Évangile selon Luc 12 / 15-21

 

texte :

Il leur dit : « Gardez-vous attentivement de toute cupidité ; car même dans l’abondance, la vie d’un homme ne dépend pas de ce qu’il possède. » Et il leur dit une parabole : « La terre d’un homme riche avait beaucoup rapporté. Il raisonnait en lui-même et disait : “Que ferai-je ? car je n’ai pas de place pour amasser mes récoltes. Voici, dit-il, ce que je ferai : j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai tout mon blé et mes biens, et je dirai à mon âme : ‘Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois et réjouis-toi.’” Mais Dieu lui dit : “Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ce que tu as préparé, à qui cela sera-t-il ?” Il en est ainsi de celui qui accumule des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu. »

 

  

premières lectures :  Deutéronome 8 / 7-18 ; Deuxième épître aux Corinthiens 9 / 6-15

chants :  14-09 et 45-21

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prédication :

 

 

« Gardez-vous attentivement de toute cupidité… » Quelle cupidité ? Qui est cupide ? L’Église est-elle cupide ? Est-ce que, par hasard, elle ne voudrait pas « acquérir » plus de gens, plus d’enfants, plus de jeunes, plus de pratiquants, plus de pasteurs, plus de prédicateurs, plus de musiciens, plus de sous, plus de notoriété, plus de… plus de tout, quoi ! Je suis comme elle, j’aimerais bien tout ça pour mon Église… Car elle n’est pas « dans l’abondance » ! Il suffit de se compter ce matin dans ce temple, ou comme l’autre jour à Raon alors que tous les protestants du secteur étaient invités ! C’est donc que l’Église, ce ne sont pas ceux qui ne sont pas là alors qu’ils pourraient venir. L’Église, ce sont ceux qui sont là, qui viennent recevoir la Parole de Dieu dans la prédication et la cène, et qui sont bien contents de pouvoir aussi prier et chanter ensemble. L’Église, c’est donc vous et moi.

 

Mais nous avons quelque peine à nous « garder de toute cupidité » … Nous voudrions être plus, être mieux… être aussi plus ouverts, plus missionnaires, plus communautaires, plus solidaires, plus modernes, plus tout ce que vous imaginez ! Même notre petit nombre peut vouloir tout ceci. Alors, quantité ou qualité, mais nous voulons plus. Ceci dit, nous ne nous en donnons pas forcément les moyens. C’est un cercle vicieux : pour faire plus il faudrait avoir plus, pour avoir plus il faudrait faire plus, etc. Depuis combien d’années sommes-nous pris dans ce cercle-là ? Depuis toujours peut-être. En tout cas depuis que nous avons… moins ! Depuis que la transmission ne se fait plus, que les enfants ne suivent plus les parents, qui eux-mêmes n’ont pas suivi les grands-parents. Autre cercle vicieux. Depuis que les riches familles qui finançaient l’Église ont à peu près disparu – encore que pas toutes, heureusement. Depuis que le ministère pastoral n’attire plus grand monde, et que beaucoup de ceux qui arrivent quand même ont des réflexes de salariés… enfin, pas tous, heureusement.

 

Le texte de ce matin est là pour briser ce cercle vicieux. « La vie d’un homme ne dépend pas de ce qu’il possède. » La vie d’une Église « ne dépend pas de ce qu’elle possède », ne dépend pas du nombre ou de l’âge ou des forces ou de l’argent de ses membres, non plus que du nombre de ses temples ou de sa notoriété. Nous avons forcément besoin d’entendre ça, puisque Jésus nous le dit ; ce n’est sans doute pas pour rien ! Alors que notre Conseil presbytéral va devoir réfléchir et jeter sur le papier ce qu’il voudrait pour notre Église dans les prochaines années, oui, c’est bien d’avoir ce texte ce matin pour une « fête des récoltes ». Qu’est-ce que notre Église, qu’est-ce que nous aimerions récolter ces prochaines années, et quoi semer et comment pour y arriver… ? Mais attention : « la vie de [notre Église] ne dépend pas de ce qu’elle possède », ni aujourd’hui ni demain ! Or nous ne connaissons que ce que nous avons sous les yeux, que ce que nous vivons aujourd’hui.

