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Évangile selon Luc 18 / 1-8
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texte :
Jésus leur dit une parabole, pour montrer qu’il faut toujours prier et ne pas se lasser. Il dit : « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et qui n’avait d’égard pour personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : “Fais-moi justice de mon adversaire”. Pendant longtemps il ne voulut pas. Mais ensuite il dit en lui-même : “Bien que je ne craigne pas Dieu et que je n’aie d’égard pour personne, néanmoins parce que cette veuve me cause des ennuis, je lui ferai justice, de peur que jusqu’à la fin, elle ne vienne me casser la tête” ». Le Seigneur ajouta : « Entendez ce que dit le juge inique. Et Dieu ne ferait-il point justice à ses élus, qui crient à lui jour et nuit, et tarderait-il à leur égard ? Je vous le dis, il leur fera promptement justice. Mais, quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
premières lectures : Job 14 / 1-17 ; Épître aux Romains 14 / 7-13
chants : 31-31 et 47-13
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prédication :
Justice ! « Fais-moi justice de mon adversaire ! » Ainsi crie celle qui n’a personne d’autre pour s’occuper d’elle que la justice du juge. Or son juge est un filou seulement intéressé par lui-même. Point de justice en ce bas-monde. Pauvre femme… Eh bien non : pauvre juge ! Car la petite histoire racontée par Jésus montre une autre scène, dans laquelle la veuve spoliée par on ne sait qui, un « adversaire » anonyme, n’abandonne pas sa quête de justice pour elle-même : elle casse les pieds au « juge injuste » jusqu’à ce qu’il craque et lui cède enfin, jusqu’à ce qu’il fasse son travail et exerce enfin la justice pour laquelle il est là. La morale de l’histoire est limpide, elle était d’ailleurs donnée avant-même d’entendre l’histoire : c’était « pour montrer qu’il faut toujours prier et ne pas se lasser », nous avait prévenu l’évangéliste. Mais comme d’habitude, avec une parabole de Jésus, on ne peut pas en rester là, à la surface ; on ne peut pas en rester à une historiette sans intérêt… C’est une parabole, un truc qui vous est jeté à la figure. Qu’est-ce que cela produit en vous ?
Une première image : le juge est injuste. Qui est ce juge ? Est-ce un humain, est-ce moi ? La seconde lecture de ce culte pourrait le suggérer, en nous disant : « ne nous jugeons donc plus les uns les autres… » Serions-nous donc des juges injustes, ne cherchant que notre intérêt ? J’aurais tendance à répondre oui à cette question digne de l’Accusateur. Oui, nous sommes injustes dans nos jugements, nous défendons les nôtres, nous cherchons à éviter les ennuis et à éliminer les gêneurs, nous cherchons le profit ou, au minimum, la tranquillité. Ainsi, lorsqu’un frère ou une sœur sollicite notre jugement, nous cherchons – et souvent nous trouvons – le moyen de nous défiler. L’un de ces moyens est, comme dans la parabole, de faire la sourde oreille, ou de déplacer la demande vers l’entraide : c’est plus facile de donner des sous que de l’écoute ou la justice ! Un autre de ces moyens est de rendre un jugement, de dire le droit, mais sans souci du droit. Le jugement nous seulement ne satisfera pas le demandeur, mais il aggravera la situation en la rendant irrévocable. Car si le juge est injuste, qui donc établira le droit et la justice… ?
