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Ésaïe 6 / 1-8
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texte :
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé, et ses pans remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui ; six ailes, six ailes chacun : deux dont ils se couvraient la face, deux dont il se couvraient les pieds, et deux pour voler. Ils criaient l’un à l’autre et disaient : « Saint, saint, saint est l’Éternel des armées ! Toute la terre est pleine de sa gloire ! » Les soubassements des seuils frémissaient à la voix de celui qui criait, et la Maison se remplit de fumée. Alors je dis : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l’Éternel des armées. » L’un des séraphins vola vers moi, une braise à la main ; il l’avait prise sur l’autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit : « Voici : ceci a touché tes lèvres ; ta faute est enlevée, et ton péché est expié. » J’entendis la voix du Seigneur, disant : « Qui enverrai-je ? Et qui ira pour nous ? » Je répondis : « Me voici, envoie-moi. »
premières lectures : Épître aux Romains 11 / 32-36 ; Évangile selon Jean 3 / 1-8
chants : 45-15 et 43-05
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prédication :
Entretien de Jésus avec Nicodème, ou vocation d’Ésaïe : deux récits, deux époques, deux styles différents. Et surtout, pour nous, deux types d’images très différents, voire opposés. Dans le dialogue retracé par l’évangéliste, Jésus ne parle que de naissance et de souffle – j’ai traduit partout par « souffle » le mot qu’habituellement on traduit aussi par « Esprit » ou par « vent », sinon, on ne saisit pas bien l’image… Dans le récit autobiographique du prophète, au contraire, on a beaucoup de bruit, des serpents ailés – c’est ce que sont les « séraphins », dans d’autres cultures on parlerait de dragons ! – braise, impureté et péchés… Mais Ésaïe, comme Nicodème plus tard, est appelé à une nouvelle naissance, et c’est bien ceci qui nous concerne, vous et moi. Non pas comment « naître de nouveau » – question qui montrait l’incompréhension de Nicodème – mais que faire quand on est né « « de nouveau, né « d’en-haut » ? – car le mot qu’utilise Jésus, vous le savez, a les deux sens…
Une première remarque sur la vocation d’Ésaïe comme prophète, c’est que celle-ci se situe à un moment de crise. Le roi Ouziyahou vient de mourir lépreux (2 Rois 15 / 5), signe de rejet par Dieu suite à la confusion de son rôle par le roi se prenant pour un prêtre et sacrifiant sur l’autel, lui dont « le cœur s’enhardit », comme dit la Bible (2 Chr. 26 / 16-22). Il ne semble pas qu’il y ait eu crise politique après sa mort, son fils gouvernait déjà à sa place, mais aux yeux de Dieu le royaume va mal et cela se confirmera sous les règnes suivants. Il est encore puissant pourtant – mais ce que voient les humains n’est pas forcément ce que voit Dieu ! Les péripéties du royaume de Juda au milieu du VIIIe siècle ne vous intéressent sans doute pas…
Mais il y a déjà une leçon à tirer, qui conditionne quelque peu notre présent : se demander quel est le regard que Dieu porte sur ce présent. Par delà nos propres pensées, idéologies, choix partisans, craintes et espoirs : comment Dieu voit-il notre monde, notre pays, notre situation politique, culturelle, économique, sociale, internationale, environnementale, etc. ? C’est donc à un effort de lucidité que nous sommes appelés. Non pas pour prendre parti – le « parti de Dieu » mené par des humains est toujours un blasphème, une idolâtrie, un danger pour tout le monde ! Mais pour prendre conscience que nous avons tous des lunettes pour voir le monde et nous-mêmes, et que ces lunettes déforment ce que Dieu, lui, voit clairement. Notre premier effort consistera donc à ôter, même péniblement, nos lunettes. C’est un effort constant, quotidien, que de se demander, Bible en main bien sûr, comment Dieu réagit au vécu des gens – le nôtre personnel, celui de notre Église, celui de notre pays, etc.
