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Évangile selon Matthieu 9 / 9-13
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texte :
En passant plus loin, Jésus vit un humain assis au péage, appelé Matthieu. Il lui dit : « Suis-moi. » Se levant, il le suivit. Jésus étant attablé dans la maison, voici que beaucoup de péagers et de pécheurs vinrent s’attabler avec lui et avec ses disciples. Ce que voyant, les Pharisiens disaient à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les péagers et les pécheurs ? » Ayant entendu, il dit : « Ce ne sont pas les forts qui ont besoin de médecin, mais ceux qui ont mal. Allez apprendre ce que c’est : Je veux la miséricorde et non le sacrifice ; car je ne viens pas appeler des justes, mais des pécheurs.
premières lectures : Jérémie 9 / 22-23 ; Épître aux Philippiens 2 / 12-16a
chants : 33-20 et 41-01
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prédication :
« Le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés. » Ainsi s’exprimait Jésus quelques versets plus haut (v. 6) au moment de renvoyer avec son grabat sous le bras un paralysé qu’on lui avait amené… Jésus « passe [donc] plus loin » et va délivrer un autre paralysé, Matthieu. Certes celui-ci n’est pas paralysé physiquement, encore qu’il soit assis au péage, à taxer les gens ou les marchandises qui passent. Si vous imaginez un salarié ou un fonctionnaire dans un tel poste, vous le voyez forcément assez « paralysé », empêché de bouger comme il le voudrait. Mais si vous le prenez pour ce qu’il était – un fermier des taxes romaines, collaborateur professionnel de l’occupant, sans doute voleur puisque les Romains ne se préoccupaient pas de ce qu’il demandait aux gens, pourvu qu’il leur donnât à eux ce qu’ils lui demandaient – alors sa véritable paralysie vous apparaîtra mieux, et vous comprendrez pourquoi, par la suite, la même expression réunit « les péagers et les pécheurs » !
Comme avec le paralysé du paragraphe précédent, la parole de Jésus opère des miracles. Il avait dit : « Lève-toi » et celui qui ne pouvait pas se lever… s’était levé. Il dit maintenant : « Suis-moi » et celui qui ne pouvait pas quitter son poste « le suivit ». L’un comme l’autre ont abandonné ce qui les retenait : l’un son grabat, l’autre son péage. L’un comme l’autre ne l’ont pas choisi, ils ont obtempéré à la parole puissante et efficace de Jésus. On pourrait bien sûr discuter, comme les théologiens protestants des XVIIe et XVIIIe siècles, pour savoir si la grâce de Dieu est irrésistible, comme l’affirmaient luthériens et calvinistes, ou bien si elle ne l’est pas et que la conversion fait l’objet d’un choix personnel, comme l’affirmaient les méthodistes et leurs successeurs évangéliques. Mais là n’est pas le débat que nous montre l’extrait de ce matin, et qui suit – c’est le cas de le dire – le départ de Jésus et de Matthieu.
Car nous retrouvons les deux hommes à table, où la question n’est pas non plus celle du menu ou du déroulement du repas : ils sont simplement installés là, sans doute allongés à la romaine, et partagent ce repas, et peut-être un enseignement de Jésus, mais on ne nous le dit pas… On nous dit qu’ils sont « dans la maison » : est-ce celle de Matthieu ou celle de Jésus ? Encore un détail a priori sans importance, sinon qu’ils y sont ensemble, et en plus pas seuls ! On trouve là trois sortes de gens : « beaucoup de péagers et de pécheurs » tout d’abord, et puis « les Pharisiens », et enfin les disciples de Jésus, mais ceux-ci n’interviennent pas, ce ne sont même pas eux qui répondent à la question que leur posent les Pharisiens. La présence de « beaucoup de péagers et de pécheurs » interpelle : comment cela se fait-il, comment cela se peut-il ? Si c’est la maison de Matthieu, cela peut se concevoir, à la rigueur. Mais je vous propose plutôt de comprendre que l’évangéliste veut nous signifier, à nous lecteurs, que ce qui est en jeu ne concerne pas seulement M. Matthieu, mais toute cette sorte de gens que les Pharisiens réunissent dans une même catégorie : ceux qui ne font pas la volonté de Dieu, qui n’observent pas les commandements.
