolé depuis lors ce titre : « Christ », au nom de Jésus, au point même d’y mettre souvent un trait d’union ; comme d’un seul nom ! « Christ », celui qui, tel le roi ou le grand-prêtre, était choisi, envoyé par Dieu, reconnu par une onction d’huile. Mais point d’onction pour Jésus, sinon son baptême par Jean dans le Jourdain (Marc 1 / 9-11). Confession ambiguë donc, puisque le titre messianique est déconnecté de l’acte qui le justifie. À moins que cet acte soit espéré, confessé comme futur et non passé ? Pierre et les autres s’attendaient-il à une onction royale de Jésus quand ils seraient à Jérusalem ? Il semblerait. Mais en attendant le titre ne convient pas. On ne se proclame pas oint par Dieu tant que ce n’est pas fait…

 

Le refus par Jésus qu’on le dise s’expliquerait alors par ce regard tourné vers le futur : on se tait tant que ce n’est pas réalisé. Oui, mais quoi ? Qu’est-ce qui va se réaliser ? Jésus va-t-il monter sur le trône de David, qui n’est plus occupé depuis 600 ans hormis par quelques souverains illégitimes ? Mais l’onction dont parle Jésus n’est pas de cet ordre. Tourné vers le futur impliqué par le titre que Pierre lui donne, Jésus parle pourtant d’autre chose. « il commença à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les principaux sacrificateurs et les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après. » Drôle de trône, en vérité ! Dans le monde, il en est qui pensent régner par un pouvoir absolu en écrasant tout ce qui leur fait de l’ombre ou qui pourrait leur en faire. Le roi Hérode avait été de ceux-là, pourtant un étranger placé là par les Romains. Les actualités de cette semaine nous en montrent hélas un autre, mais plus “hélas” encore, il n’est pas le seul sur notre planète…

 

Jésus l’avait fait remarquer à ses disciples : « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands abusent de leur pouvoir sur elles. Il n’en est pas de même parmi vous. » (Marc 10 / 42-43) Jésus avait donc, pour lui et pour ses disciples, une autre conception de l’exercice de l’autorité. Il est donc bien roi, comme il le dira à Pilate (Jean 18 / 37), mais d’une autre façon que celle dont rêvent les puissants et ceux qui prétendent le devenir. Et c’est ce qu’il expose à ses disciples en parlant d’un avenir qui n’est pas celui auquel ils pouvaient s’attendre. Et en en parlant de telle sorte à être entendu ! Ce à quoi nous assistons alors est un “jeu” de « réprimandes » réciproques, selon le terme que j’ai utilisé dans ma traduction et qui revient 3 fois dans notre texte. Car Jésus avait déjà et par avance réprimandé ses disciples en leur enjoignant de ne pas diffuser ce titre messianique de « Christ ».

 

En retour, Pierre le réprimande de diffuser une telle vision de son avenir, contraire en tout à ce même titre. Ce faisant, il se place donc en vis-à-vis de Jésus, chacun prétendant savoir ce qu’est l’avenir messianique de ce « Christ » ! Il « le prend à part », nous est-il dit. Pierre n’est donc plus avec la foule, mais plus non plus avec les disciples. Le propre des disciples – de n’importe quel maître d’ailleurs – c’est d’écouter l’enseignement du maître : « disciple », c’est « élève ». Or Pierre est sorti de ce rôle, alors-même que l’évangéliste nous dit que Jésus « commençait à les enseigner… » Pierre n’a pas accepté l’enseignement de Jésus sur Jésus le Christ ! Il n’a pas dit « nous ne voulons pas que cela t’arrive », ni « nous avons un autre projet bien meilleur pour toi » – auquel cas il se serait aussi fait réprimander, n’en doutons pas. Mais il a refusé l’enseignement de son maître.

 

Or cet enseignement est de deux sortes. D’abord il y a l’annonce, celle justement que Pierre refuse. Et puis il y a la mise en œuvre de ce qui est annoncé, sa réalisation. Et plus encore que la publicité faite à une telle annonce, c’est sans doute ceci que Pierre refuse de fond de son être, au point d’en oublier qui il est ! Jésus va récapituler tout ceci, annonce, échange avec Pierre, réprimandes de l’un par l’autre, dans une troisième réprimande qu’on traduit d’habitude : « Arrière de moi, Satan ». Mais nous oublions alors le sens des mots. Nous entendons que Pierre est en quelque sorte expulsé par Jésus. Non. Il est remis à sa place, et la place d’un disciple, c’est « derrière » le maître lorsque celui-ci avance. « Passe derrière-moi », dit Jésus, « redeviens mon disciple », « suis-moi à nouveau », cesse d’être « un satan », un accusateur, un tentateur – car oui, c’était la même voix que celle du diable au désert, juste après le baptême de Jésus (Luc 4 / 3-12).