 

Ce culte, en fait, ne s’intitule pas « fête des récoltes », mais « fête de reconnaissance pour les récoltes ». Alors oui, bien sûr, nous allons passer ce culte à dire merci à Dieu pour « la nourriture, le vêtement, et toutes les choses nécessaires à l’entretien de cette vie », comme écrivaient nos Réformateurs. Ça ne nous empêchera pas d’avoir des arrière-pensées, car nous savons bien ce qui nous manque et ceux qui nous manquent, et, comme je viens de vous le rappeler, nous voudrions plus et mieux. Car c’est aussi pour l’Église que ce culte est une fête de reconnaissance ! Mais nous y avons un peu de peine, n’est-ce pas ? Quand nous avons, nous trouvons ça très normal, et ne pensons pas forcément à remercier le Seigneur de l’Église, son créateur et son rédempteur… Et quand nous manquons, nous ne trouvons pas ça normal, et alors nous ne voulons pas remercier ce même Seigneur dont nous pensons qu’il nous néglige, voire qu’il nous abandonne… Notre reconnaissance n’est ni spontanée ni honnête. Avons-nous honnêtement envie de remercier Dieu pour notre petit nombre et pour une catéchèse réduite à 4 enfants d’école biblique et 2 catéchumènes ?

 

Jésus nous donne un contre-exemple. Vous connaissiez ce texte. Il y a des Églises qui sont ainsi, qui sont pleines et qui sont fières d’être pleines – on les comprend – et qui ont les regards rivés sur cette vraie richesse plutôt que sur leur mission, et qui pensent plus à construire de nouveaux locaux qu’à toute autre chose. J’en connais aussi qui ne pensent qu’à leurs beaux locaux de toutes façons, sans se préoccuper du fait que les bancs sont vides le dimanche et tous les autres jours, sinon pour des concerts qui n’évangélisent rien ni personne. Pour une raison ou une autre, et d’une manière ou d’une autre, oui, il y a des Églises qui sont riches de gens ou de bâtiments ou d’argent, et qui sont dans la situation de l’homme riche de la parabole. Je connais aussi de ces Églises qui, par le départ ou le décès du pasteur ou de certains membres, ont cru tout perdre et sont-elles-mêmes mortes ou moribondes. « Il en est ainsi de celui qui accumule des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu », dit Jésus.

 

Évidemment, cette morale qui conclut la parabole est de cette sorte d’évidences qu’il est bon de réentendre de temps en temps. Je ne m’étendrai pas sur sa résonance dans la vie de chacun d’entre nous. Je reste avec mon propos sur l’Église, mais ça dit la même chose. La question que Jésus nous renvoie tient donc en deux aspects. Le premier, c’est la constatation que je suis riche, que mon Église est riche – je vous rappelle qu’il s’agit de notre petite communauté… Le second aspect, c’est la raison d’être et de cette richesse et de notre Église elle-même.

 

Il ne faut pas passer trop vite sur le premier aspect, qui devrait aussi faire l’objet du début de la réflexion du Conseil presbytéral. Notre Église est riche, quoi que nous voyions spontanément, bien souvent en nous regardant le nombril. Ouvrons notre regard sur l’Église telle qu’elle est, avec les gens qui y sont : je veux dire : aussi les autres gens ! pas moi seulement. Nous pourrons voir alors non seulement que ça pourrait être pire ! mais aussi que nous avons de vraies richesses : que des gens se trouvent mieux chez nous qu’ailleurs ou en tout cas pas plus mal ; que certains d’entre eux se dévouent pour l’Église ; que c’est bien l’Évangile qui est annoncé et non pas des discours mondains de droite ou de gauche ou du centre ou d’ailleurs ; que nos interventions sont écoutées quand nous parlons en public ; que nos finances sont à peu près saines et que nous pouvons de temps en temps nous offrir à nous-mêmes et à d’autres quelques extras ; etc. Je ne vais pas faire ici le travail du Conseil !