Cela ne peut se faire sans prendre en compte une réalité pourtant invisible : Dieu est infiniment au-dessus de tout, y compris au-dessus de tout ce que nous pouvons dire, penser, comprendre, à son sujet. Nicodème ne regardait que son propre raisonnement humain. Nous sommes comme lui, incapables de comprendre Dieu. Car Dieu est au-delà de toute compréhension. C’est ce que manifeste dans le texte de la Bible l’absence de possibilité de prononcer son nom – ce nom que nous traduisons traditionnellement « l’Éternel ». C’est aussi ce que manifeste la qualité qui lui est reconnue, notamment dans notre passage : il est « le Seigneur » ou plutôt « Monseigneur » : celui qui est le maître de mon existence et à qui je dois tout. C’est ce qui a tant choqué Ésaïe : recevoir cette image – car même nos mots ne sont que des images – de celui qui n’est pas objet de croyance, mais Seigneur de l’univers.
Il y faut bien une image tonitruante ! Une image dans laquelle le temple lui-même, « la Maison » comme dit, est incapable de contenir plus que le bout des pans du manteau royal de Dieu ! Le temple n’est pas le trône de Dieu, la religion ne contient pas Dieu ni son mystère, elle ne fait qu’en laisser apercevoir une infime partie. Lorsque nous confesserons le « Symbole des Apôtres » tout à l’heure, il faudra nous en souvenir : ce que notre religion dit de Dieu n’est qu’un balbutiement infirme… Ce sont donc les dragons, et non pas des voix humaines, qui confessent ici le nom divin et qui le proclament saint. Plus humblement, l’apôtre Paul dira simplement « qu’il fut enlevé dans le paradis et qu’il entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer » (2 Cor. 12 / 4b). Et pourtant ces paroles, celles prononcées par les séraphins, nous les redisons en préface de notre célébration de la cène à chaque culte ! Ainsi, ce que disent ou impliquent tous nos textes, c’est bien que nous pouvons reprendre à notre compte, dans nos bouches, les paroles célestes qui rendent gloire à Dieu !
Ésaïe en a fait l’expérience, mais pas instantanée bien sûr, en tout cas dans son récit. Sa première réaction est de recul, tout comme un jour Simon Pierre dans sa barque de pêcheur, devant Jésus, après une pêche miraculeuse : « Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur. » (Luc 5 / 8) Le péché, c’est la distance entre moi et Dieu, entre moi et ce que Dieu attend de moi. Le péché, c’est mon aliénation : mon péché me condamne, sa prise de conscience devant Dieu entraîne la condamnation que je prononce moi-même. D’habitude, dans d’autres textes, la parole divine ou angélique en réponse à cette attitude, c’est de dire : « ne crains pas ! » Car la parole de condamnation, contrairement à ce qu’on croit, n’est pas une parole divine, mais satanique, c’est la parole de l’Accusateur qui retentit dans ma bouche comme à mes oreilles.
C’est cette même parole qui fait refuser leur vocation par Moïse (Ex. 4 / 10-13), par Jérémie (Jér. 1 / 6-7), même par Pierre après la résurrection de Jésus (Jean 21 / 20-22), sous des prétextes fallacieux… Mais Dieu n’écoute plus l’Accusateur, et il choisit et il envoie qui il veut ! C’est ce qui est mis en image dans le récit de la vocation d’Ésaïe. Les séraphins servent aussi à ça : l’un d’eux cette fois-ci parle et ne crie plus. L’autel qui fut profané par le roi qui y sacrifiait est redevenu pur par la présence de Dieu, et il purifie le pécheur – c’est Dieu qui déclare pur le pécheur, l’impur, ôtant ainsi tout argument au satan ou à celui qui l’écoute. C’est comme si Dieu lui-même profanait la religion qui prétend parler de lui à sa place. Si tu argues de la Loi de Dieu contre Dieu, alors Dieu changera la compréhension que tu as de sa Loi ou passera allégrement outre. Tout le Nouveau Testament est bâti là-dessus ! Ainsi le pécheur n’est plus condamné, mais justifié ; ainsi la justice n’est plus la mienne pour m’approcher de Dieu, mais celle de Dieu qui s’approche de moi. Ainsi, ce n’est plus « voir Dieu et mourir », mais « voir Dieu et vivre » ! Les séraphins eux-mêmes ont été transformés : de serpents brûlants du désert, porteurs de mort, ils deviennent ici porteurs de purification et de vie. Jésus reprendra avec Nicodème, un peu plus loin que l’extrait que j’en ai lu tout à l’heure, cette identification de lui-même avec le « serpent d’airain », représentation vivifiante des séraphins mortifères (Jean 3 / 14-15).