Ah, mais dans la parabole, le juge pourrait être Dieu lui-même. Ainsi Job l’interpelle-t-il, non pas pour lui dire qu’il est injuste, mais pour lui reprocher que sa justice fait injustement du mal. Job clame son désespoir face au jugement définitif de Dieu sur sa vie à lui, humain faible et pécheur qui est détruit par le jugement divin. Telle est souvent la réaction des croyants malmenés par la vie – et je dis bien : des croyants, car les autres abandonnent ou ignorent Dieu qui est pourtant leur Juge. Et les croyants – vous et moi – ne critiquent pas tant la justice de Dieu que le fait qu’elle s’exerce ! Sachant combien nous sommes condamnables, nous aimerions bien que la condamnation ne soit pas appliquée. En fait, nous aimerions bien une justice impuissante, bien que souvent nous reprochions à la justice de notre pays d’être telle. Nous aimerions bien une justice qui punisse les autres, mais pas nous…
À moins que notre image du Dieu juge soit erronée, comme Dieu lui-même le montrera à Job dans les derniers chapitres de son livre. Ainsi ce que nous refusons de Dieu ne se trouve pas en lui, mais en nous-mêmes. Le prophète Ézéchiel renversera ainsi les choses : « Vous dites : “La voie du Seigneur n’est pas normale”. Écoutez donc, maison d’Israël ! Est-ce ma voie qui n’est pas normale ? Ne seraient-ce pas plutôt vos voies qui ne sont pas normales ? » (Éz. 18 / 25) Au reproche d’être un juge injuste, Dieu répond en renvoyant la balle : « c’est vous qui êtes des juges injustes » ! Chez Ézéchiel c’était à propos du pardon que Dieu accorde à celui qui se tourne vers lui, pardon que refusaient les croyants, et dans le Nouveau Testament ça n’avait pas changé : on reprochait encore à Jésus de pardonner ceux que, pensait-on, Dieu devait condamner… Vous connaissez tous ces textes. Ils nous posent la question : ne nous trompons-nous pas de dieu ?! C’est la question de l’idolâtrie, question qui parcourt tout l’Ancien Testament. Ne confondons pas nos idées sur Dieu, qui sont la plupart du temps des idées païennes, issues de notre expérience ou de nos désirs, avec Dieu lui-même, qui est certes un juste Juge, mais qui est souverain : est juste ce que lui considère comme juste, et non pas ce que nous revendiquons comme juste…
Pourtant la demande de la veuve de la parabole est présentée comme juste, comme légitime, et le juge comme n’exerçant pas droitement la justice. Alors, deuxième image : qui est cette veuve ? Dans la lecture morale, le niveau zéro de la parabole, c’est vous, c’est moi. Si nous lisons ainsi, cela nous oblige. Cela nous oblige à ce que nos demandes à Dieu soient justes, c’est-à-dire conformes à sa volonté. Dieu n’exauce pas les prières qui portent atteinte à son projet pour le monde et pour moi. Et s’il agit ainsi, ce n’est pas parce qu’il serait injuste, mais parce que mes demandes le sont. Priant Dieu, il nous faut ressembler à cette veuve, c’est-à-dire que nous devons veiller à ce que nos prières soient justes et justifiées non pas par ce que nous ressentons, mais par la parole-même de Dieu. Le sont-elles ? Bon, allez : pas souvent, reconnaissons-le… Nous considérons plus facilement les prières, les demandes, les exigences des autres, comme injustes ou mal fondées. Mais nous sommes plus indulgents à notre propre égard. Or ce que nous condamnons chez les autres, c’est souvent ce qui est aussi condamnable chez nous.
Mais… et si la veuve, c’était Dieu ? Renversons donc un peu les rôles ! La veuve qui n’a personne et qui demande justice, c’est celui à qui nous, nous la refusons, cette justice, avons-nous compris ! Relisons les évangiles : en Jésus, Dieu vient nous solliciter, nous chercher, et nous, nous ne bronchons pas, insensibles voire hostiles à ce Dieu qui n’agit pas comme devrait agir un dieu, qui demande notre amour total et qui est jaloux, et qui manifeste cette jalousie non pas par des violences qu’on dirait conjugales, mais par le don de lui-même jusqu’au bout. Il réclame, il nous réclame, il veut nous racheter à nous-mêmes, et « nous ne craignons pas Dieu et n’avons d’égard pour personne », pour parler comme la parabole. Souvent nos prières assourdissent les siennes ; nous réclamons la tranquillité quand lui, il réclame justice, il réclame pour nous la justice qu’il nous a obtenue par la croix de son Fils. Laquelle de ces prières sera exaucée : la nôtre, ou bien la sienne ? La sienne ! Il viendra à bout de notre impassibilité, car sa Parole s’adresse sans cesse à nous, et soit nous l’écoutons, et l’histoire est finie, et elle finit bien, soit nous ne l’écoutons pas, et il continuera jusqu’à nous casser les oreilles, jusqu’à ce que nous cédions, et alors aussi, l’histoire sera finie, et elle finira bien !