Le scandale n’est pas seulement qu’ils soient là, mais qu’ils soient attablés avec Jésus, que celui-ci « mange avec » eux. Ce n’est sans doute pas un scandale pour eux, peut-être par contre une joie, un émerveillement… C’est un scandale pour nos Pharisiens bien-pensants : un rabbin, un « maître », ne peut pas se souiller en fréquentant des gens impurs à cause de leurs mauvais choix, de leur mauvaise vie, et plus encore : mangeant avec eux, plongeant la main dans le même plat, il ne peut qu’être contaminé par leur impureté, et lui-même désormais souillé par leur désobéissance à Dieu. Mais alors, que faisaient là les Pharisiens ?! Participant de la souillure générale, ils « jouent les vierges effarouchées » ? Ou alors, là encore, c’est la manière de l’évangéliste de nous dire que de telles personnes ne peuvent que poser cette question-là devant cette situation, ne peuvent que souligner l’incongruité, la contradiction profonde qu’il y a à leurs yeux de prêcher le Seigneur, le Saint, en fréquentant « ces gens-là » ! Rappelez-vous l’incompréhension de Jean, le Baptiste, à l’égard de ce qu’il entendait raconter sur Jésus… (Matth. 11 / 2-3)
Qu’auraient répondu les disciples, si Jésus leur en avait laissé le temps ? « Notre maître fait ce qu’il veut » ? Ou bien : « Nous non plus, on ne comprend pas » ? Ou encore : « Les voies du Seigneur sont insondables » (Rom. 11 / 33) ? Qu’auriez-vous, qu’aurions-nous répondu, nous, disciples de ce « maître », si on nous avait posé la question ? Aurions-nous d’ailleurs été là ? Et si oui, avec « les péagers et les pécheurs », ou bien avec les Pharisiens ? Heureusement, Jésus répond à notre place : « Ce ne sont pas les forts qui ont besoin de médecin, mais ceux qui ont mal. » Ce qui est une évidence. Ce qui l’est moins, c’est ce vers quoi Jésus nous renvoie, nous, auditeurs, mais qui pensons ou prétendons avoir besoin de lui : sommes-nous des « forts » (d’habitude on interprète en disant « bien-portants ») ou bien « avons-nous mal » (sommes-nous des « malades ») ? De toute évidence les « Pharisiens » se considèrent comme des forts, leur nom veut dire « séparés », des gens, si vous voulez, qui sont au-dessus du commun des mortels ; celui de l’histoire que Jésus racontait ne priait-il pas en disant : « Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des humains, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager. » ? (Luc 18 / 11)
Mais l’erreur des Pharisiens se situe aussi à un autre niveau, que Jésus va souligner. C’est que pour eux, Jésus est un « maître », comme ils disent, un enseignant, un rabbin – et d’ailleurs il a des disciples, des élèves ! En tant que tel, il enseigne la même chose que tous les rabbins : la Loi de Dieu qui consiste dans le double commandement d’amour et dans toutes ses conséquences pour la vie personnelle et la vie en société. Or Jésus leur répond en leur disant qu’il n’est pas un enseignant, mais un médecin. En français, on jouerait sur le sens du mot « docteur » : il n’est pas là pour enseigner grâce à un doctorat, mais il est là pour soigner ! Ainsi le miroir qu’il tendait aux Pharisiens pour leur faire se poser la question de ce qu’ils sont vraiment, des « forts » ou des gens qui « ont mal », est aussi un miroir qui le montre, lui, comme médecin des gens qui ont mal et non pas comme un enseignant pour des forts.
Et comme dans d’autres textes, il s’appuie sur l’autorité de l’Écriture, en l’occurrence le prophète Osée (6 / 6), opposant la volonté de Dieu à la religion des humains, l’obéissance à Dieu aux sacrifices par lesquels on pense se justifier ou l’acheter. Car la Loi prévoit des sacrifices divers et variés pour racheter ses péchés, ses manquements par rapport à elle, ses impuretés, etc. Or pour les prophètes, l’obéissance à Dieu ne consiste pas à pratiquer ces commandements-ci, mais l’amour et la justice. Mais on pourrait aussi comprendre que Dieu promeut sa miséricorde à lui contre les sacrifices des croyants, la gratuité de sa relation avec nous contre le caractère mercantile de notre religiosité. Comme disait « le jeune homme riche » : « Bon Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » (Marc 10 / 17) Si on la reçoit gratuitement, la question devient sans objet. Si on est soigné et guéri gratuitement, la question de ce qu’il faut faire pour se soigner devient sans objet. La seule question, c’est le médecin. Est-ce la Loi, ou bien est-ce Jésus ? Au jeune homme riche aussi, Jésus avait dit : « suis-moi » (ibid. v. 21), mais se voulant un fort, un riche, il ne l’avait pas fait, il n’avait pas voulu reconnaître qu’il avait besoin de médecin.
