Première épître aux Corinthiens 13 / 1-13

texte :

Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis du bronze qui résonne ou une cymbale qui retentit. Et quand j’aurais la prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, et quand j’aurais toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture, et quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert de rien.

 

L’amour est patient, l’amour est serviable, il n’est pas envieux ; l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne médite pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout.

 

L’amour ne succombe jamais. Que ce soient les prophéties, elles seront abolies ; les langues, elles cesseront ; la connaissance, elle sera abolie. Car c’est partiellement que nous connaissons ; c’est partiellement que nous prophétisons ; mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera aboli. Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu homme, j’ai aboli ce qui était de l’enfant. Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors, nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais partiellement, mais alors, je connaîtrai comme j’ai été connu. Maintenant donc ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour ; mais la plus grande, c’est l’amour.

 

 

premières lectures :  Amos 5 / 21-24 ; Évangile selon Marc 8 / 31-38

chants :  46-02 et 41-28

 

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prédication :

 

L’amour ! C’est quoi, l’amour ? C’est un peu la question que nous renvoient nos textes de ce matin. Prendre le texte de Paul pour les bénédictions de mariage, comme les Juifs prenaient autrefois la Cantique des cantiques avant que les rabbins n’en interdisent l’usage aux noces trop arrosées, ne répond en rien à cette question. Jésus, comme l’aurait fait n’importe quel rabbin, a résumé la Loi de Moïse par ces deux commandements de même importance : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Marc 12 / 30-31). Mais citer ces deux versets ne répond pas non plus à la question du sens de ce verbe. Aimer, qu’est-ce que ça veut dire ?

 

La religion est une réponse possible au premier commandement. Aimer Dieu, c’est accomplir comme il faut les rites que Dieu a commandés, afin d’être dans une bonne et juste relation avec lui. Bien sûr, le protestantisme a plutôt éliminé cette réponse ; le protestantisme réformé a même éliminé toute sorte de rite, avant de s’apercevoir que l’absence obligée de rite était elle aussi un rite, et que les rites répondaient non pas seulement au commandement, mais aussi à une nécessité psychologique et sociale, à condition de n’en point abuser. Mais les prophètes, et notamment le passage d’Amos que nous avons entendu, ont prêché non pas contre les rites, mais contre une ritualité qui tenait lieu de religion, qui tenait lieu de relation avec Dieu et n’était qu’une manière d’utiliser Dieu et de ne pas se soucier des humains. Aimer Dieu n’est donc pas avoir une religion consistant à célébrer les rites prescrits. Celui qui vient au culte, participe à la cène, prie, lit la Bible, verse une offrande, par devoir religieux, celui-là n’a pas compris l’Évangile, n’a pas compris ce qu’est l’amour, et risque fort de vivre la même incompréhension dans son couple, sa famille, son travail, la société, etc. Dommage…

 

Le début du chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens reprend la même critique en spécifiant trois items. Le premier, c’est la piété. « Quand je parlerais les langues des humains et des anges… » Car il est possible de se réfugier dans la prière, dans la piété, dans la relation personnelle et exclusive avec un Dieu, un Seigneur, qu’on s’approprie. Dire alors « mon Seigneur » ne désigne plus sa seigneurie, « mon Sauveur » ne désigne plus son salut, mais seulement ma propriété : il est à moi ! Dieu est l’objet de ma piété, comme dans d’autres religions ce serait une statue, un livre saint, ou d’autres choses encore, voire des personnes ! On peut pratiquer ainsi sans amour, nous dit Paul. Aimer Dieu n’est donc pas se l’approprier, et l’on peut bien déjà en conclure qu’aimer en général n’est pas s’approprier les objets de notre amour. Et d’ailleurs, dire que l’amour a un objet, ce n’est déjà plus aimer…

 

Deuxième exemple, deuxième type de contresens : la foi, la gnose, l’engagement de tout mon être dans ma relation avec Dieu et dans ma relation chrétienne avec le monde. Chercher à découvrir Dieu, à le connaître, à m’approcher de lui, à être enrichi spirituellement par lui. Vous allez me dire que, certes, ce n’est pas aimer, mais que ça vaut le coup. Eh bien non, nous dit Paul : « sans amour, je ne suis rien ». La plus haute spiritualité peut très bien n’être qu’une auto-promotion, la recherche de Dieu une recherche déguisée de soi-même, et le Dieu ainsi recherché une simple idole simplement affublée des attributs supposés du Dieu biblique, fabriquée consciemment ou inconsciemment par moi à mon profit, pour satisfaire ma psychologie.

