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Genèse 15 / 1-6
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texte :
Après ces paroles, la parole de l’Éternel a été vers Abram dans une vision pour dire : « Ne crains pas, Abram ; moi je suis un bouclier pour toi, ta récompense sera multipliée. » Et Abram dit : « Seigneur Éternel, que me donneras-tu ? Et moi je pars sans enfant ; et le fils héritier de ma maison, c’est Damas, Éliézer. » Et Abram dit : « Voici qu’à moi tu n’as pas donné de semence, et le fils de ma maison héritera de moi. » Et voici la parole de l’Éternel vers lui pour dire : « Il n’héritera pas de toi, celui-ci ; celui qui sortira de tes entrailles, lui héritera de toi. » Et il le fit sortir dehors et dit : « Regarde donc vers le ciel et compte les étoiles, si tu peux les compter. » Et il lui dit : « Ainsi sera ta semence. » Et il eut confiance en l’Éternel, et il le lui imputa à justice.
premières lectures : Évangile selon Matthieu 6 / 25-34 ; première épître de Pierre 5 / 5b-11
chants : 47-18 et 47-13
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prédication :
Nous sommes tout au début de l’histoire d’Abraham, qui s’appelle encore Abram. Et dans ce dialogue entre lui et son Dieu, il y a beaucoup de choses à recevoir, à dire. Je vais tâcher de ne pas vous perdre ! Avec les autres textes, vous aurez bien compris que le thème de ce dimanche, pour le dire de manière courte, c’est : « Dieu donne » et que nous pouvons lui faire confiance pour ça. Si vous ne retenez que ça, c’est déjà bien… Or notre expérience nous montre que ce n’est pas toujours vrai, en tout cas à nos yeux. C’est que Dieu n’est pas un distributeur automatique, ni payant ni gratuit. Le petit extrait de la lettre de l’apôtre Pierre le dit assez, à sa façon. Alors, quoi ?
Ce qu’il nous faut bien comprendre avec le récit de la Genèse, c’est que les dons de Dieu ne sont communiqués au croyant que dans une relation personnelle avec lui. Ici, l’Éternel s’adresse à Abram, et c’est dans ce dialogue, dans cette rencontre de paroles, qu’ensuite Abram se plaint et demande, encouragé par la parole première de Dieu. Adresser ses demandes à Dieu comme si on appuyait sur le bouton du distributeur ne sert donc à rien, nous en avons tous fait l’expérience. En dehors de la relation avec Dieu, nous n’aurons rien, nous n’avons rien. Or cette relation commence par cette parole de Dieu : « ne crains pas », « n’aie pas peur ». Oh, pas seulement peur de Dieu. Mais aussi de tout ce qui constitue notre existence, en nous et autour de nous. Dieu le sait bien, nous sommes cernés par nos peurs, parfois emprisonnés et détruits par elles. Et Abram lui-même, comme on le voit dans la suite du dialogue !
À ce « n’aie pas peur » du début répond la confiance d’Abram à la fin. Mais il y faut tout le dialogue. Combien est-il donc important de parler avec Dieu plus que nous ne le faisons, et comment le faire sinon en nous mettant d’abord à l’écoute de ce qu’il a à nous dire, à travers la Bible ? Il y faut du temps aussi, comme avec n’importe qui. La relation ne se noue pas spontanément au niveau intime et véridique, vous le savez bien. On commence toujours par les apparences, le rapport de pouvoir, les convenances sociales ou familiales, ou en l’occurrence religieuses. Là encore, avec Dieu ça ne marche pas. Oh, il est patient : il prend 4 fois la parole dans notre texte, avant que ça ne débouche sur la confiance d’Abram, qui va permettre la réalisation de la promesse, cette promesse à laquelle Abram, âgé, ne croyait plus. Peur de l’avenir, peur du présent, absence de visibilité sur ce que Dieu promet ou fait. Nous en sommes souvent là. Lorsque ses adversaires disaient au psalmiste en se moquant : « Où est donc leur Dieu ? », il répondait comme pour fuir cette question qui retentissait en lui aussi : « Notre Dieu est au ciel, Il fait tout ce qu’il veut ! » (Ps. 115 / 2-3)
Or la Genèse nous montre autre chose : un Dieu qui, certes, fait ce qu’il veut, mais qui en informe Abram son ami, d’autant que ce que Dieu a décidé de faire, passe par la personne d’Abram. « Dieu est au ciel », oui, mais c’est sur terre, c’est dans nos vies, qu’il vient et qu’il parle, qu’il nous parle. Les anges dans l’Ancien Testament, ou la Bible pour nous, ne sont que les moyens dont il se sert pour que nous puissions l’entendre : il est un Dieu vivant, pas une idole, fût-elle de papier. Il nous parle et il apaise nos peurs, peur des adversaires, peur de manquer, peur de ne pas être à la hauteur… « Moi je pars dépouillé » ou « sans enfant », dit Abram. Vous me direz : c’était la promesse, promesse d’une descendance, d’une « semence », comme dit le texte. Mais à l’époque, tout comme il n’y a pas si longtemps, la richesse d’un homme, c’était le nombre de ses enfants. Que la promesse de Dieu ait consisté en cela ou pas, le cri d’Abram correspond à ce manque profond : à ses propres yeux, il n’est pas un homme accompli, il lui manque l’essentiel.