La Loi qui me condamnait est celle qui a condamné Jésus. Mais Dieu a justifié Jésus contre ceux qui l’ont fait mourir, tout comme il avait justifié Job contre ses vertueux amis (Job 42 / 7-8), ou Josué le prêtre contre le satan (Zach. 3 / 1-2). Ici c’est Ésaïe qui est justifié, non pas à cause de ce qu’il a fait – qu’a-t-il fait d’ailleurs ? – mais à cause de la parole de Dieu portée par le séraphin, parole de feu qui purifie. C’est là une autre image de l’Esprit saint dans d’autres textes que ceux de ce matin : non plus le souffle qui souffle sur l’eau et transforme création ou créature, mais le feu qui purifie, qui brûle l’impureté pour mettre au jour le métal pur. Les deux images disent la même chose, certes. Nous avons assisté à tout un processus : de la crise qui nécessite que Dieu intervienne, en passant par la manifestation invisible, paradoxale, de sa gloire, et par l’humble confession du péché qui me rend inapte à toute chose, aptitude nouvellement offerte, jusqu’à la vocation elle-même, qui est le but de ce récit.
Cette vocation, cet appel, se passe en deux temps : la parole de Dieu qui appelle, et la réponse du prophète Ésaïe. Encore une étrangeté par rapport à ce qu’on attendrait : Dieu n’appelle pas Ésaïe, il appelle à la cantonade ! D’autres ont-ils eux aussi entendu la voix et répondu ? Ce n’est pas le sujet, nous n’en saurons rien, ni Ésaïe d’ailleurs ! Puisque c’est lui qui raconte, l’important pour lui est d’avoir entendu l’appel, et d’y répondre – pas de savoir combien d’autres ni lesquels… C’est toujours le risque : entendant l’appel, nous avons une ultime tactique d’évitement, nous regardons alentour pour savoir s’il y en a d’autres, si c’est bien l’appel de Dieu que nous avons entendu plutôt qu’une illusion, et si, tant qu’à faire, les autres ne feraient pas mieux que nous ! Le texte de ce jour ne nous le permet pas, ni aucun texte d‘ailleurs. Quelle que soit la forme qu’il prend, si j’entends l’appel de Dieu, c’est qu’il me concerne, moi.
Parce que « le Seigneur en a besoin », comme de l’âne des Rameaux (Luc 19 / 31.34). Ou mieux ici : parce que le monde en a besoin ! Le signe de la crise n’est pas que nous voyons que tout va mal. C’est que Dieu appelle des gens à son service pour les envoyer – pas pour les appeler près de son autel ! Ici le séraphin apporte de l’autel la purification d’Ésaïe, mais la question de Dieu est « qui ira pour nous ? » De Dieu vers Ésaïe, et d’Ésaïe vers le peuple de Dieu, vers le monde. Dieu répond à une situation de crise en envoyant des gens porter sa parole, vivre ses visions. Le chapitre 2 s’intitule « la parole que contempla Ésaïe ». Quelle vision ai-je reçu, quelle vision avez-vous reçue, qui portait la parole de Dieu à dire et témoigner aujourd’hui ? Elle concerne Jésus, bien sûr, qui est la braise prise de l’autel pour purifier mes lèvres ; son Esprit, qui me fait voir la parole… Mais elle est un témoignage actuel, qui me concerne moi tel que je suis : comment, à mon humble niveau, puis-je être prophète « pour Juda et Jérusalem », c’est-à-dire pour l’Église et le monde, pour les gens de mon Église et de mon monde ?
Tout le monde n’est pas Ésaïe, tout le monde n’est pas prophète, tout le monde n’est pas pasteur, etc. Mais n’entendez-vous pas « la voix du Seigneur, disant : “Qui enverrai-je ? Et qui ira pour nous ?” » ? Que chacun réponde en fonction de qui il est, de ce qu’il vit, mais aussi de ce qu’il voit, de ce qu’il reçoit comme parole. Ne cherchez pas des prétextes pour fuir. N’ayez pas peur des séraphins qui volent vers vous. Ne craignez pas de voir le trône de Dieu : il est en forme de croix, et son Fils y siège à jamais. « Le souffle souffle où il veut, et tu entends sa voix… » Amen.
Senones – David Mitrani – 4 juin 2023