 

Troisième exemple, celui sans doute qui nous concerne le plus, nous protestants français d’aujourd’hui : l’engagement social, la « présence au monde », comme on disait dans les années 60 du XXe siècle, mais dans l’Antiquité on parlait de « martyre ». Aimer, c’est s’engager publiquement, parole et actes, pour le Seigneur et pour les pauvres. Mais là encore Paul fait remarquer qu’on peut vivre ainsi, et parfois jusqu’à en mourir… sans amour ! L’amour ne consiste donc pas en engagement pour des causes justes, y compris religieuses. Mais alors, si aimer, ce n’est pas aller vers Dieu ni aller vers les autres, qu’est-ce que c’est ? Bon : Paul ne dit pas que ce n’est pas ça, que l’amour ne peut pas passer par là ; il dit qu’on peut le faire sans amour, et qu’alors, ça ne vaut rien, ni pour moi ni pour Dieu ni pour les autres. Ce que nous prenons en pleine figure !

 

Alors, évidemment, Paul va devoir essayer de définir l’amour, par toute cette série de verbes et d’adjectifs, dans lesquels nous nous retrouvons et dans lesquels nous ne nous retrouvons pas vraiment, à moins de s’illusionner comme certains jeunes mariés qui choisissent ce texte en croyant qu’il parle d’eux. Je dois maintenant vous confesser, chers frères et sœurs, en reprenant la liste de Paul, que je ne suis pas patient, pas toujours serviable, et qu’il m’arrive d’être envieux – ou en tout cas facile victime de la publicité et de ce que je vois dans les vitrines ! Si je me vante rarement moi-même, je suis tel un chat qu’on flatte et caresse : je n’y résiste pas… Je ne vais pas continuer la liste des expressions pauliniennes de ce passage, vous avez compris l’essentiel quant à moi : je ne ressemble presque en rien à ce qui est dit de l’amour… J’imagine bien sûr que certains sont meilleurs que moi, et mieux aimants, plus fidèles images de ce que montre l’apôtre Paul.

 

Mais Paul semble parler de l’amour comme de quelqu’un, et donc quelqu’un d’autre que lui et que vous et moi, et même que les meilleurs d’entre vous dans leurs meilleurs moments. L’amour est extérieur à moi et il a sa vie propre – en moi évidemment, pas dans le vide. Dans sa première épître, Jean nous dit que « Dieu est amour » (1 Jean 4 / 8 et 16). Dans son évangile, il nous dit que « Jésus, qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jean 13 / 1) Ce qui introduit immédiatement le fait de laver les pieds de ses disciples, et plus largement sa Passion et sa mort. Retomberions-nous à propos de Jésus dans ce que Paul condamnait tout à l’heure ? La différence, évidemment, c’est que Jésus, digne Fils du Père, agit par amour et non par intérêt conscient ou inconscient. Dans le récit évangélique de ce matin, il l’évoquait ainsi : « si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même… » Il définissait ainsi l’amour, que ce soit le sien, ou celui de qui prétendrait le suivre. De même, Paul écrit que l’amour « ne cherche pas son intérêt ». Et c’est bien pour ça, dans cette disposition-là de cœur et d’esprit, que l’amour « pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. » C’est bien le contraire de nous autres…

 

Comment s’en sortir ? Comme d’habitude avec l’Évangile : en détournant le regard de nous-mêmes et en le tournant vers le Christ. « Si quelqu’un veut venir après moi », disait-il. Pas « grimper jusqu’à moi », pas « me mériter », pas « s’enorgueillir de sa foi et de son engagement chrétiens », mais « venir après moi ». Pour faire comme lui, après lui, il faut le regarder et le laisser agir ; le laisser, lui, me transformer, plutôt que de chercher en vain à me transformer moi-même pour pouvoir le suivre. La série de verbes et d’adjectifs de Paul à propos de l’amour ne me décrit pas, moi, mais il peut décrire l’action de Christ, de son Esprit, en moi. Et conclure en disant que « l’amour ne succombe jamais », c’est dire aussi qu’il ne se lasse pas – l’apôtre Pierre dira que « Dieu use de patience envers [nous] » (2 Pierre 3 / 9), et c’est justement le premier qualificatif de la liste ! L’amour de Dieu « supporte » – c’est le dernier de la liste, celui-ci – « supporte » nos lenteurs, nos faiblesses, nos échecs : il nous attend !