 

Donc nous sommes riches, et c’est pourquoi nous fêtons aujourd’hui cette richesse pour en remercier le Seigneur. Mais si cette richesse est pour nous et pas pour lui, alors elle ne vaut rien, elle n’a aucun intérêt. Mais qu’est-ce que ça veut dire, être « riche pour Dieu » ? Nous ne sommes pas des païens, à offrir des sacrifices à la divinité pour s’en acheter les bonnes grâces ! Nous n’avons pas d’autels sur lesquels brûler les dons de Dieu ou les fruits de nos travaux, ni des vallées où immoler nos enfants en cas de malheurs nationaux. Il ne s’agit évidemment pas de ça. Mais que notre richesse serve à Dieu et à ses projets, et non pas à nous-mêmes et à nos propres projets. – Je parle bien toujours de l’Église et pas seulement de nous individuellement ou familialement… – Ainsi après avoir constaté et détaillé cette richesse, il nous faut examiner à qui et à quoi elle sert. C’est ce que nous avons essayé malhabilement de faire l’autre jour en parlant du temple de Raon.

 

Mais il ne faut pas s’arrêter là ! L’un de nos temples n’est pas notre seule richesse, loin de là. Je vous l’ai dit : même si nous ne le voyons pas nous sommes riches, et c’est bien ! Mais pour quoi faire ? Pourquoi un temple, pourquoi trois temples, un Foyer, un pasteur, pourquoi de la catéchèse d’enfants, d’adolescents, d’adultes, pourquoi une Entraide, pourquoi un service missionnaire, pourquoi des rencontres œcuméniques, pourquoi cette exposition, pourquoi un consistoire, une région, pourquoi des facultés de théologie, pourquoi aller à la Grange de Wassy ou à la Vieille ferme du Brabant, pourquoi baptiser des enfants, pourquoi bénir des unions, pourquoi parler lors des obsèques, etc., etc. Évidemment j’en oublie, et des choses plus importantes que ces dernières !

 

La parabole n’est qu’une parabole, et il ne nous faut pas craindre la mort de notre Église pour cette nuit ! (Encore que, si ça arrivait…) Mais peut-être plus certainement réorienter notre regard et, pourquoi pas, notre manière d’être ensemble, notre manière de nous présenter au-dehors, notre manière d’utiliser nos richesses… La première de nos richesses, à nous Église protestante, n’est-elle pas la Bible ? Comment l’utilisons-nous, qu’en faisons-nous, non pas pour nous, mais « pour Dieu » ? Qu’est-ce que ça voudrait dire, utiliser la Bible pour Dieu ? La recevoir de lui, ça on sait – en principe. Mais l’utiliser pour lui ? Nous en servir pour le prier ? Nous en servir pour parler de lui ? Nous en servir pour réfléchir et faire réfléchir sur le monde, sur l’actualité, sur tout ce que nos politiciens ne savent plus traiter ? Je ne mets ici que des points d’interrogation : il n’y a pas de recettes !

 

Mais tout comme un bon protestant se demandait autrefois, et peut-être encore aujourd’hui, comment bien utiliser l’argent que Dieu lui a permis d’acquérir par son travail, plutôt que de le thésauriser, de même il nous faut nous le demander pour notre Église, et pas seulement pour son argent, bien sûr. Il nous faut nous le demander avant que le Seigneur de l’Église ne nous dise quelque chose comme ce que, dans la parabole, Dieu dit à l’homme si plein de ses propres richesses. Un bâtiment peut brûler, un poste pastoral ne pas être pourvu, un budget ne pas être atteint, une assemblée cultuelle se réduire à la portion congrue, une manifestation publique ne voir venir personne, etc. Vous le savez bien. Ne peut-on pas entendre ces événements comme des paroles qui nous alertent : « à quoi ça te servait, ces richesses que tu n’as plus » ? Tant que nous les avons, posons-nous la question, et posons-la-nous devant Dieu et pas devant notre miroir, afin que celui-ci ne nous mente pas en nous disant que nous sommes la plus belle !

 

Chers amis, ce texte, je ne l’ai pas choisi, c’est celui de la liste alsacienne pour cette fête des récoltes. Je trouve qu’il tombe bien à cette époque de l’existence de notre Église – comme sans doute il tomberait bien à d’autres moments, bien sûr. Nous sommes riches, nous dit cette fête et ce texte. Et c’est fait pour servir à Dieu, à nous de découvrir le comment. Parce que, le pourquoi, nous le connaissons : c’est que le Dieu de Jésus-Christ est notre Seigneur, que nous sommes à lui, et qu’en lui nous avons la vie. Merci, Seigneur, de nous bénir et de nous ôter toute crainte, aujourd’hui et demain ! Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  1er octobre 2023

 

 

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