 

La conclusion pour nous me semble être de deux ordres. Tout d’abord, il nous faut accepter la parole de Jésus sur lui-même : l’autorité du Christ ne passe pas par une prise de pouvoir ou une intronisation royale ou sacerdotale, mais elle passe par le rejet, la passion, la mort et la résurrection. Mais la résurrection n’est pas une négation de la mort : la mort de Jésus sera une vraie mort à l’issue de vraies souffrances, Pierre ne s’y est d’ailleurs pas trompé en ne reprenant pas cela dans la parole de Jésus comme si l’important était là. Non, l’important, comme l’écrira l’apôtre Paul, c’est que « Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, [… est] puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. » (1 Cor. 1 / 23-25) Dieu a donc trouvé une meilleure stratégie que la force et la puissance : c’est la faiblesse et l’humilité ! Les chrétiens de tous temps, et pas seulement Pierre, ont eu du mal à admettre que Dieu ait choisi de manifester ainsi son autorité et sa gloire. Et tels des salafistes, nous défendons l’honneur de Dieu selon nos critères à nous… Bonjour la catastrophe !

 

Grâce à Dieu et par le moyen d’un de mes prédécesseurs et de sa sœur artiste, nous sommes entourés de vitraux bibliques qui nous montrent à la fois Dieu comme le Créateur, et en même temps sa présence incognito au sein de sa création ; tout comme le vitrail du chœur montre que la puissance qui nous ressuscite est celle-là-même qui provient de la mort de Jésus sur la croix. Pourtant nous avons de la peine à renoncer à un dieu de force, de contrainte, qui soit à notre service – bref : une idole païenne… Comme Pierre nous protestons, d’autant plus que ce Dieu qui apparaît faible selon les critères humains n’a pas bonne presse : qui en voudrait ? Un Christ impérial, tel qu’on le représentait dans l’Empire romain devenu chrétien, le globe à la main, voilà qui plairait. Mais un Christ crucifié ?

 

Car la seconde conclusion, et Jésus est très clair, c’est que le suivre, c’est vivre sa propre foi à l’image de la sienne, c’est s’abandonner aux mains paternelles de Dieu non pas pour éviter l’échec et la mort, mais jusque dans l’échec et la mort. Tout en nous y résiste, encore plus qu’à la christologie. Jésus devait passer par la mort pour nous sauver, soit. Le principal n’est pas sa mort, mais qu’il nous sauve ! Mais quant à nous, non ! S’il est mort pour nous, c’est que nous soyons victorieux dans cette vie, c’est que par notre foi nous gagnions notre vie ! Mais non. Ce que Jésus nous propose, c’est la destruction de tout ce qui à nos yeux constitue notre vie, notre « âme ». C’est de le suivre, c’est de marcher derrière lui. Le paradoxe de la puissance de la faiblesse ne vaut pas que pour Dieu, pour Jésus, mais aussi pour nous, car Jésus est le seul chemin, et ce chemin passe par l’abandon de soi, par la négation de la puissance humaine. Voilà pourquoi il remet Pierre « derrière » lui, pour qu’il le suive, et voilà pourquoi il nous y place aussi, nous qui le confessons comme « Christ ».

 

La figure du « Fils de l’homme » vient de l’Ancien Testament, du livre de Daniel (Dan. 7 / 13-14) et des textes juifs qui s’en sont inspirés, c’est la figure royale de celui qui jugera les humains. Or le jugement est exercé par la croix de Jésus, comme il le dit à Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3 / 16-18) La foi en Jésus, voilà notre salut. Or cette foi est foi en un Christ crucifié, et qui n’a vaincu toute puissance que par sa propre faiblesse, qui n’a vaincu la mort que par la sienne. Et nous sommes appelés à son exemple, à vivre déjà comme des ressuscités qui ne craignons plus la mort, à vivre comme des gens qui savons ne pas pouvoir gagner notre vie, mais que ce n’est pas grave, au contraire, puisque nous la recevons gratuitement : la vie présente et la vie éternelle, grâce à Jésus.

 

Ne travestissons pas la vérité du Christ en parlant de lui comme d’une idole, mais témoignons plutôt de sa mort victorieuse, plus forte que toute force humaine. N’ayons pas « honte de [lui] et de [ses] paroles » qui concernent justement sa passion. Mais on ne peut en témoigner qu’en essayant de vivre la même chose, avec l’aide du Saint-Esprit. Nous montrerons alors que nous n’en avons pas honte, puisque nous les faisons nôtres non seulement par nos mots, mais aussi par nos gestes. Nous laissons les paroles de Jésus prendre corps en nous, nous lui faisons confiance pour notre propre vie, nous la lui remettons en abdiquant toute envie de puissance sur Dieu, sur les autres et aussi sur nous-mêmes. Nous cessons de faire semblant d’être ce que nous ne sommes pas, pour enfin vivre pleinement ce que nous sommes : des enfants, les fils et les filles du Père miséricordieux et très aimant. Et cela nous suffit bien, grâce à lui. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  27 février 2022

 

 

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