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Cantique des cantiques 2 / 8-13
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texte :
C’est la voix de mon bien-aimé !
Le voici, il vient,
Sautant sur les montagnes,
Bondissant sur les collines.
Mon bien-aimé est semblable à la gazelle,
Au faon des biches.
Le voici, il se tient derrière notre mur,
Il observe par la fenêtre,
(Son œil) brille au treillis.
Il prend la parole, mon bien-aimé.
Il me dit : « Lève-toi, ma compagne, ma belle, et va !
Car l’hiver est passé ;
La pluie a cessé, elle s’en est allée.
Dans le pays, les fleurs paraissent,
Le temps de psalmodier est arrivé,
Et la voix de la tourterelle se fait entendre dans notre pays.
Le figuier forme ses premiers fruits,
Et les vignes en fleur exhalent leur parfum.
Lève-toi, ma compagne, ma belle, et va ! »
premières lectures : Épître de Jacques 5 / 7-11 ; Évangile selon Luc 21 / 25-33
chants : 31-10 et 31-29
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prédication :
« Soyez patients », dit Jacques. « Ça arrive », dit Jésus selon Luc. « C’est là », chantait le Cantique de Salomon. Et c’est ce texte de l’Ancien Testament qui va nous retenir ce matin – nous retenir ou nous envoyer ! Le « chant des chants » est, comme il se doit, un chant d’amour. Il est donc éternel… Les deux amants se retrouvent et se perdent, se perdent et se retrouvent. Et les rabbins juifs comme les théologiens chrétiens ont vu dans ce chant d’amour la figure de l’amour entre Dieu et son peuple, l’amour du Christ et de l’Église. La piété réformée a un peu perdu l’habitude de lire ainsi les Écritures, et elle a aussi perdu l’idée que nous, comme peuple choisi, nous sommes mariés au Christ, nous sommes son Épouse telle qu’elle apparaît à la toute fin de l’Apocalypse (ch. 21 – 22), et aussi dans des textes bien connus de l’apôtre Paul réputés parler du mariage (Éph. 5 / 23-32). Mais je suis sûr que vous préférez le chant à la vision ou à l’exhortation ! Restons donc avec Salomon…
Le personnage féminin est celui qui parle en premier dans l’extrait que je vous ai lu. Elle entend son « bien-aimé [qui] vient ». Évidemment tout entière à son attente, elle l’entend venir. Mais point de paroles pour l’instant : dans ce passage, elle n’appelle pas, elle écoute. Elle est bel et bien dans la même situation que nous : elle ne voit pas, elle n’entend pas, elle saisit le bruit de la venue de son aimé, à moins que ce ne soit que le bruit de son désir à elle de cette venue… Ça me rappelle le psaume 19 : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, Et l’étendue céleste annonce l’œuvre de ses mains. Le jour en donne instruction au jour, La nuit en donne connaissance à la nuit. Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles, Leur voix n’est pas entendue. » (v. 2-4). C’est en tout cas ainsi que l’on traduit aujourd’hui ce texte. Un bruit, une rumeur. Pas de parole. Des voix muettes…
N’en est-il pas ainsi dans notre vie de tous les jours ? Nous n’entendons pas le Seigneur, nous le voyons encore moins. La Bible elle-même, quand nous l’ouvrons, nous livre ce qui « n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles… » Trop de choses font du bruit en nous ou autour de nous : trop de soucis de santé, d’argent ou d’autre chose, trop de malheurs, trop de péchés aussi, trop de désirs peut-être. Et puis, le Seigneur se tient peut-être bien en silence à distance, la distance nécessaire à notre liberté, la distance nécessaire pour que nous grandissions. Alors nous l’attendons et nous ne l’attendons pas, notre attente s’épuise, nous ne sommes pas patients, en tout cas pas aussi patients que lui envers nous ! Pourquoi ne l’entendons-nous pas au moins venir de loin ? Serait-ce que sa venue n’est pas ce qui est le plus important pour nous ? Serait-ce que notre amour n’est pas aussi fort que le sien, et que nous avons d’autres priorités que lui ?