Mais Jésus s’inquiétait, dans notre texte : Dieu sera-t-il écouté à la fin ? Car « après », il sera trop tard. Il y a un troisième personnage dans la parabole, même s’il est absent : l’adversaire de la veuve ! Arrivera le temps où justice sera rendue, et où l’adversaire, « le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et l’accusateur » (Apoc. 20 / 2), sera défait, condamné, éliminé… et avec lui ceux qui se seront identifiés à lui (cf. Apoc. 20 / 10-15) ! Car ce n’est pas pour réparer des injustices humaines que Dieu réclame : de celles-ci il nous a faits bien assez grands pour nous défaire, ou pour les supporter. Non, c’est du diable que Dieu veut nous débarrasser, et que dans notre surdité à sa prière nous laissons agir et détruire et nos vies et le monde. Mais comme le psaume et le sage de l’Ancien Testament le constataient : « Il n’y a pas de juste, pas même un seul » (Rom. 3 / 10 citant Eccl. 7 / 20 et Ps. 53 / 4). Nous sommes alors renvoyés à la prière d’Abraham et au sauvetage in extremis de Loth lors de la chute de Sodome (Gen. 18 – 19) : pas même dix justes pour épargner la ville, mais Dieu fait grâce à Loth par amour pour Abraham…
Aurons-nous assez de foi pour exaucer Dieu, répondre à son amour et envoyer balader le diable ? Telle est la question qui nous est posée. Mais nous connaissons la réponse, qui est suggérée par Jésus à la fin du texte : elle est négative ! « Quand le Fils de l’Homme viendra » pour exercer le jugement, puisque tel était son rôle, c’est sa propre foi, sa propre confiance en Dieu, qu’il devra prendre en compte, et non la nôtre. L’apôtre Paul, dans ses lettres, parle de « la foi de Christ » (Rom. 3 / 22), et si nous sommes sauvés, c’est par elle, par la foi de Christ, et non par la nôtre. Combien de fois Jésus ne dit-il pas à ses disciples : « hommes de peu de foi » (p.ex. Matth. 8 / 26), « si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde… » (Matth. 17 / 20), etc. Dieu ne peut compter que sur lui-même pour nous sauver ! Et c’est bien ce qu’il a fait, c’est en ceci que consiste l’Évangile. L’Évangile n’est pas de croire que Dieu existe, c’est la parole selon laquelle nous sommes « sauvés par grâce, par le moyen de la foi » (Éph. 2 / 8) de Jésus-Christ.
Maintenant, pour retourner au rez-de-chaussée de notre parabole, là où nous sommes la veuve, notre foi consiste en confiance, confiance dans le fait que Dieu est juste et qu’il nous justifie, qu’il nous regarde comme si nous étions justes nous-mêmes, qu’il nous regarde comme ses enfants et non pas comme des quémandeurs. L’enseignement de Jésus contredit formellement sa parabole : Dieu n’est pas un juge injuste, il est un père plein d’amour. Et si à nos yeux il est injuste, ce n’est pas en nous déniant sa justice, mais en passant outre afin de ne pas nous condamner quand nous le mériterions. Aurons-nous assez de foi pour le prier ? Si nos prières sont des demandes « de confort », même si c’est d’un confort nécessaire à notre existence ou à celle de nos proches, alors ce ne sont pas des prières de la foi. Ça ne nous coûte rien de les faire, mais ce n’est pas ce qui nous est demandé. La prière de la foi, c’est de dire à Dieu notre confiance dans sa victoire sur l’Adversaire, c’est de lui demander d’ancrer cette victoire dans le concret de notre existence afin que nous en bénéficiions dès maintenant.
« Crions-nous à [Dieu] nuit et jour » ? Je ne suis pas sûr. Encore qu’un clin d’œil m’a fait comprendre que, si, peut-être : l’un des jeunes qui fréquentaient notre Église il y a quelques années a mis hier matin en ligne sur Facebook une belle version du chant de la JMP (Alléluia n° 49-19) chantée en anglais dans un culte d’aumônerie militaire. Quel rapport ? Ce cantique évoque le fait que, toujours sur terre, quelle que soit l’heure, il y a un endroit d’où montera vers Dieu la prière de ses enfants. Alors peut-être bien que moi, je ne le fais pas souvent, mais d’autres le font aussi, et peut-être justement aux moments où moi je me tais… Ainsi la prière monte sans cesse au Père miséricordieux. Nous accomplissons ainsi notre vocation sacerdotale commune : chacun de nous est prêtre pour ses frères et sœurs, parlant à Dieu en leur nom, tandis que Jésus, le seul vrai prêtre, non seulement parle à Dieu pour nous tous tout le temps, mais il a donné sa vie pour nous tous, pour que nous vivions.
Il n’est pas anodin que le titre de « Fils de l’Homme » n’ait pas été repris par l’Église chrétienne : il évoquait le jugement et non l’amour. Le nom de Jésus suffit, qui veut dire « il sauve », et qui n’est pas un titre, mais le nom d’une personne réelle, qui nous a réellement aimés et sauvés de nous-mêmes et de l’Adversaire. Il a planté sa foi sur la terre où nous vivons, et notre « petite foi » fait mémoire devant Dieu de la sienne. Nous n’avons que Jésus, mais, oui, nous avons Jésus ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 13 novembre 2022