 

L’exhortation est donc de laisser l’amour de Dieu, en Jésus, nous travailler, nous. L’amour qui nous est demandé – recommandé, dites-le comme vous voulez – n’est donc pas un amour à mettre en œuvre, mais un amour à recevoir. Non pas « j’aime », mais « je suis aimé ». Tout l’Évangile est là, et c’est la précieuse particularité du protestantisme de l’avoir souligné à nouveau dans une Église qui l’avait oublié… mais c’est sa triste réalité historique que de l’avoir oublié à son tour ! « Nous aimons [Dieu] parce que lui nous a aimés le premier », répétons-nous à l’envi à la suite de Jean (1 Jean 4 / 19). Il ne faut pas intervertir les termes de cette affirmation fondamentale de la foi chrétienne. L’important, c’est que nous sommes aimés. Ce que nous en faisons, c’est d’aimer à notre tour, de l’amour dont nous avons été aimés, quand nous laissons l’Esprit agir en nous. Celui qui n’est pas convaincu d’être aimé gratuitement par Dieu ne peut pas aimer. Il peut pratiquer sa religion, il peut y consacrer tout son temps, il peut s’engager jusqu’au bout pour les autres, ceci ne sera jamais de l’amour si Dieu ne s’en mêle pas.

 

Or tout ce que nous faisons au nom de l’amour, mais sans amour, est voué à disparaître. Toute notre religion est vouée à disparaître. Parce que c’est mal ? Non. Parce que ce n’est pas de l’amour, et que seul l’amour est pérenne. Sommes-nous alors nous-mêmes voués à disparaître, nous dont l’amour, quand il existe, est bien imparfait ? Non. Parce que nous sommes aimés. Parce que Dieu est pour nous un Père plein d’amour. Parce que Christ nous a aimés jusqu’au don des sa propre vie. Ce n’est pas notre amour qui nous survivra, c’est l’amour de Dieu pour nous qui nous fera renaître pour la vie éternelle. Nous avons de la peine à le voir et à l’accepter, parce que, comme dit Paul, nous regardons dans un miroir qui ne nous montre rien ou pas grand-chose. Pourtant l’Évangile est là, non pas pour que nous comprenions tout – que nous en fassions quelque chose ou pas – mais pour que nous nous nourrissions de cet amour librement et gratuitement offert, et que nous le laissions le plus possible agir dans et par nos membres, dans et par nos mains levées et tendues plutôt que d’avoir nos poings serrés ou dressés.

 

Car l’amour n’est pas un sentiment. Il agit. Il aime, évidemment. Et aimant, il sert, il sert Dieu et les autres. Mais qu’en moi ce soit lui qui serve, et non pas moi, afin que je n’en tire nulle gloire, et qu’ainsi j’aime et serve vraiment, du même amour que Christ, puisqu’alors c’est lui qui aime en moi, c’est lui qui en moi se tourne vers le Père, c’est lui qui en moi regarde l’autre comme un frère ou une sœur. Comme Paul ailleurs l’écrivait : « dans l’humilité, estimez les autres supérieurs à vous-mêmes. » Voilà l’amour. Le Christ a considéré qu’il valait la peine qu’il meure pour moi, et de cela je n’aurai vraiment conscience et connaissance qu’en le contemplant face à face, lui « mon rédempteur » (cf. Job 19 / 25-27). Maintenant, je ne puis que faire confiance à l’Évangile et espérer ce moment ultime au plus profond de mon existence… et laisser son amour me plonger dans cette « humilité » nécessaire au service aimant de Dieu et des autres. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  19 février 2023

 

 

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