Car oui, c’est bien d’amour qu’il s’agit, pas de connaissance. Aimons-nous assez le Christ pour que tous nos sens soient tendus vers sa venue, vers sa personne ? Lorsque nous lisons la Bible, lorsque vous écoutez la prédication, lorsque nous prenons ensemble le pain et le vin de la cène, est-ce que nous nous attendons à lui, à lui notre Seigneur, à lui notre « bien-aimé » ? Sinon, il est vrai que la Bible ne nous livrera rien d’intéressant, que la prédication ne sera qu’un exercice intellectuel – satisfaisant ou pas – et que la cène ne sera qu’un triste mémorial parfaitement inactuel. Et notre prière partira vers des nuages dans lesquels personne ne se tient. Alors, puisque la Shulamite (Cant. 7 / 1), c’est nous, soyons elle ! Soyons comme elle attentifs au moindre signe, réjouissons-nous comme elle de ce qu’elle attend, de ce que nous attendons et qui vient. Évidemment l’image utilisée par le Cantique fait sourire : si vous essayez d’imaginer le Seigneur s’approchant de vous tel une gazelle, sautant dans tous les sens – et c’est bien cette image-là que chante Salomon – vous risquez de ne pas prendre tout ceci au sérieux.
Mais l’image dit bien une chose : même dans son approche, dans sa venue à nos vies et au monde, le Seigneur est insaisissable, on ne peut pas mettre la main ni même le regard sur lui, on ne peut pas prédire son chemin ni le moment de son arrivée. Nous, nous avons des idées sur où, quand, comment, pourquoi il devrait s’approcher de nous. Mais lui ne fait jamais ce qui correspondrait à nos idées, à nos attentes ! Il est comme un quantum d’énergie qui passe par tous les chemins possibles et qui saute de l’un à l’autre sans qu’on sache sur quel chemin le trouver ! Mais c’est lui qui s’approche de nous, pas l’inverse. Dans notre orgueil, nous nous demandions comment nous approcher de lui : cette quête est vaine ! Oui, c’est lui qui s’approche, lui le « bien-aimé » qui, de bond en bond, nous rejoint quel que soit l’endroit où nous sommes, quel que soit l’endroit où nous nous cachons : lui, il sait où nous trouver : « Si je monte aux cieux, tu y es ; Si je me couche au séjour des morts, t’y voilà. Si je prends les ailes de l’aurore, Et que j’aille demeurer au-delà de la mer, Là aussi ta main me conduit, Et ta droite me saisit. Si je dis : “Au moins les ténèbres me submergeront”, La nuit devient lumière autour de moi ; Même les ténèbres ne sont pas ténébreuses pour toi, La nuit s’illumine comme le jour, Et les ténèbres comme la lumière. » selon ce que chantait David (Psaume 139 / 8-12).
Mais ça y est, le voici, il est là… mais pas complètement là : « derrière le mur », de l’autre côté de « la fenêtre » … C’est de là, de dehors, qu’ « il prend la parole », comme le chante Salomon. Car désormais ce n’est plus un bruit, une rumeur, une incertitude, une attente, mais il est là et il parle. Et c’est à sa voix qu’on le reconnaît, qu’on reconnaît sa présence. Encore qu’on puisse se tromper, même là. Depuis l’aube du christianisme, à de nombreuses occasions, des chrétiens se sont trompés, de manière tragique, avec des conséquences désastreuses, ont cru reconnaître sa voix alors que ce qu’ils entendaient ou reconnaissaient ne venait pas de lui. Mal conseillés par d’autres ou par leurs propres voix intérieures. « On vous dira : “il est ici”, “il est là”. N’y allez pas et n’y courez pas… », prévenait Jésus (Luc 17 / 23) Les idoles sont nombreuses à vouloir être prises pour Dieu, et notre cœur est volontiers idolâtre à préférer d’autres images de Dieu plutôt que la seule vraie : « Jésus-Christ crucifié » (1 Cor. 2 / 2) !
Il faut donc s’y prendre à deux fois – au moins, après avoir laissé se dissiper nos propres attentes fallacieuses d’un Dieu tout-puissant ou d’un Dieu qui fait nos quatre volontés. Déjà il faut entendre une parole. Et il faut que cette parole dise ce que dit « le bien-aimé » à son aimée ! La Bible ne parle pas : c’est un texte ! La cène ne parle pas : c’est un bout de pain et une gorgée de vin. La prédication elle-même ne parle que du prédicateur ! Mais si « le bien-aimé » est là, alors il parle par la Bible, il parle par la cène ; et dans la prédication c’est lui qui parle quel que soit le prédicateur. Et si c’est « le bien-aimé » que nous attendions et non quelque instruction ou sentiment, alors nous le reconnaissons, et la Bible, la cène, la prédication s’effacent devant celui qui s’en est servi comme d’un mur ou d’une fenêtre pour se cacher et se révéler tout en même temps, tel l’amoureux près de l’aimée.