La Bible, dans d’autres textes, dira pourtant l’amour et la sollicitude de Dieu pour l’eunuque et la stérile, car l’identité d’un homme ou d’une femme n’est pas dans sa capacité de procréation. Mais c’est un autre sujet. Pour Abram, la tristesse et la peur de cet état se conjuguent avec l’impression que Dieu ne tient pas ses promesses, que Dieu l’a abandonné à son sort ordinaire. Le « que me donneras-tu ? » dit bien l’ambiguïté du positionnement d’Abram. Il n’est pas tant préoccupé de l’accomplissement du projet de Dieu que de sa propre place dans ce projet, et finalement de sa propre richesse… ce que, finalement, Dieu ne lui reproche pas du tout. Jacob aura la même incompréhension, mais pour lui ce sera plus difficile ! (Gen. 28 / 20-21 ; 32 / 25) Abram se raccroche aux branches : à défaut d’enfant mâle, il y aura bien quelqu’un qui héritera de lui, peut-être son proche parent, ou peut-être son intendant – en fait, on ne sait pas trop, on ne comprend pas trop bien qui est Éliézer et pourquoi le texte mentionne Damas… Mais les calculs humains, la vraisemblance scientifique, matérialiste, n’ont rien à voir avec le projet de Dieu, qui passe outre quand il veut. Plus tard, il passera outre aussi au calcul d’Abraham et de Sarah menant à la naissance d’un fils aîné, Ismaël, fils de la servante égyptienne.
En fait, et c’est une autre manière de dire « n’aie pas peur » : il faut qu’Abram « sorte », change, ait une nouvelle vision, une nouvelle manière de se situer par rapport à lui-même et par rapport à Dieu. Dans les Prophètes et le Nouveau Testament, on parlera de « conversion ». La relation avec Dieu nécessite non pas une connaissance, mais une conversion, le fait de détourner son regard de soi-même et de le tourner vers Dieu et vers son projet pour le monde. Le verbe « sortir » est employé deux fois ici : « celui qui sortira de tes entrailles » et « il le fit sortir dehors » Il faudra effectivement qu’Isaac sorte d’Abraham, comme c’est raconté dans l’histoire de sa ligature à Moriya (Gen. 22 / 1-19). Mais dès maintenant, Dieu s’arrange pour qu’Abraham arrête de se regarder le nombril ! L’insistance de l’expression, non seulement « sortir » mais aussi « dehors », le manifeste bien. Pour cesser d’avoir peur, il ne faut pas « rentrer », se calfeutrer en soi, mais au contraire « sortir », se laisser guider par Dieu même quand on ne comprend pas. Abram, pour ça, se montre ici docile, malgré tout…
Nous, nous n’aimons pas « sortir », ni de nous-mêmes, ni de notre Église avec son temple, son culte, ses activités – pour ceux qui y participent ! – ni de notre morale, de notre conception de la vie et du monde, voire de notre train-train, serait-il constitué de souffrances et de solitude. Rappelez-vous la parole de l’ange au tombeau, parole adressée aux femmes qui venaient embaumer le corps de Jésus : « Pour vous, n’ayez pas peur, car je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici ; en effet il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez, voyez l’endroit où il était couché, et allez promptement dire à ses disciples qu’il est ressuscité des morts. Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. » (Matth. 28 / 5-7) Une partie de cette phrase reste affichée dans le temple de Saint-Dié, à côté de la chaire. Il faut sortir de la tombe, celle de Jésus et la nôtre.