Le dernier scandale de la réponse de Jésus est là : lui le médecin n’est pas venu pour les forts. Évident là aussi, non ? Sauf que ceux qui se pensent forts aimeraient bien être reconnus comme tels, comme « justes », par Dieu, eux dont toute la vie est une autojustification, un effort permanent pour gagner ce regard de Dieu leur garantissant le paradis. On voit ce que ça peut donner dans d’autres religions ! Mais aussi chez nous, si l’on n’y prend pas garde. Je me rappelle un vieux paroissien, de théologie plutôt moralisante et piétiste, quoique pas du tout évangélique, lorsque je présidais des cultes en maison de retraite dans ma première paroisse. Au moment de la cène, lorsque je m’approchais de lui, il me faisait signe que non, en me disant qu’il n’était pas digne. Mauvaise interprétation d’un verset de Paul, certes. Mais aussi refus que Jésus soit le médecin : que j’arrive d’abord à me soigner, et ensuite je viendrai vers lui ! Pour moi c’est le contraire de l’Évangile, comme c’est aussi le contraire de la cène : se reconnaître pécheur est une chose, reconnaître le médecin quand Jésus s’approche de nous, c’en est une autre. Ce n’est pas ma repentance qui me sauve, c’est Jésus : c’est toute la différence entre le « baptême de Jean » et le baptême chrétien, ou entre un jeûne et prendre la cène !
Jésus médecin est à sa place, nous dit-il, au milieu d’une foule de gens qui n’arrivent pas à bien vivre, pour qui les commandements sont un rappel de leurs erreurs, de leurs manquements, de leurs maladies. Après tout, nous qui avons été soignés par Jésus, qui sommes sur la voie de la guérison, nous sommes bien le troisième groupe de cette histoire : pas les Pharisiens– ouf ! – mais pas non plus « les péagers et les pécheurs », bien que ce soit là ce que nous fûmes. Nous sommes simplement les disciples de Jésus, les gens qui savent pouvoir le désigner à d’autres comme le médecin dont nous avons eu besoin – et souvent encore un peu… – et dont eux ont besoin, à n’en pas douter. Nous mangeons avec Jésus pendant le culte – oui, je vous l’ai dit, nous avons encore besoin de ce médecin pour nous-mêmes ! Mais le reste du temps nous avons à parler de lui, de ses soins, de la guérison qu’il offre gratuitement. Ses VRP en quelque sorte – en langage religieux on dira plutôt : ses prophètes, ou ses apôtres…
Au fait, vous avez bien entendu qu’en disant que Jésus soigne et guérit, j’entends dire qu’il sauve. Ce n’est pas de miracle physique que parle ce texte, mais du miracle du salut : Jésus « a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés ». Et ce pardon ne peut parvenir aux humains que par notre témoignage, que par nos paroles et nos gestes, qu’en ne traitant pas les autres pécheurs en pestiférés, mais en possibles frères ou sœurs, en les amenant à suivre Jésus plutôt qu’à pourrir dans leur mal-être et leurs péchés. C’est le témoignage des premiers disciples de Jésus selon Jean, qui vont dire : « Viens et vois » (Jean 1 / 47) ou de Jean Baptiste qui dit : « Et moi, j’ai vu et j’ai rendu témoignage » (ibid. v. 34). Et si jamais il reste en nous des traces de spiritualité païenne, s’il nous arrive de penser que nous faisons ce qu’il faut pour mériter Dieu, retournons donc dans cette maison entendre Jésus nous remettre à notre place, puis partager le repas avec lui dans la convivialité des pécheurs de toutes sortes, avant de redevenir ses disciples. Puisqu’être ses disciples et ses témoins, c’est notre mission au milieu des hommes et des femmes qui nous entourent. Amen.
Senones – David Mitrani – 5 février 2023