Et que dit-il ? Il annonce le printemps après l’hiver. Entendez bien : il n’annonce pas un fait de nature, ni une réalité statistique de la psychologie des individus ou du fonctionnement des sociétés, quand ça va mal et qu’on se dit que ça ne pourra qu’aller mieux demain… Parole sans intérêt, sans vérité, sans fondement. Non. Il annonce un printemps neuf qui prend la relève d’un hiver perpétuel. Or c’est sa parole à lui qui opère ce changement, ce ne sont pas nos œuvres. Que dit-il donc ? « Lève-toi, ma compagne, ma belle, et va ! » Il n’entre pas dans ma cachette, dans le royaume de ma solitude et de mon péché, mais il m’invite à en sortir, sa parole m’appelle vers dehors ! Il m’invite à profiter du printemps nouveau, de sa présence et de ma liberté. Il ne m’enferme pas dans une nouvelle maison qui serait la sienne. « Moi, je suis la porte, dira-t-il ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera des pâturages. » (Jean 10 / 9) Souvent on traduit « viens », mais non, c’est bien « va », et même « va pour toi », avec insistance. C’est en quelque sorte l’ordre d’être libre !
Ce qui ne se peut que parce que sa parole le fait, sa parole me libère. C’est à cela qu’on le reconnaît. Tous les autres dieux disent : « viens, prosterne-toi ! » Rappelez-vous le tentateur au désert : « Je te donnerai tout cela, si tu te prosternes et m’adores. » (Matth. 4 / 9) Le Christ, lui, dit « viens et suis-moi ! » (Matth. 19 / 21) Non pas « viens chez moi », mais « viens marcher avec moi, à ma suite, je t’ouvre la route… » Ainsi est l’amour, qui ne veut pas posséder, mais qui a comme seul souci le bien de l’autre, le bien-être de l’autre, la liberté de l’autre. Telle est la voix du « bien-aimé », celle qui fait le printemps dans ma vie lorsque je l’entends et que je vais vers dehors, hors de ma prison, hors du chemin qui mène lentement ou violemment à la mort. Le « bien-aimé » m’appelle à la vie, et cet appel retentit à travers les pages de la Bible, les utilise et se libère d’elles, car « la Lettre tue, c’est l’Esprit qui fait vivre » (2 Cor. 3 / 6).
Moi, je croyais que j’attendais le Seigneur, que je me devais de l’attendre. Mais non. C’est lui qui m’attendait, c’est lui qui m’attend, et non pas pour lui mais pour moi. L’Avent ? C’est l’approche de Dieu en Jésus, oui. Mais s’il s’approche de moi, ce n’est pas pour que je l’enferme avec moi, ni pour qu’il m’enferme avec lui ; c’est pour que je le rejoigne dehors. Car « les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » (Matth. 8 / 20) Le maître du printemps m’appelle simplement à profiter du printemps, à vivre le printemps, dès maintenant, dès que j’entends et que je reconnais sa voix. Vous allez dire : « c’est l’hiver ». Si vous n’entendez pas la voix qui vous appelle, vous avez raison. Car si vous regardez dehors, et même parfois dedans, oui, objectivement, c’est l’hiver. Mais la voix que vous attendiez vous dit une parole surprenante, inattendue : non pas « l’hiver passera », parole mensongère tant de fois entendue, mais bien « l’hiver est passé » !
Cette parole initie pour celui ou celle qui l’entend et qui se sait alors appelé un nouvel univers, une nouvelle réalité, un printemps éternel de l’amour qui remplace l’hiver quotidien du péché et de la mort. Jésus, dans l’évangile, disait : « redressez-vous et levez la tête, parce que votre délivrance approche. » Et dans l’Apocalypse il proclame : « c’est fait ! » (Apoc. 21 / 6) Nous avons là quelque chose de formidable à vivre, qui que nous soyons et quelle qu’ait pu être notre existence. Faites confiance à cette parole, ce n’est pas moi qui vous la dit, c’est notre « bien-aimé ». Il vient ! Amen.
Senones – David Mitrani – 4 décembre 2022