Abram se considérait comme mort puisque sans héritier issu de lui. Il lui a fallu « sortir dehors ». C’est le passage obligé. Notre texte ne dit pas seulement, pas d’abord, que Dieu donnera un fils à Abram. Il le fait changer, afin que ce fils puisse naître et se détacher de lui, comme ce sera fait à Moriya, je vous l’ai dit. De même dans notre relation avec Dieu, avant de pouvoir recevoir ce dont nous avons besoin, et bien sûr si cela cadre avec le projet de Dieu pour nous, il faut nous convertir, « sortir », changer. Dieu nous le fait faire, mais il faut que nous nous laissions faire ! Dieu s’arrange pour que nous sortions de nos peurs, comme il fit un jour sortir Pierre de sa prison – et Pierre n’y croyait pas, il croyait que c’était un rêve… (Actes 12 / 6-11) Oui, laissons Dieu nous « faire sortir dehors ». C’est le travail du Saint-Esprit, du souffle de Dieu : « Le souffle souffle où il veut, et tu entends sa voix ; mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né du souffle. » (Jean 3 / 8)
La promesse de Dieu, « dehors », en-dehors de toutes les peurs et de toutes les tombes, est à la fois merveilleuse et invraisemblable pour nos petits esprits à nous. Je ne sais pas combien d’étoiles connaissaient les scientifiques babyloniens à l’époque. Sûrement beaucoup : les humains, depuis la plus lointaine Préhistoire, étaient férus d’astronomie… Nous, aujourd’hui, nous savons que c’est encore infiniment plus que ça ! C’est là pour nous un encouragement, nous qui avons été enfantés à la vie nouvelle en Jésus-Christ, qui était la « semence d’Abraham » et grâce à qui nous le sommes, nous aussi (Gal. 3 / 16. 29). L’Apocalypse de Jean parle certes des 144 000, mais aussi « des myriades de myriades », c’est-à-dire des « centaines de millions », comme on compte aujourd’hui (Apoc. 5 / 11) Notre incapacité à compter toutes les étoiles nous révèle seulement combien grand est le peuple de Dieu, les enfants de la promesse, et combien étriqué peut être parfois notre regard lorsque nous nous limitons à ce que nous en voyons.
Mais c’est une bonne nouvelle ! C’est bien ainsi qu’Abram le comprit. « Et il eut confiance en l’Éternel ». On traduit souvent « il crut ». Mais c’est la même chose, vous le savez bien : la foi est confiance, pas connaissance ou déclaration. Et c’est seulement dans cette confiance que le don de Dieu peut nous être communiqué. C’est le « sola fide » de la Réforme protestante : « par la foi seule ! » Sans confiance en Dieu, en celui qui a donné sa vie pour nous en Jésus-Christ, la religion n’est qu’idolâtrie, la nôtre comme les autres. Et cette idolâtrie ne produit rien que rancœur et désespoir. Comme le disait le psaume que je vous citais tout à l’heure : « Leurs idoles sont de l’argent et de l’or, Œuvre de main humaine. Elles ont une bouche et ne parlent pas, Elles ont des yeux et ne voient pas, Elles ont des oreilles et n’entendent pas, Elles ont un nez et ne sentent pas. Elles ont leurs mains et ne touchent pas, Elles ont leurs pieds et ne marchent pas, Elles ne produisent aucun son dans leur gosier. Ils leur ressemblent, ceux qui les fabriquent, Tous ceux qui se confient en elles. Israël, confie-toi en l’Éternel ! » (Ps. 115 / 4-9)
Aucun espoir à mettre dans les œuvres de nos mains et de notre esprit, non plus que dans nos doctrines et nos morales. Il faut sortir de ça afin de ne plus avoir peur, et contempler l’ampleur de la promesse de Dieu pour nous et pour le monde. Alors naîtra la confiance, en laquelle « nous avons tout, pleinement, en [Christ] » (Col. 2 / 10). C’est avec l’apôtre Paul que je vous invite à conclure cette méditation, lequel écrivait ceci aux chrétiens d’Éphèse : « afin que le Christ habite dans vos cœurs par la foi et que vous soyez enracinés et fondés dans l’amour, pour être capables de comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et de connaître l’amour du Christ qui surpasse la connaissance, en sorte que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu. Or, à celui qui, par la puissance qui agit en nous, peut faire infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons, à lui la gloire dans l’Église et en Jésus-Christ, dans toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen. » (Éph. 3 / 17-21)
Raon-l’Étape – David Mitrani – 17 septembre 2023